Mondialisation, piège à con ?
La mondialisation est-elle responsable de tous nos soucis ?Il y a 20 ans, pour justifier leur inaction ou leur impuissance face au chômage, certains dirigeants expliquaient que le chômage venait d’un défaut de formation ou d’un défaut de créativité des chômeurs. Mais maintenant qu’une majorité de chômeurs et de RMIstes sont qualifiés ou très qualifiés, maintenant que la France a rattrapé les USA en terme de création d’entreprises, l’argument « c’est la faute des chômeurs » ne tient plus.Le discours a donc radicalement changé : le chômage ne vient plus de la médiocrité supposée des chômeurs, le chômage vient de la mondialisation ! C’est un point commun à un grand nombre de listes qui concourent pour le 7 juin, elles nous promettent une Europe-qui-nous-protège-de-la-mondialisation.Est-ce vraiment la question essentielle ? La mondialisation est-elle vraiment coupable ?Dans certains secteurs, il est évident que la mondialisation a provoqué des pertes d’emplois importantes. Depuis que la Chine a adhéré à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), nul ne peut nier l’importance des importations de textile chinois en Europe. Oui, il y a bien des secteurs où la mondialisation a massivement détruit de l’emploi (chez nous et dans les pays du Maghreb qui ont souffert, eux aussi, de la concurrence du textile chinois). Mais qu’en est-il globalement ? Sur l’ensemble des secteurs de l’économie ? La mondialisation est-elle coupable du chômage et de la précarité qui gangrènent notre pays depuis trente ans ?Non. Pour le moment, globalement, la mondialisation n’est pas coupable. Certes, il y a des délocalisations, et chaque fermeture d’usine est une catastrophe pour les familles et les collectivités concernées, mais on ne peut pas expliquer nos 4 millions de chômeurs et nos millions de précaires par la mondialisation.
Jusqu’au milieu de l’année 2008, jusqu’à ce que “la crise” touche notre industrie comme l’ensemble des industries de la planète, la production industrielle réalisée sur le territoire national augmentait chaque année. En 2007, encore, la production réalisée en France a augmenté de 1,7 %. Ce n’est pas colossal, mais cela signifie que notre industrie résistait !Certes, il y a des délocalisations, mais globalement, l’activité industrielle continue d’augmenter sur notre territoire. Si le nombre de tonnes d’acier, de voitures, de parpaings et de jambon produits en France augmente chaque année, on ne peut pas expliquer le chômage par une hémorragie de notre production industrielle.
Evolution des salaires et mondialisation Le 10 novembre dernier, Jean François Couvrat montrait sur son –excellent- blog que la part des salaires diminue de façon très régulière dans le PIB des 15 pays les plus riches de l’OCDE depuis le début des années 1980.
La part des salaires diminue, très régulièrement, depuis le début des années 1980, alors que ce n’est que depuis 2002 que la Chine a adhéré à l’OMC et que ce n’est que depuis 2006 qu’elle dégage un excédent commercial en très forte augmentation.
Ce n’est que depuis 2006 que la mondialisation est vraiment déséquilibrée. Jusqu’en 2006, la mondialisation mettait en concurrence des pays qui respectaient tous un certain nombre de normes sociales. Elle n’était pas dangereuse socialement.
Peut-on expliquer la baisse des salaires qui a commencé partout au début des années 80 par l’arrivée de la Chine dont l’impact ne se fait sentir qu’en 2006 ? Non. Visiblement, on ne peut pas expliquer la crise sociale par la mondialisation.Soyons clairs : il ne s’agit pas de dire que la mondialisation ne pose aucun problème et qu’il n’y a rien à faire pour la réguler. On reparlera dans un prochain billet de l’impact qu’a l’arrivée de la Chine dans le commerce mondial et
de ce que l’Europe doit faire pour corriger très vite les déséquilibres qu’elle a créées. Mais si l’on veut poser un diagnostic juste sur les causes de la crise pour dégager des solutions efficaces, il est important de dire que, même après l’arrivée de la Chine dans le commerce mondial, la France reste un pays compétitif.Nous sommes l’un des pays qui attire le plus d’investissements étrangers.
