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 Conservatisme théorique, préférences thématiques et variabilité des types d’arguments scientifiques convaincants

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Conservatisme théorique, préférences thématiques et variabilité des types d’arguments scientifiques convaincants Empty
04122010
مُساهمةConservatisme théorique, préférences thématiques et variabilité des types d’arguments scientifiques convaincants

40Mais alors qu’est-ce donc qui, en fait, préside aux choix effectués ? Qu’est-ce qui, en cas de difficulté, conduit à explorer certaines pistes plutôt que d’autres et, en présence de plusieurs théories concurrentes simultanément développées, à retenir celle-ci plutôt que celle-là ? Quels autres facteurs que la logique et les stimuli sensoriels contribuent en pratique à arrêter les décisions prises ?
41L’examen d’épisodes concrets d’histoire des sciences semble autoriser à ce sujet quelques conclusions générales. D’une part, le conservatisme théorique prévaut dans la plupart des cas : quand plusieurs types de modifications de la théorie en vigueur apparaissent possibles, les scientifiques sont tout d’abord portés vers la solution la « moins coûteuse théoriquement », autrement dit vers la solution qui correspond à une remise en cause minimale des acquis théoriques et observationnels antérieurs. Ils hésitent à adopter une hypothèse nouvelle ou à rejeter une hypothèse ancienne, si ce geste conduit au final, du fait des liens logiques et linguistiques qu’entretient l’hypothèse considérée avec les autres énoncés du système de la science, à des remaniements trop nombreux et trop importants.

  • 12 . Gerald Holton, L’Imagination scientifique, Gallimard, 1981.

42D’autre part et corrélativement, des facteurs esthétiques en un sens très large du terme – encore appelés facteurs « thématiques » 12 –, jouent un rôle de premier plan : en cas de litige entre théories difficiles à départager sur la seule base de leur capacité à prédire des observations connues, les hommes de science élisent en général les théories les plus simples, celles dont les explications apparaissent les plus élégantes, celles qui semblent le plus naturellement compatibles avec les scénarios théoriques admis dans d’autres spécialités de la même discipline ou dans d’autres domaines de la science.

43Le problème est qu’il n’existe pas de critères universels de simplicité, d’élégance, de « compatibilité toute naturelle », etc. Tous les scientifiques reconnaissent avoir une nette prédilection pour les théories simples, élégantes, etc. ; mais tous ne s’accordent pas lorsqu’il s’agit en pratique de décider laquelle des théorie en lice est effectivement la plus simple, la plus élégante, etc. De plus, tous n’établissent pas forcément la même hiérarchie entre les thémata dominants : l’un fera primer la simplicité, l’autre la cohérence, etc. Enfin, chaque scientifique peut manifester certaines préférences thématiques tout à fait spéciales, qui soit lui sont propres, soit ne sont partagées que par un très petit nombre de ses collègues. Par exemple, Einstein préfère les théories qui présentent des fondements simples et unifiés, c’est-à-dire les théories qui peuvent être dérivées d’un nombre aussi réduit que possible de principes simples et commensurables.

  • 13 . Léna Soler, « Les quanta de lumière d’Einstein en 1905, comme point focal d’un réseau argumentatif(...)

44Le terme de « préférence » s’avère d’ailleurs dans bien des cas peu approprié car bien trop faible : « exigence » ou « impératif » apparaît alors plus adéquat. Ainsi, chez Einstein, la formule « obtenir des théories dotées de fondements simples et unifiées » fonctionne comme une puissante et parfois douloureuse injonction, qui motive toute la recherche et conduit à déprécier systématiquement toute théorie jugée non conforme au critère, quelle que soit la capacité de cette théorie à prédire les phénomènes 13.


  • 14 . À titre d’exemple particulièrement frappant, ibid. En 1905, Einstein d’une part, les autres physic(...)

