[size=32]Explication et classification des manifestations fonctionnelles et psychosomatiques[/size]
[size=undefined] [size=undefined]Patrick Juignet, Psychisme, 2012.[/size][/size]
Dans la mesure où l'on retrouve des manifestations fonctionnelles et psychosomatiques dans à peu près toutes les formes de personnalité, ces manifestations sont à considérer comme des syndromes ubiquitaires, même si dans certains cas, ils prennent le devant de la scène. Nous proposons ici une conceptualisation permettant de distinguer et différencier les divers syndromes somatiques d’origine psychique.
PLAN
1/ La base théorique
Généralités
Tout ce qui sera désigné comme « fonctionnel » et « psychosomatique » dans cet article, renvoie sur le plan conceptuel à la relation entre psychisme et somatique. Cette relation ne peut trouver d’explication qu’au sein d’une conception globale et cohérente de l’individu humain. La conception proposée ici admet que l'être humain est un individu en interaction avec son environnement concret, mais surtout en interaction relationnelle avec l'environnement humain. Le terme "individu" veut dire que chaque être humain possède un certain degré d’indivision, de cohésion, d’homéostasie, et de séparation par rapport à l’environnement.
L’homme en tant qu’individu n’est nullement homogène et doit être considéré selon des degrés d’organisation. Les modes d’organisation présents chez l’homme sont de complexité croissante. Pour simplifier nous partirons de l’organisation biologique, ce qui est suffisant dans le cadre qui nous intéresse. L'individu peut alors être considéré comme étant constitué de trois entités : 1/ le bio-somatique pris dans son ensemble, avec au sein du biosomatique un appareil remarquable, le système nerveux . C’est au sein de ce dernier et que par complexification de l’organisation apparaissent deux niveaux qui nous intéressent particulièrement 2/ le niveau neurofonctionnel et 3/ le niveau cognitivo-représentationnel.
Le biosomatique regroupe l'ensemble des organes et appareils qui peuvent être associés a un mode d'organisation homogène, celui qui est habituellement qualifié de biologique. Le système nerveux en fait partie, car il a un mode d'organisation neurobiologique que l'on décrit sous le registre anatomique (sa structure) et neurophysiologique (l’activité des neurones et des cellules gliales, leurs modifications métaboliques). Mais, de plus, en son sein émergent deux niveaux de complexité supérieure : le niveau "informationnel" (le traitement des signaux électriques et biochimiques dans les réseaux neuronaux) et le niveau "cognitivo-représentationnel " (le système des composants représentationnels et schèmes cognitifs qui émergent du mode informationnel). Pour simplifier, nous regroupons les aspects neurophysiologiques et informationnels ensemble sous le terme de "neurofonctionnel".Nous aboutissons à distinguer trois entités, le bio-somatique, le neurofonctionnel et le cognitivo-représentationnel , chacune ayant une relative autonomie, car elles sont constituées par des modes d’organisation propres et spécifiques. Elles sont évidemment en liaison constante et dépendent les unes des autres.
Ce modèle permet d’envisager deux types d’interactions complémentaires, les unes concernant les relations de l’individu à son environnement et les autres concernant les interactions entre les trois entités individualisées au sein de l’individu. Ce sont uniquement ces dernières interactions qui nous intéressent ici. À partir de ces interactions, il est possible de proposer un schéma explicatif extrêmement simple des manifestations fonctionnelles et psychosomatiques. Il suffit de considérer les interactions entre les entités qui ont été individualisées, et de voir si elles ont une répercution biosomatique, sous une forme ou une autre.
Les interactions entre entités chez l’individu
Les interactions se font entre entités contiguës et en cascade de proche en proche. Cette interaction permet de comprendre très aisément les divers types de manifestations fonctionnelles et psychosomatiques.
1/ interactions de contiguïté
- Entre le neurofonctionnel et le cognitivo-représentationnel
Il y a, d’une part, une dépendance du second qui émerge du premier et, d’autre part, une double interaction. Dans un sens, celui des systèmes intégratifs, le neurofonctionnel forge les contenus et processus représentationnels et dans l’autre sens celui de l’effectuation (qu’elle soit présentative ou conative) il y a une transcription en mode neuroinformationnel (signalétique et chimique).
