DESCRIPTION ET EXPLICATIONCertaines disciplines sont descriptives : astronomie, anatomie, zoologie. Une description peut être plus qu'une simple collection non ordonnée de faits ou de données, l'exemple des taxinomies le montre. La géographie comporte une partie descriptive ; les cartes sont de pures descriptions. Une partie de la science économique est consacrée à décrire des institutions ; une autre (les théories) est consacrée à expliquer. La thermodynamique a été d'abord une théorie phénoménologique ; la mécanique statistique a été inventée afin d'expliquer ou de déduire ses lois fondamentales. La relativité restreinte décrit les phénomènes électromagnétiques et ne les explique pas. En principe, il tombe sous le sens que des lois comme celles qui concernent la résistance des matériaux ne peuvent pas être explicatives au même degré que les grandes lois physiques (gravitation, électromagnétisme). L'esprit humain, qui tend à distinguer dans les phénomènes un ordre dérivé et un ordre fondamental, risque d'ailleurs de placer le fondamental à faux. Enfin, certaines disciplines sont descriptives par manque de principes ou de moyens d'explication. Tel est le cas de l'embryologie.
La description échappe aux controverses. L'explication, au contraire, est souvent contestée. On fait valoir qu'elle est impossible ou bien qu'elle recourt à des éléments « métaphysiques », substances ou « qualités occultes ». Nous ne connaissons la nature d'une chose que par ses effets ; ces effets, à leur tour, nous paraissent mystérieux et nous les attribuerions volontiers à l'essence de la chose : c'est un cercle. Faut-il donc se rabattre sur la description ? Quand on décrit, on utilise une langue, la langue naturelle, complétée ou non par des symboles de mathématiques ou de physique. On fait un choix dans l'objet, dont on décide de négliger certains détails. Ensuite, on essaie d'expliquer. La description précède-t-elle toujours l'explication ? Où s'arrête l'une, où commence l'autre ? Historiquement, les lois de Kepler, qui décrivent la forme des orbites planétaires, sont apparues avant la théorie newtonienne, qui les explique. Il serait difficile d'expliquer une réalité qu'on serait capable de désigner mais pour laquelle on ne disposerait d'aucun langage de description. Pendant longtemps, on ne savait pas décrire mathématiquement les phénomènes de turbulence ; a fortiori ignorait-on comment les modéliser de façon à en engendrer la réplique abstraite. Un exemple de description qui n'est pas une explication est fourni par la loi de la chute des corps en fonction des carrés des temps ; la loi n'indique pas la cause de la pesanteur, elle n'explique pas. La loi de gravitation de Newton rend compte du comportement des planètes ; elle demande à son tour à être expliquée. L'esprit humain, sur la route des explications comme sur celle des causes, ne finit pas de remonter en arrière. De même qu'on ne rencontre jamais de cause qui ne soit effet, c'est-à-dire de première cause, on n'a jamais d'explication qui ne demande une explication d'un degré plus élevé. L'esprit humain ne se rassasie pas d'explications.
On en a tiré argument contre l'explication. On dit aussi que les explications sont globales, métaphysiques, spéculatives, imaginées afin de compenser le manque de faits. Qu'elles visent à dire ce que sont en soi les choses, ce qu'on ne peut jamais faire, car la réalité en soi nous est inaccessible. Que nous connaissons seulement des relations entre des phénomènes. Une théorie qui prétendrait nous révéler le vrai fond des choses, par exemple dire ce que la chaleur ou l'électricité sont en soi, devrait d'avance être tenue pour fausse. Nous pouvons savoir les effets des forces, non pas ce que sont les forces. Ces objections émanent des positivistes et des idéalistes, ou en général de ceux qui mettent des relations à la place des substances, et qui soutiennent que trouver la loi des phénomènes, c'est les comprendre. Si l'on juge fondées ces objections, il faut dire que la physique est une science de lois, c'est-à-dire de relations ; les théories, qui systématisent les lois en les classant en systèmes, n'indiquent pas la substance des choses ni ce qui fait qu'elles sont ce qu'elles sont. Une science de lois est descriptive plutôt qu'explicative. Quand on décrit, on court moins de risques de se tromper que quand on veut expliquer. C'est ce que penseDuhem, et on appelle parfois instrumentaliste son épistémologie, en souvenir dupragmatisme de Dewey : de plein droit les théories sont des recettes de calcul, des moyens de prédire des résultats d'expériences futures ; elles sauvent les phénomènes et sont muettes sur la réalité. Cette doctrine est conforme à ce qu'enseigne Auguste Comte.
