SCIENCES HUMAINESL'expression « sciences humaines » est, en France, une façon usuelle de nommer les études de psychologie et de sociologie. Depuis la Seconde Guerre mondiale, elle a remplacé l'ancienne appellation de « sciences morales ». En 1942, l'ouvrage de Wilhelm Dilthey sur les sciences de l'esprit (Geisteswissenschaften) a été traduit en français sous le titre Introduction aux sciences humaines. Par un décret du 23 juillet 1958 (publié auJournal officiel du 27 juillet 1958), on transforma les facultés des lettres en facultés des lettres et sciences humaines, dans le dessein d'y promouvoir l'enseignement d'une partie des sciences sociales (la psychologie et la sociologie), au voisinage des humanités littéraires. Dans ce sens académique, passé dans l'usage, l'expression « sciences humaines » est une locution idiomatique typiquement française (l'anglais l'emploie parfois dans des contextes assez lâches, mais dit plus couramment social sciences).
Curieusement, ce gallicisme ne recouvre pas tout le champ des sciences de l'homme. Par exemple, il exclut l'histoire ; il inclut au moins partiellement certaines sciences naturelles telles que la psycho-physiologie, mais en exclut d'autres telles que l'anthropologie physique (dans ce cas, c'est, au contraire, le musée de l'Homme qui dépend administrativement du Muséum d'histoire naturelle). Cette formule est donc peu cohérente. Elle a l'inconvénient de ne pas préciser ce qui, en l'homme, relève des sciences positives, c'est-à-dire du recours à l'expérience.
Quand on parle des sciences de l'homme, le mot « homme » désigne un domaine intermédiaire entre, d'une part, les sciences naturelles (biologie) et, d'autre part, les sciences abstraites du raisonnement (logique, mathématique, philosophie). Ce domaine a un caractère social dans la mesure où il inclut l'acquisition d'un langage et d'une culture ; les formes sociales sont des formes mixtes qui participent à la fois de la vie et de lapensée. La parole, étant le propre de l'homme, sert de critère distinctif entre le point de vue naturaliste et le point de vue social ou culturel. Les sciences sociales traitent des activités humaines, de leurs résultats et de leurs conditions. Ces conditions ont elles-mêmes une base biologique qui est prise en compte dans la psychologie, la démographie (en liaison avec la génétique), dans l'anthropologie enfin (origines de l'homme, de son outillage et de ses production culturelles). Les sciences de l'homme ont donc pour objet l'étude des conditions, naturelles et culturelles, des activités humaines.
Photographie
[size=13]Maison des sciences de l'hommeCréée en 1962 par Fernand Braudel, la Maison des sciences de l'homme accueille des chercheurs en sciences humaines et en sciences sociales du monde entier. Crédits: C. Mouly[/size]
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1. Histoire de la terminologie
Quelques remarques historiques pourront aider à mieux comprendre les hésitations du vocabulaire.
L'« étude de l'homme » est une expression qu'utilisent les humanistes et que l'on retrouve chez
Pascal. Bien qu'elles s'intéressent surtout à l'histoire des mœurs et des idées, les conceptions humanistes se caractérisent par un
éclectisme universel, par une curiosité qui s'étend à tout ce qui est humain, y compris l'anatomie (Léonard de Vinci). Les philosophes du
XVIIIe siècle parleront, comme les scolastiques, de la « nature humaine », mais pour lui appliquer des méthodes scientifiques nouvelles inspirées de Galilée et de Newton. Les études de la
perception au
XVIIIe siècle ont « découvert » la sensibilité humaine (empirisme). L'importance accordée à celle-ci au
XIXe siècle, attirera l'attention sur l'
influence du milieu social (le lamarckisme en biologie, le « socialisme » en politique). L'idée des sciences sociales a été conçue alors sous la forme d'une science de synthèse, par des auteurs tels qu'
Auguste Comte,
Karl Marx,
Jeremy Bentham, Herbert Spencer. Elle a été mise en œuvre au
XXe siècle, mais selon une perspective différente, en se subdivisant en une multitude de spécialités. Au cours de la même période, au
XIXe et au début du
XXe siècle, l'expression « sciences morales » avait fait l'objet de nombreuses discussions (par exemple, dans la
Logique de Stuart
Mill, 1843). En France, depuis qu'elle s'y est imposée, l'expression « sciences humaines », interprétée de façon fortement psychologisante, a servi de compromis entre les sciences sociales (au sens restreint) et les sciences de l'homme (en un sens large, englobant les deux sortes de conditions, naturelles et culturelles, de l'activité humaine). Comme on l'a dit plus haut, elle correspond plus à une façon de parler qu'à une catégorie conceptuelle capable de nous orienter sans trop d'équivoque dans la classification des sciences. Cependant, deux tentatives ont été faites pour donner aux sciences humaines un statut épistémologique, soit en leur assignant une orientation distincte de celle des sciences sociales (Claude Lévi-Strauss), soit en leur proposant à titre de paradigme scientifique une image provisoire de l'homme (Michel Foucault). Ces tentatives se rattachent au mouvement structuraliste qui s'est développé précisément dans le contexte historique où fut publié le décret en 1958, au début de la V
e République (c'est en 1958 que fut publiée la première partie de l'
Anthropologie structurale).
