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 • Continuité et discontinuité du devenir de la science

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فدوى
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فدوى


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13022016
مُساهمة• Continuité et discontinuité du devenir de la science



Pour chacune des positions que nous venons d'esquisser, la notion d'un état de la science historiquement déterminé renvoie en fin de compte au problème de la conception continue ou discontinue de son histoire. Une conception strictement continuiste, qui nierait toute espèce de rupture, ne nous paraît pas tenable au vu des événements eux-mêmes que la chronique scientifique nous fournit à l'état brut. Mais que signifie vraiment la discontinuité du mouvement de la science ? Cette question ne peut être clairement posée, nous semble-t-il, qu'à condition de reconnaître une différence de nature entre deux types de rupture. Le premier caractérise le passage d'une connaissance aux visées et aux procédures multiformes à une connaissance fortement focalisée, passage dont le prototype désormais classique nous est fourni par la constitution d'une mécanique, entre 1638, date du Discorso de Galilée, et 1687, date des Principia [Philosophiæ naturalis principia mathematica] de Newton. Il s'agit alors d'une transformation profonde, effectivement réalisée, notons-le, dans le seul domaine de la connaissance des mouvements. Si profonde qu'il est légitime, au vu des conséquences qui continuent d'en découler jusqu'à nos jours, de réserver désormais le nom de science au type de connaissance qui s'est trouvé ainsi consacré. Cette consécration est apparemment définitive – non pas sans doute en ce qu'elle institue pour toujours une définition de l'objet et des méthodes, mais en ce qu'elle poursuit de façon constante et couronnée de succès unprojet. Nous pensons pouvoir résumer ce projet en trois points, dont la banalité apparente cache la difficulté d'exécution et les résistances que sa prise de conscience a rencontrées :
1. La science vise une « réalité », quelle que soit l'interprétation que la philosophie veuille donner à ce terme : il s'oppose seulement ici à toute production que l'imagination construirait sans obstacles.
2. La science cherche une « explication », c'est-à-dire l'insertion de la réalité qu'elle décrit dans un système abstrait de concepts, débordant les faits singuliers que l'expérience nous propose. Une explication ainsi entendue suppose que les faits à expliquer soient transposés d'abord sous la forme d'un « modèle » abstrait, dont les éléments puissent être définis par leurs relations mutuelles et, pour certains d'entre eux, par un protocole de rapports avec l'expérience.
3. La science se soumet à des critères de « validité » qui sont explicitement formulables et qui font l'objet d'un consensus.
C'est la conjonction de ces trois exigences qui nous paraît caractériser la visée scientifique telle qu'elle est explicitement apparue avec la « révolution galiléenne ». Cette visée n'implique ni une restriction du domaine où elle prétend s'exercer, ni une détermination a priori des méthodes. Mais elle entraîne certainement une rupture avec les visées de connaissance qui prenaient pour paradigme la saisie perceptive immédiate du monde et son interprétation par des mythes ou par des systèmes de valeurs. En ce sens, il y a donc discontinuité radicale de l'histoire de la science ; et cette discontinuité, qui éclate auXVIIe siècle dans le domaine de la mécanique, ne se manifeste point au même moment dans toutes les régions de l'expérience ; elle ne s'est pas encore réalisée complètement dans le domaine des faits humains et la question demeure ouverte de savoir si elle s'y réalisera jamais tout à fait.
Mais il est important de ne pas confondre cette rupture initiale avec les coupures secondaires qui scandent l'histoire d'une science déjà constituée comme telle. On pourrait dire qu'avant l'avènement de la vérité scientifique la multiplicité et l'anarchie des modes d'approche sont telles qu'il n'y a en aucun domaine encore de « paradigmes » au sens de Kuhn. Cette idée de « paradigme » ne peut avoir de sens, avec les réserves proposées plus haut, qu'après l'avènement d'une science. Et les substitutions de paradigmes ne constituent nullement alors des destitutions, mais des réaménagements de l'état antérieur. Il est impossible, en effet, de mettre sur le même plan le passage d'une mécanique newtonienne à une mécanique relativiste et le passage des spéculations aristotéliciennes et médiévales sur le mouvement à la mécanique de Galilée. C'est dans ce dernier cas, en effet, que l'idée kuhnienne d'une impossibilité de traduction trouve un sens : aucun concept prégaliléen ne peut être proprement traduit dans le langage de la mécanique classique (et réciproquement), tandis que la mécanique einsteinienne, au contraire, accueille les notions prérelativistes comme figures limites, simplifiées mais rigoureuses, de ses propres concepts. La discontinuité intérieure au régime de la pensée scientifique n'exclut en rien l'unité profonde d'une visée, ni le progrès cumulatif de la connaissance. Et c'est pourquoi l'histoire des sciences ne peut être étrangère à l'épistémologie, pas plus que l'épistémologie ne peut se désintéresser des figures concrètes prises antérieurement par la pensée scientifique. En quoi consiste, schématiquement, cette suite de ruptures internes qui scande apparemment le devenir de la science ?

