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Bourdieu (1980) dans un article sur le nationalisme et le régionalisme avait introduit une distinction fort intéressante entre les représentations mentales de la nation/région et les représentations objectales. « …La recherche des critères objectifs de l’identité régionale ou ethnique, ne doit pas faire oublier que, dans la pratique sociale, ces critères (par exemple la langue, le dialecte ou l’accent) sont l’objet de représentations mentales, c’est-à-dire d’actes de perception et d’appréciation, de connaissance et de reconnaissance, où les agents investissent leurs intérêts et leurs présupposés, et de représentations objectales, dans des choses (emblèmes, drapeaux, insignes) ou des stratégies intéressées de manipulation symbolique »
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[size]Nous inspirant de cette distinction, nous avons voulu réfléchir aux concepts qui guident la géopolitique et à ces nouvelles inflexions en différenciant la géopolitique zonale (vecteur de puissance par le contrôle d’une région ou du monde) et la géopolitique objectale (contrôle des ressources comme seul vecteur de puissance) En effet, ces concepts n’ont pas tout à fait la même fonction, selon le contexte historique dans lequel ils s’inscrivent. Si on adopte la définition la plus minimaliste, la géopolitique serait alors la traduction spatiale de conflits de nature différente. On peut alors différencier les concepts opératoires et les invariants de la géopolitique. Les surdéterminants sont des concepts opératoires variables dans le temps tels que l’insularité, l’enclavement, l’effet d’altitude, la polarité, la ligne, le centre et la périphérie. On ne peut donc les écarter de toute analyse géopolitique mais leur poids varie. Les invariants sont eux intangibles et doivent s’intégrer totalement dans toute analyse géopolitique d’un territoire : la nation, l’ethnie, la langue et la religion.
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[size]Ces différents ingrédients de toute analyse géopolitique permettent de circonscrire un territoire et de l’observer à la loupe dans notre fringale de la découpe : on délimite un territoire, on crée des limites et on observe alors comment ces surdéterminants et ces invariants fonctionnent. Jusque là pas de rupture dans le mode d’approche géopolitique d’un territoire. On est donc dans une analyse zonale d’un territoire comme l’était Vidal de la Blache dans son approche régionale des espaces. La géopolitique était donc zonale car toute étude géopolitique passait par une délimitation plus ou moins implicite d’un territoire : géopolitique de l’Espagne, géopolitique des Etats-Unis, géopolitique de la Russie, on assiste, aujourd’hui à une véritable inflation de ces géopolitiques, qui de fait sont de simples récits historiques, ou dans le meilleur des cas, on agrège une analyse géohistorique plus solide.
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[size]Notre hypothèse de travail est la suivante : les concepts de la géopolitique varient dans le temps. Les fondateurs de la géopolitique étaient obsédés par la maîtrise d’un territoire : le « lebensraum » ou la maîtrise des mers de Mahan s’équivalent. Il s’agit bien de fonder sa puissance sur une zone. C’est donc une géopolitique zonale. Or, lors de la troisième mondialisation, les paramètres de l’analyse géopolitique ont changé. Pas seulement parce que la troisième mondialisation est, à l’origine, un processus économique, mais parce que certains géopoliticiens, et notamment l’école française, ont réintroduit l’idée que la lecture géopolitique d’un espace passe par ses représentations. Nous nous trouvons donc dans une nouvelle période, celle d’une géopolitique subjectivée, où la perception d’un territoire doit également faire partie de l’appréhension géopolitique de ce territoire.
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[size]Enfin, dans la deuxième phase de la troisième mondialisation, après la crise économique de 2008, on entre, peut-être dans une troisième phase conceptuelle où la rareté des ressources –et la prise de conscience de cette rareté- nous fait entrer dans une nouvelle phase, celle d’une géopolitique et d’une lutte des puissances où la force provient d’une maîtrise obsédante des ressources énergétiques, agroalimentaires et hydriques. C’est donc une géopolitique objectale c’est-à-dire que le vecteur de puissance passe par le contrôle des objets ressources et non plus des territoires qui se met en place. Peut-on, pour autant considérer que cette nouvelle mouvance fondée sur ce monde de ressources rares » est un retour en fanfare de la géopolitique stato-nationale de ses fondateurs, telle est la question à laquelle nous chercherons à répondre.
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[size]Or, penser la géopolitique, aujourd’hui, exige que l’on sorte des contraintes du principe de souveraineté, qui a marqué l’histoire de la géopolitique. A partir des années 2010, ce qui devient déterminant, pour asseoir sa puissance, c’est la maîtrise des ressources. Juste retour des choses, puisque les premiers géopoliticiens pensaient également qu’une puissance devait avoir, avant tout, la maîtrise de ses richesses. Cependant, alors que la géopolitique se pensait durant le XXème siècle dans un cadrage stato-national, aujourd’hui, le contrôle des ressources doit se gérer à l’échelle mondiale.
