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 Jeudi, 3 mai 2001 DE LA STRATÉGIE À LA GÉOPOLITIQUE, QUELQUES ÉLÉMENTS D'UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE Qu'est-ce que la stratégie ? D'après l'étymologie grecque, la stratégie signifie « conduire l'armée », Platon précisant d'emblée que la guerre, donc

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Jeudi, 3 mai 2001 DE LA STRATÉGIE À LA GÉOPOLITIQUE, QUELQUES ÉLÉMENTS D'UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE  Qu'est-ce que la stratégie ? D'après l'étymologie grecque, la stratégie signifie « conduire l'armée », Platon précisant d'emblée que la guerre, donc  Empty
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مُساهمةJeudi, 3 mai 2001 DE LA STRATÉGIE À LA GÉOPOLITIQUE, QUELQUES ÉLÉMENTS D'UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE Qu'est-ce que la stratégie ? D'après l'étymologie grecque, la stratégie signifie « conduire l'armée », Platon précisant d'emblée que la guerre, donc

Jeudi, 3 mai 2001

DE LA STRATÉGIE À LA GÉOPOLITIQUE, QUELQUES ÉLÉMENTS D'UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE


Qu'est-ce que la stratégie ? D'après l'étymologie grecque, la stratégie signifie « conduire l'armée », Platon précisant d'emblée que la guerre, donc la stratégie, doit être soumise à la politique, l'art militaire à celui du gouvernement. Avant les Grecs, Sun Tzu (VIème siècle avant J.C) est le premier théoricien reconnu comme tel de la stratégie, son Art de la guerre étant encore étudié par tous les stratégistes et stratèges et conservant une surprenante actualité, notamment en raison de l'importance accordée par le penseur chinois aux moyens psychologiques et non militaires dans la guerre, phénomène qui caractérise plus que tout autre l'ère stratégique moderne du nucléaire. Il faudra toutefois attendre 1794 pour qu'apparaisse pour la première fois dans notre langue le mot stratégie, sous la plume du général prussien Frierdrich Wilheim Bülow.
La stratégie est à fois une action déterminée par des actions contingentes, militaires, économiques, culturelles, sociologiques, et un discours, dimension considérablement renforcée avec l'avènement de la télématique et de l'Infowar, la guerre de l'information. La stratégie comporte des opérations intellectuelles et des opérations physiques, « concrètes », choisies parmi une palette d'actions réalisables et acceptables. De ce point de vue, la stratégie est d'abord un choix, une science de la décision. 
D'après le Petit Larrousse, la stratégie est l'« art de coordonner l'action de forces militaires, politiques, économiques et morales impliquées dans la conduite d'une guerre ou la préparation de la défense d'une nation ou d'une coalition », ou encore l'« art de coordonner des actions, de manoeuvrer habilement pour atteindre un but ». Le Robert préfère la définition plus simple : « art de gouverner les sociétés ». 
Les définitions les plus courantes demeurent celles qui ont été élaborées par les grands stratégistes classiques, de Karl von Clausewitz à Basil H. Liddell Hart et à Raymond Aron : « L'art d'employer les forces militaires pour atteindre les résultats fixés par la politique » (André Beaufre : Introduction à la stratégie ), l'auteur remarquant lui-même que « cette définition est [...] étroite, puisqu'elle ne concerne que les forces militaires ». Aussi propose-t-il de lui substituer deux autres définitions : « L'art de faire concourir la force à atteindre les buts de la politique » et, afin de souligner le caractère spécifique de l'action stratégique, « l'art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ». D'après Clausewitz, la stratégie est un « art de la guerre » sachant que la guerre est la « continuation de la politique par d'autres moyens ». La stratégie, comme « art de commander » est donc « obligée de se soumettre et de souscrire aux objectifs politiques, reliée aux forces tactiques dont elle coordonne et organise l'action », explique le général de la Maisonneuve . Cette relation hiérarchique entre les deux concepts est d'ailleurs confirmée par l'un des grands stratégistes classiques, Liddel Hart, qui définit la stratégie comme « l'art de distribuer et de mettre en œuvre les moyens militaires pour accomplir les fins de la politique ». 
Mais la conception de la stratégie de Liddel Hart ou Clausewitz demeure encore exclusivement liée au domaine militaire. Or, nous verrons plus loin que, depuis l'avènement du feu nucléaire, les progrès technologiques en matière d'information et l'apparition de conflictualités non militaires (menaces transnationales, mafias, terrorisme, guerres économiques, « nouvelles menaces », etc), la stratégie a tendance à s'affranchir de plus en plus du domaine purement militaire. Toutefois, l'intérêt des définitions données par Clausewitz, Liddel Hart ou les stratégistes classiques en général est de mettre en évidence les liens qui unissent la stratégie à la politique et à la tactique. 
Pour définir la stratégie, on le voit, il est donc préalablement nécessaire de la différencier d'une série de concepts et de disciplines qui lui sont étroitement associés mais avec lesquels elle ne doit pas être confondue, au risque de perdre de vue sa signification et son objet propres. Aussi articulerons nous la première partie de ce travail sur la différence et les liens existant entre la stratégie, elle-même, la géopolitique, discipline connexe mais distincte, qui lui sert d'outil analytique et d'élaboration majeur mais non exclusif, la politique, qui la détermine, et la tactique, qui a pour fonction de permettre d'atteindre les objectifs fixés par elle. La géopolitique nécessitant une attention toute particulière en tant que démarche scientifique indépendante des phénomènes politiques et de la stratégie militaire, nous étudierons dans un premier temps les rapports entre politique stratégie et tactique. 