  La dialectique interne du progrès scientifique

Un état de la science est conditionné, sans doute, par des circonstances externes de nature diverse : techniques, économiques, sociales, politiques, idéologiques. Mais il se définit surtout par un système de concepts dont la cohérence maintient le développement de la recherche et de l'invention dans une certaine sphère, système s'étendant souvent fort au-delà du domaine d'objets pour lequel il a été conçu. Tel fut le cas, par exemple, du système newtonien des forces attractives dérivant d'un potentiel, qui a, jusque dans leXIXe siècle, servi de modèle à des explications de phénomènes de toute espèce, y compris dans le domaine des faits humains. S'il est vrai, comme nous croyons l'observer au cours de l'histoire, que cette cohésion du « paradigme » est essentiellement interne, les « révolutions » successives qui marquent l'histoire de la connaissance scientifique dans ses différents domaines ont aussi une origine endogène. Sans doute n'est-il pas question de nier que les circonstances générales de la vie sociale conditionnent le mouvement de la science, favorisent ou freinent telles orientations de recherche, orientent la pensée scientifique vers tel domaine plutôt que tel autre en fonction des intérêts d'un groupe ou des exigences des situations, voire de l'inertie des institutions. Mais ces conditions ne sauraient rendre compte de la transformation des contenus mêmes de la science. Si l'on veut comprendre la création d'une algèbre abstraite dans la seconde moitié du XIXe siècle, ce n'est pas à l'état politique et social de l'Europe entre 1815 et 1870, ni à la révolution industrielle qu'il est raisonnable d'en demander la clef. L'examen de la structure conceptuelle d'un domaine scientifique, de l'état des instruments dont on y dispose, telle est la tâche de l'épistémologue qui veut saisir la pensée scientifique dans son mouvement réel, et particulièrement reconnaître la nature et le jeu des novations qui sont inséparables de cette pensée même.
Les ruptures lui apparaissent alors comme des réponses aux obstacles qui mettent en cause l'ensemble d'un système conceptuel. Il s'agit non pas des difficultés particulières, problèmes pour ainsi dire quotidiens, dont le système lui-même fournit justement le cadre et l'outillage permettant de les résoudre, mais de contradictions globales, d'impossibilités de poursuivre les conséquences impliquées par le système ou de donner un sens à des résultats d'expérience qu'il a pourtant permis d'imaginer. C'est donc une réflexion, une reconsidération du système lui-même qui, tout en maintenant la visée fondamentale de la science, conduit alors à une refonte des manières de décrire les objets et d'en formuler les déterminations mutuelles. La mécanique relativiste est ainsi née d'une réflexion suscitée par la difficulté d'embrasser en un même système unifié les phénomènes décrits par la mécanique classique et les phénomènes de mouvement dus aux forces électromagnétiques ; la biologie moléculaire s'est constituée à partir d'une critique des théories de la fermentation ; le calcul infinitésimal lui-même rompt avec l'analyse cartésienne en donnant droit de cité aux objets mathématiques produits par la considération de séries infinies et de courbes géométriques impossibles à définir et à traiter par l'algèbre ordinaire. De telles ruptures se produisent à l'intérieur d'une organisation de connaissance déjà caractérisée par la visée que nous décrivions plus haut. Ce sont des restructurations d'ensemble, mais des restructurations internes. Le système antérieur qu'elles détrônent se trouve réinterprété, resitué, dans la nouvelle perspective. Une partie du nouveau système apparaît en général comme « image » de l'ancien système, à la façon dont les entiers naturels réapparaissent comme fractions de dénominateur unité dans le système des nombres rationnels. Cette transposition, qui en conserve les propriétés décisives, permet assurément de dire qu'à la rigueur l'ancien système a disparu et que le nouveau n'opère plus avec les mêmes concepts. Mais il est clair que se trouvent réalisées les conditions d'une traduction naturelle. Bien plus, une restructuration réussie apporte une explication critique des succès – limités – du système antérieur et la raison de ses échecs.
L'épistémologie semble donc devoir être inséparablement structurale et historique, en ceci qu'elle ne peut mettre en lumière la structure d'un état de la pensée scientifique sans faire apparaître, dans le système, les traces et le filigrane de ses zones de fracture.

3.  Problèmes de l'épistémologie contemporaine

Si l'on veut présenter maintenant en un tableau sommaire les problèmes qui paraissent occuper en priorité les épistémologues d'aujourd'hui, il conviendra, plutôt que de décrire des courants et de définir des substantifs en « isme », d'esquisser une sorte de cartographie de l'univers épistémologique actuel, en y montrant les lieux les plus recherchés des explorateurs. Or il nous semble que les problèmes peuvent être groupés autour de deux centres d'attraction majeurs, deux interrogations que pose, à l'intérieur de la science, une double disparité de types de connaissance : l'opposition de sciences « formelles » et de sciences « empiriques », d'une part ; d'autre part, l'opposition des sciences de la nature et des sciences de l'homme.
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