Qu'est-ce qu'expliquer ? En termes de fins, c'est faire comprendre, puisque le résultat d'une explication devrait être l'intelligibilité. Qu'est-ce que comprendre ? D'après R. Thom, c'est adhérer à une prégnance. Un esprit de mentalité logicienne objecterait que comprendre une personne diffère de comprendre un processus physique, et qu'on n'adhère pas à une séquence causale. Mais comprendre n'est pas approuver, et la vérité n'est peut-être pas plus essentielle à la compréhension qu'à l'explication... L'idée de R. Thom, que comprendre équivaut à refaire intérieurement une opération externe – à en construire une sorte de modèle interne, comme un ordinateur reconstitue la propagation des tensions dans la structure d'un pont –, est de bonne philosophie de la nature : « D'abord un mouvement d'adhésion de l'Ego à une prégnance extérieure, puis un recul reconstituant l'autonomie du moi, et rejetant l'investissement de la prégnance sur un alter Ego extérieur. » Cette idée de R. Thom, qu'il a tirée de son propre fonds, précise le contenu du « Weltbild » (image du monde), que M. Planck croit essentielle à la physique. Elle est encore mieux illustrée par la conviction des classiques, d'après laquelle la « vraie philosophie » est celle « où on conçoit la cause de tous les effets naturels par des raisons de mécanique » (Huygens), c'est-à-dire où l'on rend compte de ces effets par des modifications de la figure et du mouvement d'un système matériel. Telle est encore l'opinion de lord Kelvin (1894) : « Si je puis faire un modèle mécanique, je comprends ; tant que je ne puis pas faire un modèle mécanique, je ne comprends pas. » À l'opposé de ceux qui pensent que des concepts abstraits des sciences physiques (par exemple points matériels et forces de la mécanique newtonienne) ont, pour contreparties familières, des objets de notre perception, les épistémologues idéalistes proclament l'abandon des modèles : que la physique ne doit procéder que par la déduction mathématique pure, sans l'aide d'images mentales. Comme ces auteurs (L. Brunschvicg, G. Bachelard) ne sont pas pythagoriciens, leur intellectualisme signifie simplement qu'ils réduisent la réalité à un système de rapports et de lois inventés par l'esprit. Ils sacrifient la compréhension, ou n'en admettent qu'une forme élémentaire, la légalité ou l'explication par un principe général.
Répondre à la question de savoir ce qui peut se comprendre impliquerait une analyse descatégories de la représentation, et il devrait y correspondre une classification des types d'explication. Quelques-uns seront esquissés ici.
[size=22]1. Les types d'explication
Pour expliquer, il faut recourir à des entités qui peuvent être soit données dans la perception, soit dérivées de la perception, par voie d'expérience imaginaire ou de
raisonnement. Les notions fondamentales de la mécanique proviennent d'une origine concrète et intuitive : les points matériels dérivent des solides, la force dérive de notre sensation d'effort ou de volonté, la masse vient de la sensation du poids, les autres notions – vitesse, quantité de mouvement, force vive, etc. – sont tirées de l'observation du mouvement des corps et d'une distinction fondamentale entre une tendance virtuelle et son actualisation. Les entités intuitives qui correspondent à nos activités physiques ou à nos expériences perceptives (changement de place) sont celles qui nous paraîtraient expliquer le mieux. Il y faut ajouter les figures et les volumes de la
géométrie. Cela étant, on peut distinguer des types d'explication.
