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 Irak, Iran, Afghanistan : les divisions de l’Europe

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Irak, Iran, Afghanistan : les divisions de l’Europe  Empty
16102010
مُساهمةIrak, Iran, Afghanistan : les divisions de l’Europe

C’est dès les années cinquante que l’Iran sous la direction du shah Reza Pahlavi après le renversement de Mossadegh noue des rapports avec les États-Unis sur la question nucléaire. Eisenhower avait lancé en 1953 dans un discours fameux aux nations unies le programme « Atomes pour la paix » [1] ; Dans ce cadre, en 1959 est créé à Téhéran le centre de recherches nucléaires de Téhéran (CRNT) [2], dirigé par l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran (OEAI). Les États-Unis fourniront au centre un réacteur de recherche fonctionnant à l’uranium hautement enrichi. [3] Les accords bilatéraux entre les deux pays dans les années soixante permettent le développement de l’activité iranienne dans le domaine.Après le premier choc pétrolier, l’Iran envisage sous un angle nouveau la question de son approvisionnement énergétique, d’une part, et celle de son équipement militaire d’autre part. Le shah va lancer une accélération très importante des acquisitions militaires (achat des F-14 tomcat, seul pays hors États-Unis possédant cet ap­pareil), positionnant son pays comme le « gendarme du golfe ». La place nouvelle prise par le pétrole comme source énergétique impli­que une gestion de long terme moins dispendieuse. Et la réalisation d’un important programme nucléaire de production d’électricité est alors lancée, au moment même ou des pays significatifs (c’est le cas de la France) démarrent de programmes de grande ampleur. L’institut de recherche de Stanford publie une étude qui évalue à 20 000 mégawatts les besoins du pays à l’horizon 1990 et les États-Unis encouragent l’Iran à développer ses moyens énergétiques non-pétroliers.La perspective du shah d’Iran était de construire 23 réacteurs nu­cléaires producteurs d’électricité et son gouvernement va signer un contrat avec le groupe Siemens [4] pour construire deux réacteurs de 1 200 mégawatts sur le site de Bushehr, dont le chantier est ouvert en 1974, ainsi qu’un contrat avec Framatome pour deux réacteurs à eau pressurisée à Darkhovin. [5] L’Iran prend aussi pour 1 milliard de dollars une participation de 10 % dans le consortium Eurodif pour l’usine d’enrichissement du Tricastin, en France. La France fournit également une assistance technique pour la réalisation du centre de technologie nucléaire d’Esfahan. Dans ce centre fonctionneront quatre réacteurs de recherches d’origine chinoise. L’année suivante le MIT [6] signe avec l’OEAI un accord de formation d’une première cohorte d’ingénieurs nucléaires et l’Inde [7] conclut avec l’Iran un traité de coopération nucléaire.En 1976, l’Iran participe au financement d’une usine d’enrichis­sement en Afrique du sud et reçoit pour 700 millions de dollars de minerai d’uranium. Et en 1977, le gouvernement américain prévoit de livrer huit centrales à Téhéran [8] et conclut en juillet 1978 un ac­cord global sur les fournitures de matériel nucléaire, par lequel l’Iran aura accès à la technologie américaine.Les aspects civils du programme nucléaire iranien sous la période du shah ainsi résumés ne font guère l’objet de contestation. Il est clair que le shah avait engagé un programme ambitieux de produc­tion d’électricité d’origine nucléaire, à l’exemple de la France ou du Japon, pays non producteurs de pétrole, ou des États-Unis, pays au contraire gros producteur. La vision de long terme sur l’épuisement des ressources pétrolières et leur insuffisance face à la croissance dé­mographique du pays poussait à rechercher des sources alternatives, ce que le nucléaire pouvait être.Les aspects militaires de l’activité nucléaire iranienne dans cette période sont plus controversés – et pour cause –. Mais le fondateur et ancien président (1974-1978) de l’OEAI, Akbar Etemad men­tionne des essais faits avec du plutonium extrait du combustible des réacteurs. [9] Et plusieurs témoins de l’époque, proche du shah comme l’ancien ministre Asadollah Alam, évoquent une équipe de recherche sur les armes nucléaires au centre de recherche de Téhéran et pensent que le shah voulait faire de l’Iran une puissance nucléaire militaire.La révolution islamique bouleverse la donne :En février 1979, la chute du gouvernement du shah, ouvre une nouvelle période où dans un premier temps, le nucléaire va être mis au second plan, à la fois parce que le nouveau pouvoir n’en veut pas et parce que les puissances occidentales n’ont plus le même désir d’équiper le pays.