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 À l'origine de la pensée

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سوسية
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18022016
مُساهمةÀ l'origine de la pensée

Cognition et représentation

Partie I
 
À l'origine de la pensée
 
D'où viennent la pensée, le langage, l'intelligence et, par extension, l'immense production culturelle de l'homme ? Nous allons faire une proposition concernant les capacités intellectuelles humaines en nous interrogeant sur la manière dont elles peuvent émerger.
 
JUIGNET Patrick. A l'origine de la pensée. Philosophie, science et société. 2015. [en ligne] http://www.philosciences.com 
 


PLAN DE L'ARTICLE


    • 1. Une pluralité d'approches 
    • 2. Un remaniement épistémique préalable
    • 3. L’hypothèse proposée
    • 4. La situation du niveau considéré
    • 5. Trouver un nom
    • 6. Conclusion





 

1. Une pluralité d'approches 

Il y a à la fois une polysémie langagière et un flou conceptuel concernant la catégorisation des faits à considérer dans le vaste domaine de l'intellect. Lorsqu’on veut caractériser un fait de ce type, on ne sait comment dire : est-il mental, spirituel, sémantique, sensé, représentatif, cognitif, psychologique, psychique, intellectuel, intelligent, raisonnable, symbolique, idéel, eidétique, propositionnel, phrastique, etc. ? 
Les diverses dénominations correspondent à des divisions universitaires telles que philosophie, psychologie, anthropologie, linguistique, ou des écoles de pensée telles que psychanalyse, cognitivisme, phénoménologie, philosophie de l'esprit, etc. Ces orientations ne s’accordent guère les unes avec les autres et divisent le champ concerné en domaines de recherche séparés. 
À ces divisions, s’ajoute l’opposition idéologique qui traverse et dépasse toutes ces disciplines, celle du matérialisme et du spiritualisme. Les matérialistes dénient à l’esprit une existence vraie et le réduisent à une détermination naturelle de type neurobiologique ; au mieux ils en font une superstructure  épiphénoménale de peu de poids. Les spiritualistes prétendent le rapporter à une substance spéciale et transcendante, qui est soit dominante dans le monde, soit juxtaposée à la matière (dualisme).
Nous allons faire une proposition permettant de considérer les choses autrement, mais d'abord voyons sur quels principes s'appuie cette proposition nouvelle. 

2. Un remaniement épistémique préalable

Pour comprendre l'hypothèse qui va être avancée, il faut connaître le socle épistémique sur lequel elle se fonde. Il est constitué par les concepts d'organisation, d’émergence, de complexité. Il s'agit d'une ontologie pluraliste explicitée par l’idée d'organisation. Dit plus précisément, cela signifie que ce le réel n’est pas uniforme mais présente divers champs ou niveaux identifiables et que ceux-ci peuvent être expliqués par des différences d’organisation. Ce qui revient à remplacer l’idée de substance par celle d’organisation.
Pour résumer, le réel n'est pas homogène et on peut distinguer dans le monde divers modes d’organisation/intégration, de complexité croissante. Selon les connaissances scientifiques actuelles on peut grossièrement différencier trois régions relativement homogènes  : physique, chimique, biologique. Aux différences ontologiques dans le réel correspondent des différences empiriques dans la réalité qui permettent de les identifier. 
La relation entre niveaux ou champs contigus peut être comprise sous le concept d'émergence. Il y a, d'une part, une hiérarchie (le mode les plus simple étant nécessaire au plus complexe) et, d'autre part, un ajout à chaque niveau (le mode supérieur ayant des propriétés différentes). On trouvera de plus amples explications dans les articles des rubriques Ontologie, métaphysique, réel et réalité et Complexité, organisation, émergence
Cette conception du monde est applicable à l’homme, car l’homme est inclus dans le monde et ne constitue pas une entité à part. Et plus précisément on peut l'appliquer au problème qui nous préoccupe l'origine de la pensée et faire l'hypothèse d'un niveau d'organisation/intégration qui permettrait l'apparition de capacités intellectuelles développées de l'être humain. Une explicitation de la spécificité cognitive humaine est alors possible, sans avoir à supposer de substance spirituelle ou d'idéalité transcendante. C’est dans cette optique que nous situerons notre propos.

