Charles
Darwin
Daniel C. Dennett est l’un des scientifiques
évolutionnistes les plus influents au monde et, contrairement à
plusieurs de ses collègues, il ne fuit pas les conclusions logiques du
darwinisme. Au contraire, il qualifie cette théorie d’« acide universel »
remodelant complètement la réalité et anéantissant toutes vérités
jusqu’alors jugées permanentes et immuables.
« Dès qu’il est question du darwinisme, la
température grimpe parce qu’il y a beaucoup plus en jeu que les simples
faits empiriques liés à l’évolution de la Terre ou la validité de la
théorie qui en rend compte », affirme-t-il.
Dans un entretien récent avec la revue allemande Der
Spiegel, Dennett rejette le concept de dessein intelligent, soutenant
que toute personne lucide doit se contenter d’accepter la théorie de
Darwin au pied de la lettre. Néanmoins, il comprend la logique du
dessein intelligent. Selon lui, plusieurs personnes refusent la notion
d’évolution parce qu’elle « touche au point central de la découverte la
plus troublante des derniers siècles dans le domaine scientifique. » Il
s’agit de « l’idée selon laquelle seul un sujet grand, impressionnant et
ingénieux peut engendrer un élément moindre. C’est ce que j’appelle la
théorie de la création de la goutte par la source. Vous ne verrez jamais
une lance fabriquer un armurier. Vous ne verrez jamais un fer à cheval
forger un maréchal-ferrant. Vous ne verrez jamais un vase façonner un
potier. La relation fonctionne toujours dans le sens inverse; cela
semble aller de soi. »
Toutefois, Dennett croit que ce raisonnement est
gravement erroné. Curieusement, il suggère que l’idée du dessein
intelligent, sous sa forme fondamentale du moins, puisse être encore
plus ancienne que l’espèce humaine. Il pose l’hypothèque que ce qu’il
qualifie d’espèces primitives d’hominidés ait conçu des objets et ait
ensuite « eu l’impression d’être plus digne d’admiration que ses
réalisations. » Puis, les homo sapiens, capables de créer une variété
apparemment sans fin d’articles, auraient présumé qu’eux aussi étaient
les produits d’un créateur intelligent.
Étonnamment, Dennett, avec son collègue Richard
Dawkins, utilise la réalité de la complexité et de la conception
apparente pour réfuter l’idée d’un concepteur. En un sens, il renverse
simplement la notion d’ingénierie, avançant qu’une organisation plus
élaborée représente, dans les faits, une moindre preuve de l’existence
d’un ingénieur. Comme il le prétend, « non seulement pouvez-vous
retrouver une organisation dans des éléments qui n’ont pas été créés,
mais vous pouvez même obtenir l’évolution de concepteurs à partir de
cette absence d’ingénierie. Vous vous retrouvez finalement avec des
auteurs et des poètes, et des artistes, et des ingénieurs, et d’autres
concepteurs de toutes sortes, d’autres créateurs — fruits très récents
de l’arbre de la vie. Et tout cela défie la conception selon laquelle la
vie a un sens. » Effectivement…
Dennett croit tout de même que les êtres humains
constituent une espèce à part. Ce statut particulier est essentiellement
dû à la linguistique. Dennett, qui travaille en tant que professeur de
philosophie et directeur du Centre d’études cognitives à la Tufts
University, s’est consacré à la compréhension de la conscience et des
capacités linguistiques de l’être humain.
Il explique que la capacité linguistique implique que
les êtres humains peuvent apprendre, non seulement de leur propre
expérience, mais aussi de celle des autres, morts ou vivants. Ainsi, «
la culture humaine elle-même devient une force profonde d’évolution.
C’est ce qui nous donne un horizon épistémologique qui est beaucoup,
beaucoup plus grand que celui de toute autre espèce. Nous sommes la
seule espèce à savoir qui nous sommes, à savoir que nous avons évolué.
Nos chansons, notre art, nos livres et nos croyances religieuses sont
tous, en bout de ligne, un produit des algorithmes évolutionnistes.
Certains trouvent cette réalité passionnante, d’autres la considèrent
déprimante. »
Il vaut la peine d’examiner les idées de Dennett d’un peu plus près.