• L'explication spatiale
On regardait autrefois l'espace comme le nombre pris sous le rapport de l'étendue. La géométrie, disait-on, s'applique à des relations de position qui, traduites en termes numériques à l'aide d'un dictionnaire de coordonnées, deviennent quantitatives. L'explication spatiale aurait donc un caractère quantitatif et, comme la quantité se prête à la réduction à l'unité, tandis que la qualité introduit la diversité, on conclut que la première est plus rationnelle que la seconde. Cela suppose que l'on entende rationnel au sens de calculant. Par ailleurs, le quantitatif n'est qu'un aspect (par exemple métrique) du spatial, et les rapports de situation sont appréciés qualitativement avant d'être mesurés. La physique d'
Aristote est exclusivement qualitative. La prédominance du quantitatif dans la physique moderne est venue de ce que les quantités peuvent facilement
devenir les termes de corrélations
y =
f (
x) de type numérique, ce qui n'est pas vrai des qualités. En fait, le quantitatif n'est pas de nature à faire avancer la compréhension : une liaison entre des grandeurs, même lorsqu'on sait l'exprimer par une
relation « analytique », n'est pas pour autant explicative ; elle demanderait a être expliquée. En outre, le développement de la topologie, branche des mathématiques, a mis au jour des propriétés qualitatives des formes géométriques, propriétés liées à des invariants numériques ou algébriques (indice d'une singularité d'un champ de vecteurs, nombre de tours d'une courbe fermée autour d'un point singulier, etc.).
L'explication spatiale au sens qualitatif serait illustrée par ce qu'on appelle la géométrisation de la physique. En relativité générale, l'espace physique n'est pas conçu comme un espace géométrique qu'on aurait garni de corps étrangers ; les particules font partie intrinsèque de l'espace ; ce sont des états excités du champ gravitationnel. Comme autres exemples, citons la représentation de l'
atome et de ses électrons, qui gravitent autour du noyau suivant des orbites correspondant à leur niveau d'énergie (« modèle planétaire » de Bohr-Sommerfeld) ; l'
atomisme de l'
Antiquité, à condition de considérer que les atomes diffèrent par leur configuration géométrique ; l'explication platonicienne des propriétés chimiques par les propriétés de figures ou par des arrangements spatiaux. E.
Meyerson(1927, chap.
VIII) énumère quelques exemples d'explication spatiale qui lui paraissent le plus caractéristiques et qu'il trouve dans la chimie. Lavoisier indique déjà comment se groupent les molécules d'un composé, premier pas vers l'idée de structure moléculaire. Par la suite, on a expliqué les isoméries du groupe du benzène par les propriétés d'une figure, le voisinage des atomes correspondant au degré de facilité de leurs substitutions ou de leurs liaisons. La
stéréochimie explique la diversité des substances par des arrangements dans l'espace, ce qui rappelle le Timée de
Platon. Les dissymétries expliquent les différences des propriétés chimiques de certains
cristaux. Enfin, le degré de résistance mécanique des métaux est en rapport avec la présence de dislocations,
phénomène géométrique.
