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 DESCRIPTION ET EXPLICATION

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فدوى
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14022016
مُساهمةDESCRIPTION ET EXPLICATION

DESCRIPTION ET EXPLICATION
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Certaines disciplines sont descriptives : astronomie, anatomie, zoologie. Une description peut être plus qu'une simple collection non ordonnée de faits ou de données, l'exemple des taxinomies le montre. La géographie comporte une partie descriptive ; les cartes sont de pures descriptions. Une partie de la science économique est consacrée à décrire des institutions ; une autre (les théories) est consacrée à expliquer. La thermodynamique a été d'abord une théorie phénoménologique ; la mécanique statistique a été inventée afin d'expliquer ou de déduire ses lois fondamentales. La relativité restreinte décrit les phénomènes électromagnétiques et ne les explique pas. En principe, il tombe sous le sens que des lois comme celles qui concernent la résistance des matériaux ne peuvent pas être explicatives au même degré que les grandes lois physiques (gravitation, électromagnétisme). L'esprit humain, qui tend à distinguer dans les phénomènes un ordre dérivé et un ordre fondamental, risque d'ailleurs de placer le fondamental à faux. Enfin, certaines disciplines sont descriptives par manque de principes ou de moyens d'explication. Tel est le cas de l'embryologie.
La description échappe aux controverses. L'explication, au contraire, est souvent contestée. On fait valoir qu'elle est impossible ou bien qu'elle recourt à des éléments « métaphysiques », substances ou « qualités occultes ». Nous ne connaissons la nature d'une chose que par ses effets ; ces effets, à leur tour, nous paraissent mystérieux et nous les attribuerions volontiers à l'essence de la chose : c'est un cercle. Faut-il donc se rabattre sur la description ? Quand on décrit, on utilise une langue, la langue naturelle, complétée ou non par des symboles de mathématiques ou de physique. On fait un choix dans l'objet, dont on décide de négliger certains détails. Ensuite, on essaie d'expliquer. La description précède-t-elle toujours l'explication ? Où s'arrête l'une, où commence l'autre ? Historiquement, les lois de Kepler, qui décrivent la forme des orbites planétaires, sont apparues avant la théorie newtonienne, qui les explique. Il serait difficile d'expliquer une réalité qu'on serait capable de désigner mais pour laquelle on ne disposerait d'aucun langage de description. Pendant longtemps, on ne savait pas décrire mathématiquement les phénomènes de turbulence ; a fortiori ignorait-on comment les modéliser de façon à en engendrer la réplique abstraite. Un exemple de description qui n'est pas une explication est fourni par la loi de la chute des corps en fonction des carrés des temps ; la loi n'indique pas la cause de la pesanteur, elle n'explique pas. La loi de gravitation de Newton rend compte du comportement des planètes ; elle demande à son tour à être expliquée. L'esprit humain, sur la route des explications comme sur celle des causes, ne finit pas de remonter en arrière. De même qu'on ne rencontre jamais de cause qui ne soit effet, c'est-à-dire de première cause, on n'a jamais d'explication qui ne demande une explication d'un degré plus élevé. L'esprit humain ne se rassasie pas d'explications.
On en a tiré argument contre l'explication. On dit aussi que les explications sont globales, métaphysiques, spéculatives, imaginées afin de compenser le manque de faits. Qu'elles visent à dire ce que sont en soi les choses, ce qu'on ne peut jamais faire, car la réalité en soi nous est inaccessible. Que nous connaissons seulement des relations entre des phénomènes. Une théorie qui prétendrait nous révéler le vrai fond des choses, par exemple dire ce que la chaleur ou l'électricité sont en soi, devrait d'avance être tenue pour fausse. Nous pouvons savoir les effets des forces, non pas ce que sont les forces. Ces objections émanent des positivistes et des idéalistes, ou en général de ceux qui mettent des relations à la place des substances, et qui soutiennent que trouver la loi des phénomènes, c'est les comprendre. Si l'on juge fondées ces objections, il faut dire que la physique est une science de lois, c'est-à-dire de relations ; les théories, qui systématisent les lois en les classant en systèmes, n'indiquent pas la substance des choses ni ce qui fait qu'elles sont ce qu'elles sont. Une science de lois est descriptive plutôt qu'explicative. Quand on décrit, on court moins de risques de se tromper que quand on veut expliquer. C'est ce que penseDuhem, et on appelle parfois instrumentaliste son épistémologie, en souvenir dupragmatisme de Dewey : de plein droit les théories sont des recettes de calcul, des moyens de prédire des résultats d'expériences futures ; elles sauvent les phénomènes et sont muettes sur la réalité. Cette doctrine est conforme à ce qu'enseigne Auguste Comte.
Qu'est-ce qu'expliquer ? En termes de fins, c'est faire comprendre, puisque le résultat d'une explication devrait être l'intelligibilité. Qu'est-ce que comprendre ? D'après R. Thom, c'est adhérer à une prégnance. Un esprit de mentalité logicienne objecterait que comprendre une personne diffère de comprendre un processus physique, et qu'on n'adhère pas à une séquence causale. Mais comprendre n'est pas approuver, et la vérité n'est peut-être pas plus essentielle à la compréhension qu'à l'explication... L'idée de R. Thom, que comprendre équivaut à refaire intérieurement une opération externe – à en construire une sorte de modèle interne, comme un ordinateur reconstitue la propagation des tensions dans la structure d'un pont –, est de bonne philosophie de la nature : « D'abord un mouvement d'adhésion de l'Ego à une prégnance extérieure, puis un recul reconstituant l'autonomie du moi, et rejetant l'investissement de la prégnance sur un alter Ego extérieur. » Cette idée de R. Thom, qu'il a tirée de son propre fonds, précise le contenu du « Weltbild » (image du monde), que M. Planck croit essentielle à la physique. Elle est encore mieux illustrée par la conviction des classiques, d'après laquelle la « vraie philosophie » est celle « où on conçoit la cause de tous les effets naturels par des raisons de mécanique » (Huygens), c'est-à-dire où l'on rend compte de ces effets par des modifications de la figure et du mouvement d'un système matériel. Telle est encore l'opinion de lord Kelvin (1894) : « Si je puis faire un modèle mécanique, je comprends ; tant que je ne puis pas faire un modèle mécanique, je ne comprends pas. » À l'opposé de ceux qui pensent que des concepts abstraits des sciences physiques (par exemple points matériels et forces de la mécanique newtonienne) ont, pour contreparties familières, des objets de notre perception, les épistémologues idéalistes proclament l'abandon des modèles : que la physique ne doit procéder que par la déduction mathématique pure, sans l'aide d'images mentales. Comme ces auteurs (L. Brunschvicg, G. Bachelard) ne sont pas pythagoriciens, leur intellectualisme signifie simplement qu'ils réduisent la réalité à un système de rapports et de lois inventés par l'esprit. Ils sacrifient la compréhension, ou n'en admettent qu'une forme élémentaire, la légalité ou l'explication par un principe général.
Répondre à la question de savoir ce qui peut se comprendre impliquerait une analyse descatégories de la représentation, et il devrait y correspondre une classification des types d'explication. Quelques-uns seront esquissés ici.