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[size]La plupart des économistes (D. Cohen, 2003, Stiglitz, 2003) sont formels : la troisième mondialisation est d’abord et avant tout un processus économique, qui se traduit par une accélération des flux de capitaux -1700 milliards de dollars en 2008- (Bost, 2004) et par un spectaculaire mouvement de délocalisations, un emballement des multinationales qui créent de nombreuses filiales, notamment dans les pays émergents. Cette troisième mondialisation que Bourguinat (1992) a synthétisée en parlant des trois D, dérégulation, décloisonnement et désintermédiation, est, de fait, beaucoup plus complexe. On ne peut oublier, par exemple, la force de la globalisation financière et l’autonomie de plus en plus visible de la sphère financière, voire le décrochage de cette sphère face à la sphère productive. Et les géographes ont su également nous alerter, en mesurant les effets spatiaux de cette troisième mondialisation : littoralisation, maritimisation, métropolisation, polarisation des territoires et émergence de lieux du monde. On peut débattre éperdument sur ces phases de la troisième mondialisation (Grataloup, 2007). Considérer que c’est un processus long ou un mouvement cyclique avec des phases plus intenses (Gruzinski, 2006) n’est pas le cœur du débat. Economistes et géographes s’entendent à reconnaître la rupture des années 1980.
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[size]C’est aussi dans cette première période de la «3M » que les associations régionales de deuxième génération pullulent : ALENA, MERCOSUR, ASEAN+3, APEC, Union Africaine, SAARC, CCG… Même si ces associations ont pu être considérées comme des contre feux à la troisième mondialisation, elles apparaissent, aujourd’hui, plutôt comme des instances qui reproduisent, à plus grande échelle le principe de souveraineté. C’est donc, à travers ces associations, un déplacement furtif du stato-national vers le supranational, le supranational n’étant qu’une reproduction du national et non une refondation politique vers une dimension plus cosmopolitique du monde (Beck, 2004)
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[size]Ainsi, dans cette première phase de la troisième mondialisation, assurer sa puissance c’est, au fond, asseoir ses vecteurs de puissance sur des éléments assez traditionnels de la géopolitique, au début de son histoire : une puissance est puissance parce qu’elle contrôle son hard power et garde une relative maîtrise du monde grâce à son soft power, que l’on peut définir comme étant « la capacité d’obtenir ce que l’on veut par l’attraction plus que par la coercition » (Nye, 1990)
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[size]Des années 1990 aux années 2010, l’architecture mondiale reste structurée autour de l’hyperpuissance américaine, il n’y a donc pas un ordre économique nouveau, comme on l’a parfois prétendu mais une organisation multiunipolaire du monde, comme le soutient Huntington. Seuls certains vecteurs de l’hégémonie américaine changent: il s’agit de contrôler le monde non plus par la force du dollar mais par ce que les néo-marxistes nommaient la superstructure. Entre le
hard power et le
soft power, Nye a raison de montrer que la force des Etats-Unis, ce pays « bound to lead » est beaucoup plus idéologique et technologique que réellement économique.
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[size]Si les Etats-Unis ont gouverné le monde, ce n’est pas comme le prétendait Fukuyama parce que le modèle de la démocratie libérale devient le seul référentiel politique, ce n’est pas parce que ce pays doit « fliquer » (supercop) le monde et imposer la paix et la démocratie partout, cette « pax Americana » qui ressemble plus à une paix armée, à une Athena sortie tout droit de la tête de Jupiter qu’à un Mars, comme le prétend Kagan (2003) c’est tout simplement parce que la plupart des pays émergents, notamment en Asie, veulent épouser cet « American Way of Life » fondé sur une manie obsédante de la consommation à laquelle adhérent Japonais, Coréens, Chinois et bientôt Indiens. La grande réussite de l’Amérique ce n’est pas Wall Mart c’est Dallas.
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[size]A condition d’entendre par
soft power deux choses : une certaine façon de vivre dans l’opulence de la consommation et donc dans l’endettement mais également dans l’opulence des ressources minières, énergétiques et agricoles. A condition, enfin, que les Etats-Unis continuent à maîtriser la « troisième vague » (Toffler, 2005) celle des innovations technologiques dans des secteurs stratégiques comme l’industrie d’armement, l’aéronautique, l’informatique ou l’aérospatial. En somme, les Etats-Unis et l’Europe ne pourront survivre que s’ils continuent à avoir le contrôle de l’économie de la connaissance. Mais ce paramètre est une condition nécessaire mais non suffisante. En témoigne la remontée technologique fulgurante des pays émergents : en 2010, la Chine consacre en 2010, 1.3% de son PIB à la R et D, l’Europe, 1.7%.
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[size]On peut donc considérer –dans une première lecture- que la troisième mondialisation n’a pas bouleversé fondamentalement le concept de puissance. La maîtrise du monde passe par la force économique et idéologique d’une puissance indispensable, au-dessus des autres. Et, dans ces conditions, l’hyperpuissance américaine est la seule à prétendre avoir la maîtrise de la totalité du monde. Que l’on se situe à l’échelle du monde ou à l’échelle régionale, on peut affirmer que la troisième mondialisation n’a pas bouleversé les schèmes de pensée des fondateurs de la géopolitique : une puissance est puissance quand elle a une vision (géohistoire et représentations territoriales) une visée (une puissance est, par nature expansionniste) et un certain degré d’intégration au système-monde, par le biais de sa croissance économique ou de sa légitimité politique. Ce qui veut dire qu’une puissance est puissance quand elle contrôle un territoire circonscrit, qu’il s’agisse d’un espace délimité ou du monde. La troisième mondialisation ne semble donc, apparemment, pas avoir fondamentalement changé les vecteurs de la géopolitique, être puissant c’est s’inscrire dans un territoire délimité et circonscrit, qu’il s’agisse d’une portion d’espace ou du monde.