Politique, stratégie et tactique 

- La politique est une triade qui comporte, comme l'explique le général Jean Salvan : le dessein que l'on veut réaliser (projet de société, idéologie), la lutte pour parvenir au pouvoir (national, impérial ou mondial) et s'y maintenir, c'est-à-dire « l'art de gouverner » et la projection de la puissance, et, enfin, la désignation des « amis » et des « ennemis » , les responsables politiques ayant en principe pour tâches premières de veiller à la concorde intérieure de l'unité politique, généralement la nation ou l'Etat - menacée de l'intérieur par des phénomènes désagrégateurs ou subversifs (« ennemi internes »: mouvances sécessionnistes, désagrégatrices) - et à la sécurité extérieure de cette même unité, toujours potentiellement menacée de l'extérieur (« envahisseurs », hégémonies impérialistes, ennemis des valeurs fondamentales ou adversaires géoéconomiques, etc). 
Pour Raymond Aron, la Politique est « la recherche de l'intérêt national », définition qui a le mérite d'exprimer clairement la relation entre la stratégie et la politique, puisque la stratégie, en tant qu'art de commander les forces destinées à défendre la nation, est l'émanation directe du pouvoir politique qui a pour mission première de préserver l'unité et la pérennité de l'unité politique existante. Plus concrètement encore, en cas de conflits, ce sont donc les responsables politiques qui définissent les stratégies et les buts de guerre. Il n'est d'ailleurs pas inutile de définir cette autre notion clé de la science géostratégique. 
D'après nous - mais cette classification peut être contestée - les buts de guerre sont : « le résultat précis, évaluable, permettant de concrétiser le succès d'une stratégie générale (définie par les Politiques) qui a justifié le déclenchement d'une guerre ». Les buts de guerre ne sont autre que la stratégie globale - ou générale - ramenée au théâtre de guerre et à l'aire géopolitique à laquelle ce théâtre appartient. Il y a donc deux niveaux de buts de guerre : premièrement, les « buts de guerre » ou « objectifs tactiques » des états-majors ; deuxièmement, les « objectifs stratégiques » à plus long terme ou « buts de guerre stratégiques » définis par les politiques à l'œuvre dans le contexte régional et général auquel appartient un théâtre donné. On retrouve la traditionnelle dichotomie entre le tactique et le stratégique. 
Ainsi, la politique fixe les buts et mobilise les moyens nécessaires à la réalisation d'une stratégie. Les États sont la source de l'autorité stratégique, qu'ils délèguent pour une mission déterminée. « Pour atteindre les buts de leur concept, les chefs politiques ont besoin d'une méthode et de moyens, c'est la stratégie » , résume le général Salvan. 
- La stratégie ainsi comprise est par conséquent « l'ensemble des méthodes et moyens permettant d'atteindre les fins exigées par le politique » (Salvan) ou encore « l'art de faire concourir la force à atteindre les buts de la politique » (Beaufre). Dans cette acception « haute », étroitement liée et subordonnée au politique, on parle généralement de stratégie totale, terme sur lequel nous reviendrons ultérieurement. La stratégie est la conduite militaire d'une alliance politique en vue d'une action totale : ce n'est pas une pensée ou une réflexion abstraite, mais une action que la pensée éclaire, à partir d'objectifs politiques précis. Il faut toutefois bien préciser qu'aujourd'hui, la stratégie comme la notion de forces ne doivent pas être limitées à leur acceptions militaire ou guerrière premières. Il existe également des stratégies culturelles (en particulier aux Etats-Unis), économiques, diplomatiques, voire même psychologiques et médiatiques. C'est d'ailleurs cette mutation liée aux progrès techniques et au processus de mondialisation qui conduit le stratégiste américain Edward N Luttwak à définir la stratégie comme « toute action de force organisée ou menée face à une hostilité consciente ». 
- La tactique, quant à elle, est essentiellement « l'art du combattant » ainsi que « l'emploi des moyens permettant de lutter contre un ennemi ». D'un point de vue militaire classique, la tactique opérationnelle vise les buts de la stratégie militaire, laquelle concourt à atteindre les objectifs de la stratégie totale. Plusieurs définitions peuvent également être données de la tactique. Pour Clausewitz, « la tactique, c'est l'usage des forces armées dans le combat ». Pour Luttwak, elle est « la combinaison des moyens techniques, des hommes sur le terrain (ou dans le milieu) précis face à un ennemi » . D'après Le Petit Larousse, la tactique est « l'ensemble des moyens habiles employés pour obtenir un résultat voulu ou la manière de combattre elle-même pendant la bataille », ou encore « l'art de diriger une bataille en combinant par la manoeuvre l'action des différents moyens de combats et effets des armes ». Enfin, pour le général Salvan, la stratégie est « l'art d'employer des moyens et des hommes pour atteindre un objectif fixé par le stratège » : on est par conséquent dans la tactique dès que des armes - classiques ou modernes - sont employées, y compris, bien sûr, contre des objectifs civils . Comme la stratégie dont elle dépend, la tactique est par conséquent fort diversifiée. Elle peut être militaire, révolutionnaire, de guérilla, classique, nucléaire, géoéconomique, etc. 

Pour résumer la relation entre les trois notions, dont l'imbrication réciproque fait penser à un enclenchement de poupées russes, ainsi que l'explique le général Salvan, on peut dire que la stratégie vise à réaliser les buts politiques, que les objectifs stratégiques conditionnent la tactique, qui a quant à elle pour mission d'employer les armes pour les atteindre le plus efficacement possible. La tactique est donc, par essence, concrète. Elle vise des objectifs précis sur le terrain, qu'il soit militaire, économique, diplomatique, psychologique, etc. D'autres stratégistes modernes ont ajouté avec raison un autre élément fondamental à cette triade : la technique, qui, avec l'avènement du nucléaire, a véritablement révolutionné les données classiques de la stratégie et de la tactique. 
Ainsi, dans son ouvrage Le paradoxe de la stratégie, Edward Luttwak explique qu'il existe une véritable architecture à cinq niveaux : au plus bas, le technique, qui consiste en la conception, la réalisation et la mise en œuvre des moyens, de l'homme, de la quantité, et de l'emploi dans l'espace ; ensuite, la tactique, qui combine les moyens techniques des hommes sur le terrain précis face à un adversaire donné. Puis viennent deux niveaux intermédiaires, non mentionnés précédemment : l'opérationnel (terme très usité dans le langage militaire), qui fait intervenir le temps et la distance, et la stratégie de théâtre, qui combine le niveau opérationnel avec les constantes et variables géographiques et spatiales (d'où la pertinence du terme géostratégique) ; enfin la grande stratégie, qui gouverne et doit faire converger les efforts déployés aux quatre niveaux inférieurs (militaires et/ou civils) en cohérence avec les décisions du pouvoir politique. Enfin, dans une logique plus classique mais rendant également compte de l'enchevêtrement des différents concepts, on peut également citer l'amiral Castex qui, dans son Traité sur les théories stratégiques (1937), explique que « la stratégie militaire est comme le spectre solaire. Elle a un infrarouge qui touche le royaume de la stratégie générale par lequel elle s'interpénètre avec la politique générale, et un ultraviolet qui interfère avec le domaine de la tactique ». 

Les différents niveaux de stratégie 
D'après nous, mais ce choix est discutable et non exhaustif, on peut distinguer trois grands niveaux de stratégie : 
1/ la stratégie globale, terme utilisé par le général Lucien Poirier pour définir le plus haut niveau de stratégie, défini par le pouvoir politique. Dans la terminologie classique utilisée pour l'enseignement militaire supérieur français, la stratégie globale est appelée intégrale. Elle conçoit les desseins nationaux suprêmes et détermine la stratégie générale, qui fixe les buts à atteindre dans les domaines diplomatique, économique, culturel, psychologique, militaire, technologique, informationnel, etc. Elle est indifféremment nommée grande stratégie (Luttwak), stratégie nationale (Pentagone), ou encore stratégie totale (Beaufre, Salvan), par allusion à l'engagement total, terme qui définit bien les guerres modernes « totales » (voire totalitaires) et les processus d'hégémonie globale dont le leadership américain est l'exemple contemporain majeur. 
2/ la Stratégie des moyens, par laquelle un Etat ou un groupe d'Etats décide de se doter de moyens : technologiques, militaires, industriels, etc, (ex : arme nucléaire ; satellites, etc) lui permettant d'exercer sa puissance ; 
3/ les stratégies régionales ou stratégies particulières (Salvan), déclinaisons locales de la stratégie globale - suivant les aires géoéconomiques et civilisationnelles - fixant les objectifs opérationnels et les échéances. 
Comme on le voit, la stratégie conduit inévitablement à la géopolitique, les deux démarches étant extrêmement imbriquées - parfois même confondues - et analysant les mêmes phénomènes : les guerres et les différentes formes de conflictualités opposant entre elles les nations ou les entités géopolitiques. 