[size=22]1.  Les types d'explication

Pour expliquer, il faut recourir à des entités qui peuvent être soit données dans la perception, soit dérivées de la perception, par voie d'expérience imaginaire ou deraisonnement. Les notions fondamentales de la mécanique proviennent d'une origine concrète et intuitive : les points matériels dérivent des solides, la force dérive de notre sensation d'effort ou de volonté, la masse vient de la sensation du poids, les autres notions – vitesse, quantité de mouvement, force vive, etc. – sont tirées de l'observation du mouvement des corps et d'une distinction fondamentale entre une tendance virtuelle et son actualisation. Les entités intuitives qui correspondent à nos activités physiques ou à nos expériences perceptives (changement de place) sont celles qui nous paraîtraient expliquer le mieux. Il y faut ajouter les figures et les volumes de la géométrie. Cela étant, on peut distinguer des types d'explication.

  L'explication spatiale

On regardait autrefois l'espace comme le nombre pris sous le rapport de l'étendue. La géométrie, disait-on, s'applique à des relations de position qui, traduites en termes numériques à l'aide d'un dictionnaire de coordonnées, deviennent quantitatives. L'explication spatiale aurait donc un caractère quantitatif et, comme la quantité se prête à la réduction à l'unité, tandis que la qualité introduit la diversité, on conclut que la première est plus rationnelle que la seconde. Cela suppose que l'on entende rationnel au sens de calculant. Par ailleurs, le quantitatif n'est qu'un aspect (par exemple métrique) du spatial, et les rapports de situation sont appréciés qualitativement avant d'être mesurés. La physique d'Aristote est exclusivement qualitative. La prédominance du quantitatif dans la physique moderne est venue de ce que les quantités peuvent facilement devenir les termes de corrélations y = f (x) de type numérique, ce qui n'est pas vrai des qualités. En fait, le quantitatif n'est pas de nature à faire avancer la compréhension : une liaison entre des grandeurs, même lorsqu'on sait l'exprimer par une relation « analytique », n'est pas pour autant explicative ; elle demanderait a être expliquée. En outre, le développement de la topologie, branche des mathématiques, a mis au jour des propriétés qualitatives des formes géométriques, propriétés liées à des invariants numériques ou algébriques (indice d'une singularité d'un champ de vecteurs, nombre de tours d'une courbe fermée autour d'un point singulier, etc.).
L'explication spatiale au sens qualitatif serait illustrée par ce qu'on appelle la géométrisation de la physique. En relativité générale, l'espace physique n'est pas conçu comme un espace géométrique qu'on aurait garni de corps étrangers ; les particules font partie intrinsèque de l'espace ; ce sont des états excités du champ gravitationnel. Comme autres exemples, citons la représentation de l'atome et de ses électrons, qui gravitent autour du noyau suivant des orbites correspondant à leur niveau d'énergie (« modèle planétaire » de Bohr-Sommerfeld) ; l'atomisme de l'Antiquité, à condition de considérer que les atomes diffèrent par leur configuration géométrique ; l'explication platonicienne des propriétés chimiques par les propriétés de figures ou par des arrangements spatiaux. E. Meyerson(1927, chap. VIII) énumère quelques exemples d'explication spatiale qui lui paraissent le plus caractéristiques et qu'il trouve dans la chimie. Lavoisier indique déjà comment se groupent les molécules d'un composé, premier pas vers l'idée de structure moléculaire. Par la suite, on a expliqué les isoméries du groupe du benzène par les propriétés d'une figure, le voisinage des atomes correspondant au degré de facilité de leurs substitutions ou de leurs liaisons. La stéréochimie explique la diversité des substances par des arrangements dans l'espace, ce qui rappelle le Timée de Platon. Les dissymétries expliquent les différences des propriétés chimiques de certains cristaux. Enfin, le degré de résistance mécanique des métaux est en rapport avec la présence de dislocations,phénomène géométrique.