45Admettre les considérations précédentes revient à reconnaître que des facteurs subjectifs – au sens de « variables d’un individu à l’autre » – jouent un rôle dans l’histoire des sciences. Les préférences thématiques propres étant susceptibles d’influencer de manière spécifique le jugement de chaque homme de science, il se peut – et il se produit de fait fréquemment – que les verdicts des spécialistes divergent lorsqu’il s’agit de décider, sur la base des mêmes données expérimentales, quelles hypothèses nouvelles sont plausibles ou invraisemblables ; quelles modifications des théories en vigueur valent la peine d’être explorées plus avant ; quelles théories sont acceptables ou inacceptables, admissibles comme solution provisoire mais inadmissibles en tant que « dernier mot de la physique » ; etc. 14.

46Les variations de jugements qui dérivent des préférences thématiques sont des variations individuelles, liées à des facteurs psychologiques et biographiques. En plus de celles-ci, interviennent d’autres variations, que l’on peut par contraste qualifier de « collectives » ou de « sociales » : elles concernent le point de vue d’une communauté de spécialistes toute entière, et non plus celui d’un individu singulier.

  • 15 . Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques [1962, postface de 1969], Flammarion, 1983(...)

47Ainsi, au cours du temps, les physiciens ont collectivement apporté des réponses à bien des égards différentes, à un certain nombre de questions ayant trait aux caractéristiques des théories physiques. Par exemple : à quoi doit viser une théorie physique (décrire, prédire, expliquer…) ? Quels types de problèmes et de solutions peuvent légitimement être jugés scientifiques ou non scientifiques ? Parmi les énigmes non résolues par la théorie physique en vigueur, lesquelles peuvent être ignorées comme anecdotiques, et lesquelles doivent être considérées comme rédhibitoires ? Quels types d’arguments sont réellement convaincants ou non convaincants ? 15 Etc.

48L’affirmation qu’évoluent effectivement les réponses collectives apportées à de telles questions, donc qu’évoluent certaines normes de la recherche scientifique, a souvent été perçue comme un grave coup porté aux prétentions de la science à l’objectivité et au progrès. Le risque n’est rien moins que celui du relativisme. En effet, soutenir que les critères de scientificité et les types d’arguments convaincants changent foncièrement au cours du temps, revient à récuser l’idée d’une méthode scientifique universelle permettant d’évaluer les diverses théories successives à partir des mêmes critères universels de jugement.
49Une manière d’échapper au relativisme serait de parvenir à montrer que les normes de la recherche progressent, que les plus récentes sont effectivement meilleures que les anciennes. Mais comme il faut nécessairement des normes de jugement pour établir la supériorité d’une norme par rapport à une autre, l’on se trouve pris dans une régression à l’infini. L’affirmation que les théories récentes sont effectivement « plus vraies », « plus probables », ou au moins « moins fausses » que celles qu’elles ont supplantées, se trouve alors menacée. En effet, de tels jugements restent entièrement relatifs à des critères de scientificité (de vérité, de plausibilité, de fausseté…) eux-mêmes variables et impossibles à fonder. Le risque surgit que le progrès scientifique ne soit en fait qu’une illusion. Science et quête d’absolu