Lévi-Strauss distingue trois groupes de disciplines ou trois facultés : la faculté des arts et des lettres, la faculté des sciences sociales, la faculté des sciences humaines. « En gros, écrit-il, la faculté des sciences sociales comprendrait l'ensemble des études juridiques telles qu'elles existent dans les facultés de droit ; s'y ajouteraient [...] les sciences économiques et politiques, et certaines branches de la sociologie et de la psychologie sociale. Du côté des sciences humaines se grouperaient la préhistoire, l'archéologie et l'histoire, l'anthropologie, la linguistique, la philosophie, la logique, la psychologie. » Une telle répartition permet de dégager « le seul principe concevable » au nom duquel on puisse distinguer clairement les sciences sociales des sciences humaines. « Sous le manteau » des premières, poursuit Lévi-Strauss, on trouve toutes les sciences « qui acceptent sans réticence de s'établir au cœur même de leur société, avec tout ce que cela implique de préparation des élèves à une activité professionnelle, et de considération des problèmes sous l'angle de l'intervention pratique. [...] En revanche, les sciences humaines sont celles qui se mettent en dehors de chaque société particulière, soit qu'elles s'efforcent d'adopter le point de vue d'une société quelconque ou d'un individu quelconque au sein d'une société, soit que, soucieuses de saisir une réalité immanente à l'homme, elles se placent en deçà de tout individu et de toute société. » Ainsi, entre les unes et les autres, la
relation, qui semble être d'opposition plutôt que de corrélation, est celle qui s'établit entre la démarche centripète et la démarche centrifuge. Les sciences sociales « consentent parfois à partir du dehors, mais afin de revenir au-dedans ». Les sciences humaines adoptent l'
attitude inverse. « Si parfois elles s'installent au-dedans de la société de l'observateur, c'est pour s'en éloigner dans un ensemble ayant une portée plus générale. »
PhotographieClaude Lévi-StraussL'anthropologue français Claude Lévi-Strauss (à droite), le 2 janvier 1975, lendemain de son élection à l'Académie française. À gauche, Jean Guéhenno. Crédits: Hulton Getty[/size]
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La classification ainsi proposée par Lévi-Strauss (
Anthropologie structurale, t. II, 1973) s'appuie sur des arguments pédagogiques et administratifs qui peuvent permettre d'officialiser des situations professionnelles. Mais, dans la mesure où elle se présente comme une classification des sciences, on ne saurait négliger les orientations qu'elle propose. Elle se fonde sur un critère de finalité sociale, qui oppose une attitude centripète ou ethnocentrique à une attitude centrifuge ou universaliste. Or, si le droit et l'économie sont des techniques utilitaires, « fonctionnalistes », sans généralité, peut-on les considérer comme des sciences ? Le critère finaliste semble ne pouvoir permettre de distinguer les niveaux de langage. La règle sociale, en effet, ou la norme juridique, qui a un domaine restreint de juridiction, est un objet d'étude pour le juriste et n'appartient donc pas au même niveau de langage que le raisonnement sur les règles ou la « proposition » juridique, comme l'a montré Kelsen dans sa
Théorie pure du droit (1934), dont la perspective épistémologique se veut universelle. De même, dire que l'économie est centripète, n'est-ce pas confondre les effets économiques de l'échange avec les intentions sociales de l'échange ? Les répercussions internationales de celui-ci ne se mesurent pas toujours aux intentions intéressées ou centripètes de chaque partenaire. De plus, pourquoi consacrer le partage entre la tradition écrite (les lettres) et la
tradition orale (l'ethnologie), ainsi que la dissociation au sein des sciences déductives (logique et mathématique) ? Le fait de rapprocher la logique de la psychologie et de la séparer des mathématiques nous ramène à une situation antérieure aux
Principia mathematica de Whitehead et Russell. La philosophie, pour sa part, se trouve rangée parmi les sciences humaines, ce qui réflète assez bien la
décadence intellectuelle qui a suivi en France la Seconde Guerre mondiale et qui a conduit la philosophie française à se replier sur la
dialectique spéculative du
romantisme allemand en s'isolant du mouvement de pensée international provoqué par les développements de la logique. La doctrine structuraliste conçoit le fonctionnement de l'esprit humain sur un modèle dit linguistique qui est emprunté à la phonologie et auquel ses adversaires ont reproché de ne pas rendre compte des problèmes de syntaxe. La doctrine structuraliste tendant à confondre classification différentielle et liaison syntaxique, il apparaît alors bien difficile de distinguer les conditions de vérité d'un énoncé et les conditions sociales de son acceptabilité, c'est-à-dire les attitudes centripètes ou centrifuges qui sont adoptées par rapport à cet énoncé.