À cette date les réacteurs du site de Bushehr ne sont pas encore complètement installés mais le gouvernement Bazargan stoppe les travaux et les entreprises étrangères s’en vont. Durant la guerre avec l’Irak le site va être à peu près complètement rasé par des bombar­dements répétés. [10]Une fois la guerre terminée, sous la présidence de Rafsanjani, diverses tentatives vont être faites pour renouer les liens avec les entreprises occidentales, notamment pour que Kraftwerk Union li­vre les composants et la documentation technique des réacteurs de Bushehr, ce que la firme allemande, [11] sous la pression américaine, refuse de faire. La même opposition des États-Unis empêchera qu’un consortium de sociétés argentine, allemande et espagnole prenne la suite des travaux sur le site ou que, dans les années quatre-vingt-dix l’institut national espagnol pour l’industrie et l’équipement nucléai­re termine le projet.De même en 1993 la firme italienne Ansaldo et en 1994 la firme tchèque Skoda seront obligées, sous menace de boycott américain, de suspendre leurs discussions commerciales. Ce gel des relations va amener l’Iran à se tourner vers la Russie et la Chine.La « crise » nucléaire

En janvier 2002 dans le discours sur l’état de l’Union le président Bush, dénonce « l’axe du mal » constitué par l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord. C’est dans ce contexte qu’en août 2002, un représentant des Moudjahidines du peuple, employé aux États-Unis par la chaîne Fox news, révèle qu’en Irak existent des installations nucléaires non déclarées au sud de Téhéran à Natanz (usine d’enrichissement de l’uranium) et à Arak (production d’eau lourde). Ces révélations qui donnent du crédit à l’afrmation du président américain sont le point de départ de la « crise nucléaire iranienne » et pendant l’année 2002 la pression américaine va aller augmentant, pour dénoncer la volonté supposée de l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire.2003-2005 : la montée des tensions :Cette tension grandissante va s’établir sur un premier palier dans l’année 2003. En février 2003, Mohamed El Baradei, direc­teur général de l’AIEA, inspecte le site de Natanz. Le rapport que Mohamed El Baradei rend en juin souligne que « l’Iran a manqué à son devoir de rapporter certains matériaux et activités ». En consé­quence, il demande « des actions coopératives » de la part du pays. Mais cette situation n’est pas qualifiée comme une rupture avec le TNP, que l’Iran a signé en 1968 et ratifié deux ans plus tard.D’autre part le 21 octobre, c’est la visite conjointe à Téhéran des ministres des Affaires étrangères français, britannique et allemand, Dominique de Villepin, Jack Straw et Joschka Fischer qui s’entre­tiennent avec le président Khatami de la coopération de l’Iran.À la suite de cette visite, l’AEIA indique que l’Iran a fourni une description « complète » [12] de son programme nucléaire et son rap­port précise que l’Iran a admis avoir produit du plutonium mais « qu’il n’y a pas d’évidence que le pays tente de construire des armes nucléaires » [13] Washington proteste que le rapport est « impossible à croire », mais le document est validé par l’ONU et en décem­bre, Téhéran signe le protocole additionnel au TNP, permettant à l’AIEA d’organiser des inspections non prévues et plus détaillées des sites nucléaires.L’année 2004 est celle d’un nouvel affrontement à nouveau réglé par un compromis. Les mêmes mouvements se poursuivent