Chaque Samedi soir sur la chaîne principale de la télévision publique française (France 2), Laurent Ruquier dispose d'une émission de 4 heures. Une heure de cette émission est consacrée à l'expression publique d'un invité politique, ce qui en fait l'émission du paysage audiovisuel où les personnes disposent de la plus grande tribune en durée pour s'exprimer.
En conséquence, cette émission est extrêmement commentée ; et on y assiste à de grands moments, on y témoigne de grandes révélations, clash et petites phrases.
Hier soir, l'invité politique était Bernard-Henry Lévy. Il était venu présenter son livre "l'Esprit du judaïsme", et est venu parler du rôle des juifs et de "l'esprit juif" dans la transformation du monde.
Un résumé en vidéo est disponible en bas de cet article.
Résumé de son intervention :
Je viens d'écrire un nouveau livre, "L'Esprit du Judaïsme", dans lequel je compare mon ingérence dans les pays en guerre à la péripétie du prophète biblique Jonas dans le ventre de la baleine. J'y décris également ce que j'appelle le "nouvel antisémitisme", très différent des années trente, et qui est à la fois inquiétant et rassurant. Inquiétant parce qu'il consiste en des actes barbares comme à l'attentat à l'hyper casher, celui de Mohammed Merah ou, le meurtre d'Ilan Alimi. Rassurant parce que la république ne lui est pas cédée, ceux qui commentent ces attentats sont exclus de la République. Avant l'affaire Dreyfus, il y avait un certain antisémitisme rampant jusque dans les institutions françaises. Mais avec l'affaire Dieudonné, on voit qu'il n'y a pas une seule voix discordante : tous les politiques sont d'accord pour le condamner. Par rapport au temps jadis où les antisémites étaient des intellectuels comme Barrès ou Céline, aujourd'hui ce sont des crânes rasés de la pensée comme Dieudonné ou Soral et il est plus facile de les combattre.
Vous me citez Bernanos qui avait écrit que "Hitler a déshonoré l'antisémitisme" dans un livre dédié à Drumont. La question n'est pas de savoir s'il était plus honorable avant, mais il était porté avant Vatican II par des Catholiques, des racistes et des anticapitalistes, et l'événement de 1940-45 de la Shoah est le résultat de cet antisémitisme. Avec ce qu'il s'est passé, on ne peut plus haïr les juifs.
Pendant mon enfance et mon adolescence, j'ai découvert que mes auteurs favoris étaient antisémites, comme Bernanos.
Avant, les antisémites détestaient les juifs soit parce qu'ils avaient tué le Christ, soit parce qu'ils l'ont inventé (c'est le cas de Voltaire). Mais depuis 40 ans, les antisémites sont antisionistes, négationnistes et reprochent aux juifs de faire de la compétition victimaire. Aujourd'hui, on ne peut être antisémite qu'en étant antisioniste.
Le reproche de la compétition victimaire est infondé parce qu'aujourd'hui, les juifs sont les premiers à dénoncer les massacres de population.
Je ne pense pas qu'à force de parler de la Shoah, on ne parle pas des autres. En ce qui me concerne, j'ai été le premier à alerter des massacres en Afrique, au Darfour ou en Bosnie. Quand on a vécu la Shoah, on a le devoir d'avertir afin que ça ne se reproduise pas. Jan Patocka appelait cela la "Solidarité des ébranlés". Les juifs lancent l'alerte justement parce qu'ils ont vécu le massacre le plus extrême.
La Shoah est singulière par rapport aux autres massacres pour 3 raisons :
- Le projet était d'exterminer tous les juifs, hommes, femmes, enfants
- Le 3e Reich devait s'étendre au monde entier et n'offrir aucun refuge aux juifs
- Il fallait effacer la moindre trace de l'esprit du judaïsme de la mémoire de l'humanité.
Qu'est-ce que l'esprit du judaïsme ? C'est un esprit vertueux et beau qui accompagne les hommes depuis la nuit des temps. Chaque fois dans l'histoire que les juifs sont expulsés, il y a un risque. On a vu ça en de nombreux événements comme en Allemagne, dans les pays arabes, en France sous Philippe le Bel.
Aujourd'hui, on tue des juifs, mais je leur demande de rester. C'est le sens de mon livre. Ils ont beaucoup apporté à la France et au Monde. Dans mon livre, j'exalte Rachi, un commentateur Talmudique du XIIe siècle plutôt que Spinoza qui avait été expulsé de sa communauté, parce que je souhaite revenir à Dieu, à la Terre et à la Loi. Pourtant, je suis un juif laïc, je ne pratique pas. Mais ça n'est pas la question. Être juif, c'est surtout étudier, et rencontrer Dieu au long de ces études. Spinoza a rejeté l'esprit du judaïsme. L'Europe des lumières s'est faite avec Spinoza, mais surtout avec Moses Mendelsohn, la Haskala et le Talmud.
- اقتباس :
- Yann Moix résume le livre de BHL :
Les chrétiens croient, et les juifs étudient. Les chrétien produisent du fils et les juifs produisent du père, ils ont créé leur propre père. Les premiers révisionnistes sont les nazis. Il y a une différence fondamentale entre racisme est antisémitisme : le racisme, c'est refuser la différence et l'antisémitisme, c'est refuser la ressemblance. Et on voit ça dans l'inversion entre victime et bourreau que les antisémites utilisent pour qualifier Israël et les palestiniens. Cette inversion se trouve aussi dans le rouleau d'Esther. La victime n'est pas le roi Cyrus assassiné par Esther, mais le peuple juif conquis par les perses.