  L'explication causale

Elle n'est pas absolument disjointe de l'explication spatiale, puisque le changement de place d'une qualité ou d'un principe plus ou moins immatériel est la première représentation qu'on a donnée de la causalité transitive. Réciproquement, la notion d'espace implique celle de localisation des objets (par exemple des particules) ; faute de celle-ci, la possibilité de suivre par continuité la trajectoire des particules s'évanouit à son tour, et l'explication causale est compromise. C'est ce que certains ont cru pouvoir remarquer à propos de la théorie des quanta. « Savoir, c'est savoir par les causes » : connaître le motif du comportement d'une personne nous fait comprendre ce comportement. Connaître la cause d'un phénomène naturel nous donne l'impression de le comprendre, d'être capable de le refaire mentalement, c'est-à-dire virtuellement. Le type d'action causale le plus simple en apparence, ou qui satisfait de la façon la plus immédiate notre imagination, est l'action de pousser, de tirer ou de soulever, l'exercice d'une force qui déplace un corps ou s'oppose à son mouvement. Le paradigme de la cause efficace est le coup de pied dans un ballon, l'impact d'une queue de billard sur une boule, l'imposition d'un cachet dans la cire, la propagation d'un virus au cours d'une épidémie, etc. Les comportements de la nature qui nous semblent à l'image de notre activité corporelle suscitent en nous un sentiment de familiarité, et ils sont sous-jacents aux objets de l'étude d'Aristote dans sa Physique. Pourtant, les causes efficaces ou productives, quand la science en admet, ont une allure de résidus suspects. Les cartésiens y voient des qualités occultes, irréductibles à la figure et au mouvement, c'est-à-dire à la géométrie et à la mécanique, ou encore une survivance du verbalisme scolastique (les « vertus » du type de la vertu dormitive, ou de la vertu médicatrice de l'école hippocratique). Les forces ont été critiquées à leur tour ; elles ont résisté et se sont imposées parce qu'on en peut mesurer les effets, et qu'elles se laissent formaliser mathématiquement. Elles trouvent place dans un réseau de lois, c'est-à-dire de relations exprimables analytiquement. Les positivistes peuvent donc, s'il leur plaît, ne retenir que les lois et ignorer les causes.
Par causalité mécanique, les philosophes entendent parfois des enchaînements d'états ou d'événements soumis à un déterminisme inflexible, autrement dit les causes mécaniques sont reliées à leurs effets selon une loi rigide qui peut n'être ni connue ni comprise. Ce sens est différent de l'acception courante chez les classiques où il est presque équivalent de géométrique. On ne devrait pas se hâter d'identifier causes efficaces et mécaniques : ces deux mots renvoient à des « systèmes de notations » (au sens bergsonien du terme) différents, c'est-à-dire à des ensembles de concepts non équivalents ; efficace veut dire moteur, et mécanique signifie ici sans finalité ni intelligence.
Parmi les autres espèces de causes que distingue Aristote, on énumère la cause matérielle, substrat permanent ou matériau nécessaire à la construction d'un objet (une scie, qui doit couper, est en métal ; une maison, qui doit procurer un abri durable, est en pierre ou en bois, etc.) ; la cause formelle ou cause-raison (un plan d'architecte, exemple d'Aristote) ; enfin, la cause finale. La cause-forme est ce qui fait que la chose est ce qu'elle est (« to ti èn einai »). Elle n'est pas un antécédent ; elle ne relie pas une chose à une autre chose. Sa particularité est d'être immanente à la chose (la fin n'est immanente que quand elle est réalisée, au terme d'une évolution), au lieu de lui être extérieure ou antérieure, comme l'est la cause productive. À la cause formelle, on ne peut pas attribuer d'effet qui en soit distinct, on pourrait seulement parler de son déploiement dans le temps. Aristote et saint Thomas n'assignent pas d'efficace à la forme seule. La forme n'agit pas ; c'est une substance qui agit par sa forme ou suivant sa forme. De même pour Leibniz et Euler, les principes d'optimum et de stationnarité n'agissent pas par eux-mêmes ; la volonté de Dieu ou la Nature les mettent en œuvre.
La cause-forme est la forme substantielle des scolastiques et la cause adéquate de Spinoza. Contrairement aux convictions répandues, cette cause joue un grand rôle en physique mathématique. Par exemple, le lagrangien d'un système matériel exprime une certaine contrainte sur les positions et les vitesses de ce système, c'est une sorte de logos de l'objet ; l'hamiltonien ou la fonction d'énergie préside à l'évolution temporelle d'un système ; le principe de moindre action est un principe de forme d'où se déduisent les équations du mouvement, etc. L'explication de la gravité par la courbure de l'espace (relativité générale, 1916) est aussi une explication par la cause formelle. En biologie, le programme génétique est un exemple de cause-forme. Il faudrait rattacher à la cause-forme les principes de conservation ou de symétrie, qui représentent un aspect intemporel de la causalité, et que Meyerson range dans la causalité-identité (voir plus loin). Leparadoxe est qu'on introduit des causes pour rendre compte du changement ; pourtant, la causalité la plus parfaite est celle qui vaut pour ce qui ne change pas. (« La cause égale l'effet » est une version du principe de causalité, due à Leibniz, et reprise par J. R. Mayer, un médecin qui découvrit le principe de la conservation de l'énergie en étudiant l'oxygénation du sang chez les matelots, sous les tropiques.)
Il arrive qu'une théorie scientifique, grâce à des moyens mathématiques plus puissants, substitue une cause formelle à une cause efficace. Sans doute les causes efficaces sont-elles très proches de nous ; elles ont un modèle biologique : ce sont des actions, et à ce titre comparables à celles que nous exerçons quand nous donnons une impulsion de mouvement à un corps. Elles correspondent même à l'expérience immédiate que nous avons de l'impulsion que notre volonté transmet à nos membres. Mais on a souvent remarqué, depuis Malebranche et Hume, que le processus par où nous mouvons nos membres est mystérieux. Les actions se laissent malaisément intégrer dans une théorie, et, autant que la physique doit en admettre, elle rencontre des difficultés à les assimiler ; il semble qu'elle ne sache les expliquer qu'en les ramenant à l'unité (« grande unification »), ou en s'élevant à un niveau « supérieur », celui de la loi ou celui de la cause-forme, ce qui supprime leur intériorité et le secret de leur efficace. Il n'empêche que nous éprouvons quelque satisfaction lorsque nous sommes en mesure de substituer une forme à une force. C'est ce qui se produit dans le passage de la dynamique newtonienne, qui comporte une ontologie de forces, à la dynamique hamiltonienne en termes de fonctions d'énergie, ou bien quand nous construisons un champ physique (une interaction) à partir d'éléments géométriques (relativité générale, théories de jauge).
Les lois, c'est-à-dire les relations quantitatives constantes, qui contiennent un élément de permanence (la loi de corrélation elle-même) et un élément variable (apte à représenter les valeurs qui dépendent de l'application particulière analysée), peuvent être considérées comme du genre des causes formelles. Reste qu'une loi isolée, découverte empiriquement ou par généralisation inductive, et qui n'a ni simplicité, ni beauté, ni profondeur mathématique ne rend pas le logos d'un phénomène. Elle est descriptive plutôt qu'explicative. On appelle « légalité » la collection ou l'ordre des lois. La légalité suppose l'observation et la généralisation. Le caractère idéal des lois apparaît nettement à propos des lois des fluides parfaits ou du mouvement des corps sans frottement. Même quand on les corrige ou qu'on les complique, elles n'expriment pas exactement ce qui se passe, mais plutôt « ce qui se passerait si certaines conditions étaient réalisées » (Meyerson, 1908).
La cause finale (au lieu de cette expression, d'origine scolastique, Aristote utilise « le ce en vue de quoi », ou « le but ») : cette espèce de cause est suggérée par l'activité des êtres conscients, qui font des plans et se proposent d'obtenir certains effets. Pour cela, ces êtres conscients ménagent une ou plusieurs causes, qui, dans ce contexte, deviennent des moyens. Attendu que l'effet, prévu ou voulu, est cause de la cause, il est cause de sa propre cause : le conséquent détermine l'antécédent. Cela se soutient pour des consciences, dans lesquelles l'effet préexiste en tant qu'idée ou projet. Admettre des causes finales dans la nature semble exiger une inversion du sens du temps. En fait, il en est de la finalité comme de la causalité efficace : nous extrayons la première de notre expérience d'individus qui se fixent des buts et la seconde de l'expérience de nous-mêmes comme causes agissantes ou propagateurs d'actions.
Le principe de finalité se formule ainsi : « Rien ne se produit sans but », ou bien : « La nature ne fait rien en vain » (Aristote). Mais il est difficile de croire que ce principe soit universellement vrai, à la différence du principe de causalité : « Rien n'arrive ex nihilo. »Kant y assigne seulement une portée de principe régulateur et subjectif (d'après lui, la finalité n'est pas dans la nature ; elle est seulement un concept dont on se sert pour réfléchir sur ses opération).
Admis qu'il existe de l'ordre (puisque, sinon, aucune science ne serait possible), les causes de la mécanique (les lois du mouvement) suffisent-elles à l'expliquer ? La cause finale semble indispensable à rendre compte de la convergence ou de la concordance de séries causales qui paraissent s'accorder en vue d'un résultat. L'ordre est principalement sensible dans le vivant, dans la coordination des structures des organes et dans l'appropriation de ces structures à leurs fonctions. La cause finale n'est pas une cause occulte à support non physique ; elle organise les causes physique. Son rôle est celui d'une idée directrice ou d'un dessin vital (C. Bernard). Admettre de la finalité dans la nature équivaut à la croire intelligente.
L'histoire naturelle, qui fournit des illustrations et des arguments pour les causes finales, fournit aussi des objections à leur encontre (défauts d'appropriation, adaptations nuisibles, existence de monstres, etc.). Ceux qui se satisfont des explications par les causes mécaniques font observer que l'adéquation des organes à leur fonction est une condition d'existence plutôt que la réalisation d'un but ; qu'elle est la simple manifestation des propriétés de l'organe ; que la fonction est l'organe en action. La difficulté est reportée, car il reste à expliquer la formation de l'organe.
Les lacunes de finalité ou les ratés de la nature peuvent s'attribuer à la complication des fins qui se contrarient les unes les autres, à l'interférence des déterminismes qui se combinent de façon à produire des effets que nous jugeons pervers ou indésirables – du désordre. Platon et Aristote pensent que les causes efficaces, qu'ils appellent mécaniques, peuvent empêcher le jeu de la nécessité selon la forme ou selon la fin. Le réel obéit toujours à des lois, mais ces lois peuvent fonctionner d'une manière aveugle, dévier du cours que prescrirait la forme, créer des embrouillements. D'où un déchet de la causalité : les hasards, les monstres, les cas où la nature travaille « en vain ». Ces philosophes ne croient pas que des causes mécaniques, non guidées par l'attraction du Bien, puissent se coordonner d'elles-mêmes de façon à engendrer quelque régularité que ce soit, dans l'inanimé comme dans l'animé.
La finalité est-elle applicable en nature inanimée ? Leibniz pense que les lois du mouvement ne sont pas purement mécaniques ni géométriques ; elles sont contingentes et résultent des décisions de Dieu, qui choisit toujours le meilleur. Leibniz s'inspire de données géométriques qu'il transpose à la métaphysique, il s'appuie sur l'existence, dans une dynamique, d'équilibres ou de points singuliers, sur le principe de la moindre action, dont il semble le premier avoir eu l'idée. Ce principe est susceptible de deux interprétations : soit comme principe « réfléchissant », quand on a égard au fait qu'il garantit aux théories physiques la clôture et la consistance, soit comme principe ontologique, quand on pense qu'il exprime le comportement même des choses. L'exemple montre qu'il n'est pas déraisonnable de croire que la finalité se glisse jusque dans l'ordre physique ou mécanique.[/size]
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فدوى
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مُساهمة الأحد فبراير 14, 2016 10:59 am من طرف فدوى

