Le cinéma, surtout celui de l’Oncle Sam, sait proposer avec force action trépidante et effets techniques spectaculaires. Il est encore plus difficile de montrer des sentiments profonds comme le silence et la douleur. Pourtant, des récentes productions québécoises ont réussi à le faire merveilleusement. Dans TROIS TEMPS APRÈS LA MORT D’ANNA, la réalisatrice Catherine Martin trace le portrait d’une femme brisée par la perte cruelle et inattendue de sa fille. Pour sa part, le cinéaste Denis Villeneuve réalise INCENDIES, un film qui relate la vie d’une femme dévastée par la guerre et les drames de toutes sortes que celle-ci entraîne dans son sillon.
INCENDIESAdapter pour le grand écran la pièce théâtrale INCENDIES de Wadji Mouawad constituait un défi de taille. Le Québécois Denis Villeneuve l’a relevé de façon magistrale dans une réalisation intense, bouleversante, avec une cinématographie pratiquement impeccable.
Rappelons l’intrigue. À la lecture du testament de leur mère Nawal Marwan, originaire d’une région en guerre au Moyen-Orient– on pense au Liban -, des jumeaux montréalais découvrent qu’ils on un frère aîné, dont ils ignoraient l’existence, et un père, qu’ils croyaient mort. Jeanne et Simon sont chargés par leur mère de remettre à chacun une lettre qu’elle a elle-même rédigée à leur intention. Selon ses dernières volontés, Nawal refuse toute sépulture si les missives ne sont pas parvenues à leurs destinataires. Au cours de leur voyage initiatique, les jeunes adultes renoueront avec le passé tragique de leur mère et le leur, par voie de conséquence. Grâce aux images remarquables de son vieux complice André Turpin– tournées la plupart en Jordanie -, Villeneuve signe une œuvre de facture classique et fortement dramatique, aux confins de l’horreur et de la douleur intense. Par exemple, la scène de la femme, en pleurs devant un autobus en flamme au milieu du désert, restera imprégnée à jamais dans le souvenir du cinéphile. Les bruitages sont rendus avec tant de précision et de réalisme qu’on se croirait au plein cœur de l’action. Aux côtés des solides Mélissa Désormeaux-Poulin (Jeanne), Maxim Gaudette (Simon) et Rémy Girard (notaire Lebel), Lubna Azabal offre une prestation exceptionnelle dans le rôle de la mère tiraillée entre la peur, la souffrance et le pardon. Le film de Villeneuve a déjà reçu plusieurs prix et hommages, notamment à Venise, Telluride et Toronto. Retenu comme sélection canadienne pour le meilleur long métrage en langue étrangère aux Oscars 2011, INCENDIES confirme l’immense talent de Denis Villeneuve et le propulse au rang de grand cinéaste, ce que son précédent POLYTECHNIQUE laissait présager.
TROIS TEMPS APRÈS LA MORT D’ANNA Il n’est pas facile de filmer la douleur qui suit la perte d’un être cher. Catherine Martin le réussit avec brio dans son récent TROIS TEMPS APRÈS LA MORT D’ANNA. Le rythme est lent, grave par moments. On y reconnaît l’influence de son compagnon de vie, Bernard Émond, et à certains moments, on se croit au beau milieu d’un univers féminin à la Bergman.L’histoire est toute simple. Anéantie par l’assassinat de sa fille unique, violoniste de talent, Monique (Guylaine Tremblay) quitte la ville et part vivre seule, en plein hiver, à Kamouraska dans la maison de campagne jadis habitée par sa mère et sa grand-mère. Elle est désespérée au point de s’étendre dans la neige, pour possiblement y mourir de froid. Par pur hasard, Édouard (François Papineau), un artiste peintre que Françoise n’a pas revu depuis leurs amours adolescentes, la découvre juste à temps. Peu à peu, elle renaît à la vie au contact de cet homme qui se réfugie dans son art, et aussi grâce aux paroles de sa grand-mère et de sa mère, qui viennent la réconforter comme dans un songe. Dans le prolongement de ses films précédents, MARIAGES et DANS LES VILLES, Catherine Martin conclut une trilogie qui met l’accent sur la nature et son puissant symbolisme, ainsi que sur la filiation au féminin. Cette fois-ci, il faut rendre hommage à Michel La Veaux pour les images magnifiques de grandes étendues enneigées et pour la qualité des gros plans, pris souvent de dos. En homme blessé et généreux, le comédien François Papineau impressionne grandement, tandis que Guylaine Tremblay donne une performance hors de l’ordinaire dans un rôle de contre-emploi, comme elle l’avait fait, avec une charge émotive moins forte, dans CONTRE TOUTE ESPÉRANCE de Bernard Émond