Michel Foucault, de son côté, s'est proposé de montrer que l'apparition des sciences humaines a été rendue nécessaire par une certaine configuration du savoir, et que l'on peut prévoir leur fin prochaine : « Leur possibilité intrinsèque, écrit-il, le fait nu que pour la première fois depuis qu'il existe des êtres humains et qui vivent en société, l'homme, isolé ou en groupe, soit devenu objet de science – cela ne peut être traité comme un phénomène d'opinion : c'est un événement dans l'ordre du savoir.
« Et cet événement s'est lui-même produit dans une redistribution générale de l'
épistémè : lorsque, quittant l'espace de la représentation, les êtres vivants se sont logés dans la profondeur spécifique de la vie, les richesses dans la poussée progressive des formes de la production, les mots dans le devenir des langages. Il était bien nécessaire dans ces conditions que la connaissance de l'homme apparaisse en sa visée scientifique comme contemporaine et de même grain que la biologie, l'économie et la philologie, si bien qu'on a vu en elle, tout naturellement, un des progrès les plus décisifs faits dans l'histoire de la culture européenne, par la rationalité empirique » (
Les Mots et les Choses).
Quel est cet événement dont l'apparition est jugée « nécessaire » ? Foucault précise qu'il ne s'agit pas d'un phénomène d'opinion, mais il ne dit rien sur les méthodes et l'objet de ce qui mériterait ou non d'être appelé sciences humaines. On admet généralement que la « connaissance de l'homme » en son aspect pratique relève du
sens commun, c'est-à-dire des activités de délibération et de décision. En quoi la « visée scientifique » dont parle Foucault se distingue-t-elle d'un phénomène d'opinion ? Où situer l'événement dans l'histoire des sciences ? S'il s'agissait des sciences sociales, il faudrait, comme l'a montré
Paul Lazarsfeld dans sa
Philosophie des sciences sociales, en faire remonter l'origine à l'« arithmétique politique » du
XVIIe siècle (avec
Graunt, William Petty...) et au développement, sous diverses formes, du calcul des probabilités (dont l'origine se trouve chez Pascal et Bernoulli), donc à une époque où n'était pas encore constitué le trièdre de la biologie, de l'économie et de la linguistique, à moins qu'on ne considère qu'en un sens très large la trilogie de la vie, de l'
outil et du signe caractérise traditionnellement l'espèce humaine. Si, par sciences humaines, on entendait simplement l'étude de l'homme, il faudrait rappeler qu'un humaniste florentin, le chancelier Coluccio Salutati, créa les
studia humanitatis par
analogie avec les
studia divinitatis.
Aristote rattachait l'étude de l'âme à la physique, alors qu'il faisait des activités sociales l'objet de l'
éthique et de la politique. Nous pensons toujours à peu près de même lorsque nous faisons de la psychologie une science mixte, en partie naturelle, en partie sociale, et lorsque nous disons après le Stagirite que les problèmes de justice font appel à la mesure et au calcul. Pourquoi les sciences humaines auraient-elles été « nécessaires » en France plutôt que dans les pays anglo-saxons, où l'on parle plus modestement de sciences sociales ? Ne serait-ce pas qu'en France survit encore le rêve du
XIXe siècle, celui de Comte et de Marx, le vieux rêve d'une science globale de l'homme, héritière de la
théologie, et comprise comme l'avènement d'une synthèse par le savoir de la « totalité » : « On ne doit plus alors concevoir qu'une seule science, écrivait Auguste Comte, la science humaine ou plus exactement sociale dont notre existence constitue à la fois le principe et le but, et dans laquelle vient naturellement se fondre l'étude rationnelle du monde extérieur, au double titre d'élément nécessaire et de préambule fondamental »(
Discours sur l'esprit positif, I
re partie, chap.
