سمية مرحبا بك
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الموقع : سرير الحبيب تاريخ التسجيل : 09/04/2010 وســــــــــام النشــــــــــــــاط : 2
| | Objectivité des modèles ? | |
Plutôt que de reprocher aux sciences humaines un usage analogique des modèles de légitimation de ce qui serait l’objectivité scientifique 1 de la nature, il faudrait situer la subjectivité contemporaine des sciences de la nature et de la vie. La relativité, qui a pu mener au relativisme, aura introduit les sciences dans l’historicité et dans la falsifiabilité plutôt que dans la vérité éternelle. 2Nous nous proposons ici de dégager les différents arguments de la thèse de la subjectivité des sciences. Objectivité des modèles ? 3 Plutôt que de valider la loi scientifique par une universalité trop étendue, il convient de s’interroger sur le problème de l’objectivité en science. La reproduction objective de l’expérience valide la loi mais pas nécessairement la théorie. La théorie est un ensemble de lois, agencée pour proposer un système universel d’explication des phénomènes. L’invalidation d’une loi ne peut avoir lieu que si un phénomène imprévu est observé ; la fonction de cet inconnu est essentielle car la réalité vient infirmer les résultats attendus de l’expérience, obligeant ainsi à une reformulation de l’hypothèse initiale. L’évolution des techniques d’observation et des dispositifs expérimentaux renouvelle sans cesse la question de la validité de la loi en la relativisant. La loi est une universalité provisoire : selon G. Bachelard (1884-1962), une loi scientifique est vérifiable à un moment donné de l’histoire des sciences, mais sa vérité est rendue provisoire 2. Le progrès de l’esprit humain interdit toute permanence d’une théorie scientifique. Car la représentation de la nature se modifie au gré des expériences nouvelles. Ce caractère provisoire ne remet pas en cause l’utilité épistémologique de la loi. Mais, en allant de vérité provisoire en vérité provisoire, les sciences recherchent la vérité absolue ; or toute découverte scientifique croit avoir atteint la vérité définitive sans jamais pouvoir l’atteindre : comme le rappelle l’historien de la physique Dominique Pestre, il faut comprendre, par exemple, pourquoi l’optique de Newton s’est imposée chez les savants du xviiie siècle indépendamment de ce que nous savons maintenant. Aussi l’analyse historique doit être effectuée à partir du rapport étroit entre le contenu scientifique et son contexte de validation. Les vérités scientifiques sont relatives, mais la notion de vérité conserve un sens ; ce sens, historiquement situé, se mesure par la comparaison avec la signification nouvelle : autrement dit la relativité n’est pas le relativisme. La vérité ne disparaît jamais car elle demeure le but poursuivi.
- 2 . Gaston Bachelard, « L’épistémologie non-cartésienne », Le Nouvel esprit scientifique [1934], Paris(...)
- 3 . Henri Poincaré, Les Hypothèses en physique. La science et l’hypothèse [1902], Paris, Champs Flamma(...)
4 Comme toute production scientifique, les théories sont perfectibles. Une théorie reste une représentation de la réalité. Elle ne rend donc pas compte de l’intégralité de la réalité. Comme représentation, la théorie n’exprime pas seulement le point de vue d’un scientifique ou l’état des sciences de son époque : la théorie est en elle-même une représentation phénoménale de la réalité ; cette élaboration indirecte doit éviter toute simplification face à la complexité de la réalité. Ainsi Henri Poincaré (1854-1912) développe, dans La Science et l’Hypothèse (1902), une réflexion sur la réalité décrite par la théorie en sciences. Au chapitre IX « Les hypothèses en physique », H. Poincaré affirme d’abord que la généralisation d’une loi physique repose sur la croyance à l’unité et à la simplicité de la nature. Les différentes parties de l’univers sont comprises par lui comme autant d’organes d’un même corps. « Nous n’avons donc pas à nous demander si la nature est une, mais comment elle est une » 3. L’unité de la science doit donc être la conséquence de l’unité de la nature. Le rôle de l’hypothèse est méthodologique, elle doit limiter la généralisation au cadre de la vérification expérimentale. Comme l’indique H. Poincaré, « on s’est rapproché de la réalité ». Aussi, ceux qui « prévoient que les théories aujourd’hui à la mode devront succomber à leur tour à bref délai et [ils] en concluent qu’elles sont absolument vaines », se trompent quant à la signification des théories de la physique moderne. Il faut éviter d’éliminer ou de réduire à une seule théorie les phénomènes physiques, afin d’utiliser les contradictions entre les théories pour tenir fermement les deux bouts d’une chaîne dont certains maillons restent encore cachés. Poincaré croit à l’unité des phénomènes physiques même s’il estime qu’on ne peut parvenir à formuler une théorie unifiée des sciences.