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[size]Ainsi la puissance américaine ou toute autre puissance définissent leur pouvoir à partir de l’Etat, qui reste le référentiel majeur. La pensée géopolitique n’a donc pas changé, elle est toujours une « l’étude de l’Etat considéré comme un organisme géographique » souligne le fondateur du néologisme géopolitique, Kjellen. Si Gallois (1990) ne supprime pas la référence à l’Etat, Foucher (1991) lui, parle d’une géopolitique « méthode globale d’analyse géographique de situations sociopolitiques concrètes » Mais cette nouvelle école politique garde en tête l’Etat comme instance référentielle.
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[size]Ainsi, pour circonscrire les vecteurs de puissance, la géopolitique zonale suffit largement. Penser la géopolitique d’un territoire passe donc par ces trois optiques : une vision du monde, une visée sur le monde, et un certain degré d’intégration au système-monde. Si la géopolitique zonale reste, dans ses déterminations, très fidèle aux fondateurs de la géopolitique, elle permet, cependant d’inclure la dimension fictive de tout territoire, elle tient compte des représentations territoriales qui donnent une large place à l’espace perçu (Frémont 1989, Encel, 2009)
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[size]Pourtant la troisième mondialisation renouvelle la pensée géopolitique. Les fondateurs de la géopolitique allemande, Ratzel et Haushofer avaient fait de l’espace vital un paramètre fondamental de toute puissance. Les géopoliticiens anglo-saxons comme Mahan, Mackinder et Spykman considéraient, eux, que la mer était un vecteur essentiel de puissance. De là à penser qu’il existe une différence conceptuelle entre une géopolitique continentale et une géopolitique maritime, c’est un pas qu’il est difficile de franchir, malgré la grande qualité de la typologie établie par Moreau-Desfarges (2005).
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[size]De fait, on peut proposer une autre grille de lecture. Que le vecteur de puissance soit la mer ou la terre importe peu. Ce que nous constatons, et l’œuvre de Kissinger ou celle de Brzezinski relèvent du même constat, les concepts de la géopolitique ne peuvent être analysés qu’en tenant compte du contexte des relations internationales dans lesquels ils émergent. La contextualisation de l’histoire de la géopolitique est un passage obligé que tout historien de la géopolitique doit respecter.
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[size]Ratzel et Haushofer sont obnubilés par le « lebensraum » à une période où le Reich allemand a besoin d’asseoir sa puissance en jouant d’une définition culturelle herdérienne de la nation. Il faut envisager d’étendre sa puissance vers l’Est parce que l’opération coloniale ne lui a pas profité. Mahan, Mackinder et Spykman valorisent le vecteur « mer » pour donner à l’expansionnisme britannique et à sa politique de « marches » maritimes –Gibraltar, Chypre, Aden, Dubaï, Singapour- une justification. Le concept de pivot géostratégique, qui est le cœur de la démonstration mackindérienne, provient également d’une hantise ancienne, celle d’une union possible de l’Allemagne et de la Russie. Les géopoliticiens anglo-saxons sont donc hantés par cette Eurasie, ce « Heartland » parce qu’il menace l’hégémonie britannique puis américaine. Le débat sur le glissement du Heartland eurasien vers le Rimland importe peu. Ce qui est nécessaire de relever c’est l’importance de cette contextualisation. On ne peut donc faire d’analyse géopolitique qu’en tenant compte des jeux de puissance et des conflits interétatiques qui existent à un moment n pour gagner la maîtrise du monde.
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[size]Brzezinski enfourche le même cheval de bataille, en le déplaçant légèrement, au moment de la Guerre Froide. Il considère que la maîtrise du continent eurasien est la seule voie pour assurer l’hégémonie d’un pays. Il propose alors une classification qui n’est pas très éloignée du Heartland mackindérien. Il existe, selon lui, cinq acteurs stratégiques et cinq pivots géostratégiques. L’Allemagne, la France, la Russie, la Chine et l’Inde sont ces nouveaux acteurs de l’Eurasie et la Turquie, l’Asie centrale, l’Iran et la Corée du Sud en sont les pivots géostratégiques. Tout pivot géostratégique est un territoire vulnérable, dont la fragilité peu être mise à profit par les acteurs principaux de l’Eurasie. Qu’on décrypte la période initiale de l’histoire de la géopolitique, qu’on traverse la phase de l’hégémonie britannique puis américaine, ou que l’on revisite cette trame de la guerre froide, on retrouve la même logique : les vecteurs de toute puissance s’appuient sur la maîtrise d’un territoire délimité : lebensraum, mer, Eurasie.
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[size]L’histoire de la géopolitique change plus radicalement avec l’émergence de la troisième mondialisation : on peut parler d’une rupture de la pensée et des concepts de la géopolitique. Parce que la troisième mondialisation nous oblige à changer d’échelle, à penser le monde autrement, elle a forcément un impact sur les vecteurs et les instruments de mesure de la géopolitique. Non qu’il faille se débarrasser des surdéterminants ou des invariants de la géopolitique. Il s’agit plutôt d’appréhender le monde à travers la lunette, d’abord de la géopolitique subjectivée, puis celle de la géopolitique objectale, où, pour contrôler le monde, il faut maîtriser les objets du monde , les moyens de survie du monde, et donc les ressources lui permettant de survivre.