Géostratégie : de la stratégie à la géopolitique 
Si la stratégie est au départ « l'art du combat », la géopolitique, quant à elle, comme la géographie dont elle découle, « sert d'abord à faire la guerre », ainsi que l'a expliqué le chef de file de la pensée géopolitique française moderne, le géographe Yves Lacoste (1967). C'est seulement ensuite, comme la stratégie, qu'elle s'est peu à peu émancipée des cellules de prospectives militaires et des champs de bataille pour devenir une discipline propre, issue de la science géographique mais également liée aux autres disciplines des sciences sociales, notamment la science politique. 
D'après Yves Lacoste, le terme géopolitique désigne une démarche intellectuelle et scientifique plus qu'une science à proprement parler, une façon de voir les choses qui privilégie les configurations spatiales et géographiques (géopolitiques) des différents types de phénomènes qui relèvent de la catégorie du politique. Ainsi définie, la géopolitique prend en compte les rivalités de pouvoirs dans la mesure où celles-ci portent sur des territoires, le contrôle (ou la possession) du territoire étant un moyen d'exercer une autorité ou une influence sur les hommes et les ressources qui s'y trouvent. Il s'agit par conséquent non seulement des rivalités entre les États sur des espaces qui peuvent être de très grande envergure, mais aussi des conflits ou de concurrence entre d'autres types de forces politiques et sur des territoires qui peuvent être de relativement petites dimensions, y compris dans le cadre d'une ville. On le voit, le lien entre la géopolitique, comme démarche scientifique, et la stratégie, en tant qu'art de la guerre, est quasiment consubstantiel, puisque la géopolitique est l'outil conceptuel et analytique fondamental du stratège comme du stratégiste. L'expression géostratégique ne fait en fin de compte que retranscrire cette réalité. Ce néologisme permet par ailleurs de souligner l'ouverture de la stratégie moderne aux domaines non exclusivement militaires ainsi que la possibilité de cet art de la guerre de servir également d'outil d'observation, au service d'une démarche scientifique géopolitique analysant les conflits et guerres et leurs motivations politiques. 
Pour certains stratégistes « puristes », l'expression géostratégie serait une redondance dans la mesure où la stratégie utilise nécessairement et par essence les catégories de la géographie et de la géopolitique. Mais nous pensons quant à nous qu'elle est heureuse en ce sens qu'elle traduit l'évolution sémantique et polémologique de la stratégie vers une discipline scientifique. 

Quant à la géopolitique, elle est une approche pluridisciplinaire, à cheval sur la stratégie, les constantes et variables géographiques, économiques et climatiques, la science politique et l'étude des civilisations. Depuis quelques années, l'importance de l'économie et des conflictualités économiques, voire même la substitution de celles-ci aux guerres militaires classiques au sein du monde occidental, a fondé l'apparition d'un autre néologisme également étroitement lié à la stratégie et la géopolitique, la « géoéconomie ». 
En France, deux grands géopolitologues ont contribué à réhabiliter cette discipline, jadis surtout étudiée en Allemagne, en Russie et dans les pays anglo-saxons : le premier est au départ un stratège, le Général Pierre Marie Gallois, initiateur de la « force de frappe nucléaire française » et de la théorie de la « dissuasion du faible au fort », véritable révolution dans la stratégie. Pour lui, la géopolitique étudie essentiellement « l'influence du milieu sur l'homme ». Le second est le géographe Yves Lacoste, pour qui la géopolitique a essentiellement pour objet « l'étude des rivalités territoriales de pouvoirs et leurs répercussions dans l'opinion » . Paradoxalement, le général Pierre Marie Gallois accorde une place plus centrale à la géographie et au milieu qu'Yves Lacoste, lequel défend une conception moins géographiquement déterministe et plus proche de la science politique. Pour le célèbre géographe, en effet, il « ne s'agit pas d'une science (...) mais d'un savoir-penser l'espace terrestre et les luttes qui s'y déroulent, pour essayer de mieux percer les mystères de ce qui est en train de se passer afin d'agir plus efficacement ». Toujours est-il que la différence et la complémentarité entre les deux approches géopolitiques telles que définies par Gallois ou Lacoste illustre bien la pertinence de la notion de géostratégie. 

Stratégie, géopolitique et « guerre des représentations » 
Dans un soucis de désoccultation, et en tant que démarche scientifique analysant les raisons profondes des conflits, la géostratégie, comme la géopolitique moderne, analyse tout particulièrement les « représentations », qu'Yves Lacoste définit comme des « forces motrices de l'histoire ». Celles-ci président à l'élaboration, par les responsables politiques des différents camps belligérants, des processus de mobilisation, dont la pierre d'achoppement est, la plupart du temps, une rivalité de pouvoirs quant à des territoires, des ressources et des stratégies d'influence, et parfois même des enjeux idéologiques, notamment lorsque, fanatiques (exemple des islamistes talibans, du GIA, des réseaux Bin Laden, du Gamaà islamiyya égyptien, etc), ceux-ci supplantent momentanément les impératifs géo-économiques. Nous avons précisé momentanément, car non seulement il est assez rare que les considérations purement idéologiques ou religieuses pèsent plus lourd que les considérations économiques et géostratégiques « concrètes », mais on constate que l'idéologie et la religion sont souvent instrumentalisées par les politiques à des fins de mobilisation dans le cadre de stratégies de puissances et de rivalités de pouvoirs. Mais cela ne veut aucunement dire, contrairement à ce que pensent nombre de géopolitologues ou stratégistes hostiles au « paradigme civilisationnel », que les représentations religieuses et identitaires soient négligeables ou superficielles, c'est-à-dire de simples prétextes. Comme le rappelle Yves Lacoste, les représentations identaitaires, civilisationnelles et idéologiques sont bien réelles, quand bien même elles sont instrumentalisées, car elles « font sens » pour des milliers d'être humains qui vont mourir pour elles et parce qu'elles ont des conséquences géopolitiques réelles. Loin d'être de simples leviers de mobilisations, les représentations géopolitiques désignent « l'ensemble des idées et perceptions collectives d'ordre politique, religieux ou autre qui anime les groupes sociaux et qui structure leur vision du monde » . 
Reconnaissant le rôle primordial des représentations, bien qu'étant hostile au paradigme des civilisations développé par le professeur américain Samuel Huntington (The Clash of civilisations), le géopoliticien français François Thual, analyse quant à lui la nature de cette pierre d'achoppement à travers le concept de « conflit identitaire », au sein duquel les « représentations » sont l'élément central puisqu'elles construisent et légitiment les revendications d'un camp (supposé être « antérieur » ou « pur », donc « propriétaire légitime »), face au camp adverse, « ultérieur », « usurpateur », « infidèle », voire « envahisseur », donc illégitime. Aussi les « représentations » sont-elles destinées à légitimer le « désir de territoire » , la « volonté de puissance » du « camp Ami », et donc à disqualifier les motivations et revendications du « camp Ennemi ». 
Considérant qu'avec l'avènement des moyens télématiques modernes et le regain général des conflits identitaires, consécutif à la fin de la guerre froide et au retour du refoulé identitaire, conséquence et réaction à la mondialisation, les représentations font plus sens que jamais, nous pensons quant à nous que l'expression guerre des représentations est plus heureuse que jamais pour désigner ce type de phénomènes inséparables de la guerre psychologique et médiatique. 
Du point de l'analyse médiologique et psychologique, en effet, la guerre des représentations revêt également une dimension psychologique et subversive. Pour Laurent Murawiec, spécialiste des nouvelles formes de guerre, la guerre de l'information (Information Warfare : InfoWar), la « cyberguerre », la guerre psychologique et la guerre des représentations sont autant de notions voisines et interdépendantes incluses dans ce qu'il nomme génériquement la « guerre informationnelle ». Née d'une triple révolution technologique : électronique, informatique et télécoms, l'InfoWar ne fait que reprendre et rendre plus efficaces les vieilles recettes de propagande, de stratégie subversive et de manipulation décrites depuis Sun Tzu. 
Dans ce contexte, la guerre des représentations consiste prioritairement à démoraliser l'ennemi , distordre son contact avec le réel en implantant chez lui une pseudo réalité, une fausse représentation des événements d'autant plus apparemment « vraie » et incontestable, qu'elle semble irréfutablement prouvée, voire même vécue en direct par le spectateur médusé par la « réalité » des images. Les progrès technologiques dans les domaines du « virtuel » ont donc incontestablement contribué à briser la frontière entre le réel et l'imaginaire, de sorte que les stratégies de manipulation collectives au services du pouvoir et de la guerre n'ont jamais été aussi redoutables qu'aujourd'hui, au sein même de sociétés dites démocratiques. 
Mais parallèlement à l'avènement de la télématique, qui a permis une utilisation moderne extrêmement efficace et inédite des stratégies subversives et des phénomènes de guerre psychologique et informationnelle, une attention toute particulière doit être accordée à l'avènement de l'arme nucléaire, laquelle a non seulement engendré une véritable révolution géostratégique, mais a considérablement renforcé la portée des formes de guerres représentatives et psychologiques précédemment étudiées, la guerre classique devant partiellement s'effacer devant d'autres formes de guerre du fait du caractère dissuasif de la force de frappe nucléaire et de ses conséquences. 