  L'explication par le hasard et la genèse de l'ordre

Dans les cosmogonies des premiers philosophes grecs, le chaos, état homogène, indifférencié et confus, précède l'ordre. Platon attribue l'ordre à l'initiative d'un démiurge, qui ne crée rien, mais impose à une matière informe préexistante une organisation calquée d'après l'univers des idées. Dans les doctrines créationnistes dérivées du christianisme, le problème de l'origine de l'ordre ne se pose pas. Les penseurs qui veulent éviter de recourir à un architecte divin ne peuvent éviter de poser le problème. Laplace, qui estime que l'univers globalement est semblable à la petite partie que nous en apercevons, se borne à considérer la formation du système solaire, et il essaie d'expliquer par des causes physiques la disposition où il le trouve. Les périodes des planètes, les plans très voisins où elles effectuent leurs révolutions, le sens de parcours de leurs orbites ne lui semblent pas composer un arrangement au hasard. Alors, si l'ordre n'est pas le fruit du hasard, pourquoi régne-t-il dans cet univers ? Laplace en rend compte par l'hypothèse de la nébuleuse et par le jeu des lois de la mécanique. Mais la nébuleuse n'est pas un chaos, elle est animée d'un mouvement de rotation uniforme et la matière y est concentrée au centre ; elle a une forme déterminée et contient en puissance l'ordre que nous voyons et qui en est le développement déterministe. Laplace se donne de l'ordre en conditions initiales ; il a besoin d'ordre pour expliquer l'ordre.
Comment l'ordre pourrait-il sortir du désordre ? Personne n'est capable de le dire. De nos jours, certains soutiennent que des fluctuations désordonnées peuvent diriger les phénomènes : « l'ordre par le bruit », « l'ordre par le chaos ». Mais il est difficile de comprendre comment des phénomènes désordonnés peuvent, en s'ajoutant à d'autres phénomènes désordonnés, faire passer ceux-ci à un état d'ordre ou de symétrie. Des auteurs invoquent le hasard, non pas le hasard entièrement causal à la Cournot, mais le hasard par absence de cause, l'irruption du nouveau, la cause libre, en contradiction avec le principe de causalité. Une autre forme de hasard, l'aléatoire statistique lié au grand nombre des combinaisons susceptibles de se produire au cours d'immenses durées de temps, serait à l'origine des organismes. Ce sont, pour le moment, des conjectures gratuites (et implausibles).