- Au sein du neurofonctionnel
Le neurofonctionnel dépend du neurologique (des réseaux neuronaux, des neuromédiateurs, des systèmes précablés). Il en constitue le fonctionnement, mais en même temps s’autonomise au sens où le traitement de l’information (les signaux électriques et biochimiques circulants) a ses propres règles. En mode descendant, il envoie des commandes qui empruntent nécessairement le système neurologique central et périphérique.
- Entre le neurofonctionnel et le biosomatique en général
En fin de trajet descendant, le neurofonctionnel commande via les systèmes moteurs et végétatifs l’ensemble du biosomatique. Ceci est trop connu pour être développé. Cette action est certaine et évidente puisqu’il faut passer par le biosomatique pour réaliser un acte quelconque commandé par une idée.
-Ascendante : du biosomatique au cognitivo-représentationnel
Ceci est plus obscur, mais on sait que, par voie montante, les dysfonctions biologiques d’origine purement somatiques provoquent des effets neurofonctionnels et représentationnels ( les maladies graves s’accompagnent d’idées de mort qui sont produites par le fonctionnement cognitivo-représentionnel).
De plus, il est probable que des troubles biologiques mal connus (immunologiques, endocriniens) par voie montante entrent en interaction avec le neurofonctionnel provoquent des manifestations floues comme par exemple dans la fibromyalgie et la fatigue chronique.
Le neurofonctionnel et le neurologique au sens strict agissent constamment sur les régulations du tonus musculaire et sur le système neurovégétatif ayant ainsi des actions viscérales. La régulation n’est pas infaillible et peut dysfonctionner à certain moment pour se rétablir ensuite grâce aux processus homéostatiques.
4/ Une idée des mécanismes interactifs ?
Ce sont ces interactions verticales qui interviennent dans les manifestations psychosomatiques et fonctionnelles et qui permettent de les expliquer. Nous n’avons que des idées sommaires sur ces mécanismes interactifs très complexes
Le niveau représentationnel peut envoyer, via le niveau neurosignalétique, des signaux au système limbique, au système réticulé et à l’hypothalamus. Par le biais du système réticulé, il peut agir sur la musculature (tensions, dystonie, tremblements) par le biais de l’hypothalamus il peut agir sur l’axe cortico-surrénalien et les systèmes sympathique et parasympathique.
Le stress, peut être déclenché par des aspects purement représentationnels (par exemple une information verbale signalant un danger imminent). À la phase d’alerte, on note un d'hyperfonctions représentationnel avec une activation des processus intellectuels à quoi s’ajoute une stimulation des processus biologiques par le système sympathique et médullo-surrénalien et une activation du comportement, notamment l’anticipation de l’action et l’élaboration de réponses.
Tout cela est mal connu, mais il est certain que ces interactions existent. Nous ne les préciserons donc pas, mais supposerons seulement qu’elles existent pour comprendre et catégoriser les manifestions fonctionnelles et somatiques supposées être d’origine psychique.
5/ Dans quelles circonstances y a-t-il une interaction ?
C’est ici qu’il faut faire intervenir le concept de psychisme comme entité supplémentaire liée à l’émotionnel et au relationnel. Le psychisme tel que décrit par la psychanalyse correspond à ce qui détermine les conduites affectives et relationnelles. Il ne correspond pas à l'une des entités décrites mais est à cheval sur le neurofonctionnel et le cognitivo-représentationnel. Certains aspects du psychisme étant plus d'un côté ou plus de l'autre.
Pour avoir un trouble, il faut nécessairement qu’il y ait un mouvement affectif. Une idée abstraite sur la marche des étoiles, le style du dernier prix Goncourt ou le démontage du carburateur, ne provoque pas de symptômes. Il faut une énergie mobilisatrice, qui ne peut être que d’ordre affective et d’origine relationnelle. Ce que l’on nomme du terme très flou d'énergie psychique, n’est pas d'ordre cognitivo-représentationnel. Si force motrice il y a, elle est nécessairement neurofonctionnelle. Mais d'un autre côté, l'expérience montre que cette énergie est en relation avec des souvenirs, des représentations, des raisonnements, qui sont de type cognitivo-représentationnels. C'est pourquoi il est nécessaire de considérer le psychisme comme entité mixte. Les deux niveaux de fonctionnement, cognitivo-représentationnel et neurofonctionnel interviennent dans ce qu’on appelle le psychisme.