Géostratégie et ère nucléaire 

Avec le nucléaire, une nouvelle question stratégique et 
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polémologique se pose : comment désormais penser la géostratégie et la guerre sachant que celle-ci est d'orénavant potentiellement apocalyptique et définitive ? Paradoxalement, cette possibilité latente de l'holocauste nucléaire final comme conséquence probable de la guerre, cette potentialité destructrice extrême de l'action guerrière, conduira les acteurs stratégiques détenteurs du feu atomique à repenser de manière différente, moins exclusivement militaire, la manière de résoudre leurs conflits, tout recours effectif à cette arme étant à juste titre perçu comme collectivement suicidaire.« L'irruption de l'atome dans le domaine politico-stratégique entraîne une rupture brutale entre la période de la guerre classique et le nouvel âge balistico-nucléaire, écrit le général de la Maisonneuve. L'explosion de la première bombe atomique à Hiroshima, le 16 août 1945, provoque la coupure fondamentale. En stratégie, il y a un avant et un après Hiroshima . 
L'utilisation de l'atome à des fins militaires a en effet révolutionné la stratégie, tant par la formidable puissance de feu instantanément disponible que par la difficulté de s'en servir du fait de la démesure de ses effets. La menace dispense de l'emploi. La finalité de la stratégie n'est alors plus seulement d'engager habilement les moyens pour gagner la guerre, mais de dissuader l'adversaire de l'entreprendre. Alors que les armes construites jusqu'alors étaient fabriquées pour s'en servir, les armes nucléaires seront faites pour intimider, phénomène propre à la guerre psychologique et subversive, et leur emploi serait la marque de l'échec de leur finalité. Ceci n'empêche que l'intimidation n'existe que si toutes les conditions de l'emploi sont effectivement réunies. 
La terreur peut-elle alors faire place à l'espoir, et le monde est-il enfin devenu pacifique grâce à l'existence de ces armes si puissantes qu'elles interdisent la guerre ? Il est loin, malheureusement, d'en être ainsi. L'existence des arsenaux nucléaires a certes empêché un affrontement majeur entre l'Est et l'Ouest durant la « guerre froide ». Mais les luttes n'ont pas manqué entre nations non nucléaires, et le nombre des guerres ou autres crises employant des armes dites conventionnelles a même eu tendance à augmenter un peu partout dans le monde depuis la guerre froide, les deux principaux détenteurs du feu nucléaire les alimentant, dans le cadre d'une guerre par procuration qui n'impliqua jamais un affrontement direct entre eux. 
L'arme nucléaire n'est donc pas une arme comme les autres : elle constitue une arme de dissuasion contre une agression majeure et non pas une arme dans un conflit limité. Par ailleurs, l'armement nucléaire n'assure que partiellement la sécurité. Il n'est viable et stratégiquement efficace que s'il est prolongé par des forces conventionnelles crédibles. Une véritable défense efficace repose donc sur le complémentarité de moyens et outils de nature différente, à la fois conventionnels et atomiques, c'est-à-dire stratégique et tactique, ainsi que la terminologie militaire désigne cette dichotomie. 

La dissuasion nucléaire : une révolution géostratégique 
L'apparition de l'arme atomique inaugure une ère nouvelle de la polémologie. Elle implique une neutralisation, voire même d'une évacuation partielle de la guerre militaire classique du champ des conflictualités, la dissuasion nucléaire et « l'équilibre de la terreur » conduisant les nations détentrices du feu nucléaire à repenser complètement leur stratégie et privilégier des systèmes d'affrontements différents ou plus biaisés. 
C'est en vertu de ce constat que le principe de la dissuasion, conséquence directe de la révolution militaro-stratégique atomique, deviendra l'un des éléments clés de la pensée stratégique de l'ère atomique. « A partir de cette situation inédite, et proprement révolutionnaire dans la polémologie, va s'élaborer une théorie de la non-guerre - la stratégie nucléaire - fondée sur la seule menace de l'emploi, en réalité sur la peur, c'est-à-dire sur une autre forme de guerre : la guerre psychologique » . Nous reviendrons au cours des lignes qui suivent sur le thème selon nous central, en matière de géostratégie, de la guerre psychologique et de son complément, la guerre « informationnelle ». 
Comme le remarque le général Jean Salvan, on pourrait objecter que la stratégie classique de dissuasion remonte aux Romains, inventeurs du célèbre « si vis pacem, para bellum ». Mais cette conception diffère nettement du concept de dissuasion nucléaire dans la mesure où à l'époque des Romains jusqu'à l'apparition de l'atome, la dissuasion ne reposait pas sur une stratégie de l'imaginaire et de la virtualité de l'emploi des armes, les armes nucléaires ayant pour fonction stratégique première de ne pas produire d'effets physiques réels (sauf en cas d'échec de la stratégie dissuasive qui la fonde) mais plutôt d'agir sur les esprits des décideurs adverses en termes d'anticipation et de dissuasion. « De ce fait, explique Salvan, les puissances nucléaires ne sont pas entièrement en positions antagonistes, mais aussi des partenaires. Elles ont un intérêt commun : que leurs politiques et stratégies ne contiennent pas en germe un risque d'escalade nucléaire (voir R. Aron). C'est donc une stratégie de consensus en temps de paix pour maintenir la paix, mais qui laisse subsister des possibilités de conflits limités : guerres civiles, terrorisme, prises d'otages, ou de guerre classique » . 
La dissuasion nucléaire n'a donc pas pour finalité première de gagner une guerre mais tout simplement de l'empêcher. Deux conditions majeures doivent être réunies pour qu'il y ait réellement dissuasion : posséder un outil d'une réelle qualité, c'est-à-dire ni contournable ni neutralisable ; le responsable politique doit être réellement capable de prendre la décision de déclencher le feu nucléaire. 