50Y a-t-il lieu, sur la base de l’ensemble des considérations précédentes, de ravaler les accomplissements de la science ? De conclure, par exemple, que les hommes de science se comportent en fait de manière irrationnelle ? Qu’à y regarder de plus près, la méthode scientifique n’est qu’une invention de philosophes aveuglés par le prestige du label « scientifique », ou n’est qu’un mythe créé par des scientifiques en quête d’auto-justification a posteriori et de légitimité sociale ? Que le choix entre théories rivales, loin de résulter de bonnes raisons (i. e. d’être imposé par la nature de l’objet d’étude, ou plus précisément par les données expérimentales connues et par elles seules), est en fin de compte essentiellement déterminé par des facteurs psychologiques et sociaux historiquement variables et contingents ? Que les théories scientifiques, produits d’une activité en fait dépourvue de méthode authentiquement scientifique, sont seulement des conventions ou des inventions, sont à placer sur le même plan que, par exemple, la science-fiction, les religions, les mythes, la sorcellerie ou les croyances populaires ? En un mot, y a-t-il lieu de conclure, pour s’en désespérer ou s’en délecter selon les cas, au scepticisme et au relativisme les plus extrêmes ?
51La réponse qu’un auteur apporte à ces questions dépend, d’une part, du sens conféré aux expressions clés de « rationalité », de « méthode scientifique », d’« objectivité », etc. D’autre part et corrélativement, des espoirs investis dans ce qui se trouve visé sous de telles expressions ; ou, plus précisément, de la puissance du désir d’absolu dont ces expressions sont porteuses : désir d’un Autre de l’homme (nommé, selon les terminologies, les époques et les conceptions : Dieu, l’Être, la Nature, l’en soi, la réalité indépendante…) ; d’un Autre auquel l’homme pourrait prétendre accéder ; mais d’un Autre auquel l’accès n’est ni automatique, ni facile. L’accès, admet-on en effet, n’est possible que selon certaines voies bien déterminées (par exemple la révélation divine, ou la recherche de vérités rationnelles innées présentes en chaque être humain, ou l’observation des phénomènes empiriques, ou l’expérimentation systématique…). Il reste de plus toujours limité (certaines « voies de Dieu sont impénétrables », reconnaissent les croyants le plus fervents ; les théories scientifiques ne sont jamais au mieux que des esquisses incomplètes et approximatives de la réalité étudiée, admettent les scientifiques les plus optimistes). Néanmoins, l’accès n’est pas complètement barré.
52Désir de transcender la condition humaine, de sortir de ce qui est relatif à l’homme et à sa constitution psycho-sensible particulière, pour atteindre des Vérités absolues, ou au moins des miettes de telles Vérités. Désir séculaire, mais dont les prétentions se sont historiquement trouvées toujours davantage et sur divers plans rabattues, spécialement avec l’entrée dans l’« ère du soupçon », foyer du « relativisme post-moderne ». De telle sorte qu’aujourd’hui, se trouve vivement réactivée et reposée, sous des formes déplacées, la très ancienne question de la valeur des discours humains, celle de la nature et du degré des certitudes auxquelles l’homme peut espérer accéder. Or les discours scientifiques, et spécialement la physique, sont de nos jours unanimement tenus pour les plus fiables dont l’homme dispose. Ce qui explique que beaucoup de débats se focalisent sur eux.
53Plus le désir d’absolu d’un philosophe des sciences est exigeant et puissant – par exemple plus il réclame pour les sciences une sorte de méthode algorithmique permettant à tout être raisonnable de sélectionner quasi automatiquement, après confrontation à l’expérience, des vérités incontestables et définitives –, plus ce philosophe risque de ressentir les conclusions de l’épistémologie contemporaine, à supposer qu’il reconnaisse devoir les admettre, comme un sacrifice douloureux et inacceptable par rapport à son idéal.
54Si les concessions lui apparaissent excessives et insupportables, s’il conclue que rien dans le réel ne se rapproche suffisamment de son idéal, il sera porté – contre-coup de sa déception – à déprécier la science, ses soi-disant « méthodes », ses acteurs et ses produits, et à recourir, pour les qualifier, à des expressions à connotation très négative, comme « irrationnel », « subjectif », « arbitraire », « relatif à des facteurs psychologiques et sociologiques contingents », etc.
55S’il est en revanche prêt à plus de concessions par rapport à l’idéal d’absolu, si les renoncements requis ne lui coûtent pas trop, il continuera à tenir la science en haute estime et à en parler au moyen d’un vocabulaire à connotation très positive. Par exemple, il continuera à affirmer que la physique est bien une science authentique, essentiellement différentes des mythes et des religions ; est bien pratiquée par des acteurs rationnels procédant selon une méthode rigoureuse qui conduit à retenir des théories effectivement fiables et objectives… De telles affirmations mobiliseront des acceptions assouplies de la rationalité, de la méthode scientifique, de la fiabilité, etc. – des acceptions en particulier incompatibles avec le modèle, reconnu non pertinent pour représenter le processus effectif de l’élaboration scientifique, du scientifique-ordinateur supposé agir conformément à des procédures computationnelles d’avance programmables en fonction de normes universelles et absolues de jugement.