Dans la deuxième partie du livre, vous tentez de retrouver votre place en tant que juif, et vous vous comparez au prophète Jonas. Jonas voit une nation (Ninive) qui veut détruire Israël, comme BHL voit la Lybie ou l'Ukraine qui veulent détruire Israël, et comme Jonas, vous allez à Ninive pour avertir l'ennemi. Et vous démontrez que l'identité du Judaïsme est d'aller vers l'autre pour l'avertir du danger. À l'image de Jonas, vous allez en Lybie au risque de détruire Israël ou l'Union Européenne.
En effet, je pense que j'ai empêché un massacre à Benghazi comme Jonas en a empêché un à Ninive. Malgré le chaos qui a résulté du départ de Kadhafi, je ne regrette rien. D'ailleurs, la situation est pire en Syrie, où nous ne sommes pas intervenus. Mais face à un crime sur le point de se produire, il faut intervenir. On n'est pas toujours sûr des conséquences plusieurs années après, mais il faut intervenir. Tout comme Dieu a sauvé Agar et Ismaël au risque d'en faire des ennemis de l'humanité. Philippe Gordon disait "on a occupé l'Irak en 2003, ça a été un désastre. On est intervenu en Lybie en 2011, ça a été un désastre. On n'est pas intervenu en Syrie, c'est aussi un désastre". Quoi qu'on fasse, c'est un désastre. Mais ce qu'il se passe aujourd'hui dans ces pays, c'est l'histoire en marche. La Syrie a une voie possible vers la liberté, qui passe par l'instauration de la démocratie. Il faut aider les démocrates à Alep, qui se retrouvent coincés entre l'aviation russe et l'État Islamique.
Je suis une sorte de Jonas Lévinassien, venu pour l'humanité entière, et pas seulement pour les juifs. Les nations ont besoin d'être guidées par les juifs. Les juifs sont une escorte silencieuse et secrète qui vient guider les autres peuples et les autres nations. Les rabbins du Talmud sont d'accord là dessus.
Comme le dit le rabbin Meïr : "toute personne qui renonce à l'idolâtrie est juive".
Monsieur Moix, vous me faites la remarque qu'il manque un Goy dans mon livre, et que ça vous ferait plaisir qu'il y en ait un. Vous me dites que Charles Peggy pourrait jouer ce rôle de Goy défenseur de l'esprit du judaïsme. Je ne suis pas d'accord. Bien qu'étant le premier des Dreyfusards, Peggy s'est opposé à Jaurès le pacifique à l'aube de la première guerre mondiale, en le traitant de déserteur à demi-mot. Malgré les sorties de Jaurès sur "la Banque de la Synagogue", je le défendrais toujours contre Peggy dans ce cas là.
Vous dites que la Shoah est menacée et pourrait tomber dans l'oubli si on ne trouve pas de mythe. Je ne pense pas qu'il faille trouver un mythe, je n'aime pas cette idée. D'ailleurs, je trouve que tous les films qui sont réalisés sur la Shoah sont en dessous de la réalité. Pour moi, il n'y a que le film "Shoah" de Claude Lanzmann qui soit à la hauteur. "La Vie est Belle" de Roberto Benigni ou "La Liste de Schindler" banalisent la Shoah.
En France, on sacre les juifs pour mieux les haïr. Alors qu'un Laurent Fabius a été démoli par la presse à l'époque de l'affaire du sang contaminé, où on pouvait sentir dans la presse comme une accusation de crime rituel, le premier ministre juif anglais Benjamin Disraeli a laissé une très bonne impression au Royaume-Uni.
Je ne pense pas que l'affaire DSK soit un complot antisémite, mais se poser la question c'est déjà de l'antisémitisme. Et la façon dont il a été jeté en pâture à la presse était antisémite. Il est devenu une sorte de monstre, de bouc émissaire sur lequel la société et les hommes politiques ont pu expier leur frustration. De même pendant l'affaire Polansky et aussi à l'époque où il a sorti le film "Rosemary's Baby", l'affaire a été traitée sous le prisme de l'antisémitisme.
M. Moix, vous me faites remarquer qu'Heidegger est un des plus grands philosophes du XXe siècles et qu'il était antisémite, mais que sa philosophie avait une ressemblance avecl'esprit du judaïsme, parce qu'il a écrit qu'un"peuple ne devient fort qu'une fois qu'il trouve son dieu qui le force à se surpasser". C'est très différent du judaïsme, car la pensée d'Heidegger était une pensée du retrait, ce qui est différent du judaïsme qui est une pensée du partage.
Pour moi, l'état d'Israël est un état supérieur, sublime et admirable et différent des autres. Israël est la seule insurrection nationale qui ait bien tourné, avec l'invention de l'hébreu moderne, le contrat social, la construction d'une nation avec des peuples différents : des russes, des éthiopiens, des sud-américains... C'est une démocratie magnifique.
Même chez les juifs qui n'aiment pas Israël, je suis sûr que dans le fond, ils pensent que c'est une terre de refuge sur laquelle ils peuvent trouver l'asile si jamais les conditions deviennent difficiles pour eux.
Résumé par Protis pour MétaTV
Sources :