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Document n° 1 Les nouveaux niveaux d’analyse de la géopolitique
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[size]Comme le souligne le tableau, ce qui change dans cette première phase de la « 3M » c’est l’importance que les géopoliticiens accordent à la vision qu’un territoire a de lui-même. C’est le poids que l’on accorde aux représentations territoriales qui fondent un premier renouvellement de l’histoire de la géopolitique, qui au début du siècle, se limitait à analyser l’impact territorial des agissements de l’Etat. Accorder une plus grande place à la géohistoire, à la topogenèse et surtout aux représentations territoriales produites par ce territoire est une révolution mentale conséquente.
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[size]Ainsi, il semble difficile de « penser géopolitique » sans tenir compte de trois nouveaux niveaux d’analyse, celui de la topogenèse, celui de la géohistoire et celui des représentations territoriales. Pour mieux affiner les vecteurs de toute puissance, il nous paraît important de réintroduire la notion, certes, complexe et parfois difficile à cerner de la conscience de soi de son territoire. La projection d’un territoire sur le monde est donc une nouvelle façon d’appréhender la géopolitique. C’est un constat qui m’a été utile quand j’ai voulu différencier les représentations mentales du territoire basque par rapport au territoire espagnol.
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[size]Donnons deux exemples. Grataloup (2007) définit l’Ancien Monde en termes de polarités, de barrières et d’axes qui lui permettent de construire son schéma spatial de l’Ancien Monde et sa démarche le conduit forcément à remettre en cause le credo des fondateurs de la géopolitique qui font l’économie de l’impact de la structure territoriale sur la pensée géopolitique. Ces fondateurs ont « développé des modèles assez simples de rapports de force internationaux, opposant au monde continental et le monde maritime, le Heartland à l’anneau maritime…Ces modèles ont fait long feu » Ce constat le conduit à émettre une hypothèse fort intéressante : l’Ancien monde se présente, grâce à son analyse géohistorique très serrée, comme l’inverse du Nouveau Monde. A savoir : l’Ancien Monde n’a pas comme, comme le prétendait Jules Ferry, engagé une mission civilisatrice ». Le basculement vers le Nouveau Monde s’est effectué pour des raisons économiques et non par volonté de puissance. L’insertion dans la première mondialisation s’est donc faite pour des raisons économiques et non pour des raisons idéologiques.
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[size]Encel (1998, 2002, 2009) souligne l’importance de la contribution d’Yves Lacoste et de la revue Hérodote, dans un autre domaine de cette géopolitique zonale, celle des représentations territoriales. Elles permettent de mesurer la perception collective identitaire, perception appréhendée sur le temps long braudelien. Pour Encel le concept de représentation territoriale représente « le concept le plus original, l’outil le plus efficient dans le raisonnement géopolitique bâti par Y. Lacoste » Encel a exploité deux exemples dans un espace qu’il connaît bien, celui du Moyen Orient, en mesurant le poids de ces représentations dans deux espaces très convoités, le plateau du Golan et Jérusalem. La représentation d’un espace par deux communautés peut donc faciliter la compréhension d’un espace et nous faire comprendre la rémanence des conflits identitaires que Derrienic (2001) classe dans la catégorie des conflits les plus irréductibles et les plus insolubles. « Rien n’est moins anodin » affirme Encel que les représentations croisées et mimétiques des Juifs israéliens et des Arabes palestiniens : les premiers se représentent les seconds comme des Arabes avant tout –lesquels pourraient donc parfaitement vivre ailleurs qu’en Palestine…les seconds se représentent les Juifs comme des membres d’une religion et non d’un peuple- ce qui implique une ségrégation religieuse et une illégitimité ontologique de l’Etat d’Israël…ce fossé abyssal de perception identitaire de l’Autre grève, pour l’heure, toute chance d paix durable de la région » Idem pur le conflit des Malouines qui éclate au moment où la population argentine n’adhère pas au projet de la dictature de Videla. Pourtant, malgré la victoire britannique, les Argentins ne font pas encore, aujourd’hui, le deuil, de cet échec et s’approprient mentalement ce territoire.
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[size]On pourrait ainsi prendre un à un ces nouveaux paramètres d’analyse de cette nouvelle géopolitique. Il est évident que la topogenèse, la géohistoire et les représentations territoriales sont les plus signifiants de cette géopolitique subjectivée et autorisent à avoir des clefs d’explication de la rémanence des conflits identitaires. Le terrorisme de l’ETA qui agonise, aujourd’hui, en est une solide illustration. C’est parce que le peuple basque s’est inventé une singularité (Bidart, 2001) à laquelle a largement contribué les anthropologues et les linguistes du XIXème siècle (Guillaume de Humboldt) et les idéologues du nationalisme basque comme Sabino Arana Goiri, que le terrorisme a résisté pendant plus de cinquante ans. Les représentations territoriales comme les reconstructions idéologiques permettent de mieux lire la topogenèse. On peut alors comprendre dans quelles niches mentales les nationalismes, les régionalismes ou les phénomènes identitaires se situent. Pourtant, même entichée de ses représentations territoriales et de sa géohistoire, la géopolitique zonale de la fin du XXème siècle ne suffit plus à répondre aux exigences de la deuxième phase de la troisième mondialisation. Pourquoi ?