3. L’hypothèse proposée 

Il faut d'abord rappeler cette évidence que la pensée, l'intelligence, l'imagination dépendent de l’homme, qu'elles sont produites, générées par les individus humains. Selon certains ce n'est pas le cas, elles existeraient ailleurs dans un espace idéal. Nous récusons l'hypothèse idéaliste et pour notre raisonnement nous admettons  que la pensée est générée par les êtres humains que nous sommes. Cela étant, il est nécessaire de désigner ce qui, chez chaque individu, le permet. L'homme ne pense pas avec ses pieds, mais l'affirmation banale selon laquelle il ne penserait avec sa tête, ou plus précisément avec son cerveau est insuffisante.
Le système nerveux central de l'homme est organisé selon des degrés ou de complexité croissants. Nous proposons de considérer trois degrés de complexité : le degré ou mode anatomophysiologique, le degré ou mode du traitement de l'information (neurosignalétique), qui est encore mal connu. Mais est suffisant ? Probablement pas et nous verrons pourquoi. Nous faisons donc une hypothèse supplémentaire et nouvelle en proposant de considérer un degré d’organisation supplémentaire qui constituerait un troisième mode d'organisation plus sophistiqué.
Nous supposons que depuis l’organisation neurosignalétique, par un degré de complexification supplémentaire, peut émerger un troisième mode d'organisation permettant un saut qualitatif dans les propriétés. Ses composants se forment, au moment où les éléments codés du signal neurobiologique se mettent en relation par auto-organisation. Il se forge alors des éléments autonomes, possédant des qualités qui leur sont propres. L'ensemble de ces éléments constitue le niveau natif (le plus élémentaire) du niveau considéré, sa forme primitive la plus simple. Nous le nommons psychologique et plus précisément cognitivo-représentationnel, car il a trait à la cognition et la représentation
Cette formation autonome porteuse de différence est ce que l’on appelle émergence, ce qui signifie qu'il y a à la fois une filiation et une différenciation avec le niveau précédent. Par auto-organisation le niveau les éléments psychologique se forment puis, la composition à des degrés supérieurs de complexité se poursuit à partir du premier niveau, formant par réorganisations successives, les diverses strates et systèmes cognitivo-représentationnels. L’ensemble n’est pas uniforme mais possède une unité, au sens où tous ses élément interagissent entre eux et obéissent au même type de détermination. 
Selon notre hypothèse, la pensée, le langage, l'intelligence, sont produites par un niveau ou mode d’organisation autonome formé par la complexification du niveau neurobiologique. Ce mode nous le nommons le niveau psychologique ou cognitivo-représentationnel. Il est appelé niveau symbolique par certains.

4. La situation du niveau considéré

Notre hypothèse centrale est que le mode organisationnel constitué par la complexification du niveau neurobiologique-neurosignalétique permet un saut qualitatif dans les propriétés. La nouvelle organisation apparaît au moment où les éléments neurobiologiques se mettent en relation, de telle sorte que cette relation constitue une entité autonome possédant des qualités qui lui sont propres et qui entre en relation avec d'autres entités du même type.
Passé le premier moment constitutif (natif) il se forment diverses strates et systèmes que seule la recherche permettra de théoriser. Sur le plan empirique, le cognitivisme, la psychanalyse, l'épistémologie génétique, ont déjà proposé des modèles. Ils sont certes peu compatibles, mais précisément notre proposition devrait permettre de les homogénéiser. Au vu de son ampleur, il est certain que ce champ n’est pas uniforme et comporte de nombreux types de systèmes indépendants.
Deux voies de recherche sont possibles :
- Celle qui, partant des faits empiriquement constatés, les décrirait puis les théoriserait. Dans cette perspective, il faut se servir des connaissances ayant trait à l’homme et déjà existantes : la psychanalyse, le cognitivisme, la psychologie cognitive, la linguistique, l’anthropologie culturelle. Nous verrons, dans un autre article, comment elles apportent chacune à leur manière une contribution à la connaissance du représentationnel.
- La seconde voie est celle qui, partant du champ neurobiologique, chercherait à définir l’émergence organisationnelle qui s’opère à partir de lui. Elle a été amorcée par la mouvance cognitiviste et attend de nouveaux développements qui viendront avec l'avancée des neurosciences dans le cadre de la théorie de l'information.  
La jonction entre la théorie neurosignalétique et les théories psychologiques est l’horizon lointain de ces recherches. Très lointain, car nous verrons que les connaissances contemporaines, contrairement à ce qu’un certain triomphalisme laisserait croire, sont très peu avancées.
À un certain moment de son évolution (évolution ontogénétique individuelle et évolution phylogénétique collective), apparaissent des capacités spécifiques chez l’homme. Elles correspondent à l’émergence du niveau de complexité psychologique, considéré comme un niveau ou mode d’organisation de degré supérieur à l’organisation neurobiologique et plus particulièrement neurosignalétique. Les capacités humaines de pensée, d’intelligence, de culture, sont les produits d'un mode d’organisation autonome.
Enfin, il est bien évident à nos yeux que les deux niveaux d'organisation, psychologique et neurobiologique-neurosignalétique, forment des régions contiguës qui sont en interaction et qui influent réciproquement l'une sur l'autre de manière constante.

