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 Le retour du conservatisme de rupture

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04122010
مُساهمةLe retour du conservatisme de rupture

Le retour du conservatisme de rupture


26 Novembre 2010 | Henri Hude*
Le retour du conservatisme de rupture AmericanflUne situation claire a émergé des dernières élections américaines : celle d’une division politique radicale. Ce constat n’est ni de la rhétorique, ni du sensationnel. C’est la réalité vraie. C’est sérieux et c’est grave.Je ne parle pas de ces divisions vives, mais normales et tolérables, qui font la vie d’une communauté politique confrontée à des grands choix : isolationnisme ou participation au concert des nations, entrée en guerre ou neutralité, déségrégation et droits civils, détente ou affrontement, indépendance énergétique ou environnement, etc. Le degré de division actuelle est probablement sans précédent, même si ce sera sans doute moins sanglant, depuis la Guerre de sécession (1861-1865).

Un auteur bien informé avait déjà publié un livre lucide, il y a deux ans, intitulé The Second Civil War. How Extreme Partisanship Has Paralysed Washington and Polarized America.

C’est aussi l’opinion de Newt Gingrich, homme politique et historien, que j’ai écouté hier dimanche soir sur C-Span. Il écrit dans son livre To Save America — “Pour sauver l’Amérique”, que le compromis n’est plus possible, ni durable, et que ce pays ne fera pas l’économie d’une période de haute tension intérieure, s’il veut éviter la paralysie. L’année 2012 et la suivante seront très chaudes aux États-Unis.

Un choix politique clair

En quoi consiste cette division ? Deux propositions politiques sont en présence :

1/ continuer et intensifier une politique social-démocrate, Obama marquant une troisième étape de ce mouvement historique, après celles de Roosevelt (années trente) et de Kennedy-Johnson (années soixante) ;

2/ mettre fin à cette politique et revenir à la philosophie américaine classique, à « la formule qui marche ». Reagan avait donné un premier coup d’arrêt en ce sens, et les efforts de Clinton avaient pu être bloqués, mais George Bush a laissé aller les choses par faiblesse, et cela ne peut plus durer. Même si ce n’est pas dit nettement, il s’agit de savoir s’il faut, ou s’il ne faut pas, répudier la logique de compromis social-démocrate, et tolérer un glissement progressif vers le « socialisme ». Il s’agit de savoir s’il faut, ou s’il ne faut pas, revenir à la politique américaine classique en refermant la parenthèse du New Deal, ouverte par la victoire de Franklin Roosevelt sur le président Herbert Hoover en 1932.

Il est peut-être significatif que la collection « The Americain Presidents », chez Times Books, qui ne comportait pas de volume consacré à Hoover, jugé invendable, ait décidé en 2009 de consacrer un volume de la série, plutôt bienveillant, à la personnalité et à la carrière d’Herbert Hoover. Mes citations de Hoover dans ce qui suit sont tirées de ce livre (William Leuchtenburg, Herbert Hoover, 2009).

Comme le système des contrepoids (checks and balances) caractérise les institutions américaines, la paralysie est probable, au mieux une collaboration bipartisane minimale, jusqu’aux prochaines élections. Si le choix des électeurs en 2012 n’est pas assez net, la paralysie peut s’éterniser. Et comme les patrons ont besoin, pour investir, de prévoir les conditions, notamment fiscales, de leur action, il est probable qu’il n’y aura pas de reprise américaine nette avant que le choix ait été fait.

L’échec de l’Obamacare

Le débat se focalise sur la création de jobs, la réduction des dépenses publiques, les réductions d’impôts, et sur la loi d’assurance maladie.

La grande presse française a fait l’éloge du président Obama pour sa grande loi, appelée ici Obamacare, qui était censée mettre enfin les iniques États-Unis au niveau de la très juste Europe. Si notre presse voulait être réellement informative, elle essaierait de faire comprendre la raison de l’extraordinaire impopularité de cette loi auprès des trois quarts de la population, autrement qu’en expliquant que les Américains sont un peuple de parfaits égoïstes et de demeurés incapables de reconnaître leur intérêt le plus évident.