pendant l’année 2005 : mission d’inspection de l’AEIA à Natanz en juin ; tentative (infructueuse) de Condoleezza Rice, secrétaire d’État, de s’opposer à la réélection de Mohammed El Baradei à la tête de l’agence. Reprise en août de la conversion [14] à l’usine d’Is-pahan qui entraîne la suspension des négociations avec le groupe UE3 ; Ahmadinejad le nouveau président iranien, propose lors d’un somme à l’ONU que des entreprises étrangères puissent participer au programme nucléaire iranien, assurant ainsi un certain contrôle.Les résolutions du conseil de sécurité :La période 2006-2007 est celle d’une aggravation des tensions. En décembre 2006, le conseil adopte à l’unanimité la résolution 1737 rend obligatoire la suspension de toutes les activités liées à l’enrichissement et à l’eau lourde en Iran, y compris en recherche et développement.En mars le conseil adopte, de nouveau à l’unanimité, la résolu­tion 1747 qui durcit les positions et prévoit de nouvelles mesures qui portent sur deux domaines principaux : l’armement (interdic­tion faite à l’Iran d’exporter toute arme et appel à la vigilance et à la retenue pour les exportations de certaines armes vers l’Iran) et les relations financières du gouvernement iranien avec d’autres États ou avec les institutions financières internationales.L’Iran est-il en train de construire la bombe ?

Ce projet attribué à l’Iran s’appuie sur des « évidences » écono­miques (l’Iran a du pétrole, il n’a donc pas besoin d’électricité nu­cléaire) et sur des « indices » techniques. Mais, évidences et indices sont discutables.Gérer le pétrole :Un des arguments mis en avant par l’administration américaine pour « prouver » la duplicité iranienne consiste à dire qu’un pays aussi richement doté en pétrole que l’Iran n’a pas réellement besoin de construire un parc de centrales nucléaires pour disposer d’élec­tricité et que donc la volonté civile affichée camoufle en réalité des desseins obscurs.On sait que l’Iran est le quatrième producteur mondial de pétro­le (185 millions de tonnes en 2003) [15], derrière la Russie, l’Arabie saoudite et les États-Unis [16] et que ses réserves (18 milliards de tonnes) sont les deuxièmes du monde après l’Arabie saoudite (35 mil­liards). Toutefois cet argument mérite d’être examiné de plus près : s’il est vrai que dans le passé certains des pays qui ont lancé des programmes importants de centrales nucléaires (France, Allemagne, Japon notamment) l’ont fait pour compenser leur absence de res­sources pétrolières, dans le même temps, d’autres pays, pourvus en pétrole ont aussi construit des parcs importants de centrales : c’est le cas en particulier des États-Unis et de la Russie. La volonté de diversifier les sources ainsi que d’anticiper l’épuisement des réserves expliquent ces décisions. Elles ne sont pas sans validité dans le cas de l’Iran. On doit également noter que la position de l’Iran dans le marché mondial du pétrole s’est contractée : en 1973 avec une production de 293 millions de tonnes, Iran réalisait plus de 10 % de la production mondiale, en 2000, avec 186 millions de tonnes, il ne représente plus que 5,2 % du total. [17] De plus l’état actuel des exploitations pétrolières iraniennes est préoccupant, faute d’inves­tissement suffisants et prélude sans doute à une baisse de la produc­tion, qu’un chercheur de la Johns Hopkins University, Roger Stern, évalue à 10 à 12 % par an, [18] d’autant que la National Iranian Oil Company, la société nationale, faute de disposer de la technologie et de ressources suffisantes n’est pas en mesure, seule, de remettre à niveau les installations. Le pétrole constitue de plus l’essentiel des ressources extérieures de l’Iran [19] et presque la moitié de ses ressour­ces budgétaires. Enfin, depuis l’époque du premier choc pétrolier la pression démographique s’est singulièrement alourdie puisque, en un peu plus de trente ans la population a doublé pour atteindre 70 millions d’habitants.Dans ces conditions, une perspective consistant à économiser cette ressource rare et à répartir sur le long terme son