[size=16]R[size=16]aif Badawi est un penseur musulman, inconnu des pays occidentaux avant une condamnation à 1000 coups de fouet et 256 000 euros d’amende, pour avoir user de sa liberté d’expression en terres arabes.[/size][/size]
Je n’avais jamais lu d’articles de Raif Badawi avant la parution d’un recueil aux éditions Kero. Les textes de ce jeune musulman sont interdits en Arabie Saoudite, et ont largement été détruits par le pouvoir en place. Il en restait quelques-uns qui ont été sélectionnés à l’aide de son épouse. De quoi traitent-ils ? [size=16]De la liberté de parole. Du terrorisme. De la guerre de la paix. Du libéralisme (déclaré ennemi de la religion musulmane). De la femme et de la mixité. Du printemps arabe.[/size]
Il n’est certes pas question dans ce livre de critiquer le Coran. Ni ses fidèles. A aucun endroit, on n’y trouve de déclarations provocatrices, condamnant le prophète, ou remettant en question la foi religieuse. Alors qu’y a-t-il de tellement répréhensible au point de condamner son jeune auteur à mille coups de fouet ? C’est la triste histoire du fondamentalisme religieux (dénoncé depuis des siècles par des penseurs et des philosophes persécutés chez nous et ailleurs !) qui repassent les plats. Aucun des articles ne se présentent comme des exégèses ou des traités théologiques. Ce sont de courtes réflexions sur la charia, et sa légitimité lorsque celle-ci se revendique de la science (en occultant les découvertes modernes qu’elle remet en cause) ; ce sont des réflexions sur le blasphème, la pertinence de la construction d’une mosquée dans la zone où se sont écroulées les tours jumelles après les attaques du 11 septembre. Ce sont tout au long de ce petit opuscule quelques pensées d’un intellectuel qui veut user de sa liberté d’expression, car celle-ci « est l’air que respire tout penseur, écrit l’auteur, ainsi que le combustible qui enflamme sa pensée. » Vous n’y trouverez rien de moins ordinaire qu’un observateur de la société arabe, sauf que celui-ci est violemment réprouvé.
Contrairement à Waleed Al-husseini, Raif Badawi ne se dit pas athée, mais libéral. Il défend le libéralisme qui engage la liberté de laisser l’autre vivre et penser comme il l’entend. Et en ce sens, on peut dire que Raif Badawi est résolument moderne. Qu’il est un penseur de son époque. Pour lui, la liberté est soumise à la loi et elle « s’arrête là où commence celle d’autrui ».
Il est si viscéralement attaché au libéralisme, que cette notion revient régulièrement sous sa plume, tout comme celle de « tolérance », et de « paix ». Le libéralisme est pour lui « une construction cognitive ». Il ne peut être contesté que par la science, la science moderne ; mais il est également un fait de droit positif, car il « offre à tous la possibilité d’une existence libre et digne ». Il rajoute, bien évidemment, que toute liberté ne peut-être que « conforme à celle de la religion divine qui prône le Bien, l’amour et la paix. »
En libéral moderne, Raif Badawi s’interroge sur la phobie de la mixité, certaines bizarreries du comportement de l’être humain qui le poussent à croire en des légendes qu’il a lui-même inventées, ou a des mensonges qu’il a fini par légitimer. N’étant pas non plus pour la destruction d’Israël, faisant le choix de la laïcité, le modèle islamique est pour lui « mort ». Aussi, dit-il, « inutile de s’auto-flageller pour punir le cadavre ». Ne s’illusionnant pas quant au devenir actuel du modèle occidental, il a tout de même fait le choix de ce modèle de laïcité. Pourquoi ? Pour lui, il ne s’agit pas de poser un constat, et de montrer que l’occident est aujourd’hui décadent, qu’il menace désormais ses propres valeurs, qu’il a financé sa dette extérieure sur l’héritage des partitions coloniales, qu’il est fondé sur « la doctrine de la puissance et de la supériorité » pour, disons-le, jeter avec le bébé avec l’eau du bain. Raif Badawi est malin. Il sait que la révolution au sens littéral nous fera revenir au commencement. Il n’envisage donc pas de débuter « là où se sont arrêtés nos semblables, ni où ont commencé nos prédécesseurs, mais depuis le début. » Il parle donc d’une révolution arabe sans précédent. Ce qu’il sous-entend c’est qu’il espère que la révolution reposera les fondements d’une société libérale et juste, fondée sur la parité et la mixité, la tolérance et la paix. De quoi agacer quelques fondamentalistes religieux. Il y a de quoi.