5. Trouver un nom

Nous avons utilisé le terme de congitivo-représentationnel pour qualifier le niveau d’organisation nécessaire à expliquer la pensée et les conduites finalisées humaines. C’est d’abord un choix négatif que nous avons fait. Il est exclu d’utiliser des termes à connotation métaphysique tel que l’esprit ou l’âme, ce qui est contraire à notre orientation épistémique. Nous y reviendrons à diverses reprise.
Le terme cognitif désigne ce qui a trait à la connaissance. Il conviendrait donc bien, car les processus du niveau considéré produisent, ou utilisent, des connaissances. Toutefois cette appellation présente des inconvénients. Elle est restrictive, car elle élimine généralement l'imagination, le délire, les rêves, etc. Ce dont nous parlons produit autant de méconnaissance et d’illusion que de connaissances. Ce terme est utilisé pour qualifier la psychologie dite cognitive, qui ne considère généralement que les aspects rationnels de l’intelligence. Or, les raisonnements irrationnels et l’imagination font partie intégrante de ce qui est à prendre en compte. Autre inconvénient, cognitif renvoie de nos jours à la doctrine cognitiviste, qui comporte un courant réductionniste (computationniste) avec lequel nous somme en désaccord. Le terme de cognitif ne conviendrait que très partiellement.
Le terme « représentation » présente lui aussi l'inconvénient d'une polysémie importante. Représenter consiste à rendre présent tout en remplaçant, ce qu’exprime assez bien la forme du mot en français représenter (du latin repraesentare, rendre présent ou le terme allemand de Vortellung (placé devant). En français le préfixe « re » insiste sur le redoublement, le renvoi sémiotique. Sur le plan de la connaissance scientifique, par représentation, on entend généralement forger une image adéquate du monde. Cela va de l’aedequatio rei et intellectudes scolastiques à la Bild Theorie de Wittgenstein. Ce n’est pas dans ce sens que nous employons le terme. La conception de la représentation comme redoublement du monde devant le sujet, ou devant son esprit, ou dans son esprit, nous est étrangère. Ce dont nous voulons parler concerne l’émergence, la formation autonome d’éléments constitutifs d’un niveau d’organisation. À partir du XVIIIe siècle, le terme représentation a été repris par la psychologie associationniste.
Pour Kant, dans la Critique de la raison pratique,représentation est un terme générique qui englobe la sensation, la perception, le concept et l’idée pure. Les représentions sont accompagnées de conscience et sont susceptibles de se former avec ou sans le support de l’expérience sensible. Le mot est remanié au XIXe siècle par les courants d'inspiration matérialiste. On peut citer des auteurs aussi différents que Condillac, Cabanis, Griesinger. Dans cette lignée, au XXe siècle, Freud a largement utilisé la notion de la manière heuristique que nous avons vu au chapitre cinq. Chez nos contemporains, le mot a été repris par une partie du courant cognitiviste, quoiqu’une autre en récuse l’emploi.
Dans la mesure où, tout en apportant des critiques, nous nous inscrivons dans la continuité de ces courants de pensée, le terme paraît incontournable. Nous préciserons que ce dont nous parlons concerne les processus par lesquels de la représentation est possible pour l'homme. Et ce n’est jamais un élément simple comme le veulent ces diverses doctrines, mais toujours un complexe qui est une création, formés par émergence et par association de divers systèmes. D’autre part, il ne s’agit pas des pensées ou images empiriquement perceptibles mais de ce qui les fonde et les produit. Au total le terme de représentation pourrait être utilisé pour désigner ce dont nous voulons parler, à condition de bien préciser que nous entendons par là uniquement les processus constituants du niveau d’organisation considéré. Pour noter cela nous utiliserons de préférence un néologisme dérivé de représentation, le terme « représentationnel », pour qualifier le niveau concerné en tant qu’il est producteur de représentations.
Le mouvement de psychologisation qui s'est produit à partir du du XIXe siècle a permis une sortie progressive de la métaphysique de l'esprit. Le terme de niveau « psychologique » conviendrait puisque notre démarche aboutit à donner une assise ontologique au champ empirique qui s'est individualisé progressivement grâce à la psychologie. Parler de niveau psychologique conviendrait donc bien. Cependant il existe des courants psychologiques qui font profession d'en nier l'existence (psychologie expérimentale, behaviorisme, neuropsychologie, psychologie cognitive réductionniste). Du coup l’appellation est contestable. Par ailleurs la psychologie s'étend largement au-delà de l'étude de cet aspect. Au point ou l'on en est de l'évolution de cette discipline, il est probable qu'elle trouverait son centre de gravité en s'appuyant sur ce niveau d'organisation. Nous serions tenté d'affirmer que la dimension psychologique de l'homme se fonde sur ce niveau d'organisation qui lui est propre. Autrement dit ce niveau de complexité constitue le fondement ontologique de la psychologie comme discipline empirique. Il lui donne un assise ontologique même s'il n'en trace pas le contour puisque les domaines applications sont divers.
Au total on voit combien notre champ sémantique est miné. Tous les termes utilisables sont polysémiques et renvoient ipso facto à des conceptions sous-jacentes contradictoires. Si l'on n’y prend garde, leur emploi entraînera la pensée vers des développements inopportuns. Pour bien faire, il faudrait utiliser un nom spécifique et suffisamment précis pour éviter les interprétations abusives. Comme le niveau d’organisation qui nous intéresse est à l'origine des capacités de cognition, d'actions, de représentation, de pensée et de communication et qu'il est infiniment plus développé chez l'homme que chez aucun animal, on pourrait le nommer niveau supportant spécifiquement les capacités cognitives, conatives, représentationnelles, symboliques et langagières, que pour simplifier nous nommerons niveau cognitivo-représentationnel.