114 milliards d’investissement étranger en France en 2008 La France a attiré en 2008 des investissements étrangers pour un montant de 114,3 milliards de dollars, ce qui la place au deuxième rang mondial.Ces investissements ont conduit à la création ou au maintien de 31.932 emplois sur son territoire. “En 2008, ce sont 114,3 milliards de dollars qui ont été investis en France, qui font de la France la deuxième destination au monde des flux d’investissements directs étrangers”, s’est félicitée la ministre de l’Economie Christine Lagarde lors d’une conférence de presse. Les Etats-Unis restent la première destination de capitaux étrangers au monde, la France arrivant en deuxième position, ex aequo avec la Grande-Bretagne cette année.Reuters 13 mars 2009
On en rirait si la situation n’était pas aussi grave : il y a deux ans à peine, François Fillon et Christine Lagarde avaient une vision totalement négative de notre pays : «un pays en faillite» disait Fillon. Un pays très peu compétitif, expliquait Mme Lagarde. A l’époque, il fallait noircir le tableau pour justifier quelques réformes douloureuses pour les salariés. Mais aujourd’hui, tout a changé : il faut absolument remonter le moral des troupes pour les pousser à consommer sans s’inquiéter du lendemain.Du coup, Mme Lagarde convoque la presse pour montrer à quel point notre pays est attirant : “la France est le deuxième pays au monde en terme d’attractivité des investissements étrangers”. Champions du monde ! Et comme personne n’oblige ces capitaux à venir chez nous, on peut penser que les investisseurs ont de bonnes raisons de choisir le site France et que, malgré toutes “les lourdeurs et les archaïsmes” mis en avant régulièrement par le Medef et l’UMP, notre économie doit avoir quelques solides point forts. Si l’on en croit les chiffres cités par Mme Lagarde, nous sommes 2ème du classement, derrière les Etats-Unis. Et si l’on rapport le flux des investissements à la taille du pays, nous sommes largement en tête. Champions du monde !Une autre façon de montrer que la France est compétitive et ne souffre pas globalement de la mondialisation est de regarder notre balance commerciale :> jusqu’en 2003, notre balance commerciale était excédentaire> en 2008 encore, contrairement à ce que l’on pourrait croire, notre balance commerciale “hors-Europe” était équilibrée et même un peu excédentaire. Malgré le prix du pétrole, Malgré le haut niveau de l’euro, Malgré la concurrence déloyale de la Chine, en 2008, la France était l’un des rares pays d’Europe à avoir une balance commerciale excédentaire hors Europe.
Balance commerciale extra-communautaire hors Union Européenne à 27Chiffres Eurostat - février 2008Allemagne + 6,3 MdsIrlande + 1,0 MdsFrance + 0,6 MdsItalie - 1,3 MdsEspagne - 4,6 MdsRoyaume Uni - 5,9 Mds
Le Medef ne cesse de dire et de répéter que la France n’est pas compétitive (et donc que les salariés doivent faire des sacrifices…) mais c’est faux : globalement, LA FRANCE EST COMPETITIVE. Cela ne signifie pas que nous devons nous endormir sur nos lauriers. Cela ne signifie pas, évidemment, qu’il ne faut pas investir plus et mieux dans la recherche, dans l’université ou dans le développement des PME mais, globalement, face au reste du monde, nous sommes compétitifs : début 2008,
la France était l’un des 7 pays d’Europe (7 sur 27…) qui dégageait un excédent commercial avec le reste du monde. Expliquer le chômage et la précarité par un défaut de compétitivité (ce que fait le Medef) ou par la mondialisation (ce que fait de temps en temps une bonne partie de la classe politique) n’est pas sérieux : pour le moment, la France est compétitive et tire correctement son épingle du jeu dans la mondialisation.Certes, nous dira-t-on, la France est excédentaire hors-Europe mais elle est déficitaire dans le commerce intra-européen. C’est vrai ! Mais la moitié de notre déficit commercial est due à nos seuls échanges avec l’Allemagne. Depuis 2004, l’Allemagne a très fortement diminué ses coûts salariaux et, début 2007, elle a augmenté la TVA. Ces deux évolutions pèsent évidemment sur la consommation des ménages allemands. Et comme l’Allemagne est notre premier client, nos exportations vers l’Allemagne en souffrent. Qui plus est, les produits allemands étant moins chers, les entreprises allemandes nous prennent des parts de marché en Italie ou en Espagne.
Voilà pourquoi nous sommes déficitaires dans notre commerce intra-européen alors que nous sommes compétitifs dans le commerce mondial !La mondialisation n’est pas coupable Il faut le dire et le répéter car tant que cette idée fausse traîne dans le débat public comme explication principale de la crise sociale, on perd du temps (or nous n’avons pas de temps à perdre si l’on veut éviter une explosion sociale ou un pourrissement dont il sera difficile de s’extraire -voir le billet précédent sur la crise japonaise). Tant que cette idée traîne dans le débat public, on alimente plus ou moins directement le nationalisme et le repli sur soi, alors que c’est par un surcroît de coopération qu’on pourra sortir de la crise.L’avez-vous remarqué ? Quand ils parlent du chômage, les syndicats européens ne mettent pas en cause la mondialisation. Et dans les solutions qu’ils demandent aux politiques de mettre en œuvre, il n’est pas question de protectionnisme mais d’un meilleur partage du travail et des richesses produites sur notre territoire.
Voilà la vraie question sur laquelle il faudra revenir. Voilà la vrai débat à avoir au niveau national et au niveau européen : au lieu d’inventer des ennemis imaginaires, au lieu d’accuser la mondialisation, sommes-nous capables de comprendre que l’Europe est compétitive, qu’elle est l’économie la plus riche du monde et qu’un autre partage du travail et des revenus est possible ?On y reviendra.Pierre LARROUTUROU est économiste. Il vient de publier
Crise, la solution interdite