Après tout, il accepte hardiment ce que tant d’autres scientifiques
évolutionnistes nient — que la théorie de Darwin implique
l’impossibilité de toute croyance en Dieu. Alors que des évolutionnistes
tels que le défunt Stephen J. Gould soutiennent que l’évolution et la
religion peuvent être considérées comme des « domaines indépendants l’un
de l’autre », permettant de ce fait à chacune de fonctionner dans des
sphères distinctes, Dennett rejette explicitement ce raisonnement. Il
adresse une critique spécifique à l’évolutionniste Michael Ruse,
l’accusant « d’essayer de faire perdre de vue les implications de ce que
Darwin nous fait comprendre et de rassurer les gens à l’effet qu’il n’y
a pas tant de conflits entre la perspective de la biologie
évolutionniste et leurs manières de penser traditionnelles. »
Lorsqu’il est question de l’âme humaine, Dennett souligne qu’il ne
peut s’agir que de la conscience opérant en tant que partie intégrante
de nos corps physiques. Le matérialisme de Dennett fait en sorte qu’il
ne peut pas voir l’âme comme étant indépendante des opérations chimiques
du cerveau. Comme il l’expliquait à Der Spiegel, « le cerveau n’est pas
un tissu plus épatant que les poumons ou le foie. Il n’est qu’un tissu.
»
Fidèle à une forme de matérialisme naturaliste radical, Dennett
considère la croyance en Dieu comme n’étant rien de plus que le produit
du processus évolutionniste. Il explique que la mort de Dieu « est une
conséquence évidente » du darwinisme.
Sur ce point, nous devrions au moins être reconnaissants de ce que
Dennett fasse preuve d’une plus grande honnêteté intellectuelle que
plusieurs de ses collègues évolutionnistes. Il admet que la croyance en
Dieu puisse être culturellement acceptable, mais seulement si ce Dieu
n’a rien à voir avec nos origines ou nos vies — passées, le présentes,
ou le futures.
« Il faut comprendre que le rôle de Dieu a été
amoindri à travers les époques », enseigne Dennett. « Tout d’abord, nous
avions Dieu… créant Adam et créant chaque créature de ses mains,
arrachant une côte à Adam et créant Ève de cette côte. Puis, nous avons
échangé ce Dieu pour le Dieu mettant en branle l’évolution. Et ensuite,
vous vous dites que vous n’avez même plus besoin de ce Dieu — le
législateur — puisque si nous considérons sérieusement les idées que
nous pouvons tirer de la cosmologie, il existe d’autres endroits avec
d’autres lois et la vie évolue là où elle le peut. Alors maintenant,
nous n’avons plus « Dieu le trouveur de loi» ou « Dieu le
législateur» , mais plutôt « Dieu le maitre de cérémonies» . Et lorsque
Dieu n’est plus que le maitre de cérémonies et qu’il ne joue plus, en
fait, aucun rôle dans l’univers, il est, si l’on peut dire, diminué et
n’intervient plus d’aucune façon. » Plus simplement, « la description
des tâches de Dieu va en s’amenuisant. »
Daniel Dennet
Denett débute son livre paru en 1995, Darwin est-il
dangereux? [traduction française de Darwin’s Dangerous Idea (ndt)], en
récitant un chant de l’école du dimanche appris durant son enfance.
Cette chanson, « Tell Me Why » [« Dis-moi pourquoi »(ndt)], demande
pourquoi les étoiles brillent, pourquoi des spirales se dessinent sur le
lierre et pourquoi le ciel est si bleu. Comme la chanson l’affirme,
c’est parce que Dieu les a faits ainsi. « Cette déclaration franche et
sentimentale me donne encore une larme à l’œil — quelles paroles douces à
l’oreille, quelle innocence, quelle vision rassurante de la vie! » se
remémore Dennett. Néanmoins, il ne croit pas qu’il s’agisse de la
vérité. « Même si nous pouvons en avoir un souvenir agréable, la plupart
d’entre nous avons passé l’âge pour cette douce et simple façon de voir
les choses. Le gentil Dieu qui nous a tous façonnés individuellement
avec amour (toutes créatures, grandes et petites) et qui a saupoudré le
ciel d’étoiles brillantes pour le délice de nos yeux — ce Dieu est,
comme le Père Noël, un mythe d’enfance et non pas un concept qu’un
adulte sain d’esprit et délesté de ses naïves illusions pourrait croire
littéralement. Ce Dieu doit être transformé en un symbole référant à une
réalité moins concrète ou être complètement supprimé. »
La seule vision de Dieu qui puisse survivre à
l’émergence du darwinisme, c’est Dieu en tant que concept intellectuel
offrant simplement une approche mytho-poétique pour reconnaitre la
magnificence et le pittoresque.
