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 L'ancrage anthropologique de la psychanalyse

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19022016
مُساهمةL'ancrage anthropologique de la psychanalyse

[size=32]'ancrage anthropologique de la psychanalyse[/size]
Patrick Juignet, Psychisme, 2013.


Le cadre et les techniques mis en place dans la psychanalyse et la psychiatrie dynamique viennent de la connaissance du fonctionnement psychique mais témoignent aussi d'un ancrage dans ce qui fait la spécificité humaine. Celle-ci se forge par la jonction, dans le psychisme, entre le bio-pulsionnel et le cognitivo-représentationnel (qui porte l'ordre symbolique considéré comme fondamentalement structurant pour l'homme). 


PLAN







1/ Les quatre principes

Le cadre psychanalytique découle de quatre principes : l'intérêt et le sérieux porté à chacun individuellement, la mise en place d'un espace libéré des conflits d'intérêts, une protection vis-à-vis des contraintes sociales, l'inscription dans ce qui fonde culturellement l'humanité (l'ordre symbolique). Nous avons vu ailleurs (article Les psychothérapies dynamiques ) que le cadre donne les conditions pratiques permettant une mobilisation du psychisme en toute sécurité. Il instaure également la dimension humaine dont nous voulons parler ici. 

L'intérêt et le sérieux porté à chacun, individuellement

L’engagement du praticien est important. Il porte une attention soutenue à la personne pendant un temps long (plusieurs années) et il va mémoriser, la concernant, tout ce qu'il est en capacité de retenir. Cette attention porte sur la personne indépendamment du contexte social. Elle donne au patient une place assurée permettant qu'une relation privilégiée s'installe.

Le praticien utilise une connaissance générale sur le fonctionnement psychique humain mais il le met toujours au service d’un cas particulier. Le patient est le détenteur de son histoire.

De plus, ceci ne se fait pas par hasard. L'intention qui préside, est de promouvoir la singularité et l’individu sur les autres enjeux. La pratique psychanalytique n’est pas un traitement de masse, elle se réfère à l'individu singulier et s'appuie sur l'identité et sur la conscience d'exister que chaque personne humaine a d'elle même.

Le déroulement dans un espace libre de conflits d'intérêts

Un des principes fondamentaux est de créer un espace libéré des conflits d'intérêts. C'est  ce que permet la  neutralité et l'abstinence.
La neutralité implique l'absence d'intervention directe dans la vie du patient de la part du psychanalyste. Elle impose une attitude réservée de la part de l'analyste, de façon à ne pas être pris dans le fonctionnement psychique du patient. Pour que la neutralité soit possible, il ne doit pas y avoir de lien de parenté, ou professionnel, ou de relation hors séance, entre le thérapeute et son patient.
La règle d'abstinence est essentielle pour cette neutralité car, dans le cas inverse, immédiatement un intérêt et un enjeu viendraient ruiner l'entreprise, grevée par l'enjeu d'une satisfaction pulsionnelle. L’interdit canalise les poussées pulsionnelles et permet leur élaboration et leur transformation en maintenant le rôle structurant de la loi.

L'instauration d'un lieu protégé des contraintes sociales

Le travail thérapeutique est indifférent aux normes sociales et, souvent, il est même en rupture avec les conventions sociales. Le cadre a pour rôle d’abriter des pressions sociales. En effet, les normes sociales sont rarement favorables à un fonctionnement psychique harmonieux, (selon les époques et les cultures, elles peuvent être excessivement rigides, répressives ou mettre en avant des valeurs délétères comme de nos jours l'avidité, l'agitation désordonnée, le brouillage des repères). Le praticien doit rester étranger à ce que demande l'idéologie du moment.
La confidentialité est indispensable pour permettre une libre expression. Le secret organise la relation en mettant à l’abri et il permet de se situer dans un espace différent du champ social habituel. Il doit donc être absolu. 
Comme le traitement ne peut être totalement hors champ du social un contrat de départvient réguler la durée, les horaires et le paiement. Le patient ne doit pas être redevable, mais ne doit pas se sentir exploité, et l'analyste non plus. La question du paiement doit donc être traitée avec beaucoup de prudence en respectant ces visées contradictoires et en respectant les règles en vigueur.

L'inscription dans le fondement culturel de l'humain

La démarche s’inscrit dans le respect de la Loi constitutive, (voir l'article correspondant)considérée comme ordonnancement humain fondamental (différent des lois normatives). La Loi structure le psychisme d’une manière qui est essentielle et cela doit absolument être préservé dans la pratique. L’interdit canalise les poussées pulsionnelles et permet leur élaboration et leur transformation en maintenant le rôle structurant de la loi. La règle d'abstinence symbolise en permanence cette Loi.
La reconstitution de l'histoire individuelle quasi systématique, fait aussi entrer dans l'ordre symbolique et culturel. Elle permet de trouver une place au sein du monde humain, de donner un sens à sa vie et de mieux prendre conscience de son existence. Le cadre analytique encourage ce dernier aspect en identifiant fortement l'individu et en lui donnant l'occasion d'exister et de penser, en dehors des considérations utilitaires. Dans la psychanalyse le sujet entre dans un mythe individuel stabilisateur. 