- 4 . Pierre Duhem, « La théorie physique et l’expérience », La Théorie physique. Son objet. Sa structur(...)
5 Dans La Théorie physique. Son objet. Sa structure (1906), P. Duhem (1861-1916) va jusqu’à critiquer le contrôle expérimental des hypothèses : ainsi « Le physicien ne peut jamais soumettre au contrôle de l’expérience une hypothèse isolée, mais seulement tout un ensemble d’hypothèses », ou encore « Chercher à séparer chacune des hypothèses de la physique théorique des autres suppositions sur lesquelles repose cette science, afin de la soumettre isolément au contrôle de l’observation, c’est poursuivre une chimère… Le seul contrôle expérimental de la théorie physique qui ne soit pas illogique consiste à comparer le système entier de la théorie physique à tout l’ensemble des lois expérimentales » 4. Cette thèse holiste précise la nature du rapport entre la théorie et l’expérience. La structure de la théorie doit comporter quatre opérations : la définition des grandeurs, la formulation des principes, le développement mathématique et le contrôle expérimental. La critique de la méthode inductive est un des corollaires de la thèse holiste : la nature de la confirmation expérimentale est le point essentiel de la conception de la théorie physique de P. Duhem. L’objet et la structure de la théorie physique se déterminent mutuellement. Le défaut de l’induction est de ne pas tenir compte de l’écart entre les lois de Kepler (1571-1630), par exemple, et la loi de Newton (1642-1727). L’induction instaure une continuité là où il y a une rupture épistémologique. Si bien que la comparaison entre la théorie et l’expérience devra se faire à partir de l’expérimentation. Mais celle-ci porte sur l’ensemble de la théorie et ne peut consister dans la mise au point d’une expérience cruciale qui viendrait infirmer une hypothèse particulière de la théorie. 6Cependant l’holisme partage le rêve d’une théorie unifiée telle qu’elle fût élaborée par le cercle de Vienne, comme l’ont montré Antonia Soulez et Pierre Jacob. Son projet est de réduire toute la réalité en une seule science. Pour Moritz Schlick (1882-1936) et Rudolf Carnap (1891-1970), la physique devait constituer la science universelle, tandis que Herbert Feigl (1902-1988) anticipe sur le succès des neurosciences en préférant la psychophysiologie à la physique. Or il n’y a pas d’objet scientifique définitif pour une théorie exhaustive. Sans doute cherchera-t-on toujours une « théorie du tout » : celle-ci irait de la macrophysique des premiers instants de l’univers à la microphysique accélérée des particules, de l’évolution des espèces à l’activité des rétrovirus. Sans être une omniscience, cette théorie du Tout voudrait unifier des connaissances jusque-là morcelées par la spécialisation des disciplines. Or ce rêve d’une science des sciences est impossible à réaliser du fait de l’existence de différents niveaux de réalités dont l’emboîtement ne garantit pas une causalité univoque.
- 5 . Thomas Kuhn, « Les révolutions comme transformations dans la vision du monde », La Structure des r(...)
7 La critique de la certitude des modèles est donc nécessaire, sans quoi chaque théorie peut prétendre à l’universalité. Par paradigme, il faut comprendre ces modèles de pensée ou façons de voir partagés par les chercheurs d’un domaine et qui fondent l’unité d’une communauté. Cette définition n’interdit pas d’autres sens puisque Margaret Mesterman en a relevé trente autres dans le seul livre de Thomas Kuhn (1922-1996), La Structure des révolutions scientifiques. Pour Kuhn, les paradigmes ont leurs propres critères d’évaluation et ne peuvent donc être évalués à partir de critères externes. Ils sont incomparables et incommensurables, ce qui définit une histoire discontinue des sciences : en effet, les sciences ne peuvent progresser par accumulation continue de connaissances car il n’y a pas de logique inhérente au développement scientifique. Seules des révolutions scientifiques, auxquelles correspondent des changements de paradigme, produisent le renouvellement des questions : des facteurs extra-scientifiques justifieraient ces révolutions scientifiques 5.
- 6 . Karl Popper, « Une épistémologie sans sujet connaissant », La Connaissance objective [1972], Champ(...)
8 Karl Popper (1902-1994) conteste cette thèse. Il rejoint les soupçons de P. Duhem et de W. Quine (1908-) sur le rôle de l’expérience dans l’invalidation théorique : selon eux, les tests expérimentaux sont toujours ambigus car ils apportent seulement un démenti à une hypothèse de la théorie ou à ses dispositifs expérimentaux. K. Popper radicalisera cette analyse en faisant intervenir le principe de falsifiabilité 6 : une théorie est abandonnée au profit d’une autre théorie si et seulement si la base empirique des faits expliqués par la nouvelle est plus étendue que celle de l’ancienne théorie. Les théories ne sont donc jamais vérifiables empiriquement mais en revanche, en se soumettant à de nouveaux tests expérimentaux, toute théorie peut être rendue fausse. La falsifiabilité – et non la vérification – de la théorie la place toujours au sein d’une conception empirique de la science.