Le théisme, soutient Dennett, c’est-à-dire la
croyance en un Dieu personnel existant par lui-même, doit aller par le
même chemin que les oiseaux dodo [variété d'oiseaux, aussi appelés «
drontes », exterminée par l'homme au 18e siècle (ndt)]. « La foi, telle
une espèce, doit évoluer ou s’éteindre lorsque l’environnement change.
Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas un processus sans douleur…
Nous prêchons la liberté de religion, mais seulement jusqu’à un certain
point. » Il poursuit : « C’est bien d’avoir des grizzlys et des loups
vivant dans la nature. Ces animaux ne constituent plus une menace à
l’heure actuelle; eux et nous pouvons cohabiter paisiblement, avec un
peu de sagesse. On peut voir le même principe dans notre tolérance
politique, dans la liberté de religion. Vous êtes libre de conserver ou
de créer n’importe quel credo religieux, tant que ça ne devient pas une
menace publique. »
Eh bien, nous sommes prévenus. Dennett inclut
clairement la chrétienté traditionnelle dans ce type de menace publique
qu’il craint. Néanmoins, il est absolument certain que lui et sa théorie
de l’évolution chérie gagneront — dans un futur rapproché. Le
darwinisme occupera bientôt, affirme-t-il avec confiance, une « place
sure et tranquille dans l’esprit — et le cœur — de chaque personne
instruite sur la planète. »
L’engouement de Dennett pour le darwinisme remonte à
son enfance, alors que lui et ses amis spéculaient sur l’existence et
l’effet d’une substance qu’ils nommaient « l’acide universel ». «
L’acide universel est un liquide tellement corrosif qu’il peut gruger à
travers n’importe quoi! Le problème est le suivant: dans quel contenant
le conserver? Il dissout les bouteilles de vitre et les boites d’acier
inoxydable aussi facilement que les sacs de papier. Qu’arriverait-il si
vous tombiez sur une cuillerée d’acide universel ou si vous en créiez
une? La planète entière serait-elle éventuellement détruite? Que
laisserait-elle dans son sillage? De quoi le monde aurait-il l’air après
avoir été entièrement transformé par sa rencontre avec l’acide
universel? »
En tant qu’adulte, Dennett comprend maintenant que le
darwinisme représente exactement cet acide universel ayant fasciné son
imagination pendant son jeune âge. Cet acide universel n’est pas une
substance liquide, mais une idée intellectuelle.
« Je ne me doutais pas que, quelques années plus
tard, je rencontrerais une idée — l’idée de Darwin — qui comporterait
une similarité indubitable avec l’acide universel: elle gruge à travers à
peu près tous les concepts traditionnels et laisse dans son sillage un
point de vue révolutionné, avec la plupart des anciens points de repère
encore reconnaissables, mais transformés de manière fondamentale. »
Transformés, c’est le moins qu’on puisse dire.
Dennett comprend que chaque concept et chaque modèle de pensée important
est instantanément transformé lorsqu’on reçoit le darwinisme comme
étant vrai. Le point de vue évolutionniste de cette théorie, fondé sur
des explications purement matérialistes et naturalistes de tous les
phénomènes, ne laisse aucune place à une signification transcendante, à
la dignité humaine, à la moralité ou à l’espoir. Les êtres humains,
comme le reste du cosmos, sont simplement les sous-produits accidentels
de vastes forces cosmiques.
Daniel C. Dennet comprend tout cela, mais jubile
devant « l’idée dangereuse » de Darwin. Il propose de récompenser
celui-ci « de la médaille d’or pour la meilleure idée jamais eue ».
Souvenez-vous de Dennett la prochaine fois que vous entendrez dire que
l’évolution et la chrétienté sont compatibles. L’incompatibilité
fondamentale de la théorie de Darwin est LA facette de la pensée de
Dennett que nous pouvons vraiment apprécier. Si seulement ses collègues
évolutionnistes pouvaient être aussi sincères.
الجمعة سبتمبر 07, 2012 12:54 pm من طرف هشام مزيان