Ces quatre principes produisent un climat et un type de relation très particulier qui différencie les pratiques d'orientation psychanalytique de celles qui ne le sont pas. Profondément, ce dispositif répond à une conception de ce qui est constitutif de l'humanité.

2/ Un noyau anthropologique

L'homme a des capacités intellectuelles qui lui donne des caractéristiques propres, ce que nous nommerons le noyau anthropologique. C'est ce que nous dit l'anthropologie culturelle. De quoi est fait ce noyau ? Nous le résumerons à trois aspects, un ordonnancement fondamental, la dimension du sacré, la pensée et la spiritualité. 

Un ordonnancement fondamental.

L’intuition fondamentale de Claude Lévi-Strauss sur la capacité symbolique, concerne une fonction structurante commune à l’humanité, qu’il serait possible de retrouver dans la plupart des productions humaines. Dit autrement, les formes de parenté, les mythes, les coutumes, portent la marque d’une capacité d’ordonnancement propre à l’homme. Nous traduisons cela en disant qu’il existe un système d'ordonnancement s’appliquant dans la vie humaine. Il produit des effets au quotidien qui sont fondateurs de la culture puisqu’ils organisent les règles de conduite et l’organisation socioculturelle. 
Ces règles de base fondatrices forment la loi constitutive (pas seulement normative). Cette Loi se traduit dans toutes les civilisations par les deux grands interdits celui de l'inceste et du meurtre. Elle n'est pas seulement organisatrice de la société, mais aussi de la structuration psychique. Les pulsions d'origine biologique sont structurées par la loi, et le psychisme est le lieu de cette synthèse. Dans la pratique la règle d'abstinence reproduit la loi fondamentale de l'humain qui est considérée comme essentielle pour la structuration psychique. 

La pensée, le spirituel et le sacré

Si l'on évite la métaphysique et que l'on s'en tient à l'aspect pratique, ce qui est nommé dans beaucoup de traditions (orientales ou occidentales), "spirituel" ou "spiritualité" ou "méditation", est une pensée qui n'est pas tournée vers le pratique ou l'utilitaire, mais vers les problèmes généraux de l'existence tels que la vie, la mort, le monde, son origine, sa finalité,  etc... Cette pensée pure, peut être rationnelle ou pas, philosophique ou métaphysique, théologique et religieuse. Ce qui est caractéristique est qu'elle peut s'exercer pour elle même et avoir une certaine autonomie.

Cette pensée libre sert à constituer des mythes. Toutes les cultures offrent de grand mythes qui donnent une identité et une place à l'individu en situant sa naissance, sa parenté, sa place dans le monde, donne sens à la vie et à la mort. Globalement les mythes permettent de situer l'homme dans le monde. Individuellement  c'est l'occasion pour chacuen de philosopher, de penser la finalité de sa vie. 

Dans la plupart des cultures, on admet que ces aspects sont importants, au dessus des contingences ordinaires et on leur accorde du respect. Ils sont considérés comme sacrés. En règle générale, le sacré est mis à part et protégé du monde profane. C'est la fonction des temples ou des lieux sanctifiés (sanctuaire). Ils offrent une protection qui met hors des conflits d'intérêts et des enjeux de pouvoir omniprésents dans le social. L'accès au sanctuaire impose un coté cérémonieux que l'on retrouve dans les rituels.

Individualité et humanité

Enfin, la part accordée à l'individualité est variable selon les cultures. C'est une des caractéristiques de notre culture occidentale que d'avoir fortement poussé vers l'individualisation et l'existence autonome de chacun. 

La médecine occidentale reprend à son compte les principes de l'autonomie de l'individu et du respect que l'on doit à chacun. On retrouve par exemple affirmée la primauté de l'individu sur la société par l'Ordre des médecins : "L'individu passe, en France, avant la collectivité". Cette primauté de l'être humain par rapport à la société est réaffirmée dans la convention sur les droits de l'homme et la biomédecine en ces termes : "l’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science" (art 2). 

Ainsi que le propose l'Association Médicale Mondiale, depuis 1948 dans le serment de Genève, le médecin est "au service de l'humanité". Ce qui suppose une idée de l'humanité. 