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Document 2 : Ressources rares et nœuds géostratégiques
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[size]Nous connaissons, aujourd’hui, les paramètres permettant de définir cette montée en puissance : captation de l’épargne des pays émergents vers les pays anciennement industrialisés. interdépendance de plus en plus forte entre ces pays, currency board et jeu sur le taux de change profitant à ces pays et notamment à la Chine, accumulation de réserves de change colossales, remboursement des dettes accumulées en Amérique Latine, remontée technologique, acquisitions de nouveaux pans entiers de high tech (aérospatial, aéronautique, dépenses militaires et achat d’armes perfectionnés…) (Jaffrelot, 2009) Plus personne ne doute, aujourd’hui, de cette montée en puissance et surtout de ce formidable renversement de situation puisque ce sont les pays émergents qui financent les pays occidentaux (Stiglitz 2009, Attali 2010,)
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[size]En revanche, cette montée en puissance indéniable de la Chine, repose le problème du statut de la géopolitique et des vecteurs de puissance. La Chine, personne n’en doute (Chambon, 2010, Lenglet, 2010) a tous les attributs lui permettant de prétendre être, dans les dix ans à venir, la deuxième hyper-puissance : remontée technologique grâce aux IDE, achat de bons du trésor qui finance le déficit américain, fonds de réserves de change qui s’élèvent à 2600 milliards en 2010, mise en place de deux fonds souverains chinois, deuxième pays exportateur depuis 2009. Certes, il reste trois inconnues inquiétantes : l’absence de démocratie, la faible capacité de consommation des ménages qui peut conduite à un échauffement économique, et la difficile évaluation du soft power.
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[size]Mais, si on va au delà de ces trous noirs, on peut considérer que la montée chinoise bouleverse l’échiquier mondial, ce que n’avait pas totalement prévu Brzezinski et les néoréalistes américains. Or, la Chine, pour devenir elle-même un « supercop » de l’Asie et donc du monde, a absolument besoin de contrôler des ressources énergétiques hors-champ, comme les Etats-Unis.
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[size]La rareté des ressources a tendance à transformer la géopolitique zonale en une géopolitique objectale qui conduit à faire émerger des nouveaux lieux du monde, non pas des lieux de la mondialité comme l’entend J. Lévy (2008) mais des nœuds géostratégiques qui regorgent de ressources énergétiques ou hydriques qui peuvent être également des lieux de très forte instabilité politique et qui deviennent des lieux préférentiels de projection de puissance des deux prétendus rivaux, mais également d’autres puissances. Ces nœuds géostratégiques ne doivent pas être confondus avec ce que Mackinder appelait les pivots géostratégiques, qui, eux, étaient des lieux nécessaires à la maîtrise du monde comme le furent le Heartland eurasien ou le Rimland, pendant la Guerre Froide.
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[size]Aujourd’hui, ces nœuds géostratégiques sont peu nombreux mais très convoités par les deux puissances : il s’agit de l’Asie centrale, du Caucase, de la Corne de l’Afrique, du Golfe de Guinée du rectangle Venezuela-Colombie-Equateur-Bolivie, de l’Arctique et de la Sibérie. Ces nœuds géostratégiques n’ont pas la même configuration. La plupart d’entre eux sont des « puits » de ressources considérables. Mais ils peuvent également présenter des caractéristiques plus spécifiques. C’est le cas de la Corne de l’Afrique ou du rectangle latino-américain. La Corne de l’Afrique est une région particulièrement instable sur le plan politique avec la récente scission du Soudan, l’inflation du « lang grabbing » et la multiplication des actes de piraterie. L’océan indien devient alors une zone de cette guerre « hors limites » que mènent les deux hyper-puissances à coup de porte-avions et d’opérations sécuritaires spectaculaires. Même remarque pour le rectangle latino américain, nœud moins instable que la Corne de l’Afrique mais où les deux hyper-puissances jouent le même jeu, la Chine fidèle à son principe de non-ingérence et sa « diplomatie du yuan » se substitue discrètement et efficacement aux IDE américains dans une région qui n’a jamais baissé la garde et abandonné son antiaméricanisme, comme l’atteste les récentes déclarations de Rafael Correa, le président équatorien. Un nœud géostratégique est donc une zone riche en ressources, instable, sécurisée ou en voie de sécurisation et fortement convoitée par les deux hyperpuissances
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[size]Ces Républiques musulmanes ont obtenu l’indépendance en 1991, au moment de l’implosion soviétique. Or, elles ont été longtemps satellisées et dirigées par des membres éminents de la nomenklatura soviétique. Mais la rareté des ressources et la forte pression des puissances à la recherche de leur sécurisation énergétique a fait de cet espace relégué, un espace très convoité, par la Russie, certes, mais également par les Etats-Unis, engagés dans leur « guerre contre la terreur » et par la Chine, qui, depuis son décollage devient une puissance énergétivore. On assiste donc à une véritable course à la maîtrise de ces ressources, ce qui se traduit par des financements spectaculaires des routes du pétrole et du gaz, des investissements colossaux et par une surveillance plus méticuleuse du terrorisme qui a frappé Tachkent en 1999, touchée par les attentats du MOI, le mouvement islamique ouzbek. En outre, la proximité de l’Ouzbékistan avec « l’Afgha-Pak » fait de cette région une zone très surveillée, où se multiplient les bases militaires américaines, françaises et allemandes. La Chine s’implante discrètement, plus discrètement qu’en Afrique, mais elle n’en exerce pas moins une diplomatie économique lente pour assurer ce que le PCC nomme son « ascension pacifique »
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[size]On pourrait multiplier les exemples, comme l’Arctique, souvent relégué aux oubliettes avec son cimetière de sous-marins soviétiques et qui redevient une zone intéressante depuis que l’on a découvert des gisements de gaz conséquents et la possibilité de dégager une route du Nord qui valoriserait cet espace. La Sibérie, l’enfer des dissidents soviétiques redevient, du fait de la rareté des ressources, un nouvel eldorado, aux mains des Chinois.