• L'explication causale
Elle n'est pas absolument disjointe de l'explication spatiale, puisque le changement de place d'une qualité ou d'un principe plus ou moins immatériel est la première représentation qu'on a donnée de la
causalité transitive. Réciproquement, la notion d'espace implique celle de localisation des objets (par exemple des particules) ; faute de celle-ci, la possibilité de suivre par continuité la trajectoire des particules s'évanouit à son tour, et l'explication causale est compromise. C'est ce que certains ont cru pouvoir remarquer à propos de la théorie des quanta. « Savoir, c'est savoir par les causes » : connaître le motif du comportement d'une personne nous fait comprendre ce comportement. Connaître la cause d'un phénomène naturel nous donne l'impression de le comprendre, d'être capable de le refaire mentalement, c'est-à-dire virtuellement. Le type d'action causale le plus simple en apparence, ou qui satisfait de la façon la plus immédiate notre imagination, est l'action de pousser, de tirer ou de soulever, l'exercice d'une force qui déplace un corps ou s'oppose à son mouvement. Le paradigme de la cause efficace est le coup de pied dans un ballon, l'impact d'une queue de billard sur une boule, l'imposition d'un cachet dans la cire, la propagation d'un virus au cours d'une épidémie, etc. Les comportements de la nature qui nous semblent à l'image de notre activité corporelle suscitent en nous un sentiment de familiarité, et ils sont sous-jacents aux objets de l'étude d'Aristote dans sa
Physique. Pourtant, les causes efficaces ou productives, quand la science en admet, ont une allure de résidus suspects. Les cartésiens y voient des qualités occultes, irréductibles à la figure et au mouvement, c'est-à-dire à la géométrie et à la mécanique, ou encore une survivance du verbalisme scolastique (les « vertus » du type de la vertu dormitive, ou de la vertu médicatrice de l'école hippocratique). Les forces ont été critiquées à leur tour ; elles ont résisté et se sont imposées parce qu'on en peut mesurer les effets, et qu'elles se laissent formaliser mathématiquement. Elles trouvent place dans un réseau de lois, c'est-à-dire de relations exprimables analytiquement. Les positivistes peuvent donc, s'il leur plaît, ne retenir que les lois et ignorer les causes.
Par causalité mécanique, les philosophes entendent parfois des enchaînements d'états ou d'événements soumis à un
déterminisme inflexible, autrement dit les causes mécaniques sont reliées à leurs effets selon une loi rigide qui peut n'être ni connue ni comprise. Ce sens est différent de l'acception courante chez les classiques où il est presque équivalent de géométrique. On ne devrait pas se hâter d'identifier causes efficaces et mécaniques : ces deux mots renvoient à des « systèmes de notations » (au sens bergsonien du terme) différents, c'est-à-dire à des ensembles de concepts non équivalents ; efficace veut dire moteur, et mécanique signifie ici sans
finalité ni intelligence.
Parmi les autres espèces de causes que distingue Aristote, on énumère la cause matérielle, substrat permanent ou matériau nécessaire à la construction d'un objet (une scie, qui doit couper, est en métal ; une maison, qui doit procurer un abri durable, est en pierre ou en bois, etc.) ; la cause formelle ou cause-raison (un plan d'architecte, exemple d'Aristote) ; enfin, la cause finale. La cause-forme est ce qui fait que la chose est ce qu'elle est (« to ti èn einai »). Elle n'est pas un antécédent ; elle ne relie pas une chose à une autre chose. Sa particularité est d'être immanente à la chose (la fin n'est immanente que quand elle est réalisée, au terme d'une évolution), au lieu de lui être extérieure ou antérieure, comme l'est la cause productive. À la cause formelle, on ne peut pas attribuer d'effet qui en soit distinct, on pourrait seulement parler de son déploiement dans le temps. Aristote et saint Thomas n'assignent pas d'efficace à la forme seule. La forme n'agit pas ; c'est une substance qui agit par sa forme ou suivant sa forme. De même pour
Leibniz et
Euler, les principes d'optimum et de stationnarité n'agissent pas par eux-mêmes ; la volonté de Dieu ou la Nature les mettent en œuvre.