  L'explication mécanique

Le terme a une signification incertaine. Pour Paul Janet, l'explication mécanique exclut la finalité. R. Ruyer conçoit la finalité comme impliquée par le mécanisme, qui postule l'ordre et la coordination. Le mécanisme matérialiste, auquel pense Janet, peut demander le complément d'une finalité ; pour un mécanisme qui inclut les conditions de convergence de ses parties, la finalité est une doublure inutile. L'erreur est de considérer qu'il y a une matière amorphe, à laquelle viendrait se superposer un ordre, une forme. Cela ouvre la porte aux controverses insolubles sur l'origine de cet ordre : la convergence vient-elle du hasard ou d'une finalité soit immanente soit transcendante ? La réalité étant forme, et la partie y étant d'avance en harmonie avec le tout, la division entre cause et raison s'atténue ou s'efface, la finalité apparaît un aspect du mécanisme compris comme théorie de la forme. Cela coupe court à des questions comme celle de savoir quel est le siège de la finalité, où si elle a des forces à ses ordres. Une forme dirige les éléments qu'elle se subordonne. Ainsi la finalité n'a plus besoin du support d'entités, elle devient, comme la causalité dans le système de Leibniz, un réseau de corrélations, une loi. Le point de vue de Ruyer peut se justifier par la considération de la mécanique lagrangienne et hamiltonienne, qui ramène les problèmes de mécanique à des problèmes de géométrie et de structure des solutions. D'ailleurs, eu égard à la diversité des théories qui portent le titre de mécanique (classique, analytique, céleste, statistique, relativiste, ondulatoire, quantique), il devient délicat de définir l'explication mécanique en général. La tentative n'a peut-être même aucun sens.

2.  Les théories de l'explication

En théorie de l'explication, on pourrait opposer deux grands paradigmes, qu'on appellera respectivement substantialiste et relationnel.
Anciens et médiévaux expliquent en termes de substances et de causes : ils admettent des atomes, des agents (causes efficaces et transitives), des supports d'actions causales (fluides propagateurs, vertus sympathiques, espèces sensibles émanées ou reçues, etc.), des formes facteurs d'unité et d'activité (formes substantielles). À l'époque suivante, on a vu, dans ces substances, formes et actions, autant d'abstractions réalisées, d'ailleurs peu sûres : les énoncés sur ces entités sont invérifiables et n'ouvrent la voie à aucune activité pratique. Descartes admet encore deux substances qui se diversifient entre les phénomènes individuels. Dans le cadre du paradigme cartésien (l'explication par figure et mouvement), on ne peut pas comprendre comment la modification de l'état d'un corps a pour effet la modification d'un autre corps. Leibniz et Malebranche montrent que les relations importent plus que les substances. À l'action d'une substance qui se transporte dans une autre, et qui est inintelligible, Leibniz substitue une harmonie, c'est-à-dire une loi de correspondance entre les modifications d'individus (les monades), tous reliés entre eux. Les rationalistes classiques ne pouvaient être que très sélectifs en matière d'admission de causes, puisqu'ils exigeaient qu'elles fussent en même temps des raisons : « causa sive ratio », l'expression se trouve dans Spinoza et dans Leibniz, peut-être déjà dans Descartes (Newton lui-même emploie les termes cause ou raison pour désigner la recherche d'une explication). Les analyses psychologiques de Hume vont dans le même sens que l'épuration effectuée par l'école cartésienne ; elles suppriment la causalité transitive et ne conservent que des successions ou des concomitances constantes. Tous préparaient, à leur insu, le positivisme de l'époque suivante, qui élimine tout bonnement les causes. La réussite de la physique newtonienne contribue à faire délaisser la recherche des causes agissantes pour celles des relations quantitatives entre les phénomènes. Mais la loi n'explique pas, elle décrit une corrélation (en l'idéalisant), indique un rapport entre des conditions et un conditionné. Les épistémologues positivistes soutiennent que les idées de cause et de force sont anthropomorphiques, et que d'ailleurs nous pouvons nous dispenser d'en admettre. « Quand les sciences sont très développées, elles emploient de plus en plus rarement les concepts de cause et d'effet, car ils sont provisoires, incomplets et imprécis. Dès qu'on arrive à caractériser les faits par des grandeurs mesurables, ce qui se fait immédiatement pour l'espace et le temps, ce qui se réalise par des détours pour les autres éléments sensibles, la notion de fonction permet de représenter beaucoup mieux les relations des éléments entre eux... Ainsi, les notions vulgaires de cause et d'effet deviennent superflues » (E. Mach, chap. XVI).
L'abandon de la cause pour la loi, qui exprime un rapport de consécutivité ou de concomitance constante, marque l'affaiblissement du paradigme substantialiste au profit du paradigme relationnel. C. Renouvier résume cela très clairement : « La doctrine des essences et des vertus secrètes, des causes formelles, des formes substantielles étant définitivement répudiée, d'une part – quoiqu'elle ait gardé de beaux restes dans nos habitudes de penser –, et, d'une autre part, la recherche expérimentale de la cause d'un phénomène étant manifestement impossible en tout autre sens que celui-ci : la condition nécessaire et suffisante de sa production, alors que l'ensemble des conditions antécédentes, multiples, complexes et indéfiniment régressives dans le passé sont supposées données, il faut se soumettre au sens phénoméniste ainsi défini, et se borner à l'étude des conditions générales et des conditions déterminantes. C'est la méthode que le fondateur du positivisme a eu le mérite de reconnaître comme imposée à la physique, en ces termes : renonciation à la recherche des causes, réduction de la science à la détermination des lois des phénomènes. » La science n'a pas à expliquer ; elle ne le pourrait qu'en supposant des substances et des actions : les premières sont insaisissables, les secondes inintelligibles. Elle se contentera de décrire. D'ailleurs, ajoute Duhem, les explications sont toujours caduques ; ce qui survit des théories, ce sont les lois systématisées en langage mathématique, non pas les hypothèses réalistes, qui ne procurent qu'une illusion passagère d'intelligibilité : ce qui est recevable au titre de causes (formes substantielles médiévales, forces, fluides impondérables et tourbillons, du XVIIe auXIXe siècle) dépend de dispositions psychologiques, d'habitudes de pensée variables suivant l'époque. Comte recommandait de s'abstenir de ces hypothèses, sauf en vue de « relier les faits ».
Parmi les méthodologues, W. Whewell et Meyerson sont les rares qui ont vu dans la découverte des lois la première étape de la science. Selon eux, le pas suivant consiste à construire une théorie causale : c'est ce qui s'accomplit dans la transition de Kepler à Newton. Commentant la règle comtienne de n'étudier que les lois des phénomènes, à l'exclusion de leur mode de production, Whewell écrit : « Une telle règle manquerait son propre objet, car en bien des cas les lois des phénomènes ne peuvent pas même être exprimées ou comprises sans quelque hypothèse relative à leur mode de production. » Par exemple, Laplace et Fourier, qui évitent de supposer que la chaleur est un fluide, rapportent la conduction à la constitution moléculaire des corps.
À l'époque contemporaine, le recul des causes et de l'explication causale est lié à deux facteurs : d'une part la considération d'états de choses microscopiques où interviennent une multitude d'agents que nous sommes incapables d'isoler et d'individualiser, d'une autre part la difficulté de connaître l'état initial d'une façon exacte, en sorte que la causalité serait « sans contenu physique ». S'y est ajouté le règne d'une idéologie athéiste ou existentialiste pour laquelle le déterminisme impliquerait la croyance en un Dieu qui aurait prédéterminé la série de tous les événements à l'infini dans le passé et dans l'avenir.