  • 16 . Voir à titre d’illustration Paul Feyerabend, Contre la méthode. Esquisse d’une théorie anarchiste(...)

56Les réflexions précédentes montrent que des termes comme « rationnel »/« irrationnel », « objectif »/« subjectif », etc., servent moins à décrire précisément des caractéristiques de la réalité scientifique étudiée, qu’à exprimer des jugements de valeur, positifs ou négatifs selon les cas, sur cette réalité 16. La forte charge appréciative et émotionnelle dont ces mots-valeurs sont porteurs fait manifestement obstacle à la production d’une analyse distanciée de la situation. Aussi les bannirons-nous délibérément des discussions à venir, qui visent à examiner s’il nous reste quelques certitudes, et si oui lesquelles, propos de la science.
Ce qui peut être soustrait au doute


57Que peut-on donc, en l’état actuel de la réflexion et en évitant autant que possible toute mesure à l’idéal d’absolu, avancer à propos de la science, qui reste solidement assuré en dépit des renoncements auxquels semblent inéluctablement obliger les développements de l’épistémologie contemporaine ? Y a-t-il encore quelque chose qui puisse être soustrait au doute ? À s’en tenir au cas de la physique, assez unanimement élue reine des sciences dans les esprits, nous semble-t-il au moins deux points 17.

  • 17 . Les thèses qui suivent sont très proches de celles de Kuhn (op. cit.) et s’en inspirent largement.(...)


58Tout d’abord, la plus ou moins grande efficacité prédictive, comprise comme le plus ou moins grand nombre de phénomènes observables non contestés en tant que tels qu’une théorie se montre apte à prédire, constitue effectivement en pratique, pour l’immense majorité des hommes de science et au moins depuis la physique de Newton, le critère décisif de comparaison entre théories physiques rivales. Ensuite, la physique progresse du point de vue de l’efficacité prédictive, et offre ainsi à l’homme une prise sur le monde de plus en plus puissante. Le second point nous paraît s’identifier à un fait incontestable, et va être invoqué comme argument à l’appui du premier.
59Le premier point est à l’examen moins simple à établir qu’il n’y paraît au premier abord. S’il en est ainsi, c’est que dans certaines configurations historiques, comparer deux théories concurrentes T1 et T2 ne peut se réduire purement et simplement à compter le nombre de prédictions corroborées respectivement émises par T1 et T2, puis à retenir celle des deux théories qui l’emporte. Telles sont les configurations dans lesquelles les phénomènes dérivables de l’une des deux théories ne constituent pas un sous-ensemble des phénomènes dérivables (via des scénarios en général différents) de sa concurrente. En effet, s’il n’y a que recouvrement partiel, voire absence totale de recouvrement entre les données observables respectivement prédites par T1 et T2 ; et si, de plus, T1 et T2 apparaissent l’une et l’autre rendre compte d’un nombre conséquent de phénomènes ; alors, entreront en ligne de compte pour départager T1 et T2, en plus des évaluations quantitatives, des considérations qualitatives. Sera par exemple invoqué le caractère plus ou moins important ou plus ou moins significatif des phénomènes prédits (ou des énigmes physiques résolues) par l’une et pas par l’autre des deux théories en lice. Ou encore, le caractère plus ou moins élégant des scénarios prédictifs mis en jeu. Or, les verdicts d’importance, d’élégance, etc. dépendent fortement des préférences thématiques de chacun. Ils sont donc susceptibles de varier d’un physicien à un autre. De même alors, les jugements de « plus ou moins grande recevabilité » portés sur chacune des alternatives théoriques en lice comparées à leurs rivales.

