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| | Bataille absurde : de l’angoisse au rire | |
Guillaume Rousseau, professeur agrégé de Lettres Modernes, doctorant en littérature française du XXe siècle, Université de Pau et des Pays de l’Adour/ Université Paris IV-Sorbonne Résumé/AbstractRésumé : Dans cet article, nous nous proposons de mettre en lumière le caractère spécifiquement littéraire du sentiment de l’absurde dans les romans et récits de Georges Bataille (spécialement Madame Edwarda et Le Bleu du ciel). Par cet exemple, la fiction littéraire, en marge de la philosophie, se donne pour rôle de représenter une expérience impensable. Dans les œuvres romanesques de Bataille, l’absurde se place d’abord sous le signe de l’angoisse. En effet, Bataille s’inspire de Nietzsche en prenant acte de la mort de Dieu qu’il représente par l’image récurrente d’un ciel désormais vide. Désorientés, les personnages batailliens en proie à l’angoisse se retrouvent dans une situation d’impasse où ils ne peuvent que crier leur désespoir. Cependant, cette angoisse est finalement dépassée par un rire souverain qui non seulement admet le non-sens mais l’approuve. Abstract: In this article, we intend to emphasize the literary specificity of the Absurd in Georges Bataille’s novels (Madame Edwarda and Le Bleu du ciel). On the fringes of philosophy, literature aims at representing an unfathomable experience. In Bataille’s fictional works, the Absurd is similar to the anguish. Indeed, Bataille rewrites Nietzsche’s « God is dead » creed with the metaphor of an empty sky. Disorientated, Bataille’s characters are now faced with a dead-end where they can only scream out in despair. However, this anguish is finally overcome by outright laughter which admits and condones nonsense. - اقتباس :
Ma vie n’a de sens qu’à la condition que j’en manque ; que je sois fou : comprenne qui peut, comprenne qui meurt…[1] Dans Le Livre à venir, Maurice Blanchot définit le récit de Georges Bataille à partir du scandale. Une scène capitale de Madame Edwarda (1941) permet d’en comprendre la portée : le personnage éponyme, une prostituée, exhibe devant le narrateur son sexe béant tout en déclarant être Dieu. La contradiction entre le très haut et le très bas, entre le vulgaire et le sacré confine bien évidemment au non-sens[2] et le narrateur, en retour, croit devenir fou face à cette double révélation. Mais, au-delà de cette scène, c’est le récit tout entier qui est frappé par ce sentiment d’absurde. Dans ce récit qui ne conte rien d’autre que la poursuite d’Edwarda par le narrateur dans la nuit obscure, ce dernier finit par déclarer : « M. Non-Sens écrit, il comprend qu’il est fou : c’est affreux[3]. » Auteur véritable du texte de Bataille, cette allégorie littéraire de l’absurde résiste à la récupérationphilosophique : « Mais sa folie, ce non-sens – comme il est, tout à coup, devenu « sérieux » : – serait-ce là justement « le sens » ? (non, Hegel n’a rien à voir avec l’ »apothéose » d’une folle…)[4]. » Au fond, l’absurde qui s’écrit dans les récits de Bataille relève d’une démarche spécifiquement littéraire. Aux côtés de Madame Edwarda, M. Non-Sens impose son expérience du monde, vérité que ne saurait réfuter Hegel et son système[5]. Le cri, Edvard Munch, © Google Art Project – Wikimedia CommonsNotre propos sera donc d’essayer de comprendre le (non-)sens de cette expérience de l’absurde qui s’écrit en marge de la philosophie. Nous voudrions d’abord proposer une origine à ce sens dérobé en montrant comment l’épisode nihiliste de la mort de Dieu chez Nietzsche se retrouve dans le texte bataillien avec la vision sidérante d’un ciel vide. Nous montrerons ensuite qu’au-delà de la désorientation, l’angoisse se traduit par un sentiment d’impasse où le personnage bataillien ne peut que crier sa détresse. Cependant, nous expliquerons qu’il reste toujours la possibilité de triompher de l’absurdité de la condition humaine par un rire souverain. Le retour de Nietzsche : de la mort de Dieu au ciel vide On a vu dans l’introduction comment le philosophe par excellence, Hegel[6], était repoussé à la marge du récit – comme s’il était dépassé par la vérité absurde. C’est finalement dans la philosophie de Nietzsche que Bataille