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Le fondement anthropologique de la pensée
Si l'on suppose une autonomie à la pensée, tout en considérant quelle est produite par l'homme, il faut en montrer la possibilité et désigner ce qui en l'homme la produit. A quelle anthropologie cela renvoie-t-il ?
JUIGNET Patrick. Le fondement anthropologique de la pensée. Philosophie, science et société. 2015 [en ligne] http://www.philosciences.com
- PLAN
- Le concept de mode d'organisation
- L’application à l'homme
- Les interactions entre modes-appareils
- Le débat sur l’autonomie cognitive
- Conclusion
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Le concept de mode d'organisation
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Brièvement, avant d'entrer dans le vif du sujet, voyons les concepts d’arrière plan sur lesquels le modèle que nous allons proposer est bâti. La rapidité d’exposition rendra malheureusement la chose obscure à ceux qui ne sont pas familiarisés avec cette conceptualisation. Nous conseillons de se référer aux articles de la rubrique
Complexité, organisation, émergence. La proposition qui sera faite est fondée sur les concepts d'organisation, d’émergence, de complexité. Dit plus précisément, cela signifie que ce qui fonde l’existence (l’être) c’est l’organisation elle-même. En termes philosophiques, nous dirons qu’il s'agit d'une ontologique pluraliste fondée sur l’organisation. En effet, nous remplaçons l’idée de substance par celle d’organisation, ce qui a pour effet heureux d’éviter les conséquences du substantialisme.
Nous distinguons, dans le monde, divers modes d’organisation et d'intégration, de complexité croissante et admettons que les composants des modes d’organisation supérieurs sont formés par l’association des constituants des niveaux inférieurs. Selon les connaissances scientifiques actuelles on peut grossièrement différencier trois régions relativement homogènes : physique, chimique, biologique. Le terme de « région » repris à Heisenberg n’est évidemment pas géographique ; il note un mode d’existence homogène dans le monde, pourvu d’une unité nomologique. Ce sont des parties du monde pourvues du même niveau d’organisation.
La relation entre niveaux peut être comprise grâce au concept d'émergence. Cela signifie que le mode d'organisation de degré de complexité supérieur naît de celui qui le précède immédiatement. Il y a, d'une part, une hiérarchie (les modes les plus simples étant nécessaires aux plus complexes) et, d'autre part, un ajout à chaque niveau (les modes supérieurs ayant des propriétés nouvelles et différentes). Le monde évoluant, ses modes d’organisation identifiables dépendent du temps et de l’espace. (Pour plus d’explications voir : Le concept d’émergence.
Cette conception du monde est applicable à l’homme, car l’homme est inclus dans le monde et ne constitue pas une entité à part. On peut l'appliquer à l'homme dans son ensemble et mais aussi aux appareils qui le constituent. Il est possible d'appliquer cette idée de mode d'organisation au système nerveux central, car il s'organise à son tour selon des degrés de complexité croissante.
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L’application à l'homme
Si nous considérons l'homme selon ses niveaux d'organisation de complexité croissante, et que l'on néglige le niveau physique et le niveau chimique qui ne nous intéressent pas ici, il reste le niveau biologique. L'individu humain peut être considéré selon les degrés de complexité de son organisation biologique. Même limité à ce niveau nous avons affaire à une infinité de systèmes et d'appareils qui demanderaient une encyclopédie pour être décrits. Nous allons donc simplifier en ne prenant en compte que ce qui est indispensable.
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Nous nous limiterons aux quatre qui nous intéressent ici. Ce sont les modes d'organisation biologique, neurologique, neurosignalétique et représentationnel. Chaque mode est dépendant et en interrelation avec les autres. Cependant chacun est différent et possède une certaine autonomie. Les modes d'organisations identifiables concernent des appareils identifiables au sein de l'individu et en particulier l'un d'entre eux qui est le système nerveux, dans sa partie la plus évoluée le cerveau. Nous allons voir qu'il est possible de présenter un modèle de l'homme qui permet de comprendre ce qui, en lui, génère la pensée.
Le système nerveux central comporte trois modes d'organisation : neurophysiologique, neuro-informationnel (le traitement du signal) et enfin cognitivo-représentationnel (processus cognitifs qui émerge du mode informationnel). Décrivons brièvement ces trois modes d'organisation. Le neurobiologique concerne l’activité des neurones et des cellules gliales, leurs modifications métaboliques, le neuro-informationnel concerne le traitement des signaux dans les réseaux neuronaux et enfin le cognitivo-représentationnel concerne les systèmes représentationnels et schèmes cognitifs qui émerge du mode informationnel.
Le mode cognitivo-représentationnel naît de l’organisation neurosignalétique, par un degré de complexification supplémentaire, permettant un saut qualitatif dans les propriétés. Ses composants se forment, au moment où les éléments codés du signal se mettent en relation par auto-organisation. Il se forge alors des éléments autonomes, possédant des qualités qui leur sont propres. L'ensemble de ces éléments constitue le niveau natif du niveau considéré, sa forme primitive la plus simple. Cette formation d’une nouvelle organisation autonome porteuse de qualités nouvelles est ce que l’on appelle une émergence. Le processus d’émergence produit un échappement quant à la détermination, qui prend une nouvelle tournure au sein du mode appareil considéré. La plasticité neuronale est en faveur de cet échappement, puisque l’on constate empiriquement que le support neuronal peut varier pour une même fonction effectuée au sein du mode-appareil cognitivo-représentationnel.
À partir de ces concepts, nous pouvons construire un modèle théorique de l'homme (une anthropologie). En tant qu'être biologique est constitué d'un ensemble biosomatique au sein duquel le système nerveux central constitue un appareil distinct qui présente une complexification qui va du neurobiologique vers le neurosignalétique et enfin vers cognitivo-représentationnel.
L'intérêt de cette conception est qu’elle ne suppose aucune coupure entre le neurobiologique, le neurosignalétique et le représentationnel. On peut supposer autant d'intermédiaires que nécessaire, en fonction des exigences de l’avancée des recherches. Il existe aussi, au sein de l'individu, des interactions qui concernent à la fois le passage d’un mode d’organisation à l’autre et des interactions entre l’appareil neurobiologique d'un côté et le reste du biosomatique. Les interactions se font entre entités contiguës et en cascade de proche en proche.
Cela nous amène à considérer un homme "continu" sans la traditionnelle coupure corps/esprit ou soma/psyché. Les niveaux considérés sont en continuité et en interaction les uns avec les autres. Il faut noter qu’en pratique, du point de vue de leurs manifestations factuelles, il est parfois possible, mais parfois impossible, de les départager.