3.  Expliquer et déduire

Au paradigme relationnel se rattache la conception nomologico-déductive de l'explication que l'on croit due à E. Goblot, mais qui est antérieure. En analysant une explication, on y découvre un ou plusieurs énoncés décrivant des conditions particulières, et un énoncé général, de forme implicative, qui est la loi. Ainsi : « Cette pierre est un corps, tous les corps tombent, donc cette pierre tombe. » On est censé expliquer un fait individuel en déduisant d'une loi l'énoncé qui le décrit. C'est la doctrine de J. S. Mill : « Un fait particulier est expliqué quand on a indiqué la loi dont sa production est un cas. Une loi de la nature est expliquée quand on indique une loi ou d'autres lois, dont elle est une conséquence », et de H. Spencer : « On explique un fait en le ramenant à une loi, celle-ci à une autre loi plus générale, et ainsi de suite jusqu'à une première loi qui ne peut être expliquée. » Cette conception logique des empiristes, qui met dans la déduction le caractère de nécessité que possède en droit l'explication scientifique, est insuffisante : expliquer n'est pas déduire. On le voit en mathématiques, où une démonstration ne révèle pas forcément la cause, c'est-à-dire la raison du théorème. Déduire consiste à insérer des énoncés intermédiaires entre une prémisse et une conclusion. Une déduction ne formalise pas toujours un rapport explicatif (susceptible de rentrer dans un des types recensés plus haut). La nécessité logique ou déductive n'est ni suffisante ni indispensable à l'explication. La part de vérité de la théorie nomologico-déductive est la suivante : une loi scientifique particulière, obtenue par induction, est expliquée quand elle apparaît comme une conséquence des principes d'une théorie plus vaste, elle-même explicative. Celle-ci engendre la description, elle la déduit. Exemples : les lois de Kepler, résumé de faits d'observation accumulés par Tycho-BrahéDESCRIPTION ET EXPLICATION Td_photo, sont déduites par la théorie newtonienne de la gravitation ; la relativité générale déduit la description des phénomènes de gravité (décrits par l'équation de Poisson).
DESCRIPTION ET EXPLICATION Ph994684Photographie
[size=13]Le système de Tycho BrahePar son étude du système solaire, le Danois Tycho Brahe (1546-1601) ouvrit la voie aux découvertes de Copernic. 
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فدوى
رد: DESCRIPTION ET EXPLICATION
مُساهمة الأحد فبراير 14, 2016 10:59 am من طرف فدوى