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[size]Pour être une puissance viable, il est donc, aujourd’hui, nécessaire d’avoir la maîtrise des ressources énergétiques, hydriques et agro-alimentaires. Cela change totalement la donne car les grandes puissances redeviennent expansionnistes. Ainsi la Chine reconstruit un empire en Afrique, les Etats-Unis retrouvent leur pré carré latino-américain mais tissent également de nouveaux liens en instaurant une hiérarchie de pays amis et ennemis au Moyen Orient, l’Union Européenne se projette en Europe centrale.
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[size]La maîtrise de ces ressources débouche aujourd’hui vers une course effrénée pour maîtriser ces ressources et donc pour séduire d’une façon ou d’une autre les pays qui en regorgent. Or cette course conduit forcément ces deux grandes hyperpuissances à jouer de cette séduction et à éviter d’employer un hard power militaire trop voyant.
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[size]L’exemple du collier de perles chinois dans l’océan indien est riche d’enseignement. Alors que les Etats-Unis ont déplacé discrètement leur Vème flotte navale pour l’installer définitivement à Diego Garcia pour mieux contrôler les détroits stratégiques de Malacca et d‘Ormuz, par où passent les supertankers qui approvisionnent l’occident, la Chine renforce la maîtrise de l’océan indien en construisant, en toute discrétion, son collier de perles, lui permettant de rénover les ports de Birmanie, de Sri Lanka et du Pakistan et de sécuriser ses propres routes énergétiques. Quant au Golfe de Guinée où les exploitations off shore se multiplient, les deux grandes puissances sont également très vigilantes et s’implantent au Gabon, au Cameroun, à priori pour exploiter le bois tropical (Beuret, 2008) mais également pour avoir une vue sur la prospection pétrolière. Idem en Equateur ou au Venezuela de plus en plus sollicités par la Chine qui est le premier investisseur au Venezuela. En Asie centrale, le RATS a élu domicile à Tachkent, très près de l’ambassade américaine qui s’est transformé en véritable blockhaus pour surveiller cette zone, après les attentats terroristes de 1999.
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[size]Ainsi, dans cette deuxième phase de la troisième mondialisation, l’architecture mondiale change considérablement du fait de la montée en puissance des pays émergents. Devenant de grands consommateurs d’énergie et étant de vrais greniers démographiques, ils exercent de fortes pressions et exacerbent cette nouvelle donne de la rareté des ressources : ils sont à la recherche de nouvelles sources d’énergie dans le monde, pratiquent le « land grabbing » et ont besoin d’eau. Cette pression sur les ressources change plus radicalement les vecteurs de puissance et les fondements de la géopolitique. Peut-on, dans ces conditions, adhérer aux thèses néoréalistes américaines et notamment à celles de Kenneth Waltz. Dans « Man, The State and War » (1959), il soutient que les Etats, face à l’absence d’une autorité centrale (ce que l’on pourrait traduire par la déficience, aujourd’hui, de la gouvernance mondiale) doivent veiller à leur sécurité et avoir le contrôle de leur position-ressource. En somme, tout en acceptant le mécanisme de la mondialisation (Waltz, 2003) il considère que seuls les Etats peuvent répondre à ce système mondial anarchique.
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[size]Or ni les réalistes ni les néoréalistes américains n’ont su prévoir l’importance, dans cet échiquier mondial, du fou du roi, les pays émergents. C’est justement parce qu’ils pèsent de tout leur poids dans la demande énergétique et foncière que les schèmes de pensée de la géopolitique sont totalement bouleversés. On ne peut plus penser en termes d’Etats, on ne peut plus penser en termes de puissances impérialistes. Il s’agit, à présent de gérer les ressources mondiales, non pas forcément par le biais de ces deux hyper-puissances plus impériales qu’impérialistes mais par le truchement de la gouvernance mondiale (Tubiana, 2008)
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[size]Certes, les grandes puissances cherchent alors à sécuriser leur approvisionnement en pétrole, en eau et en ressources agro-alimentaires. C’est ce que Dussouy nomme le « oil-heartland » dont on peut élargir en parlant de « commodities-heartland » Tout se joue à un fil…mais un fil du rasoir : soit le retour à une logique d’affrontement doux entre les deux hyper-puissances, soit une gestion multilatérale des ressources énergétiques et foncières. On pense à Kyoto, à Copenhague, à Séoul. Mais pour le « land grabbing » aucune régulation n’est encore envisagée, à l’échelle mondiale.