Ceci est évidemment valable pour les troubles fonctionnels et psychosomatiques. Pour avoir un trouble psychosomatique, il faut nécessairement qu’il y ait un mouvement affectif intense en relation avec des souvenirs, des représentations, des raisonnements, qui sont de type cognitivo-représentationnels.
2/ La catégorisation clinique qui en découle
Le modèle proposé ci-dessus permet de comprendre et de catégoriser les faits considérés comme fonctionnels et psychosomatiques décrits par la clinique. Il suffit de se demander lequel des quatre niveaux que nous avons individualisé agit le plus dans la genèse de manifestations corporelles et somatiques. Si nous reprenons le schéma de compréhension proposé, la confrontation à la clinique amène à considérer un certain nombre de cas. Nous les séparerons en deux catégories : 1/ Les cas exclus de l’étude 2/ Les symptômes qui ont leur origine dans le fonctionnement cognitivo-représentationnel et le fonctionnement neurosignalétique.
Les cas exclus de l’étude
Ces cas sont aussi intéressants que les autres, mais ils ne sont pas concernés par notre étude qui suppose deux critères : une origine psychique et un caractère pathologique.
Les manifestations corporelles ordinaires
Les manifestations corporelles, telles que perçues habituellement, sont d’origine représentationnelle. Ces aspects comme des attitudes, la gestualité, la présentation, l’adoption de parures, de vêtements, etc. Elles sont comparables à une expression langagière. Ce sont des formes signifiantes, plus ou moins codées, qui sont interprétées au niveau représentationnel. Elles sont explicables par notre modèle, mais ne sont pas pertinentes pour la psychosomatique, car elles ne constituent pas des symptômes pathogiques. Nous les laisserons de côté.
Les manifestations somatiques biologiques
Les manifestations symptomatiques causées par le fonctionnement biosomatique sont soit normales, soit pathologiques. Normales, elles sont des indices du bon fonctionnement somatique, de la santé. Pathologiques, elles sont des indices d’une maladie organique et entrent dans les symptômes répertoriés par la clinique médicale classique. Ceci forme l’ensemble de la sémiologie médicale qui ne nous intéresse ici qu’au titre de diagnostic différentiel : ce n’est pas de ce type de symptômes dont s’agit ici.
Les troubles d’origine psychique
Nous arrivons maintenant à notre propos. Ce sont les manifestations qui ressemblent aux symptômes d’étiologie biologique, mais qui n’en sont pas. Nous allons tenter une catégorisation et distinguer différents types de manifestations pathologiques selon leur origine cognitivo-représentationnelle ou neurofonctionnelle. On peut les définir comme les effets descendants (vers l’appareil biosomatique) du fonctionnement cognitivo-représentationnel et de son sous-jacent neurofonctionnel. Nous allons voir quatre cas.
3/ Les cinq formes de symptomatologie retrouvées
Les manifestations corporelles pathologiques
Les manifestations corporelles sont une expression des processus spécifiquement de type cognitif et représentationnel du psychisme. Elles sont identiques aux formes signifiantes et comparables à une expression dans un langage non verbal. Ne pouvant s’exprimer de manière directe claire efficace, c’est-à-dire débouchant sur un énoncé et une conduite appropriée, les processus représentationnels s’expriment de manière corporelle détournée. C’est ce qui a été décrit comme « conversion » hystérique. Nous le définirons tout simplement comme un processus représentationnel ayant un effet corporel.
Ce sont celles qui ont été décrites comme « conversion » par la psychanalyse et sont nommées « troubles somatoformes par le DSM-IV ». Nous ne suivrons pas le DSM.