II, paragr. 20). Depuis le
XIXe siècle, l'évolution intellectuelle s'est produite dans le sens inverse de celui qu'imaginaient Comte, Marx ou Spencer. Bien loin de désigner une synthèse totalisante où il est impossible de distinguer
jugement de réalité et jugement de valeur, le mot « science » est défini par deux caractères : l'explication des procédures de preuve et la délimitation d'un domaine, c'est-à-dire d'un ensemble d'items d'information qui sont reliés entre eux et en fonction desquels nous jugeons que telle sorte de donnée ou d'évidence est pertinente ou non par rapport à la question posée. Le mot « homme » a des significations beaucoup trop complexes et trop indéterminées pour constituer un domaine unitaire, un champ où des réponses précises pourraient être apportées à des questions précises, comme le sont, au contraire, les questions sur telle ou telle façon de vivre et de se comporter.
On conclura l'examen de ce problème de terminologie en adoptant les deux conventions suivantes : d'une part, l'expression « sciences humaines » ou « sciences de l'homme » est une désignation topique qui localise un thème général d'étude, celui de l'être humain vivant et pensant (
Homo sapiens), et qui le propose comme lieu commun de recherches (lieu à propos duquel on peut se poser toutes sortes de questions) ; d'autre part, chaque fois que nous voudrons parler de classification des sciences, nous distinguerons entre sciences naturelles et sciences sociales pour spécifier sous quel aspect formel ou méthodologique l'être humain nous est donné comme objet d'étude dans le cadre de son milieu biologique ou de son milieu institutionnel et culturel. Cette distinction entre le point de vue méthodologique de la classification des sciences et le point de vue topique ou thématique d'un lieu commun interdisciplinaire peut servir de fil conducteur dans l'emploi des mots.
L'esprit humain se manifeste dans ses œuvres. Les humanités littéraires qui étudient les
œuvres de l'esprit ont précédé historiquement la formation des sciences sociales, qui veulent être une étude plus directe des
activités humaines (par voie d'observation et d'hypothèse). Parmi ces dernières on peut citer : l'étude des populations (démographie) et du cadre de vie (géographie humaine) ; l'étude des comportements classifiables par des critères publics et des formes conventionnelles de rationalité pratique (sciences politiques, juridiques, économiques) ; la sociologie, qui se subdivise à mesure qu'elle précise ses champs de recherche ; l'anthropologie sociale ou
ethnologie, qui fait sur le terrain un travail comparable à celui de l'histoire sociale sur des documents écrits ou archéologiques ; enfin, la psychologie, comme étude des fondements biologiques de la culture. L'histoire et la linguistique participent à la fois des sciences sociales et des humanités. La principale question qu'il convient maintenant d'examiner est celle de savoir quels sont les rapports entre les humanités classiques, issues de la
Renaissance, et les sciences sociales, élaborées à partir du
XIXe siècle. Il n'y a pas de frontière nette entre les deux groupes de disciplines, qui réagissent aujourd'hui l'un sur l'autre. C'est surtout leur différence d'origine qui peut nous aider à comprendre leur différence d'orientation.
2. L'étude des humanités
Le latin
humanitas, lorsqu'il traduit le grec
païdeia, signifie « culture », « éducation », « civilisation ». L'
humanisme est issu d'une double tradition, hellénistique (ou gréco-latine) et judéo-chrétienne (hébraïque et grecque), l'humanisme a transformé l'idée même de tradition. La conception médiévale de celle-ci était d'ordre ecclésiastique ou juridico-théologique. En soumettant les auteurs sacrés aux mêmes méthodes d'exégèse que les auteurs profanes, l'humanisme a fait de la tradition des anciens « la culture » par excellence, celle qui a fondé l'unité spirituelle de l'Europe et l'a finalement ouverte à l'étude comparée de toutes les cultures. La transformation du
concept de tradition ecclésiastique en celui de tradition humaniste ou culturelle est solidaire du développement de la critique philologique et historique. On peut résumer cette évolution en posant quelques jalons.