Les généraux Poirier et Gallois et « la dissuasion du faible au fort » 
Pour le général Pierre Marie Gallois, auteur de nombreux essais relatifs au nucléaire et d'un désormais classique : Géopolitique les voies de la Puissance, comme pour le général Lucien Poirier, qui a exposé la plupart de ses conceptions géostratégique dans son Essai de stratégie théorique (1981) et dans son ouvrage Les grandes voix de la stratégie (1985), il y a véritablement une coupure entre le passé et l'époque contemporaine du nucléaire en matière de théorie stratégique. Aussi la France, nation désormais « moyenne », doit-elle pour ces deux concepteurs de la dissuasion française savoir tirer parti de cette mutation stratégique qui relativise d'une certaine manière les rapports de force et bouleverse les lois de la puissance militaire. Dans un contexte de décolonisation et de baisse de la puissance stratégique de la France, la stratégie de la dissuasion nucléaire sera l'occasion pour la France de tenter de survivre parmi le club des « grands » et de préserver son indépendance stratégique, objectif majeur de Charles De Gaulle et des généraux Poirier et Gallois. 
C'est ainsi que, désireuse de demeurer indépendante, notamment vis-à-vis des Etats-Unis et de l'Otan - tout en demeurant parmi les Alliés - et de pouvoir dissuader à elle seule l'Ennemi soviétique sans forcément avoir à recourir à l'Alliance occidentale, la France de De Gaulle mettra en œuvre un programme nucléaire - inauguré, comme le rappelle à juste titre le général Gallois, durant la IVème République - en vertu de ce que Poirier et Gallois ont appelé la stratégie de dissuasion du faible au fort. Celle-ci repose sur l'idée que le « faible » est capable de menacer un agresseur éventuel «fort » d'une sanction exorbitante par rapport à l'enjeu, c'est-à-dire risquant d'infliger à l'agresseur, bien plus fort, des pertes non acceptables destinées à le dissuader ex ante de procéder à une attaque. Désormais membre du club des puissances atomiques, la France deviendra alors pour les Anglo-américains, dans le contexte de la guerre froide, un perturbateur de premier ordre, coupable, du point de vue de l'Otan et de Washington, d'ouvrir la boîte de Pandore de la prolifération nucléaire. 
Ainsi, par extension, dans le contexte général de prolifération nucléaire au profit «d'Etats parias » dont les nations occidentales craignent l'armement atomique, la stratégie de « dissuasion du faible au fort » connaîtra non seulement une postérité dans le monde non-occidental, mais également une nouvelle variante, plus récente, celle que certains ont appelée « du fou au fort », expression désignant des Etats (non ou anti-occidentaux) susceptibles, du point de vue de la prospective stratégique (« nouvelles menaces »), d'exercer une sorte de chantage au terrorisme nucléaire . Car la vulnérabilité des nations démocratiques réside à la fois dans le fait que les vies humaines y revêtent une importance primordiale et dans le fait que l'opinion publique peut facilement être utilisé par des acteurs terroristes tentant de faire plier un Gouvernement via l'opinion publique et les médias dont il doit tenir compte. 

La prolifération nucléaire 

Indissociable du premier concept, celui de prolifération nucléaire désigne tant l'accroissement du nombre d'États qui disposent d'un arsenal nucléaire indépendant (prolifération horizontale) que l'accumulation excessive de stocks d'armes atomiques par certaines puissances (prolifération verticale). 
Jusqu'en 1955, les États-Unis et l'Union soviétique parvinrent à maintenir le secret de la conception et de l'utilisation de l'arme nucléaire. Mais au cours des vingt années suivantes, les connaissances furent progressivement dévoilées et transmise (prolifération). Dans ce contexte, l'Organisation des Nations unies créa, en 1957, l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) chargée de promouvoir les utilisations pacifiques de cette nouvelle énergie et de surveiller les risques de détournement de ces technologies à des fins militaires. 
Au cours de cette seconde période d'extension du savoir nucléaire militaire au delà du cercle initial des deux grands, quatre nations procédèrent à des essais nucléaires : Royaume-Uni en 1952, France dès 1960, Chine en 1964, et Inde en 1974. Depuis lors, ces quatre nations se sont pourvues d'un armement nucléaire. Durant la troisième phase, ce sera au tour du Pakistan et de la Corée du Nord de se doter également de la force de frappe atomique relativement fiable. Mis à part ces quatre Etats, on sait que plusieurs autres pays détiennent des armes nucléaires sans avoir pour autant effectué d'essais détectés : Israël, Iran, Algérie, peut être même Libye et Afrique du Sud. 
L'inquiétude des deux grands - qui voyaient leur leadership militaro-stratégique en quelque sorte concurrencé - ainsi que de la « communauté internationale » face aux risques croissants de dissémination et de prolifération se traduisit, à partir des années 70, par un certain nombre de projets et accords de limitation dans le cadre de l'ONU C'est dans ce contexte que sont nées, à l'initiative des États-Unis et de l'Union soviétique, les négociations d'un traité de non-prolifération (TNP), entré en vigueur en 1970. Par ce traité, les puissances nucléaires s'engageaient solennellement à ne pas transmettre leurs savoir militaire stratégique aux États non encore dotés d'arsenal nucléaire. Quant à ces derniers, ils renonçaient et s'engageaient à ne pas s'en doter. 
D'une certaine manière, le TNP constitue, pour les nations « non nucléaires », une sorte de renonciation de souveraineté, ce qui poussa un certain nombre d'Etats d'importance moyenne à refuser d'y adhérer, y voyant une atteinte à leur souveraineté et liberté. Aussi est-il possible à tout pays signataire de se retirer à tout moment du TNP, dès lors qu'il considère que ses intérêts suprêmes sont menacés. Mais les essais atomiques effectués par l'Inde en 1974 ayant mis en évidence les lacunes de ce système international de non-prolifération, des mesures complémentaires furent introduites depuis afin de tenter de garantir plus efficacement la non-prolifération. 
Parmi ces mesures, on peut mentionner les conditions extrêmement restrictives d'exportation de certains réacteurs utilisant de l'uranium fortement enrichi, ou même susceptibles de produire du plutonium, tout comme les matériels servant à enrichir l'uranium ou retraiter les combustibles nucléaires et en extraire le plutonium. 
Sur la base des motivations qui leurs sont prêtées et des signes d'activité éventuellement décelés, divers observateurs ont classé les États en catégories. Dans un premier groupe, on trouve des États qui s'intéressent activement à l'atome : d'abord l'Inde, Israël et le Pakistan, qui auraient atteint ou dépassé le seuil de détention d'un arsenal, puis, notamment, la Corée du Nord, l'Irak, l'Iran (qui développe de façon intense son programme nucléaire civil en coopération avec la Russie), avec une ambition nucléaire importante, enfin, l'Afrique du Sud, l'Argentine, le Brésil, Taïwan, qui, après avoir manifesté un grand intérêt pour les armes, semblent abandonner cet objectif (sous la contrainte pour ce qui est de l'Irak). Un deuxième groupe de pays auraient la capacité de se doter d'armes mais n'en manifestent pas l'intention, du moins pour le moment, ce qui est le cas de l'Allemagne, de l'Australie, du Canada, du Japon, et de la Suède. Une troisième catégorie regroupe des États fort disparate que l'atome ne laisse pas indifférents pour des raisons diverses. Ceux-ci s'efforcent de garder l'option ouverte sans franchir le rubicon. D'évidence, pareille classification schématique demeure d'autant plus contestable qu'elle varie selon les critères choisis et évolue avec le temps. 

*** 
La décennie de 1970 est celle des premières conversations entre Soviétiques et Américains sur leurs arsenaux nucléaires. Il s'agit des fameux accords SALT (Strategic Arms Limitation Talks). Les accords SALT-1 aboutissent à deux textes. Le premier prévoit certaines limitations des armes offensives. Le second impose de limiter à un seul site la protection antimissiles, le reste des deux territoires étant volontairement maintenu en état de vulnérabilité. Le traité de Moscou du 26 mai 1972 (connu sous le nom de traité ABM. (Anti-Balistic-Missiles), confirme et entérine cette limitation réciproque de la capacité de défense. Précisons en passant qu'avec la relance de ce que l'on a appelé à tort « la nouvelle guerre des étoile », c'est-à-dire le projet de défense antimissile (National Missile Defence) développé actuellement par l'Administration Bush jr, les Etats-Unis ont pris la décision de faire fi des traités internationaux d'interdiction et de limitation nucléaire, à commencer par le traité ABM de 1972. Par cet acte, ils risquent de relancer une course aux armements, car la seule solution pour les pays incapables de poursuivre un tel projet, extrêmement coûteux, est de multiplier les charges et le nombre de têtes nucléaires dans une stratégie de compensation et de saturation, le système de défense anti-missile n'étant pas capable de détruire simultanément un grand nombre de charges. 
Quant aux accords SALT-2, ils auront pour objectif de plafonner le nombre des missiles à longue portée. Mais la limitation ne prenant pas en compte les améliorations qualitatives, comme le nombre de têtes par lanceur, l'accord sera aisément être tourné. Aussi, le traité, signé à Vienne le 15 juin 1979, ne sera finalement pas ratifié par le Sénat américain, les Soviétiques venant d'envahir l'Afghanistan. 