  • 18 . Thomas Kuhn, op. cit.

60Toutefois, les configurations de ce type ne semblent pas constituer l’ordinaire de l’histoire des sciences. Elles paraissent bien plutôt caractéristiques de moments particuliers et relativement circonscrits dans le temps, que d’aucuns, Thomas Kuhn par exemple, ont décrits comme des périodes de « crise » 18. Il y a « crise » quand, étant donnés de nouveaux résultats expérimentaux ou de nouveaux développements théoriques, surgissent de plus en plus d’énigmes physiques que la théorie en vigueur se montre impuissante à résoudre. Sont alors proposés et approfondis, en vue de résorber la crise, non seulement un grand nombre de remaniements possibles du paradigme physique en vigueur, mais aussi certains paradigmes alternatifs, « révolutionnaires » du point de vue des principes théoriques jusque-là acceptés.


  • 19 . Pour une illustration d’un tel cas de figure, Léna Soler, « Anatomie d’une “découverte” : le photo(...)

61À ce stade tout est encore ouvert. Les diverses possibilités théoriques en lice sont des tentatives encore embryonnaires considérées comme des conjectures à tester plus avant. Aucune n’est en général capable de résoudre toutes les énigmes physiques connues et de prédire l’ensemble des observations disponibles. À ce stade, l’efficacité prédictive maximale intervient seulement à titre d’horizon et de promesse. Le physicien espère certes que cette promesse sera tenue dans le futur, mais du présent, il ne peut évidemment en être certain. S’il mise sur telle piste théorique plutôt que telle autre, ce n’est donc pas parce que cette piste rend effectivement compte de tous les faits expérimentaux connus, ni même parce qu’elle rend présentement compte d’un plus grand nombre de faits expérimentaux que ses concurrentes disponibles 19.

62Certes, une piste théorique émise en période de crise doit quand même satisfaire, pour ne pas être d’emblée rejetée, quelques réquisits minimaux touchant à l’efficacité prédictive : elle doit se montrer apte à prédire au moins quelques classes de phénomènes jugés cruciaux, et ne pas apparaître a priori incompatible avec les autres phénomènes connus. Mais ces deux conditions sont, considérées seules, très faibles : y satisfont en général un grand nombre d’hypothèses théoriques disponibles différentes et incompatibles entre elles. Du coup, les considérations ayant trait à l’efficacité prédictive passent au second plan. Et ce sont alors les préférences thématiques qui deviennent déterminantes. Ce sont elles qui conduisent un homme de science à miser sur telle hypothèse plutôt que sur telle autre. Il en résulte une dispersion des points de vue au sein de la communauté scientifique.
63Toutefois cette dispersion, paroxystique au cœur de la crise, finit toujours par céder la place à un très large consensus au sein de la communauté scientifique : la grande majorité des spécialistes finissent par s’accorder autour d’un noyau théorique, même si des divergences peuvent subsister dans le détail. Pourtant, les préférences thématiques restent individuellement les mêmes.
64Comment expliquer la survenue d’un tel accord ? Schématiquement, deux thèses s’affrontent. Selon la première, le consensus s’établit pour des raisons qui n’ont pas grand chose à voir avec les caractéristiques internes des théories en lice durant la crise, par exemple sous l’influence de quelques figures charismatiques, de puissants groupes de pression, etc. Selon la seconde, le consensus découle du fait que la théorie retenue est celle qui satisfait le mieux certaines exigences collectives des membres de la communauté des spécialistes.

  • 20 . Le « nettement » est important. Si la différence n’est pas suffisamment tranchée, elle ne suffira(...)