La cause-forme est la forme substantielle des scolastiques et la cause adéquate de Spinoza. Contrairement aux convictions répandues, cette cause joue un grand rôle en physique mathématique. Par exemple, le lagrangien d'un système matériel exprime une certaine contrainte sur les positions et les vitesses de ce système, c'est une sorte de logos de l'objet ; l'hamiltonien ou la fonction d'énergie préside à l'évolution temporelle d'un système ; le principe de moindre action est un principe de forme d'où se déduisent les équations du mouvement, etc. L'explication de la gravité par la courbure de l'espace (relativité générale, 1916) est aussi une explication par la cause formelle. En biologie, le programme génétique est un exemple de cause-forme. Il faudrait rattacher à la cause-forme les principes de conservation ou de symétrie, qui représentent un aspect intemporel de la causalité, et que Meyerson range dans la causalité-identité (voir plus loin). Le
paradoxe est qu'on introduit des causes pour rendre compte du changement ; pourtant, la causalité la plus parfaite est celle qui vaut pour ce qui ne change pas. (« La cause égale l'effet » est une version du principe de causalité, due à Leibniz, et reprise par J. R. Mayer, un médecin qui découvrit le principe de la conservation de l'énergie en étudiant l'oxygénation du sang chez les matelots, sous les tropiques.)
Il arrive qu'une théorie scientifique, grâce à des moyens mathématiques plus puissants, substitue une cause formelle à une cause efficace. Sans doute les causes efficaces sont-elles très proches de nous ; elles ont un modèle biologique : ce sont des actions, et à ce titre comparables à celles que nous exerçons quand nous donnons une impulsion de mouvement à un corps. Elles correspondent même à l'expérience immédiate que nous avons de l'impulsion que notre volonté transmet à nos membres. Mais on a souvent remarqué, depuis
Malebranche et
Hume, que le processus par où nous mouvons nos membres est mystérieux. Les actions se laissent malaisément intégrer dans une théorie, et, autant que la physique doit en admettre, elle rencontre des difficultés à les assimiler ; il semble qu'elle ne sache les expliquer qu'en les ramenant à l'unité (« grande unification »), ou en s'élevant à un niveau « supérieur », celui de la loi ou celui de la cause-forme, ce qui supprime leur
intériorité et le secret de leur efficace. Il n'empêche que nous éprouvons quelque satisfaction lorsque nous sommes en mesure de substituer une forme à une force. C'est ce qui se produit dans le passage de la dynamique newtonienne, qui comporte une
ontologie de forces, à la dynamique hamiltonienne en termes de fonctions d'énergie, ou bien quand nous construisons un
champ physique (une interaction) à partir d'éléments géométriques (relativité générale, théories de jauge).
Les lois, c'est-à-dire les relations quantitatives constantes, qui contiennent un élément de permanence (la loi de corrélation elle-même) et un élément variable (apte à représenter les valeurs qui dépendent de l'application particulière analysée), peuvent être considérées comme du genre des causes formelles. Reste qu'une loi isolée, découverte empiriquement ou par généralisation inductive, et qui n'a ni simplicité, ni beauté, ni profondeur mathématique ne rend pas le logos d'un phénomène. Elle est descriptive plutôt qu'explicative. On appelle « légalité » la collection ou l'ordre des lois. La légalité suppose l'observation et la généralisation. Le caractère idéal des lois apparaît nettement à propos des lois des fluides parfaits ou du mouvement des corps sans frottement. Même quand on les corrige ou qu'on les complique, elles n'expriment pas exactement ce qui se passe, mais plutôt « ce qui se passerait si certaines conditions étaient réalisées » (Meyerson, 1908).
La cause finale (au lieu de cette expression, d'origine scolastique, Aristote utilise « le ce en vue de quoi », ou « le but ») : cette espèce de cause est suggérée par l'activité des êtres conscients, qui font des plans et se proposent d'obtenir certains effets. Pour cela, ces êtres conscients ménagent une ou plusieurs causes, qui, dans ce contexte, deviennent des moyens. Attendu que l'effet, prévu ou voulu, est cause de la cause, il est cause de sa propre cause : le conséquent détermine l'antécédent. Cela se soutient pour des consciences, dans lesquelles l'effet préexiste en tant qu'idée ou projet. Admettre des causes finales dans la nature semble exiger une inversion du sens du temps. En fait, il en est de la finalité comme de la causalité efficace : nous extrayons la première de notre expérience d'individus qui se fixent des buts et la seconde de l'expérience de nous-mêmes comme causes agissantes ou propagateurs d'actions.