L'origine de ce noyau

Selon nous, ce noyau anthropologique se forme grâce au niveau de complexité cognitivo-représentationnel présent en l'homme. Ce niveau de complexification supérieur au neurobiologique permet le raisonnement et la pensée. C'est lui qui constitue la spécificité humaine, le noyau anthropologique  qui a donc son origine en l'homme lui-même et ne vient de nulle part ailleurs (sur ce sujet voir : Le mode d'organisation cognitivo-représentationnel). Le niveau cognitvo-représentationnel forge les schèmes conceptuels qui dépassent les déterminations immédiates et naturelles, ce qui fait de l'homme autre chose qu'un effet du déterminisme biologique. Ses capacités intellectuelles développées permettent à l'homme de respecter des lois, d'ordonner sa vie, d'avoir un sentiment de son existence et la possibilité de sortie de la nécessité quotidienne.

3/ L'enjeu idéologique

Du côté réductionniste

Il existe depuis longtemps une volonté de naturalisation et de biologisation de l'homme qui nie ce noyau anthropologique et vise à faire de l'homme un animal technique, une biomachine perfectionnée. De nos jours se développe une tentative d’assimilation du cerveau à un ordinateur qui s’inscrit dans ce vaste courant idéologique matérialiste et réductionniste. Le matérialisme dur amène à penser qu’il est inutile de supposer un niveau de complexité cognitif propre à l’homme qui dépasserait le niveau neurobiologique.
La conséquence est une négation de l’autonomie de la pensée. La pensée n’a pas de domaine propre où elle existerait pour et par elle-même. Elle est hétéronome, c'est-à-dire qu'elle est déterminée par autre chose qu’elle-même (par le fonctionnement du cerveau-machine).
L’assimilation de l’homme à une biomachine a des conséquences morales et sociales. Si l’homme est une machine, fut-elle informatique, on peut en disposer comme on veut. Les machines étant des choses déterminées, il n’y a pas de droit des machines. Sur le plan thérapeutique, il n'y a pas lieu de s'appuyer sur le cognitivo-représentationnel puisqu'il est un épiphénomène dépendant du soubassement neurobiologique. Il n'y pas lieu de porter son attention sur l'individu singulier, mais de soigner des symptômes selon des protocoles statistiquement validés.

Du côté spiritualiste

De l'autre côté, spiritualiste, ce noyau anthropologique est critiqué par les idéalistes et les religieux veulent le placer hors de l'homme. Il serait de nature transcendante, le reflet en l'homme de sphères idéales ou de Dieu. On retrouve, par un raisonnement inversé, l'homme chosifié des matérialistes sous forme d'un corps (le corps machine de Descartes), qui ne doit pas son humanité à lui-même, mais à un ailleurs transcendant (son âme) ou à la bonne volonté de Dieu. Évidemment la psychanalyse n'a jamais cautionné et même s'oppose à une telle interprétation. 

Cet aspect spirituel désincarné est quasiment tout le temps associé à la religion et à un dogme composé d'un corpus mythique et de normes de conduite. A nouveau le bas blesse, car la psychanalyse tout en s'appuyant sur le noyau anthropologique, admet que l'homme est un être biologique et pulsionnel, ce qui disconvient, en général, à la pensée religieuse. Les pires, les intégristes, étant ceux qui placent le sacré dans un au-delà absolu, pour mieux imposer leur domination ici-bas.

La querelle maintenant séculaire

En arrière-plan de ce qui fait la spécificité du cadre analytique, se tiennent des conceptions philosophiques et idéologiques très puissantes. Les principes de la pratique psychanalytique, dont l'ambition est limitée, puisqu'il s'agit de donner le cadre général d'une pratique thérapeutique, sont l'objet d'une âpre controverse, car ils entrent en conflit avec des idéologies, d'ailleurs opposées, qui lui sont hostiles. 

4/ Conclusion

La sécificité de l'inspiration psychanalytique vient de l'intérêt porté à chacun et du respect de ce qui est considéré comme un noyau anthropologique fondamental. Il vient de l'interaction entre le bio-pulsionnel et le cognitivo-représentationnel (porteur de l'ordre symbolique). L'existence de cet ordre n'est pas une idée spéciale à la psychanalyse, elle vient de l'anthropologie structurale. La psychanalsye se contente de le reconnaître et d'en tenir compte.
Le cadre protège le patient et le praticien en les mettant hors du champ social ordinaire et de ses enjeux, pour le placer dans le champ de l'humain. On y retrouve la dimension du sacré, quoique sans référence à Dieu ni à aucune religion, mais seulement au respect du à ce qui fonde l'humanité en l'homme. Cette attitude est en accord avec les principes moraux de la médecine en Europe.
En examinant les principes qui guident cet ancrage humain, on passe d'aspects relativement techniques et restreints, à une conception anthropologique, puis à des enjeux idéologiques et philosophiques.
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