utilisation n’est pas dénuée de crédibilité : même un pays richement doté en pétrole peut donc avoir un intérêt économique réel à développer des sources alternatives d’énergie. De ce point de vue l’existence des ressources naturelles de l’Iran ne conduit donc pas à ruiner l’hypo­thèse que ses efforts nucléaires soient réellement destinés à mettre au point une production civile d’électricité.Des indices mais pas de preuves :Une part du discours dominant accumule des « indices » tech­niques pour arriver à la démonstration qu’il existe un programme secret, à l’instar de ce qui se passait dans l’Irak de Saddam Hussein avant 1991. La discussion peut être extrêmement sophistiquée et la multiplication des arguments, à défaut de convaincre clairement, a un effet d’accumulation qui produit l’impression qu’il y a efective­ment « anguille sous roche ».Il est clair que la non-déclaration peut à bon droit susciter des questions, mais elle ne suffit pas à conclure à l’existence d’un pro­gramme militaire. Ou alors, il faut appliquer le même questionne­ment aux pays qui refusent, des inspections de l’AEIA, comme cela a été le cas pour la Corée du Sud quand en 2002 et 2003 ce pays a refusé l’inspection d’usines travaillant sur un programme d’enri­chissement par laser qui lui a permis d’obtenir de l’uranium 235 enrichi à 78 %, sans que les États-Unis ni l’Union européenne ne saisissent le conseil de sécurité. [20] Alors qu’en janvier 2007 le refus iranien de laisser entrer 38 inspecteurs de l’AEIA est analysé par le porte-parole du département d’État, Sean McCormack comme un « exemple de la volonté du gouvernement iranien de dicter sa volonté à la communauté internationale ». [21]En, réalité, la seule conclusion indiscutable des centaines d’ins­pections qui ont eu lieu en Iran, c’est qu’il n’existe pas de preuves de l’existence d’un programme militaire caché. Ce constat matériel n’équivaut pas à décider que l’option militaire n’existe pas dans l’es­prit des dirigeants iraniens. Mais ce point est une autre question qui doit être abordée comme telle.USA/Iran, l’afrontement politique

L’Iran : un proliférateur de plus ?C’est peu dire que les caractéristiques du pouvoir iranien ne plai­dent pas en sa faveur : le « régime des ayatollahs » [22], l’intégrisme religieux, les discriminations de toutes sortes contre les femmes avaient dessiné une image très négative dans l’opinion occidentale. Au point que les ouvertures du président Khatami par exemple ont été ignorées ou sont restées pratiquement sans suite. Khatami, alors président, avait multiplié les appels au « dialogue des civilisations » et fournit une aide précieuse aux États-Unis en Afghanistan pour le renversement du régime des talibans. En mai 2003, à Genève, les dirigeants de Téhéran avaient soumis aux représentants américains une proposition de négociation globale sur trois thèmes : armes de destruction massive ; terrorisme et sécurité ; coopération économi­que [23]. La République islamique se déclarait prête à soutenir l’initia­tive de paix arabe du sommet de Beyrouth [2002] et à contribuer à la transformation du Hezbollah libanais en parti politique.Sur le plan proprement nucléaire, l’Iran a signé en décem­bre 2003 le protocole additionnel du TNP, [24] qui renforce considé­rablement les capacités de surveillance de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et en août 2005 l’ayatollah Khamenei, guide suprême de la révolution a émis une fatwa interdisant la pro­duction, le stockage et l’utilisation d’armes atomiques.Néanmoins, les prises de position et initiatives du président Ahmadinejad, en particulier sur Israël et l’extermination des juifs ont achevé de construire une image de l’Iran suscitant crainte et tremblement et rendant plausible de la part de ce pays une démar­che masquée d’acquisition d’armes nucléaires. Plus que la Corée du Nord, lointaine pour les occidentaux et trop misérable pour être réellement menaçante, l’image de l’Iran se construit comme une figure du mal, et du mal absolu de ce siècle : la prolifération nucléaire.La prolifération