Stratégie nucléaire, guerre froide et « guerre des étoiles » 
Parallèlement, c'est sur le débat de déploiement des euromissiles que s'ouvrira la décennie de 1980 en matière de stratégie nucléaire et de prolifération. Malgré tous ses efforts, l'Union soviétique n'arrivera pas à l'empêcher. Pendant la même période, les États-Unis lancent l'Initiative de Defense Stratégique (IDS), médiatiquement baptisée « guerre des étoiles », qui propose un vaste programme de recherche pour, à terme, restaurer l'invulnérabilité du ciel américain. 
D'évidence, les Soviétiques acceptent difficilement l'état de fait : le territoire américain devenant inviolable et des euromissiles menaçant l'URSS. En 1986, à Reykjavík, Gorbatchev propose à Reagan de retirer les SS-20 en échange du renoncement américain aux euromissiles de 1 000 à 5 000 km de portée et à l'Initiative de Défense Stratégique, ce qui n'est pas sans susciter une certaine analogie avec le refus actuel des Chinois et des Russes de voir se développer le nouveau programme anti-missiles américain cher à l'Administration Bush. Comme Bush jr aujourd'hui, trop conscient de la suprématie que la maîtrise du ciel et la l'issue économique fatale - pour les russes et les Chinois - que constituerait toute course aux armements, Reagan refuse à cause de cette dernière clause. Peu après, Gorbatchev n'en fait plus un impératif immédiat et propose le retrait des missiles de 1 000 à 5 000 km option zéro et de ceux de 500 à 1 000 km option double zéro. Le président Ronald Reagan accepte et signe, le 7 décembre 1987, le traité de Washington. 
Quant à la politique d'interdiction des essais préconisée par les « deux Grands » depuis 1992, on sait qu'elle n'est pas réellement pénalisante pour ces derniers dès lors qu'ils sont capables de réaliser des essais par simulation, ce qui est surtout le cas des Etats-Unis. Elle apparaît en revanche totalement inacceptable pour les Etats ne maîtrisant point cette technicité hautement sophistiquée, notamment l'Inde et le Pakistan, qui ont continué leurs essais en 1999, et même la France de Jacques Chirac, qui, en 1995, trois années après la décision d'interdire les essais, inaugura la nouvelle présidence par une série d'essais nucléaires d'ailleurs fort controversés y compris au sein des « Alliés » américain et européens de la France. 
Après cette esquisse résumant quelques aspects de la prolifération « horizontale », mentionnons à présent la prolifération « verticale » : l'évolution quantitative des arsenaux des puissances nucléaires. L'article 6 du TNP condamne la course aux armements nucléaires et propose que soit négocié un désarmement complet. Les négociations (START, INF, etc) entre les deux Supergrands puis la chute de l'Union soviétique étaient destinés à aboutir à une première réduction de moitié du nombre des charges stratégiques (passage d'environ 12 000 à 6 000 de part et d'autre), pratiquement entièrement réalisée, ainsi qu'à une seconde réduction dans des proportions équivalentes. Toutefois, depuis la désintégration de l'URSS et à la faveur de la phase difficile de transition qui caractérisa la décennie post-Gorbatchev et le déclin économique de la Russie, un véritable problème stratégique se pose en Russie et dans les Républiques de l'ex-Union soviétique où une véritable hémorragie de cerveaux spécialistes en matières fissiles ont décidé de se mettre au service d'Etats désireux de rentrer officieusement au sein du club nucléaire et de moderniser leur arsenal déjà existant : Iran, Irak, Libye, Pakistan, Corée du Nord et bien sûr Chine. 

Puissance nucléaire et vecteurs : l'enjeu stratégique 

Le fait de disposer du feu atomique n'est vraiment efficace, en matière de dissuasion, que s'il existe des moyens de les acheminer sur leurs objectifs et cibles, c'est-à-dire que si l'Etat détenteur de telles armes est parvenu à se doter de vecteurs. Traditionnellement, en stratégie militaire, l'évaluation de la puissance atomique prend donc en compte à la fois la puissance des charges explosives et leurs vecteurs à, courte, moyenne, ou longue portée, qu'il s'agisse d'aéronefs ou de missiles classiques ou intercontinentaux. Aussi l'évaluation de la puissance nucléaire et stratégique d'une nation intègre-t-elle le nombre de lanceurs, le nombre de têtes par lanceur et l'allonge des trajectoires, tout en évaluant les probabilités de survie à une attaque et les différents scenarii possibles. 
On peut classer les armes nucléaires en plusieurs catégories, suivant que l'on se place du point de vue militaire ou politique. 
D'un point de vue strictement militaire, il faut distinguer les armes anticités, ayant pour objectifs les centres économiques de l'adversaire, des armes antiforces, lesquelles menacent plus spécialement son appareil militaire. Les premières impliquent de fortes puissances susceptibles de pouvoir atteindre de vastes cibles, objectif qui réduit considérablement le degré de précision. La puissance escomptée est obtenue pour un vecteur soit par tête unique, soit par têtes multiples, ces dernières permettant de mieux couvrir les objectifs étendus et de saturer les défenses. En revanche, les armes antiforces ont comme caractéristique essentielle d'être précises dans la mesure où elles doivent atteindre des cibles précises et compactes. Du point de vue militaire toujours, les armes stratégiques peuvent également être classées en fonction du lieu de lancement. On les nomme « sol-sol », lorsqu'elles sont lancées à partir de silos ou de véhicules terrestres, comme les SSBS (sol-sol-balistique-stratégiques). Elles sont baptisées « mer-sol » si elles sont lancées à partir de navires de surfaces ou sous-marins, ce qui est le cas des Mer-Sol-Balistique-Stratégiques (MSBS). Elles sont enfin appelées « air-sol » si elles sont lancées depuis des aéronefs, comme c'est la cas des Air-Sol-Moyenne Portée (ASMP). 
D'un point de vue plus politique, cette fois, on distingue trois catégories d'armes nucléaires : les systèmes centraux, les euromissiles et les armes tactiques. Les systèmes centraux regroupent les armes d'une nation atomique capable d'atteindre le territoire adverse à partir de son propre sol national ou à partir des sous-marins, donc du domaine maritime. Concernant les États-Unis et la Russie, on a affaire à des missiles intercontinentaux de portée supérieure à 5 000 km ainsi qu'à des missiles de sous-marins, même si l'on sait que la Russie s'oriente vers une restriction des lanceurs sous-marins, pour des raisons de réformes militaires et d'économie (grave crise traversée par l'armée russe depuis une dizaine d'années). Pour ce qui est de la France, qui a choisi au contraire des Russes de privilégier les lanceurs aéronefs, on considère que des portées moindres sont suffisantes, ce qui concerne les missiles des SNLE (Sous-Marins Nucléaires Lanceurs d'Engins). 