65Affirmer, comme nous l’avons fait plus haut, que le critère de comparaison des théories scientifiques est la plus ou moins grande efficacité prédictive, revient à soutenir la seconde des deux thèses précédentes, en identifiant l’exigence collective invoquée à l’efficacité prédictive maximale, et en admettant que cette exigence reste au cours du temps le réquisit dominant pour tous les membres de la communauté des spécialistes, même si évoluent d’autres normes collectives de la recherche (par exemple les types de scénarios estimés scientifiques). Dans une telle conception, la théorie finalement élue l’est, parce qu’après exploration suffisamment approfondie des différentes pistes proposées en vue de sortir de la crise, elle surpasse nettement ses rivales disponibles du point de vue de l’efficacité prédictive 20.


  • 21 . L’attitude d’Einstein envers la physique quantique à partir des années trente et jusqu’à la fin de(...)

66Divers arguments peuvent être invoqués en faveur de cette thèse. Nous mentionnerons les deux qui nous semblent les plus probants. Tout d’abord il n’est pas rare, dans l’histoire des sciences, qu’un spécialiste, d’un côté reconnaisse qu’une théorie doit être acceptée en l’état de l’investigation, du fait qu’elle prédit beaucoup plus de phénomènes (résout beaucoup plus d’énigmes) que ses concurrentes, mais, d’un autre côté, se sente profondément insatisfait de cette théorie, celle-ci n’étant pas du tout conforme à ses préférences thématiques 21. Ceci semble indiquer que le critère de l’efficacité prédictive maximale prime en pratique sur les considérations thématiques individuelles, conformément d’ailleurs à l’idée commune selon laquelle les théories scientifiques tiennent leur dignité particulière de leur ancrage dans l’observation.


  • 22 . Kuhn, op. cit.

67Ensuite il est incontestable, avons-nous affirmé plus haut, que les théories scientifiques successivement retenues au cours de l’histoire des sciences permettent effectivement la prédiction d’un nombre croissant de phénomènes : sont connectées, via des déductions plus ou moins longues et des scénarios plus ou moins complexes, à un nombre croissant de points d’ancrage phénoménaux, et offrent ainsi à l’homme une prise sur le monde de plus en plus puissante. Certes les scénarios, les concepts, les objets et les processus physiques invoqués par les théories successives, ceux par exemple que mobilisent la mécanique de Newton et la physique quantique, apparaissent à bien des égards différents, à tel point que d’aucuns les ont dits « incommensurables » 22. Mais les différences considérées relèvent du niveau de notre conception ou image du monde, et non de celui, qui peut en être dissocié, de la capacité à prédire. Du point de vue de la puissance prédictive et de l’action sur le monde, les théories les plus récentes permettent indéniablement plus que celles qu’elles ont détrônées.

68Considérons à cet égard l’évolution de la physique, de Newton à Bohr en passant par Einstein. On sait que le formalisme mathématique de la physique classique est obtenu en faisant tendre vers zéro, soit la vitesse de la lumière dans les équations de la relativité, soit la constante de Planck dans les équations de la physique quantique. Dans cette mesure, toutes les corrélations établies par la physique classique entre certains symboles mathématico-physiques d’une part, et des phénomènes observables d’autre part, restent valables après l’événement de la physique relativiste ou quantique. Ce qui change, c’est le contenu des connexions mises en jeu, les scénarios invoqués pour raccorder symboles mathématiques et phénomènes observables, et donc la manière dont on conçoit globalement le monde physique. Mais rien de ce que l’on pouvait faire avec la physique classique n’est perdu avec les physiques relativiste et quantique.
69Il y a donc progrès, au moins de la puissance prédictive et de l’action sur le monde. Or comment expliquer un tel progrès à partir de l’hypothèse selon laquelle les théories ne sont retenues qu’en raison de facteurs psychologiques et sociaux parfaitement contingents, telle l’aura exercée par certaines personnalités, la peur d’être marginalisé, etc. ? Il faudrait admettre une série bien surprenante de hasards ! Il semble autrement plus convaincant de conclure que, depuis Newton au moins, les théories successives progressent en terme d’efficacité prédictive pour la bonne raison qu’elles sont justement retenues parce qu’elles satisfont effectivement mieux que leurs rivales disponibles un critère pour tous primordial, à savoir l’efficacité prédictive. Relativisme et réalisme