va découvrir l’origine du sentiment d’absurde. À n’en pas douter, celui qui apparaîtra pour Bataille comme un frère ou comme un double s’inscrit en faux contre la tradition philosophique[7]. À ce sujet, il est essentiel de souligner que Bataille a pu découvrir Nietzsche par l’entremise de Léon Chestov[8]. Dans l’un de ses ouvrages importants, La Philosophie de la tragédie, le philosophe russe place Nietzsche aux côtés de Dostoïevski et révèle chez ces deux auteurs, par-delà la philosophie et la littérature, une même vérité anti-idéaliste : l’existence tragique de l’homme qu’il s’agit de regarder bien en face, sans lui opposer quelque idéal que ce soit. Indéniablement, la scène de la mort de Dieu du Gai savoir, où le fou adresse un cri angoissé à l’ensemble de l’humanité, représente bien cette philosophie tragique de l’existence : - اقتباس :
N’avez-vous pas entendu parler de ce fou qui allumait une lanterne en plein midi, puis se mettait à courir sur la grand’place en criant sans arrêt : « Je cherche Dieu ! je cherche Dieu ! » Comme beaucoup de ceux qui s’étaient assemblés là étaient de ceux qui ne croient pas en Dieu, il provoqua un grand éclat de rire. L’aurait-on égaré ? disait l’un. S’est-il perdu comme un enfant ? disait l’autre. Ainsi s’écriaient-ils, ainsi riaient-ils entre eux. Le fou sauta au milieu d’eux et les perça de ses regards : « Où est allé Dieu ? cria-t-il, je vais vous le dire : nous l’avons tué – vous et moi ! Nous tous, nous sommes ses meurtriers ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu épuiser la mer ? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon entier ? Qu’avons-nous fait quand nous avons détaché cette terre de son soleil ? Où donc se dirige-t-elle à présent ? Où nous dirigeons-nous ? Loin de tous les soleils ? Est-ce que nous ne tombons pas sans cesse ? En arrière, de côté, en avant, de tous les côtés ? Y a-t-il encore le haut et le bas ? Ne sommes-nous pas portés au hasard dans un néant sans fin ? »[9] Par sa dramatisation, par la force de son imaginaire comme par exemple cette lanterne qui éclaire en plein jour, notons d’emblée que cette scène paraît davantage littéraire que philosophique. Mais elle l’est surtout par le fait que la mort de Dieu – qui traduit l’effondrement du système idéaliste, la garantie de la valeur – n’est pas un concept. Elle se donne précisément dans son caractère insaisissable de telle sorte qu’on en fait l’expérience : une expérience de la désorientation, de la perte de repères. Bataille évoque encore ce passage dans un entretien à la fin de sa carrière littéraire : - اقتباس :
Pour Nietzsche, ce qu’il a appelé la mort de Dieu laissait un vide terrible, quelque chose de vertigineux, presque, et de difficilement supportable. Au fond, c’est à peu près ce qui arrive la première fois qu’on prend conscience de ce que signifie, de ce qu’implique la mort : tout ce qu’on est se révèle fragile et périssable, ce sur quoi nous basons tous les calculs de notre existence est destiné à se dissoudre dans une espèce de brume inconsistante[10]… Autrement dit, la mort de Dieu n’est pas le signe d’un athéisme serein, au contraire, elle révèle, dans le ciel, un vide impossible à combler, plongeant l’homme dans l’angoisse, le déchirant. Une telle révélation marque Bataille et l’on ne s’étonnera pas d’en trouver la trace dans ses fictions avec l’image du ciel vide. Dans Madame Edwarda, il est ainsi question d’un « ciel étoilé, vide et fou[11] ». Dans cette formule condensée, chaque qualificatif est déterminant et leur juxtaposition forme un paradoxe des plus surprenants : comment un ciel étoilé peut-il être vide ? Bataille précise le sens de son image frappante quelques pages plus loin alors que Madame Edwarda semble totalement absente : « Comme si je l’éveillais, elle prononça d’une voix sans vie : « Où suis-je ? » / Désespéré, je lui montrai sur nous le ciel vide. Elle regarda : un instant, elle resta, sous le masque, les yeux vagues, perdus dans des champs d’étoiles[12]. » Par le jeu des oracles, les hommes de l’Antiquité cherchaient dans le ciel des réponses… mais la question que pose Edwarda montre que nous ne sommes plus désormais dans le même monde. Après la mort de Dieu, il n’est plus possible de répondre