De la stratégie de la dissuasion nucléaire à la « stratégie intégrale » : l'exemple américain 
Parce qu'elle supprime partiellement l'affrontement militaire direct, la révolution stratégique opérée par l'atome va réhabiliter les formes de guerre non militaires (notamment la guerre psychologique) et élargir le domaine de la conflictualité bien plus que la supprimer ou même la réduire. A partir de là, « la stratégie s'échappe en quelque sortes du champ de bataille » (J.P Charnay), car elle devient « l'art de toutes les formes de guerres » (de la Maisonneuve), militaires et non militaires : psychologiques, informationnelle (info-war), médiatique, subversive, économique et même « représentative ». 
Aussi est-ce à la faveur de cette mutation que le terme de conflit (comme d'ailleurs celui de crise) tendra progressivement à remplacer, dans les sociétés occidentales, celui de guerre, le premier recouvrant une palette plus large, non exclusivement militaire, des phénomènes conflictuels. « la guerre classique - opposition de deux armées, confirme le général de la Maisonneuve, fait figure d'exception, alors que se multiplient et se développent les guerres non-militaires : guerres civiles, culturelles, économiques, autrement dit l'humanité est entrée dans l'ère du conflit global » . Et donc, corrélativement, de la stratégie totale ou « intégrale », puisque la stratégie est l'art de la guerre et des conflits menés par des pouvoirs politiques ou des puissances transnationales ou économiques. 
A cet égard, la stratégie nationale globale des Etats-Unis mérite une étude particulière dans la mesure où, Superpuissance - pour l'heure incontestée - bénéficiant d'une supériorité dans tous les domaines de la puissance, l'Amérique est la seule nation du monde disposant d'une stratégie dite « intégrale » ou « totale ». 

La stratégie totale des Etats-Unis 

D'après le stratège français Hervé Couteau-Bégarie, Président de l'Institut de Stratégie Comparée, la stratégie intégrale (ou totale) américaine est remarquablement cohérente et s'organise autour de trois axes : stratégie générale économique, stratégie militaire et stratégie générale culturelle. Ainsi, la domination incontestée, pour l'heure, de Washington sur le Reste du monde, est fondée sur la concordance des quatre principaux domaines de la puissance globale : puissance militaire, bien sûr, les Etats-Unis contrôlant terres et mers et sans lesquels peu de conflits armés dans le monde ne semblent pouvoir se résoudre ; puissance culturelle et informationnelle, la « force de frappe culturelle » de Washington étant fondée sur une maîtrise quasi totale des moyens de communication télématiques et satellitaires planétaires ; la puissance technologique, pas un ordinateur au monde ne pouvant fonctionner sans un logiciel américain ni même communiquer sur Internet ; et surtout, enfin, une extraordinaire puissance économique, l'Amérique étant, de loin, le pays le plus riche du monde, (un tiers du PNB mondial), et les entreprises américaines occupant la première place mondiale dans de nombreux secteurs d'activité (automobile, agro-alimentaire, aéronautique, banque, nouvelles technologies, audiovisuel, etc). Rappelons en passant que le marché financier américain concentre près de deux tiers des placements mondiaux. 
Etroitement liée au concept de Révolution dans les Affaires Militaires (RMA), la nouvelle doctrine stratégique américaine part du constat que, depuis la seconde guerre mondiale, la stratégie ne se situe plus seulement dans la guerre (le militaire), mais également dans l'économique (d'où l'intérêt de la « géoéconomie »), le culturel, « l'informationnel » (Information Warfare), et même « l'humanitaire ». 
Particulièrement explicite, Zbigniew Brzezinski explique ce qu'est la « stratégie totale » américaine : « l'exercice de la puissance ‘impériale' américaine dérive (…) d'une organisation supérieure, de la capacité à mobiliser sans délais d'importantes ressources économiques et technologiques à des fins militaires, de la séduction, floue mais importante, qu'exerce le mode de vie américain, ainsi que du dynamisme reconnu des élites politiques ». En bref, aucune puissance ne peut prétendre rivaliser dans les quatre domaines clés – militaire, économique, technologique et culturel – qui font une puissance globale » . 
C'est en fait parce qu'elle est polymorphe, intégrale, diffuse, notamment à travers sa dimension médiatico-culturelle et non exclusivement militaire, apparemment neutre, que l'hégémonie américaine est une forme nouvelle d'impérialisme. « A mesure que ce modèle gagne du terrain dans le monde, il crée un contexte propice à l'exercice indirect et apparemment consensuel de l'hégémonie américaine, précise Brzezinski. L'hégémonie des Etats-Unis implique une structure complexe d'institutions et de médiations conçues pour engendrer le consensus (…) la suprématie mondiale des Etats-Unis est unique tant par sa dimension que par sa nature (…) il s'agit d'une hégémonie d'un type nouveau. L'Amérique est devenue la nation indispensable à la planète » . On le voit, les stratèges américains expriment à leur manière l'idée fameuse de la « destinée manifeste » des Etats-Unis, toujours profondément ancrée dans la mentalité américaine depuis que John Sullivan l'a lancée en 1850. C'est ainsi que le Président Eisenhower pouvait dire : « Parmi les nations vouées à la justice et à la liberté, le destin nous a assigné le rôle de diriger les autres » . Aussi la caractéristique de l'hégémonie américaine réside-t-elle dans la certitude selon laquelle le « mode de vie américain », les conceptions économiques et politiques américaines, et même les actions coercitives des Etats-Unis (raids, « frappes aériennes », embargos, etc) constituent des « bienfaits » pour l'humanité toute entière. Ecoutons plutôt Richard Nixon : « Dieu veut que l'Amérique dirige le monde », ou encore Robert Kagan : « l'hégémonie bienveillante exercée par les Etats-Unis est bonne pour une vaste partie de la population mondiale » . Ainsi, les intérêts Etats-Unis (économiques, idéologiques, stratégiques, etc) se « confondant » avec ceux de l'Humanité, défendre ceux-ci par la force brute revient à servir l'Humanité elle même et à garantir les « Droits de l'Homme ». 
Dans son essai La stratégie américaine et l'Europe (Economica, 1998), le géostratège français Bruno Colson explique que, depuis la guerre froide, les objectifs stratégiques de la politique étrangère des Etats-Unis d'Amérique demeurent inchangés : anéantir ou affaiblir les ennemis, rivaux ou concurrents potentiels afin de garder le plus longtemps possible leur statut de Superpuissance unique. Qu'ils soient « Occidentaux » ou non. Qu'ils soient d'anciens membres du Pacte de Varsovie ou de proches « alliés » de l'Otan. Cette doctrine stratégique intégrale ou globale de Washington apparaît clairement dans le concept américain de « Stratégie Nationale de Sécurité », dont le contenu fut révélé au grand public à l'occasion de la parution, en mars 1992 du Defence Planning Guidance du Pentagone élaboré en liaison avec le « Conseil National de Sécurité » (NSA), plus haute instance américaine de Sécurité et de politique internationale. On y apprenait que les Etats-Unis devaient tout faire pour «dissuader d'éventuels rivaux, parmi les pays avancés et industrialisés, de défier notre domination, ne serait-ce que d'aspirer à un rôle plus grand à l'échelle mondiale ou régionale (...). La mission des Etats-Unis sera de s'assurer qu'il ne soit permis à aucune puissance rivale d'émerger en Europe occidentale, en Asie ou sur le territoire de la CEI ». Pour Washington, il s'agit en fait d'empêcher l'Europe et le Japon, « alliés » relativement dociles, ainsi que la Russie, affaiblie, mais encore redoutée, de relever la tête et de porter un jour ombrage au leadership américain, en fait à la formidable puissance économico-commerciale américaine. « Ce qui est important, poursuit l'auteur du rapport, c'est le sentiment que l'ordre international est en fin de compte soutenu par les Etats-Unis, lesquels doivent être en position d'agir indépendamment lorsqu'une action collective ne peut pas être orchestrée ». Plus récemment, un autre document américain officiel émanant de la Communauté Nationale du renseignement (NIC), rendu public en janvier 2001 et intitulé Global trends 2015 , donne les grandes lignes de l'état du monde et confirme les orientations du rapport du Pentagone. Rédigé sous la direction de John Gannon, ce document réitère la priorité stratégique américaine de demeurer l'unique Superpuissance et de dissuader tout concurrent ou alliance « anti-hégémonique ». Parmi les pays susceptibles de constituer une menace majeure car enclins à s'opposer au « leadership » de Washington, le rapport mentionne le triangle Russie-Chine-Inde, bien que des réserves soient émises sur les capacités - et non les velléités - du gouvernement de Vladimir Poutine à redresser le cap. En fait, ce rapport est à mettre en parallèle avec la nouvelle stratégie internationale de l'Administration républicaine de Bush jr, marquée par le retour de vétérans de la guerre froide et des acteurs clés de la guerre du Golfe, comme Colin Powell, Condoleezza Rice ou Donald Rumsfeld, auteur d'un rapport (1998) dénonçant la volonté des « Etats-voyous » (Iran, Irak, Corée du Nord, Soudan, Libye) de se doter d'arsenals balistiques. Rice et Rumsfeld ne manquent d'ailleurs pas de dénoncer une Russie coupable de rompre son encerclement stratégique en se rapprochant de la Chine, de l'Iran et de l'Inde, et de renouer avec les puissances communistes comme Cuba ou la Chine. Pour la nouvelle Administration républicaine, la Russie demeure donc une menace pour les Etats-Unis et l'Occident dans son ensemble, et l'hostilité du Président Poutine à l'élargissement de l'Otan aux Pays Baltes constituant un « défi » envers la Superpuissance étatsunienne. 
Désignant à la fois les Etats-parias (rogue states) et les puissances nucléaires eurasiatiques (Chine, Russie, Inde) récalcitrantes comme les dangers majeurs, Global Trends 2015 confirme l'orientation unilatérale de la Stratégie Nationale de Sécurité des Etats-Unis qui doivent pouvoir agir sans être limités par les organisations internationales et poursuivre le projet de défense anti-missile en violation des traités de non-prolifération. On comprend mieux, à la lumière des différents rapports stratégiques américains, pourquoi les Etats-Unis agissent sous mandat de l'ONU en Irak (1990-1991), lorsque les résolutions des organisations internationales correspondent aux intérêts américains strictement nationaux, mais passent outre en ex-Yougoslavie (1999) ou à nouveau en Irak (1998-2001), quand « l'internationalisme » ne peut plus être utilisé comme façade stratégique du nationalisme géoéconomique américain. Les dirigeants états-uniens n'en continuent pas moins d'affirmer que la « suprématie globale » de leur pays est « nécessaire » à l'Humanité, puisqu'elle est censée « garantir la Démocratie et la Paix » dans le monde et la « sauvegarde de l'économie de marché ». On a bien affaire ici, on le voit, à une stratégie totale, en ce sens que la stratégie nationale des Etats-Unis est autant intégrale qu'intégrée, autant victorieuse qu'absolue, et que l'hégémonisme américain de fait est justifié et intériorisé par une idéologie légitimante, forgeant des représentations valorisantes et morales des Etats-Unis et de son leadership « bienfaisant ». 