70Ces conclusions, nous semble-t-il suffisamment étayées pour être admises en l’état actuel de la réflexion épistémologique, suffisent pour récuser le relativisme extrême dont certains auteurs, sociologues des sciences notamment, se sont fait ou se font les apôtres. Le relativisme est récusé aux sens suivants.
71En premier lieu, il n’est nullement impossible de montrer que les théories physiques retenues sont supérieures aux théories détrônées : les premières sont effectivement supérieures aux secondes sous l’angle de l’efficacité prédictive. Il n’y a donc pas à nier le progrès scientifique, du moins en tant qu’amélioration de la puissance prédictive des théories successives et des possibilités d’action sur le monde qui y sont associées.

  • 23 . On peut certes soutenir que certaines prédictions émises par des prêtres, des sorciers ou des astr(...)

72En second lieu, l’affirmation typiquement relativiste selon laquelle les théories physiques ne valent pas mieux (sont à mettre exactement sur le même plan) que les religions, la sorcellerie, ou les pseudo-sciences telles que l’astrologie, ne tient pas dès lors que la comparaison s’effectue du point de vue de l’efficacité prédictive : de ce point de vue au moins, les premières sont nettement supérieures aux secondes 23. Ceci n’implique bien sûr nullement que la hiérarchie ne puisse être inversée eu égard à d’autres points de vue (par exemple eu égard à la capacité à donner un sens à la vie humaine). La formule relativiste du « tout se vaut » omet de préciser selon quels critères est supposée être conduite la comparaison. Elle doit être récusée, dans la mesure où l’on peut parfaitement justifier les affirmations de supériorité eu égard à certains aspects spécifiés.


  • 24 . Pour une présentation du réalisme et de ses alternatives, voir Michel Bitbol, L’Aveuglante proximi(...)

73Les conclusions précédentes éloignent certes le spectre redouté du relativisme extrême. Mais elles apparaîtront sans aucun doute très insuffisantes, bien trop faibles, à beaucoup de philosophes des sciences – notamment à ceux, dits « réalistes », qui tiennent à l’idée que les théories physiques sont vraies et qui estiment crucial de produire des arguments forts en faveur de cette idée 24. En effet, la description de l’histoire des sciences à partir de laquelle viennent d’être affirmé le progrès de la physique et récusé le relativisme extrême, implique peu.

74Elle n’implique d’abord pas que toutes les solutions possibles aux problèmes physiques rencontrés à chaque étape de la recherche ont été effectivement envisagées par la communauté scientifique. Rien n’interdit donc de concevoir que d’autres idées auraient pu être émises, qui auraient conduit à l’édification d’une théorie prédictivement beaucoup plus puissante que celle qui fut historiquement retenue.
75La description de l’histoire des sciences mise en jeu n’implique pas non plus que toutes les pistes concrètement proposées durant une crise scientifique ont été suffisamment explorées. Rien ne récuse donc jamais absolument la pensée selon laquelle, si l’on s’était davantage acharné sur telle alternative théorique historiquement rejetée (si par exemple plus de crédits avaient été alloués à la recherche correspondante), l’on aurait peut-être abouti à une théorie plus puissante que celle qui fut en fait sélectionnée. Il est dans ces conditions impossible d’indiquer un seuil à partir duquel l’on pourrait légitimement qualifier de « déraisonnable », voire d’« irrationnelle », l’attitude d’un scientifique qui continuerait à explorer un ensemble de principes théoriques jugés très improbables, voire délirants, par le reste de la communauté des spécialistes.
76Enfin, et jusqu’à un certain point en conséquence, la description considérée de l’histoire des sciences n’implique pas que les théories scientifiques sont vraies, ni que les théories récentes sont « plus vraies » que les anciennes. L’idée que l’efficacité prédictive est un indice, voire un critère de la vérité, pour intuitive et commune qu’elle soit, n’a rien d’évident à l’examen. L’adage « ça marche, donc c’est vrai » est très discutable. Les théories pourraient être des outils de plus en plus opérants, sans pour autant devoir être assimilés à des reflets du réel : un outil permet « d’agir sur », de faire des choses déterminées, mais ne présente aucune ressemblance essentielle avec ce sur quoi il agit.