Le
Moyen Âge vénérait dans les textes des « autorités » (
auctor,
auctoritas). Ces autorités étaient à la fois juridiques et théologiques. Les « lettres humaines » (
litterae humaniores) n'étaient pas seulement la
littérature mais plus fondamentalement la jurisprudence, qui traite de la
loi humaine par opposition à la loi divine des
litterae diviniores. Cette ancienne signification légale des « lettres » se trouve encore chez Cervantès (
Don Quichotte, I, chap.
XXXVII). Mais dès le
XIIe siècle, le
Sic et non d'Abélard avait posé le problème de la conciliation des autorités. Du même mouvement par lequel le juriste cherchait à concilier les autorités canoniques dans une
Concordia discordantium canonum (Gratien), le théologien recherchait l'harmonie des deux Testaments, la
Concordia scripturarum. L'exégèse médiévale s'appuyait sur une vision totalisante de l'histoire, unifiée par l'eschatologie, de même qu'aujourd'hui le messianisme révolutionnaire perpétue le dédoublement religieux du monde, fondement
sacré d'un légitimisme unique, militant et combattant.
La synthèse médiévale, celle qui demeure inscrite au portail royal de Chartres, s'est défaite pour de multiples raisons. La première expression intellectuelle de sa dissociation se trouve dans la
scolastique finissante, en particulier dans la conception ockamiste de la théologie comme science formellement déductible que, à la fin du
XVe siècle, Gabriel Biel, disciple de Guillaume d'Ockam, a clairement résumée : « La vérité catholique est vérité révélée par Dieu en elle-même ou dans son antécédent [...]. On dit « en elle-même » à cause des vérités du canon biblique qui, toutes, ont été expressément révélées [...]. On dit « dans son antécédent » à cause des vérités qui, à partir de celles contenues dans la
Bible, peuvent être inférées ou déduites en conséquence nécessaire » (
Commentarium in quartum librum sententiarum, éd. Brixiae, 1574). Cette théorie déductive de l'inférence ou de la « conclusion théologique » détruisait l'analogie harmonisante du grand poème médiéval. Substituant à la grâce enveloppante des allégories scripturaires la sécheresse de ses distinctions, elle inaugurait l'inventaire analytique des textes, désormais considérés comme lieux documentaires d'information aussi bien dans les
loci theologici de la Contre-Réforme que dans la
Scriptura sola de la Réforme.
Le passage de la conception médiévale des « autorités » et des
sacramenta (mysteria) scripturarum à la conception philologique du document, au sens historique et moderne du terme, s'est effectué par l'intermédiaire de l'humanisme. La philologie, qui est l'étude historique des textes au double point de vue grammatical et littéraire, a été l'instrument de cette transformation. Le commentaire « sententiel » des scolastiques a cédé la place au commentaire littéraire qui restitue au langage sa valeur expressive de sensibilité aussi bien que d'idées, et rend aux auteurs, sacrés ou profanes, leur individualité psychologique. Signe de cette évolution, en 1517, l'
université d'Oxford révisait ses statuts pour entrer dans la « voie des modernes » (
via modernorum).
Bien que
Montaigne s'intéressât déjà à toutes les formes d'humanités, la curiosité à l'égard des cultures lointaines (l'
Inde, la Chine, les « Hurons »...) ne pouvait qu'élargir lentement son horizon, car la reconnaissance de la relativité des croyances religieuses était le prix à payer pour rendre comparables toutes les traditions humaines. L'universalisme allait désenchanter le monde : « Ils s'aperçurent qu'ils étaient nus », humains, trop humains. Ce n'est en définitive qu'au
XIXe siècle que le mouvement
intellectuel issu de l'humanisme est parvenu à la pleine possession de ses moyens. Les humanités littéraires apparurent alors comme l'étude philologique et comparative des œuvres de l'esprit. « Sciences de l'esprit », dira Dilthey. En effet l'œuvre, en se détachant de l'organisme vivant qui l'a produite, et subsistant après lui, est l'expression pure de l'âme ou de la pensée. Or, simultanément s'est fait jour un autre type d'approche caractéristique des sciences sociales, essentiellement vouées à l'étude des comportements des hommes vivant en société. Si bien qu'en 1890, Ernest Renan, dans
L'Avenir de la science pouvait observer qu'au moment même où « les sciences philologiques et historiques » avaient atteint leur maturité, elles commençaient à « se démolir » au profit d'une nouvelle orientation de la recherche, celle, disait-il, « des sciences politiques et sociales ».[/size]
الأحد فبراير 14, 2016 12:05 pm من طرف فدوى