Stratégie totale, mondialisation et économie de combat 
De même que certains spécialistes de stratégie contestent la pertinence de l'expression « guerre de l'information », d'autres récusent celle de « guerre économique », la guerre étant exclusivement liée, selon eux, à l'emploi de forces armées et engendrant inéluctablement la perte de vies humaines. « La guerre n'est pas la même chose que la concurrence ou les rivalités, commerciales » ou autres, explique Laurent Murawiec, directeur de Géopol Services. En conséquence, on ne peut pas parler de guerre à tort ou à travers » . D'autres en revanche, notamment le Général Pichot-Duclos et Nicolas Harbulot, en France, créateurs d'une « Ecole de Guerre économique », ou encore Edward Luttwak, chef de file de la pensée stratégique américaine, estiment que la guerre économique est l'une des principales formes de la conflictualité moderne. 
On peut définir la guerre économique comme le processus par lequel des Etats ou groupes d'Etats déploient des moyens régaliens (force militaire, ministères, cellules de renseignements, aides financières étatiques, lois, arsenaux juridiques, diplomatie, services spéciaux, etc) et obliques (médias, organismes internationaux, ONG, etc) pour conquérir ou conserver des marchés, au profit d'entreprises nationales. Dans le contexte de la globalisation et de la concurrence acharnée entre trois des pôles majeurs de la puissance économique : pays industrialisés d'Asie - y compris le Japon et la Chine - ; Etats-Unis (et plus largement l'ALENA) ; et Europe occidentale, l'expression de la puissance ne se calcule plus seulement en nombre de têtes nucléaires, comme l'a compris à ses dépend Moscou depuis la chute de l'Union soviétique et les interventions de l'OTAN en Irak et en ex-Yougoslavie, mais surtout en parts de marchés et en taux de croissance. Aussi le concept de guerre économique témoigne-t-il du fait que ce ne sont plus les blocs idéologico-politiques qui s'affrontent dans le monde, mais des Etats ou blocs géoéconomiques (ce qui n'exclut nullement qu'ils soient également géocivilisationnels) antagonistes, concurrents ou rivaux. 
Loin de permettre l'édification d'une société planétaire unifiée, la globalisation a en définitive donné naissance à un redéploiement des forces économiques, l'unification se limitant seulement aux marchés, c'est à dire au champ de bataille et non aux acteurs, puisque l'objectif est la conquête totale du marché. Même élevé au rang d'optimum de second rang (les unions économiques régionales), voire de premier rang (les marchés intégrés sous la bannière de l'OMC), le marché continue d'opposer des acteurs qui agissent dans un cadre de concurrence exacerbée, d'autant plus féroce, qu'il n'existe plus de marchés protégés et que l'enjeu n'est plus de conquérir une part respectable sur un produit donné, à l'instar de ce qui s'envisageait encore dans les années 80, mais d'être le premier, à l'exclusion de tous les autres, comme l'illustre le cas Microsoft dans le domaine de l'informatique. Dans l'esprit des décideurs américains et de leurs représentants à l'OMC, et n'en déplaise aux offices anti-trust qui s'agitent en Amérique même, un marché est considéré « ouvert » et donc « libéral » en présence de « monopoles de fait », dès lors que la possibilité théorique de les remettre en cause est reconnue. Ce nouveau modèle libéral hégémonique permet de comprendre l'âpreté des Américains à imposer, dans le cadre de l'OMC, les produits agricoles transgéniques, nouvelle norme alimentaire de demain qu'ils maîtrisent parfaitement, laissant aux Européens le marché contestataire et marginal des produits « bio ». C'est dans ce contexte de faillite du libéralisme concurrentiel traditionnel, où les théories du libre échange et le droit de la concurrence ne sont plus que des armes de rhétorique à destination des Européens et des nouveaux pays industrialisés, qu'émerge le concept nouveau d'« économie de combat », le stratège américain Edward Luttwak expliquant que les Etats-Unis sont appelés, s'ils veulent conserver la première place, à transformer leur système de production en machine de guerre économique. 
Mais la guerre économique n'est pas séparable des autres formes de guerre : militaire, « informationnelle », psychologique, subversive, etc. Loin de se substituer aux conflits armés, elle les accompagne, ainsi qu'on l'a vu lors de la guerre du Golfe. 
 

Jeudi, 3 mai 2001 DE LA STRATÉGIE À LA GÉOPOLITIQUE, QUELQUES ÉLÉMENTS D'UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE Qu'est-ce que la stratégie ? D'après l'étymologie grecque, la stratégie signifie « conduire l'armée », Platon précisant d'emblée que la guerre, donc

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