  • 25 . Voir par exemple Kuhn, op. cit., postface.

77La métaphore évolutionniste, souvent convoquée par les anti-réalistes 25, permet de mieux comprendre à la fois ce que garantit et ce que n’implique pas la conception de l’histoire des sciences mise en jeu. Cette métaphore assimile les théories aux organismes vivants, et leur applique de manière analogique les concepts, d’inspiration darwinienne, de « lutte pour la vie », de « sélection », et d’« adaptation ». À chaque étape de l’investigation, diverses théories rivales (ou diverses versions d’une même théorie) sont en présence, et une sorte de « lutte pour la vie » s’engage entre elles. Les moins adaptées disparaissent (sont abandonnées), les plus adaptées (celles qui satisfont le mieux certains objectifs humains et avant tout l’efficacité prédictive) survivent.

78Affirmer que la théorie retenue est la plus adaptée des théories en lice, n’implique ni que cette théorie s’identifie à la plus efficace qu’il était possible de concevoir sur la base des observations connues, ni, a fortiori, qu’elle est la « plus proche de la vérité » (la plus fidèle à la réalité indépendante étudiée). En effet, la seule condition imposée au schéma darwinien qui préside à la métaphore évolutionniste, est la survie. Or, un ensemble d’espèces peut survivre en étant plus ou moins bien adaptées. Chaque état donné de l’évolution (photographie de l’arbre des espèces ou de l’ensemble des théories scientifiques à un moment arrêté du temps) doit donc correspondre à l’une des réponses adaptatives suffisantes à la survie, mais ne correspond pas forcément à la solution adaptative optimale. À chaque étape, on évolue vers un mieux (par rapport à la configuration théorique d’ensemble précédente), mais pas nécessairement vers le mieux (par rapport aux contraintes exercées par l’écosystème, c’est-à-dire par rapport aux contraintes exercées par la réalité étudiée). Étant donnée une configuration théorique initiale, un grand nombre d’évolutions ultérieures sont donc interdites (toutes celles qui ne vont pas dans le sens d’une augmentation du pouvoir prédictif). Mais un grand nombre d’autres évolutions restent possibles (toutes celles qui sont progressives).
79Bref, l’histoire des sciences aurait pu être autre (même si elle n’aurait pas pu être n’importe quoi) : le contenu des théories scientifiques retenues à chaque étape aurait pu être différent. L’on n’a donc pas affaire à une évolution nécessaire. Et l’on n’est jamais autorisé à conclure que les données disponibles à un moment donnée imposent à tout être raisonnable une théorie déterminée, sorte de double approximatif du réel.
80Les certitudes et incertitudes associées à une telle conception de l’histoire des sciences sont-elles beaucoup ou sont-elles peu ? Portent-elles un coup fatal, ou ne font-elle qu’égratigner l’image et la valeur de la science ? La description proposée de l’histoire des sciences, à supposer qu’on l’admette comme description bien établie à l’heure actuelle, ne détermine pas en elle-même la réponse à de telles questions – de la même manière que la description du niveau atteint par le vin dans une bouteille, s’il est de un demi, ne tranche pas entre les possibilités « bouteille à moitié vide » et « bouteille à moitié pleine ». Tout dépend de l’idéal de scientificité auquel la description considérée se trouve chez chaque auteur rapportée.
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