n’est pourtant pas une nouveauté si remarqua­ble : il y a actuellement plus de 1 100 réacteurs nucléaires dans le monde : 280 sont des réacteurs de recherche, 400 propulsent des navires et des sous-marins et 438 produisent de l’électricité. [25] Et on sait qu’après les puissances anglo-saxonnes, tour à tour, tous les pays qui ont acquis l’arme nucléaire ont été dans un premier temps considérés comme des proliférateurs menaçant les équilibres mon­diaux, non seulement l’URSS évidemment ou, plus tard, la Chine maoïste, mais même la France, comme le disait Robert McNamara, secrétaire à la défense dans son discours d’Ann Arbor de juin 1962 : « En résumé donc, des capacités nucléaires limitées fonctionnant de ma­nière indépendante sont dangereuses, coûteuses et ont tendance à tomber rapidement en désuétude ». [26]On pourrait ajouter encore que le plus remarquable dans ce domaine c’est la façon dont jusqu’à présent l’histoire a invalidé le pronostic de l’amiral Castex : en octobre 1945, le grand stratégiste écrivait : « Il est bien peu vraisemblable que, dans l’avenir, le secret de la bombe atomique restera l’apanage d’une seule nation (…). Il est probable au contraire que tous les peuples travailleront intensément la question, lançant leurs savants et leurs inventeurs sur cette piste et consacrant à cette recherche de crédits très élevés. On est donc en droit de penser que tout le monde ou presque, au moins les États possédant un potentiel scientifique, industriel et financier assez développé sauront et pourront fabriquer des bombes atomiques, et que cette fabrication passera assez vite dans un domaine relativement public. [27]La menace mondiale selon les États-UnisAinsi, selon Gregory Schulte encore, l’aboutissement du pro­gramme nucléaire iranien constituerait « une menace pour les États voisins de l’Iran et une menace pour la communauté mondiale ». [28] Selon James Jeffrey, premier sous-secrétaire d’État adjoint du bureau des affaires proche-orientales au département d’État, « Le monde en­tier est menacé par le programme d’armement nucléaire de l’Iran. » [29] Assertion reprise ensuite par Gregory Schulte, le très ardent ambas­sadeur des États-Unis à l’AEIA : « S’il était doté d’armes nucléaires, l’Iran ferait peser une menace sur le monde entier [30]La secrétaire d’État, Condoleezza Rice n’est pas en reste et as­sure : « Je pense que tout le monde comprend qu’une menace nucléaire croissante émane de l’Iran et qu’il faut des moyens de faire face à ce problème. » [31]La troïka européenne, après des débuts qui paraissaient se distin­guer de la position d’outre-Atlantique a fini par s’aligner sur celle-ci au point qu’on serait bien en peine de définir aujourd’hui ce qui les différencie : c’est ainsi que l’Union n’a pas examiné les propositions iraniennes de coentreprise pour l’enrichissement qui étaient présen­tées comme permettant un contrôle de fait sur les activités.Cette volonté d’isoler l’Iran conduit l’administration américai­ne à faire pression sur les entreprises transnationales pour qu’elles aillent au-delà même des résolutions du conseil de sécurité : « Étant donné la réaction de la communauté internationale aux actions ira­niennes, les entreprises internationales doivent maintenant tenir comp­te de facteurs “très réels” lorsqu’elles envisagent des investissements en Iran, notamment au niveau de leur réputation », a ainsi déclaré Sean McCormack, le porte-parole du département d’État. [32]Enfin, les États-Unis manient la menace militaire : la plus visible est le déploiement d’efectifs dans la zone avec l’installation de batte­ries de missiles antimissiles Patriot et l’envoi d’un second porte-avi­ons dans le Golfe persique. [33] Mais c’est dans le même sens que fonc­tionne le discours sur l’installation de moyens de défense antimissiles en Pologne et en République tchèque. C’est ainsi que le secrétaire d’État adjoint aux affaires européennes et eurasiatiques, Daniel Fried, après avoir expliqué que le déploiement de ce système en Europe cen­trale ne vise pas à remettre en question les