Quand on écoute ici les débats sérieux sur le sujet, on voit bien qu’il ne s’agit pas de priver les gens d’assurances sociales et de vouer les pauvres à la misère. Comment un candidat à des élections ouvertes dans une démocratie pourrait-il se présenter avec un produit aussi invendable ? Il s’agit de rendre autant que possible au marché les fonctions d’assurance, sociales ou autres, tout simplement parce que la démocratie américaine, c’est le capitalisme, et que le capitalisme, ici, c’est la démocratie.

Il ne s’agit pas non plus de dissimuler certaines difficultés spécifiques au marché d’assurance de la santé, comme celle des « conditions préexistantes », mais de trouver des solutions adaptées, en cohérence avec la logique générale du système.

L’histoire se retourne

La grande dépression de 1929 a été mise au compte de la politique trop traditionnellement capitaliste du président Hoover ; les innovations de Roosevelt (intervention de l’État, augmentation des dépenses publiques, grands travaux, assurances sociales d’État, etc.) ont été accueillies avec enthousiasme, comme si elles avaient sauvé l’Amérique. Et même si les remèdes de Roosevelt n’ont pas eu d’effet, le peuple y a cru, a pris patience et a voté pour lui avec constance et fidélité.

Au contraire, la dépression de 2008 est mise au compte de la social-démocratie usée, qui érode « la formule qui marche », et qu’il faut maintenant brider pour relancer la démocratie, c'est-à-dire le capitalisme. La dépression actuelle était déjà là, bien entendu, quand Barack Obama a succédé à George Bush. C’est pourquoi il serait absurde de l’imputer au président actuel. Mais ce n’est pas ce que fait le courant dominant de l’opinion (Tea Party et également, il faut bien le dire, le mainstream du peuple américain), qui se définit comme conservateur et met les deux partis dans le même panier.

La mise en cause des deux partis

Aux démocrates, les conservateurs reprochent d’avoir eu l’initiative d’une politique au fond socialiste. Ils ne sont plus si éloignés de penser comme Herbert Hoover qui maintenait, dans sa vieillesse, que « les buts de Kennedy étaient mauvais » et que sa politique « promouvait un socialisme déguisé en État-Providence ». Il ne fallait pas mettre seulement le petit doigt dans l’engrenage de la logique socialiste. Et pour refuser le mélange « toxique » entre des logiques incompatibles, Hoover ajoutait qu’« il suffisait d’une goutte de typhoïde dans un tonneau d’eau pour rendre malade tout un village » (Leuchtenburg, 156). Au lieu de se moquer des ces propos politiquement incorrects et de ce qu'ils ont de manifestement excessifs, il faut essayer de comprendre comment, rétrospectivement, ils semblent aujourd’hui prophétiques à un très grand nombre d’Américains.

Aux républicains, les conservateurs reprochent d’avoir validé ces politiques boiteuses et le glissement vers le socialisme, en acceptant des décennies de compromis. Ce mainstream conservateur n’est pas un groupuscule fascisant. La presse française est grotesque, quand elle s’installe sur cette ligne. Le courant dominant ne fait que relever la philosophie traditionnelle de l’Amérique et grouper derrière elle une grande partie du peuple : les républicains, aiguillonnés par le Tea Party, unis aux démocrates conservateurs, et ralliant la majorité des Indépendants.

On le voit, il ne s’agit plus des oppositions habituelles entre modérés des deux bords, tous d’accord sur le principe du compromis social-démocrate introduit par Roosevelt, mais il s’agit de revenir à la philosophie économique traditionnelle de l’Amérique et à sa culture, qui ont fait sa grandeur, et qui seules peuvent conférer leur stabilité tant à son libéralisme politique qu’à son leadership dans le monde.

Quel est donc ce conservatisme de rupture ?

La politique de rupture avec la social-démocratie est appelée « conservatrice », aux États-Unis, non parce qu’elle voudrait conserver le compromis existant, mais parce qu’elle se réclame de la tradition de capitalisme démocratique à culture morale et/ou religieuse — c’est là ce que la plupart des Américains ont dans l’esprit quand ils parlent de démocratie.

Le compromis social-démocrate a été accepté en 1933, puis après, mais seulement à doses réduites, à cause d’une situation d’extrême urgence (« supreme emergency ») et dans la mesure où son ampleur n’allait pas au-delà d’un correctif laissant subsister pour l’essentiel la structure du capitalisme démocratique.

Il est donc admis et convenu qu'il n'est pas permis d'en faire l'élément central et structurant de la vie sociale.

La loi sur le healthcare : un pont trop loin ?