6. Une définition pour conclure

De prime abord, on peut, sans trop de difficulté, se mettre d’accord sur le fait que la pensée, les aspects cognitifs et symboliques présents dans notre culture et notre vie quotidienne ne sont pas des idées flottant dans le ciel de idéalités, mais sont produits par les êtres humains. Par contre, il est plus difficile de concevoir avec précision en l'homme peut le produire. Pour cela, nous proposons une entité nouvelle. Il s’agit d’un mode d’organisation de complexité élevée qui se structure en un appareil fonctionnel. Il émerge chez l'homme à partir d'un certain degré de maturation. 
Nous désignons ainsi un niveau qui rentre dans ce que de manière générale on nomme "psychologique" et que nous qualifions de "cognitivo-représentationnel" eu égard à ses effets. Il se définit comme l'ensemble des éléments, structure et processus permettant de générer les conduites cognitives et représentationnelles de l'homme. Il est constitué par un mode spécifique d'organisation émergeant du mode neurofonctionnel. Ce niveau produit la pensée, l'intelligence conceptuelle, les innombrables formes d'expressions culturelles et les conduites intelligentes et finalisées au travers desquelles l’homme vit, voit le monde, l’élucide ou le déforme, le connaît et le méconnaît et, enfin, le transforme. 
En termes épistémologiques, on dira que notre position n’est pas instrumentaliste, mais réaliste. Nous désignons une partie de l’être de l’homme. Elle pourrait être qualifiée d'anti-réductionniste car elle avance que les capacités cognitives de l’homme ne peuvent être expliquées seulement par l’appareil neurobiologique et demandent un niveau de complexité supérieure.
 Comment étudier ce domaine ? C'est ce que nous allons voir dans les articles suivants.
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