relations de coopération établies entre les États-Unis et la Russie, précise : « son efficacité contre la menace iranienne et ses avantages pour l’Europe sont clairs ». [34]La pression militaire ne se borne pas aux menaces : on sait que des commandos américains opèrent à l’intérieur même de l’Iran de­puis l’été 2004. [35] Alain Gresh rappelle que « De nombreuses sources confirment que les États-Unis ont intensifié leur aide à plusieurs mou­vements armés à base ethnique – Azéris, Baloutches, Arabes, Kurdes, minorités qui, ensemble, représentent environ 40 % de la population iranienne –, dans le but de déstabiliser la République islamique. » [36]Aux États-Unis, la chaîne ABC a affirmé que le président Bush avait autorisé la CIA à mener des opérations clandestines visant à désta­biliser le régime et le gouvernement iranien a élevé le 27 mai, auprès de l’ambassadeur suisse à Téhéran, représentant les intérêts améri­cains une protestation énergique contre les « ingérences des services américains [37].Plus globalement, les autorités américaines n’omettent jamais de rappeler que la résolution 1747 place l’Iran sous le coup de sanc­tions au titre du chapitre VII de la charte de l’ONU, c’est-à-dire du chapitre qui prévoit l’éventualité d’actions militaires ! [38]2007-2008 évolutions du renseignement américain et des positions françaises :

La volte-face des services de renseignements américains :La transition 2007-2008 voit un certain nombre d’inféchissements des positions américaines et européennes, qui s’explique d’abord par un déploiement du renseignement humain en Iran et dans la zone qui aboutit à des estimations très différentes de celles en vigueur jusque-là, notamment à travers les rapports du comité national du renseignement (National Intelligence Council) qui, de­puis 1973, rassemble la CIA, les grandes agences du département de la défense (DIA, NGA, NRO, NSA [39]) et les cinq bureaux de renseignement des armées, les bureaux de renseignement des agences du département de la justice (FBI et DEA [40]) et les bureaux de renseignements des départements de l’Énergie, de la Sécurité inté­rieure, du trésor et du département d’État. Le NIC publie régulière­ment des documents « national intelligence estimate » dont la portée ne peut être sous-estimée. Or, l’événement est la livraison de no­vembre 2007 [41] qui modifie substantiellement les analyses publiées jusque-là, notamment sur les points suivants [42] :A. Nous estimons avec un haut degré de certitude que Téhéran a inter­rompu son programme d’armement nucléaire à l’automne 2003. La décision de Téhéran de stopper son programme d’armement nucléaire indique qu’il est moins déterminé à développer des armes nucléaires que nous l’avons estimé depuis 2005.G. Nous estimons avec un haut degré de certitude que l’Iran ne sera pas techniquement en mesure de produire et de retraiter suffisamment de plutonium pour fabriquer une arme nucléaire avant 2015 environ.H. Nous estimons avec un haut degré de certitude que l’Iran possède la capacité scientifique, technique et industrielle pour produire à terme des armes nucléaires dans l’éventualité où il le déciderait.Ce qu’il faut bien considérer comme une volte-face découle d’un recours nouveau au renseignement humain.[43] Ces méthodes avaient été délaissées par l’administration Bush qui a réduit la cen­taine d’analystes de l’Iran task force mise en place en 1999 à la CIA à une douzaine. En 2007, un développement de l’action d’agents en Iran a permis « l’exfiltration » du général Ali Reza Asgari, haut responsable des Gardiens de la révolution et ex-ministre adjoint iranien de la Défense et de cinq autres militaires et scientifiques nucléaires iraniens. [43]La tension continue à monter :Ces analyses qui remettent en cause les choix menés jusque-là par l’administration Bush vont être elles-mêmes remisent en cause de diverses manières ; dès décembre 2007, Alireza Jafarzadeh, l’an­cien porte-parole du CNRI [44] dont les révélations ont ouvert la crise, revient sur le devant de la scène, lors d’une conférence de presse à