[size=32]Le cerveau-machine
Critique du computationnisme [/size]
[size=undefined]Patrick Juignet,
Psychisme, 2011.[/size]
Le corps est « une machine qui se remue de soi-même ». Cette formule employée par Descartes, dans une lettre au Marquis de Newcastle le 23 novembre 1646, résume bien sa position. Un siècle plus tard La Mettrie publie son célèbre ouvrage L’homme-Machine (1748), dans lequel il expose une conception mécaniste de l’homme incluant l'esprit. Cette visée s'est poursuivie et développée depuis. Ici, nous allons voir plus particulièrement comment le cerveau humain a pu être assimilé à une machine informatique.Le projet prend forme avec Leibnitz. De Leibniz au computationnisme, c’est-à-dire sur trois siècles, nous allons suivre deux rêves qui se sont mêlés, celui du philosophe et celui de l’ingénieur. Le rêve du philosophe serait d’avoir une méthode assurée pour raisonner juste. Le rêve de l’ingénieur serait d’avoir une machine pour calculer rapidement et sans erreur. Plus encore, pour le philosophe ambitieux, ce serait de trouver le ressort de la pensée humaine et pour l’ingénieur d’avoir une machine calculante universelle et exacte. Voilà deux formes d’un même idéal, celui d’accéder au savoir grâce à un procédé sans faille. La pierre philosophale de la pensée et de la connaissance !
Vers la fin du XIXe siècle, la réalisation simultanée de ces deux rêves est apparue possible grâce à la logique. Il faudrait trouver une logique universelle dont les opérations puissent être faites par une machine. Ce serait la clé de la réussite. Au fil du temps le rêve s’est réalisé, tant sur le plan technique que sur le plan théorique. La logique nécessaire à cette ambition de vérité formelle a été ramenée à du calcul et ce calcul a pu être reproduit par des machines de type digitale, d'abord mécaniques puis informatiques .
Au fur et à mesure que ces rêves se sont réalisés, ils sont devenus inquiétants. Le calcul a été considéré comme le fondement de la pensée humaine et en retournant le raisonnement, certains ont prétendu que le cerveau était identique aux mécanismes fabriqués pour reproduire ce type de calcul. On est passé du rêve leibnizien à la fiction computationniste d’un cerveau-machine.
PLAN DE L'ARTICLE
1/ Le computationnisme et ses effets
L’idéologie computationniste
Nous définissons le computationnisme comme le courant de recherche fondé sur le postulat selon lequel la cognition est fondamentalement un calcul qui peut être effectué par un dispositif matériel. L'hypothèse computationniste fut posée dans les années 1950 par Mc Culloch et Pitts. Selon ces auteurs, la cognition (ou la pensée) peut être ramenée à une computation de représentations symboliques et cela peut être fait aussi bien par le cerveau que par une machine.
Warren Sturgis Mc Culloch, philosophe et neurologue, et Walter Pitts, logicien et mathématicien, publièrent en 1943 « A Logical Calculus of Immanent Ideas in Nervous Activity ». Fort de la récente découverte faite par Edgar Adrian en 1928, les neurones réagissent selon la loi du « tout ou rien », ils firent l’hypothèse que l’activité nerveuse correspondait à la logique de Boole. « À chaque réaction d’un neurone correspond une assertion d’une proposition élémentaire. » Mc Culloch, et Pitts inventèrent une notation fondée sur le calcul booléen pour illustrer l’organisation des réseaux neuronaux. Leur intention mécaniste est évidente. En 1955, Mc Culloch précise sa pensée : « Les machines faites de la main de l’homme ne sont pas des cerveaux, mais les cerveaux sont une variété, très mal comprise, de machines computationnelles » (Mc Culloch, et W. Pitts, « Un calcul logique des idées immanentes dans l’activité nerveuse », in Sciences cognitives : textes fondateurs (1943-1950), Paris, PUF, 1995, p. 64).
Ceci aboutit à la « Nouvelle synthèse » proclamée vers 1945 par Stephen Pinker et Henry Plotkin. Pour ces auteurs, le calcul est enraciné dans le substrat biologique du cerveau humain et, qui plus est, de manière innée. Au même moment, Alan Nexell et Herbert Simon, lancent le dogme selon lequel l’intelligence, ou l’esprit, est un calcul symbolique de type logique. Suit « l’information processing paradigm » annonçant que tous les aspects cognitifs (perception, apprentissage, intelligence, langage) sont des opérations de traitement de l’information (signal) similaires à celles que l’on peut implémenter dans un ordinateur. Il s’agit de chercher « comment les phénomènes mentaux peuvent être matériellement réalisés », écrit Dan Sperber.
La phase suivante se déroule dans les années 1950 lorsque divers auteurs comme Herbert Simon, Noam Chomsky, Marvin Minsky et John McCarthy appuyèrent l'idée que la cognition pouvait être définie par le calcul symbolique, la computation de représentations symboliques. Que le rapport cognition-cerveau soit assimilable au fonctionnement d'un ordinateur devient une thèse reconnue. Le traitement cognitif par l'esprit/cerveau est une opération qui est effectuée sur des symboles de la même façon que le fait un ordinateur.
Proche de cette tendance on trouve " l'information processing paradigm" de Herbert Simon. Pour cet auteur, l’intelligence artificielle mime le raisonnement humain parce que, comme le cerveau, un ordinateur traite de l'information. L'information correspond à "des formes physiques ... qui peuvent se présenter comme des ... symboles » (H.Simon, 1969).
La thèse ramène la pensée à un traitement syntaxique, un calcul opérant sur des représentations symboliques, qui correspondent elles-mêmes à des traces, des marques matérielles maniées par le cerveau ou indifféremment une machine électronique. On arrive à la thèse annoncée dans notre tire du "cerveau-machine". C’est le postulat du computationniste. La cognition est fondamentalement du calcul et peut être donc effectuée par un dispositif matériel. L’esprit, la pensée, l'intelligence, etc., sont en dernier ressort une logique de ce type implémentée dans le cerveau-machine de l’homme fonctionnant comme un ordinateur. Le rêve du philosophe et le rêve de l’ingénieur se sont emboutis l’un dans l’autre.
الجمعة فبراير 19, 2016 9:25 am من طرف سوسية