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[size]Prenons l’exemple de l’Afrique qui devient un lieu de collision entre les Etats-Unis et la Chine
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[size]Depuis une dizaine d’années, la Chine a considérablement augmenté ses échanges commerciaux avec l’Afrique. Elle s’implante en Angola, au Tchad, au Soudan et dans certains pays considérés comme des « Etats-voyous » par les Etats-Unis. Ses échanges commerciaux avec l’Afrique se sont élevés en 2008 à 106 milliards de dollars alors que les Etats-Unis totalisaient 121 milliards. La Chine construit des routes, des ports, de nouvelles ambassades et ce jeu de go conduit les deux puissances à une surenchère perpétuelle, notamment dans le secteur de la défense. La Chine vient d’inaugurer une base militaire à Kamina, dans la province qui regorge de cuivre, au Katanga, en RDC.
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[size]Cette rivalité discrète entre les deux puissances s’exprime de façon surprenante : les Etats-Unis choisiraient d’investir dans les « bons » pays, en coupant l’Afrique en deux. Pour preuve, le discours d’Obama de juillet 2009 au Ghana, qui accepte d’investir dans ce pays respectant les droits de l’homme. Deux mois plus tard, le Ghana signait un accord de coopération avec la CNOCC, la première société pétrolière chinoise. En outre, la Chine achète à tour de bras des terres en Afrique occidentale et au Brésil pour répondre à la demande intérieure. En Asie centrale, le même processus émerge : la Chine laisse à la Russie le soin de renforcer sa politique sécuritaire dans un espace qu’elle connaît bien alors qu’elle continue de pratiquer cette diplomatie économique, lui permettant d’assurer une présence discrète qui répond bien à cette « ascension pacifique ». Au Venezuela, la Chine est devenue le premier partenaire d’Hugo Chavez car elle vise les considérables ressources pétrolières du pays. Dans tous les nœuds géostratégiques –hormis l’Arctique- La Chine est présente.
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[size]Il n’est pas question de tomber dans ce mythe, ce « fantasme du G2 » mais, de toute évidence, les vecteurs de puissance ont considérablement changé : ce n’est pas tant l’économie de la connaissance qui peut justifier de la force d’une puissance, aujourd’hui. Il est donc beaucoup plus fondamental de suivre à l’avenir, les contrats engagés par la Chine et les Etats-Unis dans ces nœuds géostratégiques. C’est donc la nouvelle maîtrise des ressources vitales qui peut faire la différence. Quelles en sont alors les conséquences ?
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[size]Face à la rareté des ressources et à la pression exercée par les pays émergents pour en avoir leur part, il est évident que les associations régionales ont du mal à mettre en place des politiques énergétiques et agricoles très communes. Alors que ces associations régionales sont nées du souci d’accélérer le libre échange dans un territoire circonscrit pour repousser les frontières au delà d’un territoire plus fluide d’échanges, elles sont aujourd’hui, au mieux en cours de restructuration (ASEAN+6 ou Groupe de coopération de Shanghaï) stagnantes (ALENA, UNASUR), au pire en crise (Union européenne) Cette inefficience est partiellement liée à l’incapacité de ces associations à envisager la montée des pays émergents et à se transformer en associations capables de définir une politique énergétique commune. Ainsi la France et l’Allemagne n’ont pas les mêmes priorités dans le domaine énergétique, ce qui repose le problème du renouvellement du parc nucléaire et la priorité accordée ou pas aux énergies renouvelables. Deuxième facteur de faiblesse, l’incapacité de ces associations dont l’objectif était principalement de favoriser le libre échange –exception faite de l’Union européenne- à se transformer dans de véritables organismes politiques prêts à définir des lignes de conduite qui puissent répondre à cette urgence énergétique, hydrique et agroalimentaire. La régionalisation du monde n’a-t-elle pas échoué ? Il est peut-être envisageable de penser à une troisième génération d’associations, comme le sont par exemple le Groupe de Coopération de Shanghaï né en 2004 ou l’Union africaine, plus récentes et qui se sont construites autour d’une puissance régionale dominante mais qui n’ont jamais négligé leurs objectifs politiques.
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[size]La géopolitique objectale liée à la rareté des ressources réorganise le monde autour des deux superpuissances. Nous nous trouvons dans un cas de figure nouveau. Sans tomber dans une nouvelle « guerre des empires » (Lenglet, 2010), il semble de plus en plus évident que la gouvernance mondiale ne pourra plus se faire sans l’accord des deux hyper-puissances. Toutes les dernières conférences ou rencontres se sont faites en présence de ces deux puissances et malgré leur relatif échec, ce jeu à deux est aujourd’hui une évidence que l’on ne peut plus écarter, et ce, d’autant plus qu’il existe une course aux ressources. Kyoto (1997) Rome (2000) Johannesburg (2003) Londres et Pittsburg (2008) Copenhague (2009) Séoul (2010), autant de grandes rencontres où la présence de la Chine est incontournable. La création du G20 en est la meilleure preuve. De la à penser que cette nouvelle architecture mondiale se fonde, du fait de la rareté des ressources, sur un duo duel, il y a un pas. Il y a bien spoliation des ressources, notamment en Afrique ou en Asie, en cela, on revient aux thèses de Lénine. Mais le pouvoir de négociation des pays concernés s’est également conforté. Les pays pourvoyeurs de ressources ont leu mot à dire et jouent de cette concurrence pacifique entre les deux grands, pour en tirer des bénéfices. Chavez et Correa sont bien contents de trouver un nouvel interlocuteur plus conciliant, Mugabe et Johnson-Sirleaf profitent de ce « consensus de Pékin » Ces puissances impériales jouent leur propre jeu mais les autres puissances exploitent également cette fausse rivalité. Impériales mais pas forcément impérialistes, tout simplement parce que les autres pays ont plus de marge de manœuvre, du fait de l’existence, même modeste de cette arlésienne que représente la gouvernance mondiale.
