[size=32]Penser (mentaliser) dans la psychothérapie et la psychanalyse [/size]
Patrick Juignet, Psychisme, 2012.
Qu'est ce que penser, on dit aussi mentaliser, dans le cadre d'une psychothérapie ou d'une psychanalyse. Afin d'éviter tout malentendu il faut noter que, par penser, nous désignons l'action de produire une forme perceptible (consciente), mentalisée et communicable, grâce à l'utilisation du langage (verbal ou autre).
Une pratique de la pensée
La pensée
La pensée n'est pas fixe, elle se forme dans un mouvement dynamique de composition, de synthèse. Elle se réalise par l'association entre des processus de types représentatifs et cognitifs et des processus de types langagiers, les deux s'épaulant. Il existe différents types de pensée selon les processus cognitifs engagés et les langages utilisés. La pensée peut être logique et très formalisée comme en mathématique ou irrationnelle et imagée comme dans les rêves. Il s'y ajoute un indice de réalité (dénotation, référent, vérité empirique, etc.), ou pas si son contenu est abstrait ou fictif.
La pensée ainsi définie est consciente. Elle est mentalisée (perceptible par l’individu), et souvent communiquée par l'expression(rendue perceptible aux autres). Les pensées peuvent être rationnelles ou irrationnelles, claires ou confuses, s’enchaîner selon des processus divers et utiliser des langages variés (verbal, imagé, schématique, musical). L'important est de saisir que la pensée est un produit, elle n'est pas identique à ce qui la génère. C'est un produit complexe, synthèse de divers processus et permettant une distance réflexive et des corrections, ce qui tout son fait son intérêt et la démarque des processus automatiques.
Une partie de la pratique psychanalytique consiste à penser en interaction avec un autre. Elle concerne donc directement le niveau représentationnel. La particularité de cette interaction, qui la distingue radicalement du dialogue philosophique (socratique), c’est qu’elle vise et concerne le psychisme. Il y a plusieurs manières, assez différentes de procéder comme nous allons le voir. Une autre partie de la pratique psychanalytique concerne le maniement du transfert, mais ce n’est pas le lieu d’en parler ici.
La pensée inconsciente
Mais, dira-t-on, et la pensée inconsciente ? En tant que psychanalyste je ne serai pas enclin à la nier. Les cognitivistes arrivent à la même conclusion : il y aurait bien une pensée inconsciente. Cependant, il faut faire attention, car cette appellation pose un problème de fond : appeler du même nom de « pensée » les phénomènes conscients et ceux qui ne le sont pas, suppose que (à la perception consciente près) ce soient les mêmes processus. Or, cette identité est improbable. Voyons pourquoi.
Concernant le psychisme, pour plus d'explications on se référera aux articles qui lui sont consacrés dans le site. Le psychisme a une part représentationnelle, constituée par des représentations complexes (souvenirs, imagos, schèmes relationnels) et des processus de traitement de ces représentations. Cette part est inconsciente par définition puisque nous la supposons à partir de l’observable. Les processus représentationnels du psychisme sont supposés à partir de la pensée et des actes. C’est une source de confusion majeure que de les assimiler à une pensée qui serait inconsciente. La première topique freudienne (conscient, préconscient, inconscient) souffre d’une insuffisance épistémologique car elle néglige et ne sépare pas ce dont on affirme l’existence (le représentationnel inconscient) et ses effets factuels sous forme de pensée perceptible et communicable. Sur le plan du vocabulaire nous appelons « pensée » uniquement les aspects factuels mentalisés ou exprimés et "processus" les déroulement représentationnels inconscients. On voit immédiatement l'intérêt de passer d'un processus représentationnel automatique et inconscient à une pensée consciente, afin d'avoir prise sur lui.
C’est dire que nous ne sommes pas d’accord avec lacanisme qui prend forme à partir des années 50 en s’insérant dans le courant struturalo-linguistique. L’inconscient n’est pas structuré par le langage et ce n’est absolument pas la structure du langage que l’expérience psychanalytique découvre dans l’inconscient. L’inconscient, à partir de Freud n’est en aucune manière une chaîne de signifiants qui se répète et insiste [size=11][1], mais un ensemble flou et complexe de représentations formé au cours de l’histoire individuelle en lien avec les enjeux libidinaux et narcissiques. Nous affirmons que les systèmes représentationnels du psychisme et les systèmes représentationnels langagiers sont distincts et c’est de leur conjonction réussie que vient le travail analytique. Voyons les conséquences de cette conception dans la pratique psychanalytique et psychothérapique ?[/size]
Le plus simple, se connaître
On peut, d’abord et tout simplement penser les conduites d’origine psychique, c’est-à-dire se les représenter. Ce sont les conduites relationnelles, les choix de vie, les symptômes, certaines attitudes des attitudes, son propre caractère. Il s'agit de saisir par la pensée ce qui se passe dans la vie quotidienne sur le plan relationnel et affectif. Ces aspects du quotidien sont souvent banalisés, méconnus ou justifiés (rationalisés). Cette pensée d’abord purement descriptive et mémorielle, par inférences, déductions, rapprochements, etc., produit une intelligence de la situation. Nous sommes dans la démarche ordinaire de saisi de la réalité, mais d’une réalité humaine qui a pour caractéristique d’être un effet du psychisme. Certains aspects de cette réalité sont parfois méconnus au sens où ils sont ignorés du sujet qui pourtant les agit.