4.  La critique de Meyerson

Le paradigme relationnel, avec sa variante logiciste, représente l'orthodoxie positiviste, qui réduit l'explication à la description légale, c'est-à-dire en termes d'énoncés de rapports quantitatifs constants. Meyerson a critiqué ce réductionnisme en montrant qu'il ne rend pas justice à la tendance explicative des sciences. D'abord, la physique – la discipline qui passe, à l'époque contemporaine, pour être devenue la plus favorable aux thèses idéalistes et positivistes – reste substantialiste et réaliste. Les sciences remplacent l'ontologie du sens commun ou la complètent par des apports imaginaires, en tout cas elles supposent des entités, dont on s'assure ensuite si elles sont trouvables dans la réalité ou si elles sont rationnellement justifiées. Ces entités, moins accessibles que celles de la perception, et qui peuvent être des principes immatériels, des qualités occultes (avouées ou non comme telles : actions à distance, impénétrabilité, élasticité, élan vital, entéléchies, etc.), sont d'abord hypothétiques. C'est le cas, dans l'Antiquité, des atomes, petits solides insécables et invisibles, qui en s'agglomérant forment les solides et les liquides que nous voyons ; de la chaleur, expliquée par un fluide calorique ; de la lumière, expliquée par les vibrations d'unéther aux propriétés confuses ; de la gravité, définie par la courbure de l'espace-temps en rapport avec les masses qui y sont situées. Parmi ces êtres, initialement fictifs ou inobservables, les uns ont ensuite été jugés inutiles ou incompatibles avec les données expérimentales ; d'autres ont vu leur existence confirmée et leurs véritables propriétés précisées ; d'autres enfin ont été retenus pour leur fécondité théorique. La tendance à compléter le réel par de l'imaginaire qui en rend compte est si spontanée que périodiquement il faut en redresser les abus ou les déviations (rasoir d'Occam à la fin duMoyen Âge ; élimination néopositiviste des inobservables au XXe siècle). En dépit des impasses de l'explication, il est inexact que la science se contente de la description légale. Les lois formulent une relation entre un antécédent et un conséquent temporels, reste à trouver une liaison rationnelle entre ces deux éléments. Bref, on ne se suffit pas du comment, on veut connaître le pourquoi. C'est une différence entre décrire et expliquer. L'explication est censée indiquer pourquoi les choses sont ce qu'elles sont ; elle le fera par exemple en montrant qu'elles ne peuvent pas être autrement.
On pense qu'une bonne explication est vraie. Sans doute rejetons-nous une explication que nous savons fausse. Mais la vérité, pas plus que la déduction logique, n'est une condition suffisante. Une théorie imparfaite, voire fausse, peut être douée de pouvoir explicatif. D'abord, elle n'est pas sans générativité, elle peut sauver les phénomènes, engendrer la description, prédire correctement. Whewell mentionne l'hypothèse des épicycles, celle de l'horreur du vide, celle du phlogistique. On peut y ajouter la théorie marxiste de la plus-value, la théorie freudienne du surmoi... S'ajoute à cela que des théories, même fausses, préparent à percevoir la loi vraie.
Ensuite, le pouvoir explicatif d'une théorie tient à ce que les entités qu'elle admet sont conformes au type de celles reçues dans la science et la philosophie de l'époque. Quand des substances y étaient reçues, on n'avait pas de mal à admettre des causes substantielles. Les « vertus », qui diffusent dans leurs effets, paraissaient naturelles, avant d'être raillées par les cartésiens. Ce que Meyerson (1927) trouve à blâmer dans la vertu dormitive, c'est qu'elle ne sert qu'au cas particulier pour lequel on l'a introduite. « Que si au contraire on avait pu, à l'aide de cet être, évidemment fictif, déduire plusieurs phénomènes, il n'est pas certain que l'hypothèse eût été aussi condamnable. C'est pourquoi la théorie de la chaleur-fluide, qui suppose cependant l'existence d'un être aussi fictif que la vertu dormitive, était une excellente théorie scientifique. » La réciproque est vraie : dans un âge de phénoménisme, où ne sont admises ni substances ni causes, seuls demeurent des rapports, c'est-à-dire des déductions et des lois ; l'explication est tenue pour verbalisme inutile, voire illégitime. Seule la fonction descriptive est maintenue. Une science descriptive renonce à comprendre la nature ; qu'à cela ne tienne, on fait valoir que la science n'a pas pour but le développement de la compréhension, mais l'accroissement du savoir ; et que le savoir a pour but l'action : « Savoir pour prévoir, prévoir pour agir » (A. Comte).
Meyerson pense que l'épistémologie positiviste méconnaît la science réelle. Celle-ci crée des objets, tout ne s'y réduit pas à la formulation de rapports sans supports. (Cettecréation d'objets, l'auteur oublie de le préciser, est soumise au contrôle par la systématisation géométrique ou analytique : ainsi la gravité newtonienne s'est-elle imposée malgré le fait qu'elle est une action à distance.)
La théorie de l'explication scientifique de Meyerson s'appuie sur une conjecture touchant la nature de la raison. Étudiant de nombreux exemples (mécanique classique, relativité), il y relève des marques d'un effort vers l'unité et l'identité. La réduction du multiple à l'un, du changeant à l'immuable, ce sont les caractéristiques attribuées à l'entendement par É. Boutroux ; Meyerson les attribue à la raison. Celle-ci cherche l'identique et le permanent. D'après Spinoza, « il est de la nature de la raison de percevoir les choses comme possédant une sorte d'éternité ». Le principe de causalité s'applique à ce qui change : on cherche une cause parce qu'un changement est intervenu. L'effet diffère forcément de la cause, sinon rien ne se passerait. Pourtant, certaines versions du principe de causalité vont jusqu'à affirmer l'identité de l'antécédent et du conséquent. La raison, lorsqu'elle ne peut pas nier la différence et le changement, se rabat sur des principes de conservation, équations de bilan qui affirment que ce qui sort d'un domaine est égal à ce qui y rentre, quand on suit le domaine dans son mouvement (conservation de la masse, ou équation de continuité ; conservation du volume par certaines dynamiques). La physique établit l'existence de constantes du mouvement qui restent identiques sous des transformations telles que translations spatiales ou temporelles, rotations spatiales, etc. (On appelle principes de symétrie les lois qui les concernent.)
Cette marche à l'identité rencontre des obstacles. Tout ne se laisse pas réduire à l'unité ou à l'équivalence. La loi de causalité, autant qu'elle « affirme la conservation absolue de l'être, de la nature des choses, ne s'applique pas exactement aux données de l'expérience » : Boutroux l'avait déjà signalé. Parmi les variantes du principe de causalité, il mentionnait : « La quantité d'être demeure constante. » Renouvier, penseur de la pluralité, avait montré que l'exigence d'unité, ou de « synthèse totale », qui pousserait jusqu'à la suppression de la diversité, serait la négation de la relation, donc de la connaissance, dont la loi est la relativité. La raison meyersonienne a un curieux penchant autodestructeur ; elle finirait dans le monisme absolu si la réalité ne la tenait en lisière. Une partie de la nature ne s'explique pas ; le divers, l'individuel, le temps avec son irréversibilité ne se laissent déduire d'aucune façon, ni logique ni mathématique. Tout n'est pas rationnel ; tout n'est pas irrationnel non plus, sinon la science explicative serait impossible, et il y a une science explicative. Cela contredit les positivistes (Comte, Mach : l'hostilité à l'atomistique, Duhem), qui affirment que les lois (relations entre phénomènes) peuvent rendre inutiles les causes (ontologie de substances et d'actions) ; en outre, Meyerson croit, avec les positivistes, que la causalité efficace (agents causatifs) est et reste infrascientifique. La légalité représente bien, à ses yeux, un « progrès » sur ce que R. Thom appelle « causalité langagière » (presque toutes nos phrases, dans la vie quotidienne, sont soit des questions, soit des assertions sur des causes), mais elle n'est pas, selon Meyerson, la causalité tout entière ; elle n'en est qu'une partie, une propédeutique à la causalité-identité, idéal de la raison et de la science. La cause efficace est à l'action ce que l'intelligibilité (la causalité-identité) est à la légalité. Les théories puisent leur force explicative dans « le postulat de l'identité dans le temps ». Ce postulat est à l'origine de l'ancien atomisme, qui lui-même dérive de l'Être immuable des Éléates. Il a donc fourni la notion de matière, qui fut le premier invariant de la physique. L'essentiel est que quelque chose persiste, la nature de ce qui persiste étant de moindre importance.
Par ce biais de la causalité-identité, que manifeste la préférence pour les principes de conservation et les lois réversibles de la mécanique, la raison retrouve, au-delà de l'ordre des relations légales, une réalité qui, par sa permanence, s'apparente à une chose : « Ce qui nous guide, [...] c'est la tendance à transformer un rapport en une chose, afin de voir se conserver non seulement la loi, mais l'objet, ce qui est le véritable sens de la tendance causale » (1908). La causalité-identité est proche de la causalité formelle ou de la nécessité selon la forme d'Aristote (bien que Meyerson n'opère pas le rapprochement). La cause formelle n'est pas une cause active, c'est le plan de l'objet, son logos, ou le logos (la loi d'évolution) d'un processus. Ce pourra être une entité géométrique (champ de vecteurs, système dynamique). Dans la cause formelle comme dans la loi, l'individualité de la cause efficace s'abolit.
En guise d'exemple, Meyerson analyse certains aspects de la relativité générale, où il voit le prototype de l'explication globale qui ramène la matière à un espace doué de propriétés dynamiques. On peut trouver d'autres illustrations. À la causalité-identité correspondraient des systèmes dynamiques dotés de nombreux invariants de l'évolution (intégrales premières). L'existence de constantes du mouvement équivaut, à la limite, à un effacement de la phénoménologie, c'est-à-dire du changement, dans l'identité à soi d'un logos géométrique ou algébrique immuable. Que l'unité et l'identité représentent l'idéal de la raison est assez vraisemblable. Cet idéal est réalisé dans la tautologie logique, mais celle-ci est sans prise sur la réalité extra-mentale ou extra-linguistique.