à la question la plus simple : « Où suis-je ? » L’expérience de la désorientation trouve sa réponse sans espoir dans le geste du narrateur qui illustre au sens propre le paradoxe d’un ciel sans Dieu. Le nombre incalculable d’étoiles (le ciel étoilé) est signe de perdition (le ciel fou) et conduit au vide de l’absence. L’infini du ciel étoilé signe la fin d’un monde de valeurs : désormais tout se vaut – à l’image de Dieu, l’ancienne valeur suprême, et d’une prostituée. Les étoiles ont remplacé le soleil, image de Dieu, image du Souverain Bien. Bataille, en somme, prolonge Nietzsche : le fou cherchait encore Dieu dans le ciel de midi, mais la lanterne annonçait déjà la nuit de Bataille. Cette inversion du ciel diurne en ciel nocturne a justement lieu de façon exemplaire dansLe Bleu du ciel, roman de Bataille au titre évocateur publié en 1957 mais dont la première version date de 1935. À l’heure où l’Europe est en proie à la montée irrépressible du fascisme, l’histoire retrace le parcours erratique du narrateur, Troppmann, qui ne parvient à se défaire d’un état dépressif, témoignant de son angoisse existentielle. La scène suivante, où s’explicite l’ironie du titre, développe l’image du ciel étoilé de Madame Edwarda pour nous renvoyer au ciel de midi : - اقتباس :
Je descendis de la voiture et ainsi je vis le ciel étoilé par-dessus ma tête. Après vingt années, l’enfant qui se frappait à coups de porte-plume attendait, debout sous le ciel, dans une rue étrangère, où jamais il n’était venu, il ne savait quoi d’impossible. Il y avait des étoiles, un nombre infini d’étoiles. C’était absurde, absurde à crier, mais d’une absurdité hostile. […] Je me rappelai avoir vu passer, vers 2 heures de l’après-midi, sous un beau soleil, à Paris – j’étais sur le pont du Carroussel – une camionnette de boucherie : les cous sans tête de moutons écorchés dépassaient des toiles et les blouses rayées bleu et blanc des bouchers éclataient de propreté. Quand j’étais enfant, j’aimais le soleil : je fermais les yeux et, à travers les paupières, il était rouge. Le soleil était terrible, il faisait songer à une explosion : était-il rien de plus solaire que le sang rouge coulant sur le pavé, comme si la lumière éclatait et tuait ? Dans cette nuit opaque, je m’étais rendu ivre de lumière […] Mes yeux ne se perdaient plus dans les étoiles qui luisaient au-dessus de moi réellement, mais dans le bleu du ciel de midi[13]. Il nous faut donc passer par la réminiscence du temps de l’enfance pour expliquer le vide du ciel. À la suite du Gai savoir, ce texte a valeur de révélation. Là où la « nuit opaque » n’ouvre que sur l’absurde – terme répété et dérivé en « absurdité hostile » –, le ciel diurne et son soleil vont révéler la vérité sur la mort de Dieu qu’on présupposait jusqu’alors dans le ciel vide. Le texte ouvre ainsi sur la vision sidérante du soleil explosif qui laisse sans voix (infans). Commentant la parabole de Nietzsche, Bataille montre en quoi le personnage de l’insensé ne saurait se confondre avec les athées : - اقتباس :
Ce sacrifice que nous consommons se distingue des autres en ceci : le sacrificateur est lui-même touché par le coup qu’il frappe, il succombe et se perd avec la victime. Encore une fois : l’athée est satisfait d’un monde achevé sans Dieu, ce sacrificateur est, au contraire, dans l’angoisse devant un monde inachevé, inachevable, à jamais inintelligible, qui le détruit, le déchire (et ce monde se détruit, se déchire lui-même)[14]. De la même manière, dans la scène du Bleu du ciel, l’enfant n’a rien à voir avec les bouchers : regardant le soleil, l’enfant s’ouvre à la vérité sanglante du sacrifice ce que ne peuvent faire les bouchers avec leurs « blouses rayées bleu et blanc » – le bleu du ciel et ses nuages – qui tuent comme si de rien n’était. Suivant le fou de Nietzsche, l’enfant, plongé dans l’angoisse, reconnaît sa faute. Mieux encore, avec la mention de la main blessée par le porte-plume[15], Bataille, par-delà Troppmann, parle au nom d’une littérature qui plaide coupable – ce qui sera le thème majeur de La Littérature et le Mal. Reprenant en son nom le gouffre absurde qui résulte de la mort de Dieu, l’écrivain se voue | |
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