Pour saisir ces aspects particuliers une déconstruction ou un contournement des défenses est souvent nécessaire car elles empêchent la reconnaissance de ces faits quotidiens (déni, refoulement, dénégation). En effet, ces défenses sont des processus représentationnels qui empêchent la pensée raisonnable, la biaisent, voire l'asservissent. Dans ce cas, elle devient une rationalisation trompeuse. L'intervention de l'analyste permet de déjouer les défenses. Par ce travail, le patient se rend compte de ses attitudes et peut ainsi les réguler. On aura aussi un bénéfice à long terme, par la mise à plat des défenses, ce qui empêchera la reformation ultérieure des illusions et symptômes. Ce procédé apporte, dans un premier temps et avant tout changement profond, une distanciation apaisante et une meilleure connaissance et maîtrise de soi. Il permet à l’individu de penser-connaître et avoir prise sur ce qui le constitue.
Prenons l'exemple de l'analyse d'une attitude que le patient prend régulièrement dans la vie courante et qui lui échappe. Il s‘agit d’abord et tout simplement décrire cette attitude. Ensuite au premier abord, la pensée ordinaire va produire une justification rationnelle et conventionnelle de cette attitude. L’analyste est là pour questionner cette justification. Il s’ensuivra une recherche qui devrait amener à penser les processus représentationnels qui ont agi pour produire cette attitude. Ces processus combinent et conjuguent des modèles relationnels préétablis, des stratégies actuelles (ou pas), des souvenirs et impressions diverses. Ces aspects sont souvent appelés d'une manière assez juste, mais trop peu explicite, « motivations ». Ensuite, on pourra donne une explication de ces motivations qui sera une manière, plus ou moins savante de théoriser le psychisme.
Penser la pensée, est-ce possible ?
L’exemple le plus frappant de ce procédé redondant de penser des pensées est celui de l’analyse des rêves. Enoncer et interpréter un rêve c’est penser la pensée qui s’est produite la nuit. On tombe sur le problème épistémologique signalé au chapitre six, car penser la pensée est un redoublement qui a plusieurs inconvénients. D’abord et au plus simple ce peut être une paraphrase inutile car trompeuse ou plus pauvre que l’original. Dans le cas de l’analyse d’un rêve en séance, ce n’est pas ce qui se produit. Il y un double mouvement de traduction et d’interprétation. En effet, on passe d’un type de langage à un autre et d’un mode représentationnel à un autre. Du mode non ordonné servi par un langage imagé qui a formé le rêve, on passe à un mode ordonné raisonnable servi par le langage verbal. Le second problème signalé par Wittgenstein est celui d’une impossible vérification de l’interprétation[size=11][2]. Sa critique est juste. Mais dans la pratique psychanalytique, d’une part c’est le patient lui-même qui interprète et donc ce qu’il pense a nécessairement à voir avec son propre fonctionnement représentationnel et c’est bien ce que l’on veut élucider. D’autre part, on ne cherche pas une (impossible) vérité de l’interprétation, mais à expliciter les processus et figures imaginaires à l’œuvre. La remarque de Wittgenstein vaut pour les extensions de l’interprétation psychanalytique aux domaines extérieur à la psychanalyse (œuvre d’art, littérature, rituels, coutumes). L’interprétation a dans ce cas une part d’arbitraire qui ne peut être corrigée. De plus, elle risque d’être réductrice, car ces aspects culturels ont aussi des déterminations autonomes qui sont laissées de côté. L’utilité d’une telle pratique paraît donc assez limitée mais il faut bien noter qu’elle diffère notablement de l’interprétation psychanalytique sens vrai du terme.[/size]
Si la remarque de Wittgenstein est assez juste, évidemment, nous n’en déduirons pas, comme il le fait, que « cette façon de penser [celle de Freud] dans son ensemble demande à être combattue »[size=11][3], Nous pensons plutôt que c’est la façon de penser du positivisme logique et du behaviorisme qui demande à être combattue, car sa visée de rigueur s’accompagne d’une tendance réductrice, appauvrissante, qui nie la dimension représentationnelle de l’humain.[/size]
الجمعة فبراير 19, 2016 10:19 am من طرف جنون