5.  L'explication, réduction de l'arbitraire de la description

Des comparaisons entre les théories de l'explication nous pouvons conclure ce qui suit.
D'abord, l'explication et la description comportent l'emploi d'un langage et d'une ontologie : ce langage contient des règles génératives qui, à partir des propositions et entités primitives, en produisent d'autres. En principe, pour décrire, une générativité pauvre suffit, et l'ontologie est fournie par l'observation ou l'expérience ; en d'autres cas, des éléments mathématiques s'ajoutent (par exemple, dans le cas des lois de Kepler, la théorie des coniques, la loi des aires et le concept de moment cinétique). À la limite, décrire consiste à reproduire. La description la plus parfaite n'est pas le tableau de faits ni le rapport du chercheur sans idées, c'est la photographie, la maquette, avec, si possible, indication du relief. Quand il s'agit de décrire un processus, il faudrait le film de tous les instantanés saisis dans le devenir. Il s'ensuit qu'une description exacte serait aussi encombrante que l'original, donc inutilisable. L'explication, exploitant les ressources d'un langage doté d'un potentiel génératif plus grand, permet d'alléger la description. Resserrant les liaisons entre les composantes de la phénoménologie, elle « réduit l'arbitraire de la description » (R. Thom).
On a expliqué un fait lorsqu'on a une forme mathématique ou logique capable d'engendrer la description de ce fait. L'exemple le plus trivial de forme est la loi, relation quantitative qui demeure identique en toutes les occurrences auxquelles on l'applique. Une loi scientifique comporte une partie fixe, la règle de correspondance elle-même, et une partie variable, adaptable aux cas particuliers. La loi déduit par instantiation la description de chaque cas particulier qui rentre dans ses conditions de validité. Ainsi, la générativité est un élément de l'explication. Cet élément ne constitue pas toute l'explication, contrairement à ce que soutiennent empiristes et positivistes pour qui la nécessité ne peut consister que dans des a priori logiques. Quand l'élément de générativité est de nature logique, il est représenté par la déduction, laquelle est le plus souvent un moyen de contrôle des conséquences qu'on a tirées de postulats ou de principes, un supplément aux défaillances de l'intuition. Dans les grandes théories physiques, la générativité est mathématique : géométrie différentielle pour la relativité générale, espace de Hilbert et analyse fonctionnelle pour la théorie des quanta, etc. Un exemple de générativité mathématique est donné par les transformations d'un groupe qui se combinent par composition en engendrant des transformations nouvelles.
L'autre élément explicatif réside dans l'ontologie, et, d'après ce qu'on vient de voir, il ne se laisse pas disjoindre de la générativité. Ce qui confirme le rôle de l'ontologie comme facteur d'explication, c'est l'efficacité de certains verbalismes qui admettent des entités parfois réputées grossières, que des cartésiens stricts eussent tenues pour des qualités occultes (psychanalyse : pulsions inconscientes, « complexes », etc. ; marxisme : lutte des classes, prolétarisation croissante, crises du capitalisme ; physique : atomes, pressions, poussées, forces ; biologie : force vitale, entéléchies, etc.).
La générativité mathématique ou logique pourvoit à la nécessité d'enchaînement rationnel des propositions et d'engendrement d'entités ; l'ontologie (entités mathématiques, objets imaginaires, objets physiques, etc.) fournit comme la matière de la nécessité. L'explication ne se borne pas à montrer les choses comme elles sont ; elle montre qu'elles ne peuvent pas être autrement. Spinoza : « Il est de la nature de la raison de considérer les choses non comme contingentes mais comme nécessaires. » Eu égard à ces deux aspects de la nécessité impliqués dans l'explication – nécessité logique et nécessité ontologique –, l'explication peut être qualifiée de réduction d'arbitraire. Généralement, l'explication échappe tant qu'on n'a pas découvert les entités mathématiques ou le complément d'imaginaire appropriés.
D'après ce qui précède, il n'existe pas de discontinuité entre décrire et expliquer : la description est le degré zéro de l'explication, ou bien un cas trivial, dégénéré d'explication. La légalité, quoique ayant une valeur explicative souvent médiocre, constitue déjà une réduction d'arbitraire. Elle tombe donc dans l'explication, et cela paraît raisonnable à admettre.
Jean LARGEAULT
 

DESCRIPTION ET EXPLICATION

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