L’Obamacare est donc une décision qui sort de l’épure et qui change la structure. Elle est vue comme une création idéologique sans racines dans la mentalité américaine, contraire au sens commun du capitalisme démocratique. C’est pourquoi elle a fait déborder le vase.

L’opposition est très vive sur le sujet, car des deux côtés on invoque la morale. Un ami qui a voté Obama me disait avec colère : « Dans ce pays, quand on a un cancer, le premier souci qu'on a est de savoir où trouver l'argent pour se faire soigner. » Un collègue démocrate, pourtant beaucoup plus progressiste que lui, tenait le propos pour exagéré.

La social-démocratie, même usée, aurait pu se maintenir longtemps, si elle n’avait pas voulu s’étendre. Ayant fait un pas de trop, elle est engagée dans un mouvement de recul, qui n’est pas près de s’arrêter, si du moins les conservateurs suivent l’avis de Newt Gingrich, c'est-à-dire savent remplacer ce qu’ils détruisent, au lieu de s’y opposer stérilement : « Il faut passer d’un conservatisme d’opposition à un conservatisme de remplacement. »

Le consensus traditionnel devient-il un sujet de division ?

Cette tradition de démocratie capitaliste n’est « normalement » ni démocrate, ni républicaine, au sens partisan du mot. Les deux partis adhèrent « normalement » à la « formule qui marche » et ne se distinguent « normalement » que par une sensibilité plus forte à telle ou telle des dimensions essentielles de cette tradition. Ils peuvent d’ailleurs, selon les moments, échanger leurs fonctions et changer les valeurs qu’ils prennent en charge.

C’est cette tradition, « normalement » partagée, qui permet une culture politique de régime mixte. Et le capitalisme chavirerait sous la force des vents de l’avarice (greed), sans l’énorme quille de traditions familiales, morales et évangéliques, qui font « normalement » partie de la vie.

Mais jusqu’à quel point peut-on encore aujourd’hui employer ce mot de « normalement » aux États-Unis ? House divided.

Ronald Reagan, George Bush II, Herbert Hoover

La politique conservatrice (de rupture) se réclame le plus souvent de Ronald Reagan, et elle reproche à George Bush II sa timidité et son infidélité à la doctrine républicaine. Le « conservatisme compatissant » de ce dernier (compassionate conservatism), était, disent-ils, un bon produit électoral right in the middle, mais en voulant absurdement donner à tout le monde la pleine propriété d’une maison, y compris à ceux qui ne pouvaient pas se la payer une, Bush a préparé une énorme crise du crédit.

Ce n’était pas là, assurément, un conservatisme sérieux. Pour le Tea Party, Bush agissait en somme en homme du New Deal. Comme l’écrit le même Newt Gingrich dans Sauver l’Amérique (To Save America”), la thèse la plus révolutionnaire, aujourd’hui, c’est « 2 + 2 = 4 ».

Jusqu’à une date récente, les critiques du New Deal étaient considérés comme des vieilles barbes. Chacun admettait qu’il fallait rechercher un bon compromis entre l’action du marché et celle de l’État. Les libertariens étaient considérés comme des excités dont la droite avait honte. Aujourd’hui, on se demande sérieusement si le compromis social-démocrate n’était pas un monstre incohérent, et surtout s’il était juste, et s’il était démocratique. On se dit que le statut de l’intervention étatique dans le domaine de l’économie ou de l’assurance (de la solidarité) était, peut-être, celui d’un parasite : sans force propre et ne vivant que de l’organisme qu’il débilite et, à la fin, tue.

Ce n’est pas que les conservateurs prônent l’égoïsme. La self-reliance n'est pas le chacun pour soi, mais ils estiment que le marché peut faire mieux que l’État, y compris en matière de solidarité. La démocratie suppose un dynamisme des individus que détruit la logique d'assistanat. De toute façon, la première forme de solidarité, c’est la création de jobs, laquelle, à l’évidence, n’est pas le rôle de l’État. Or la création de jobs suppose que le capitalisme n’est pas étouffé par l’État, ni dénaturé par la corruption que permet l’étatisme.

Au-delà des références à Ronald Reagan, il s’agit bel et bien (même si cela n’est pas dit) d’une rupture avec la politique inaugurée en 1932. En somme, les conservateurs pensent qu’Herbert Hoover avait raison
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