Le principe de finalité se formule ainsi : « Rien ne se produit sans but », ou bien : « La nature ne fait rien en vain » (Aristote). Mais il est difficile de croire que ce principe soit universellement vrai, à la différence du principe de causalité : « Rien n'arrive ex nihilo. »
Kant y assigne seulement une portée de principe régulateur et subjectif (d'après lui, la finalité n'est pas dans la nature ; elle est seulement un
concept dont on se sert pour réfléchir sur ses opération).
Admis qu'il existe de l'ordre (puisque, sinon, aucune science ne serait possible), les causes de la mécanique (les lois du mouvement) suffisent-elles à l'expliquer ? La cause finale semble indispensable à rendre compte de la convergence ou de la concordance de séries causales qui paraissent s'accorder en vue d'un résultat. L'ordre est principalement sensible dans le vivant, dans la coordination des structures des organes et dans l'appropriation de ces structures à leurs fonctions. La cause finale n'est pas une cause occulte à support non physique ; elle organise les causes physique. Son rôle est celui d'une idée directrice ou d'un dessin vital (C. Bernard). Admettre de la finalité dans la nature équivaut à la croire intelligente.
L'
histoire naturelle, qui fournit des illustrations et des arguments pour les causes finales, fournit aussi des objections à leur encontre (défauts d'appropriation, adaptations nuisibles, existence de monstres, etc.). Ceux qui se satisfont des explications par les causes mécaniques font observer que l'adéquation des organes à leur fonction est une condition d'existence plutôt que la réalisation d'un but ; qu'elle est la simple manifestation des propriétés de l'organe ; que la fonction est l'organe en action. La difficulté est reportée, car il reste à expliquer la formation de l'organe.
Les lacunes de finalité ou les ratés de la nature peuvent s'attribuer à la complication des fins qui se contrarient les unes les autres, à l'interférence des déterminismes qui se combinent de façon à produire des effets que nous jugeons pervers ou indésirables – du désordre. Platon et Aristote pensent que les causes efficaces, qu'ils appellent mécaniques, peuvent empêcher le jeu de la nécessité selon la forme ou selon la fin. Le réel obéit toujours à des lois, mais ces lois peuvent fonctionner d'une manière aveugle, dévier du cours que prescrirait la forme, créer des embrouillements. D'où un déchet de la causalité : les hasards, les monstres, les cas où la nature travaille « en vain ». Ces philosophes ne croient pas que des causes mécaniques, non guidées par l'attraction du Bien, puissent se coordonner d'elles-mêmes de façon à engendrer quelque régularité que ce soit, dans l'inanimé comme dans l'animé.
La finalité est-elle applicable en nature inanimée ? Leibniz pense que les lois du mouvement ne sont pas purement mécaniques ni géométriques ; elles sont contingentes et résultent des décisions de Dieu, qui choisit toujours le meilleur. Leibniz s'inspire de données géométriques qu'il transpose à la
métaphysique, il s'appuie sur l'existence, dans une dynamique, d'équilibres ou de points singuliers, sur le principe de la moindre action, dont il semble le premier avoir eu l'idée. Ce principe est susceptible de deux interprétations : soit comme principe « réfléchissant », quand on a égard au fait qu'il garantit aux théories physiques la clôture et la consistance, soit comme principe ontologique, quand on pense qu'il exprime le comportement même des choses. L'exemple montre qu'il n'est pas déraisonnable de croire que la finalité se glisse jusque dans l'ordre physique ou mécanique.[/size]
الأحد فبراير 14, 2016 10:59 am من طرف فدوى