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[size]La rareté des ressources rend la fondation d’une gouvernance de plus en plus urgente. On avait déjà mis en place les biens publics mondiaux, propriété de la communauté internationale, on a défini les Objectifs du Millénaire pour le développement qui traduit une prise de conscience que l’exacerbation de la pauvreté et des inégalités sociales, notamment dans les pays émergents, concerne la totalité de la société-monde. Aujourd’hui, face à la déficience des associations régionales et à leur manque de réponse, face à cette société du risque (Beck, 2004) la mise en place de cette gouvernance mondiale est une priorité, n’en déplaise au très sceptique Kenneth Waltz. Face au danger d’uns structuration du monde entre deux empires, les nations secondes ont tout intérêt à faire du multilatéralisme et du principe de responsabilité le fondement premier de cette gouvernance. On a déjà noté que la rareté des ressources avait tendance à nous obliger à faire un retour en arrière en revalorisant la position-ressources de chaque puissance. La géopolitique objectale alimente une tendance dangereuse, celle de renouer avec les égoïsmes nationaux et avec un combat des titans qui néglige totalement le multilatéralisme et l’idée qu’une puissance peut naître de sa norme et non de sa puissance (Laïdi, 2003)
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[size]Passer du principe de souveraineté au principe de responsabilité a une incidence forte sur le chantier de la gouvernance mondiale : cela permet de débloquer le dossier des associations régionales qui se limitaient à fluidifier les échanges tout en créant des dépendances et des primarisations (Saludjian, 2006), cela autorise ces instances à se penser comme des organismes supranationaux qui peuvent prendre des décisions politiques communes –et la politique énergétique en est une-. Cela évite également de faire machine arrière et de conforter une pensée politique uniquement définie par la position-ressource des Etats. Tenir compte de la géopolitique objectale et de son corollaire, la gouvernance mondiale c’est sortir de la vieille Realpolitik. C’est éviter que le monde soit gouverné par deux grands puissances, l’une défendant le droit d’ingérence au nom de la démocratie et l’autre défendant le droit de non-ingérence au nom de la rentabilité économique.
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[size]Une relative chronicité de l’histoire de la géopolitique doit donc être mise en valeur. Si les fondateurs de la géopolitique voyaient, au début du XXème siècle, la géopolitique comme la nécessité de créer des antennes territoriales pour conforter « l’espace vital », elle devient, au moment de la Guerre Froide, une histoire obsédée par l’équilibre du monde entre deux blocs idéologiques. Pour Kissinger comme pour Brzezinski, il s’agissait de localiser les points faibles du soi-disant bloc monolithique socialiste en plaçant ses propres pions dans le « grand échiquier » mondial et en créant des trous d’air favorables à l’effritement : le bloc libéral vise à déstabiliser l’ordonnancement binaire mondial en se rapprochant de la Chine et de la Pologne. Mais, que l’on soit au début du siècle ou dans ce deuxième XXème siècle plus idéologique, le principe qui sous-tend cette volonté de puissance reste le même : ce sont des Etats qui s’attaquent à d’autres Etats et le principe de souveraineté nationale reste la référence obligée. Avec la troisième mondialisation, et surtout dans sa deuxième phase, les cartes sont brouillées. Les Etats continuent à avoir une visée sur le monde mais on découvre une nouvelle configuration : celle de deux puissances qui étendent leur pouvoir sur ces nœuds géostratégiques dont elles doivent assurer la pacification. Il n’y a plus de « pax americana » ou de « pax sinica », il s’agit de se partager pacifiquement la maîtrise de ces nouveaux lieux du monde. Aux lieux de la mondialité chers à J. Lévy, s’ajoutent ces lieux conflictuels de la mondialité.
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[size]La géopolitique zonale, fondée sur le principe de souveraineté n’est plus fonctionnelle. Aujourd’hui, c’est le contrôle de ressources extraterritoriales qui devient la préoccupation primordiale. La géopolitique objectale, qui déterritorialise les grandes puissances, domine, à présent. Ce qui est loin d’être contradictoire avec ce qu’affirme J. Lévy pour qui la logique topologique prend le pas, dans la troisième mondialisation sur la logique topographique. Les deux grandes puissances régénèrent le principe de souveraineté nationale en le mâtinant de celui de gouvernance mondiale et leurs agissements subtils en Afrique le démontrent.
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[size]Si les deux grandes puissances adoptent, à nouveau, une attitude impérialiste, et passent outre les principes d’une gouvernance mondiale balbutiante –dont on a perçu les incohérences et les hésitations à Copenhague et à Séoul- elles risquent de s’isoler. Penser la politique en termes expansionnistes et en vue de contrôler ces nœuds géostratégiques, risque de les marginaliser ou de creuser un fossé dangereux entre les pays émergents qui reprendraient le flambeau de la lutte contre les pays occidentaux. Si le principe de responsabilité doit remplacer celui de souveraineté nationale, c’est au nom d’une crainte : celle de créer de nouveaux clivages entre puissances hégémoniques et les autres ou entre puissances émergentes et les autres.[/size]