- 7 . Isabelle Stengers, « Sciences et non-science », L’Invention des sciences modernes, [1993], Paris,(...)
9 Faut-il alors aller systématiquement contre toute universalité de la méthode à l’instar de l’anarchisme professé par Paul Feyerabend ? Préconisant la séparation de la science et de l’État, il dénonce la barbarie de l’âge technico-scientifique. Il conviendrait que l’humanité accède à un stade athée de la science libérée de l’autorité que celle-ci exerce sur les consciences. La science ne doit pas, du point de vue de la croyance, remplacer la religion. La séparation de la science et de l’État doit confirmer celle de l’Église et de l’État. Cette double séparation institue la responsabilité personnelle des membres de la société libre : ainsi la démarche de chaque scientifique doit être comprise comme extrêmement personnelle. Mais comme le rappelle Isabelle Stengers 7, dans L’Invention des sciences modernes, le relativisme de Feyerabend signe l’échec de l’épistémologie démarcationniste, qui prétendait établir une séparation objective entre l’épistémologie et la science.
- 8 . Ludwig Wittgenstein, Blue Book [1933-1934], Le Cahier Bleu, trad. Guy Durand, Paris, Gallimard, co(...)
10 L’ensemble de ces critiques remettent en cause l’existence d’un langage idéal et définitif en sciences. Toute science est une interprétation, car le langage, plus que l’objet réel, est au centre de l’analyse scientifique. L. Wittgenstein (1889-1951) a montré combien la pensée scientifique, comme toute pensée, est « une activité qui utilise des signes ». Et, à cet égard, il préconise d’étudier les sciences par la grammaire de leur langage comme, par exemple, « le cerveau exprime la pensée » 8. Par l’analogie corporelle, le cerveau est considéré comme un organe matériel ; dans l’expression « siège de la pensée », le cerveau contient et matérialise l’état mental qui n’est qu’un autre nom de la réalité physiologique de l’état neuronal. Le risque de l’analogie corporelle est d’entériner l’hypothèse de la localisation. Car si le cerveau est le siège de la pensée, il n’y a plus à supposer l’existence d’états mentaux indépendants puisque l’explication neurophysiologique se présente comme la description causale de la réalité. Le mot « siège » spatialise la pensée. Ainsi, la contingence d’une théorie scientifique s’exprime à travers son langage : contingence n’implique pas pour autant un relativisme mais elle doit maintenir la relativité linguistique de tout énoncé théorique.
- 9 . Georges Canguilhem, « Examen critique de quelques concepts », Essai sur quelques problèmes concern(...)
11 Mais tout le problème de la validité épistémologique de l’induction universelle dans le domaine des sciences de la vie, par exemple, apparaît lors de la comparaison entre le schéma physiologique et les états pathologiques. Car la pathologie produit des états si particuliers qu’elle nécessite la création de nouvelles normes physiologiques, infirmant la classification traditionnelle. Ainsi l’étude des lésions fait apercevoir des potentialités nouvelles. Le vivant, et sans doute la nature en général, produit des anomalies interdisant toute éternité à quelque théorie scientifique : comme le précise Georges Canguilhem (1904-1995), « le milieu est normal du fait que le vivant y déploie mieux sa vie, y maintient mieux sa propre norme » 9. Aucune théorie ne devrait prétendre reproduire artificiellement les conditions de la nature ; mais le paradoxe de toute scientificité est d’y prétendre. Dès lors la thèse de G. Canguilhem distingue la production adaptative de la vie dans sa relation au milieu « des conditions d’examen en laboratoire », qui « placent le vivant dans une situation pathologique, d’où l’on prétend paradoxalement tirer des conclusions ayant portée de norme ». S’il est vrai que les normes fonctionnelles du vivant examiné au laboratoire ne prennent un sens qu’à l’intérieur des normes opératoires du savant, comment éviter que les secondes ne se substituent aux premières ? Cette substitution est nécessaire à toute expérience comme à son extension normative. La prétention de toute science est de constituer un, sinon le modèle universel. La position de Canguilhem est celle de l’impossible ajustement de la vie et de l’expérience car le « laboratoire constitue lui-même un nouveau milieu dans lequel certainement la vie institue des normes dont l’extrapolation, loin des conditions auxquelles ces normes se rapportent, ne va pas sans aléas ». Il n’y a donc pas d’adaptation totale entre le modèle expérimental et la réalité in vivo ; l’existence de cette marge entre les deux devrait limiter l’induction théorique. | |
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