Washington, en confirmant d’abord que le régime iranien a bien suspendu son programme militaire en 2003, mais en ajoutant que ce programme avait été « relancé » dès 2004. [45] Puis lors de la réunion de l’AIEA en février 2008 c’est l’ambassadeur de Grande-Bretagne auprès de l’AIEA, Simon Smith qui déclare que les docu­ments présentés, au Conseil des gouverneurs de l’AIEA, à Vienne, montrent que l’Iran pourrait avoir mené des travaux en vue de la construction d’armes nucléaires après 2003.Mais le texte du rapport n’est pas public et la présentation par Mohamed El Baradei diffère de celle de l’ambassadeur. [46]Cependant Washington maintient sa ligne générale autour de l’existence d’un danger nucléaire iranien et de l’option d’un recours à la force et le président Bush répète : « l’Iran était dangereux, l’Iran est dangereux et sera dangereux ». [47]Les réactions européennes traduisent un certain alignement avec des nuances. Pascale Andréani, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, déclare que « l’Iran ne respecte pas ses obligations internationales et notre position demeure donc inchangée » et ajoute « La France compte donc poursuivre l’élaboration de mesures contrai­gnantes dans le cadre de l’Organisation des Nations unies ». [48]Le ministre allemand des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, juge lui que le rapport des services de renseignement américain contient « un certain nombre d’éléments intéressants » qui confirment son analyse selon laquelle « la double approche choisie par la communauté internationale et qui prévoit à la fois des encouragements et des mesures du Conseil de sécurité des Nations unies est la bonne ». [49]Mais à Londres, Tony Blair estime que le risque que l’Iran se dote de l’arme nucléaire reste un « problème très grave » et Gordon Brown, le porte-parole ajoute : « D’une manière générale, le rapport confirme que nous avons eu raison de nous inquiéter. »D’Israël, viennent des déclarations qui renforcent la ligne dure de Washington : Ehud Barak, ministre de la Défense, assure « L’Iran continue probablement son programme de fabrication de la bombe nucléaire ». [50]Et finalement en janvier 2008, les six puissances traitant la ques­tion du programme nucléaire iranien (États-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Russie, Chine) se mettent d’accord, sur un texte de nouvelle résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sanctionnant l’Iran pour la poursuite de ses activités nucléaires controversées.Cette résolution 1803 [51] votée le 3 mars par le conseil de sécu­rité à la quasi-unanimité [52] a été rédigée par la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, et prévoit un durcissement des sanctions infigées par le Conseil à l’Iran dans ses résolutions 1737 de décem­bre 2006 et 1747 de mars 2007. Elle donne trois mois à l’Iran pour suspendre ses activités d’enrichissement d’uranium et de retraite­ment, avant d’envisager un nouveau train de sanctions.Mais dans cette période, la tension continue à monter : les six décident le 2 mai 2008 de présenter une nouvelle offre au gouverne­ment iranien. [53] Et à la fin du mois L’AIEA décide de demander des informations complémentaires à l’Iran sur son programme nucléai­re, notamment sur Les études que l’Iran a menées sur un projet dit « Green Salt », sur des explosifs de haute intensité, et sur un élément de missile (le « véhicule de rentrée ») : ces études estime le rapport de l’AEIA « demeurent un objet de sérieuse préoccupation ». L’Iran tout en contestant la validité de certaines affirmations a néanmoins accepté le processus de l’enquête. [54]De son côté, Vladimir Poutine, dans une interview au journal Le Monde assure que l’Iran, selon lui, ne souhaite pas se doter de l’arme nucléaire : « rien n’indique que la République islamique se prépare à acquérir une bombe atomique ». En précisant : « Si elle avait le sentiment que le programme nucléaire iranien devait déboucher sur la fabrication d’une arme atomique, la Russie s’y opposerait. » [55]Le discours français « se préparer au pire »Si les déclarations des représentants du quai d’Orsay sont pruden­tes, il n’en va pas de même des positions des principaux responsables politiques français, qu’il s’agisse du président de la république ou du ministre des affaires étrangères voire du ministre de la défense.En septembre 2007, à l’assemblée générale de l’ONU, Nicolas Sarkozy a affirmé « il n’y aura pas de paix dans le monde si la communauté internationale fait preuve de faiblesse face à la prolifération des armements nucléaires […]. L’Iran a droit à l’énergie nucléaire à des fins civiles, a-t-il affirmé, mais en laissant l’Iran se doter de l’arme nucléaire, nous ferions courir un risque inacceptable à la stabilité de la région et du monde. » [56] Il a par ailleurs affirmé que « tous les experts de toutes les parties du monde sont d’accord pour dire que [les Iraniens] travaillent sur l’arme nucléaire militaire. » [57]De son côté, Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, tout en maintenant que la négociation devait primer, a expliqué : « La crise du nucléaire iranien impose de se préparer au pire, qui est la guerre [58]. »Et Hervé Morin, ministre de la Défense, lors d’un déplacement aux Émirats arabes unis, dans une interview à l’agence WAM, en ré­ponse à Mohammed El Baradei qui avait affirmé n’avoir « reçu aucune information sur un programme nucléaire militaire concret et en activité à ce jour » en Iran, croit pouvoir assurer que « Nos renseignements, corro­borés par ceux d’autres pays, nous donnent le sentiment contraire ». [59]Ce durcissement du discours officiel entraînera quelque temps plus tard un avertissement discret de l’ambassadeur d’Iran : « Les peuples du Moyen-Orient ont une vision positive du rôle de la France dans le passé sur les évolutions de cette région, notamment sur la ques­tion irakienne. Il va de soi que le gouvernement et le peuple français tiennent beaucoup à préserver leur place au Moyen-Orient. » [60]Conclusion :

Malgré le discours américain, la réalité d’une menace nucléaire iranienne n’est pas considérée comme une hypothèse plausible, ne serait-ce qu’à cause des faibles distances qui séparent les uns et les autres. L’Iran pourrait cependant faire valoir de « bonnes rai­sons » de posséder de tels armements, comme le souligne Bertrand Badie : « Dans un Moyen-Orient nucléarisé, la quête iranienne d’un armement de ce type, même si elle n’est pas explicite est compréhensi­ble autant qu’inévitable. Le pays doit faire face à une bombe hostile à l’ouest, en Israël, à une bombe à l’est, chez un partenaire de toujours auquel il aime se comparer, et à une autre au nord, dans l’ancienne puissance quasi-tutélaire. » [61] Mais on peut penser que la ligne sui­vie est plus subtile et consiste, non pas à posséder l’arme nucléaire, mais à se placer en position de la posséder, ce qui donne ensuite un certain nombre d’atouts pour ne pas être traité comme le ré­gime baasiste. Car, si les objectifs de puissance régionale de l’Iran sont assez évidents, la crainte des interventions internationales n’est sans doute pas moins importante dans les choix politiques du pays et explique pour une part « l’entêtement » iranien. De ce point de vue, François Nicoullaud a rappelé récemment que, face à la logique américaine d’entrer dans le chemin de la force, il y a la perspective tracée par Mohammed El Baradei qui, directeur général de l’AIEA et prix Nobel de la paix, n’est pas si mal placé pour formuler quel­ques propositions : « Il s’agit de mettre entre parenthèses, au moins pour un temps, nos pressions et nos menaces de sanctions, et d’accep­ter l’idée que l’Iran, comme il y aspire, puisse entretenir une activité de centrifugation, mais étroitement limitée et encadrée par un accord spécifique. » [62]Encore faudrait-il pour que cette voie raisonnable puisse être empruntée que les pays européens osent mener une politique auto­nome, ce qui est loin d’être le cas
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Irak, Iran, Afghanistan : les divisions de l’Europe

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