Les manifestations fonctionnelles transitoires
Les manifestations fonctionnelles, sont aussi une expression d’origine représentationnelle, mais elles entraînent une modification physiologique pathologique, par relais au niveau neurobiologique puis biosomatique. Ici aussi, il est probable que ne pouvant s’exprimer de manière directe, les mouvements affectifs passent dans la physiologie de manière inappropriée. Ce peut être, par exemple la dyspnée, tachycardie et la crise d’angor. Ces manifestations sont réversibles et correspondent à un dysfonctionnement physiologique quoique sans lésion. Elles peuvent être aiguës ou chroniques et toucher tous les appareils : elles peuvent être motrices, sensorielles, digestives, respiratoires, cardiaques, urinaires, génitales, neurologiques. La différence avec les précédents symptômes est qu’il y a une inscription neurofonctionnelle avec effet biologique et donc une autonomisation possible. Dans ce cas ce qui est prédominant se passe au niveau neuroinformationnel (le traitement des signaux dans les réseaux neuronaux) avec des conséquences neurophysiologiques. De ce fait elles peuvent persister même si la cause représentationnelle est partie. Elles demandent une rééducation spécifique.
Les manifestations fonctionnelles constantes et/ou générales
Il peut s’agir de la forme précédente chronicisée mais, souvent, on ne retrouve pas d’origine précise. La dysfonction semble avoir toujours été là. On peut supposer un manque d’apprentissage à la régulation et au calme pendant l’enfance et/ou un facteur constitutionnel d’origine génétique. C’est ce que l’on appelle les dystonies neurovégétatives.
Sans se prononcer sur leur caractère acquis ou inné, il est patent que chez certaines personnes, il existe une tendance anxieuse constitutionnelle. La personne se sent facilement stressée, elle a souvent des somatisations fonctionnelles (douleurs, spasmes, hypotension, sudation, etc.). Comme dans le cas précédent ce qui est prédominant se passe au niveau neurofonctionnel avec des conséquences physiologiques.
Les manifestations biosomatiques
Les manifestations somatiques induites sont des symptômes d’origine psychique mais un double relais au niveau neurophysiologique puis biologique entraîne une véritable dysfonction biologique non réversible spontanément. Dans ce cas ce qui est prédominant se passe au niveau biosomatique même s’il y a une origine représentationnelle. Ce sont des maladies au sens ordinaire du terme avec un désordre biologique. L’expression directe et claire est ici encore plus absente qu’ailleurs. La mentalisation est très pauvre d’une manière générale et pas seulement en ce qui concerne le trouble. Cette quasi-absence de pensée verbalisée chez certains patients a été anciennement repérée (Férenczi, 1924).
On peut considérer trois cas.
1/ Ce dysfonctionnement aboutit à une lésion biologique véritable. C’est ce que l’on nomme généralement les maladies psychosomatiques ou le stress pour les formes transitoires .
2/ Le dysfonctionnement psychique est souvent un facteur déclenchant par rapport à une maladie préexistante. Par exemple les crises d’eczéma ou les crises d’asthme.
3/ Les cas incertains, car l’absence d’étiologie organique peut-être le fait de notre ignorance actuelle, ce qui conduit à une psychologisation abusive tout à fait néfaste.
Les manifestations biosomatiques provoquées
Nous sommes à la limite de ce qui peut entrer dans notre étude, car dans ce cas il n’y a pas de transmission descendante d’un niveau à l’autre. Les manifestations somatiques provoquées, sont des désordres somatiques obtenus par des actes volontaires qui ont une motivation purement cognitivo-représentationnelle. Les deux pôles opposés sont à considérer simultanément, le représentationnel et le biosomatique.
5/ Conclusion
Les troubles fonctionnels et psychosomatiques s'expliquent par les interactions pathogènes, allant par voie descendante du cognitivo-représentationnel vers le biosomatique. Pour ces troubles, l'intervention thérapeutique est mixte il faut à la fois traiter le dysfonctionnement somatique et son origine psychique.Pour plus de détails cliniques voir : Manifestations fonctionnelles et psychosomatiques Bibliographie
« Troubles psychosomatiques de l’adulte » in Widlöcher D, Braconnier A., Psychanalyse et psychothérapie, Flammarion, Paris,1996.
Médecine psychosomatique, Haymal A. Pasini W., Paris Masson, 1984.