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 CHAPITRE II : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS ESSAI SUR LA PROBLEMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELLE

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03032016
مُساهمةCHAPITRE II : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS ESSAI SUR LA PROBLEMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELLE

[size=30]CHAPITRE II : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS ESSAI SUR LA PROBLEMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELLE[/size]
Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle est un ouvrage bref mais dense dans lequel l'auteur dénonce essentiellement ce qu'il appelle la philosophie africaine dans le sillage de la négritude. Il entend disqualifier toute démarche visant à forger une philosophie africaine originale et spécifique qui serait à opposer à celle de l'Occident pour espérer une quelconque reconnaissance. Plus que cela, il avance des pistes que les intellectuels africains doivent explorer pour la naissance d'une véritable philosophie sur le continent. A cet effet il estime que la philosophie doit jouer un certain nombre de rôles théoriques et pratiques qui ne soient plus nécessairement une défense des civilisations africaines contre l'expansionnisme culturel et idéologique occidentale. Mais des rôles qui tiennent compte de la situation actuelle des peuples africains. Nous tenterons de les identifier et les analyser dans ce chapitre. Mais avant, nous nous intéresserons brièvement à la vie et l'oeuvre de Towa.

SECTION 1 : PRESENTATION SOMMAIRE DU CONTENU DE L'OUVRAGE

Marcien Towa a fortement marqué la pensée africaine dans les années 70 et 80. Perçu comme un iconoclaste à cause de ses prises de position, l'une de ses cibles privilégiées était Léopold Sédar Senghor à qui il a consacré plusieurs essais. Marcien Towa a obtenu son baccalauréat en philosophie en 1955 au Grand Séminaire d'Otélé à quelques dizaines de kilomètres de Yaoundé, la capitale du Cameroun. A partir de 1957, il continuera ses études en France à Caen d'abord et à la Sobonne ensuite. En 1959 il obtient la licence en philosophie suivi d'un Diplôme d'Etudes Supérieures dans la même discipline en 1960, avec un memoire sur Bergson et Hegel. Après un an d'enseignement à l'ENS de Yaoundé, Marcien Towa reprend des études de psychologie avec une bourse de l'UNESCO qui le mèneront dans plusieurs Université européennes. De retour dans son pays, il occupe les postes de Directeur des études de l'ENS de Yaoundé de 1966 à 1968 et de Chargé d'enseignement dans la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l'Université de Yaoundé. En 1969 il obtient un Doctorat (3ème cycle) et dans la même période un doctorat d'Etat en philosophie sur la pensée africaine. Son oeuvre littéraire et philosophique est abondante. De plus il est membre fondateur de la Revue culturelle camerounaise Abbia et en a été co-directeur.
Son Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle (Editions CLE, 1971) reste un ouvrage de référence pour les élèves et les étudiants, comme pour les africanistes, en Afrique et dans le monde. L'ouvrage a été reédité en 1979 aux éditions Clé Yaoundé. C'est l'un des textes majeurs de Towa. Comme son nom l'indique, il s'agit d'un essai de l'auteur sur la problématique philosophique en Afrique, plus précisément l'Afrique de la deuxième moitiè du XX ème qui voit une certaine profusion, tant en Afrique qu'en Europe, d'écrits sur la problématique de la philosophie africaine. Dans cet ouvrage, le projet de Towa s'inscrit dans le cadre d'un réexamen de la problématique philosophique en Afrique. Dans cette perspective, il s'écarte de certains de ses devanciers et qui font de la philosophie une simple gymnastique intellectuelle. Pour lui, comme son idole Kwamé N'Krumah, la philosophie doit être pensée dans une perspective révolutionnaire, autrement dit dans l'optique de la révolution démocratique des peuples africains. Il considère que la philosophie doit hâter la prise de conscience des peuples et accélérer le processus révolutionnaire dans le continent africain. Donc cela implique d'une part, sur le plan théorique un dépassement de l'ethnophilosophie et de la négritude senghorienne afin de forger une philosophie à l'image de la tradition philosophique internationale, notamment occidentale. D'autre part, faire de cette philosophie un vecteur pour guider les peuples africains vers la détermination de ce qu'il appelle leur dessein fondamental.
La structure de l'ouvrage pressente quatre chapitres :
1. Existe-t-il une philosophie africaine ?
2. La philosophie africaine dans le sillage de la négritude
3. Pour une nouvelle orientation philosophique africaine
4. Le concept européen de philosophie et nous
Dans le premier chapitre l'auteur aborde la question fondamentale de l'existence ou non d'une philosophie africaine. Il remarque que cette question s'est toujours posée dans le cadre du débat sur la philosophie africaine. Et qu'une longue tradition répond à cela par la négative, quelques fois sur la base d'arguments peu convaincants. Mais il remarque aussi d'autre part que dans la continuité de la large controverse sur l'existence ou non d'une philosophie africaine, il y a la parution de La philosophie bantoue du Rev P. Tempels en 1945. Ouvrage qui affirme sans ambages l'existence d'une philosophie africaine. Mais plus que cela cet ouvrage a enregistré un accueil favorable après d'un grand nombre d'auteurs tant africains qu'européens.
Dans le second chapitre, M. Towa analyse la philosophie africaine « dans le sillage de la négritude ». Il y montre que la plupart des tentatives des Africains de forger une philosophie originale et spécifique s'inscrit en réalité dans la continuité de la négritude. Autrement dans les deux cas il s'agit d'une entreprise de revendication politique, idéologique visant une réhabilitation devant l'Occident. Il retient par exemple les travaux de A. N'Daw et Juleat Basile Fouda. Pour le premier cité, dans Peut-on parler d'une pensée africaine, Présence africaine n58, revendique une dignité anthropologique pour les peuples Noirs. Quant a Fouda, dans le cadre de sa thèse intitulée La philosophie négro-africaine de l'existence, Lille 1967, il fait de la philosophie africaine une sorte une valeur absolue qui doit demeurer telle par de-la l'espace et le temps, une philosophie que les africains doivent garder jalousement et transmettre de génération. Towa s'insurge contre ces caricaturisations de la philosophie et en appelle à la révision pure et simple de la problématique philosophique en Afrique. C'est pourquoi dans le chapitre qui suit, il parle d'une nouvelle orientation philosophique en Afrique.
Dans ce chapitre, il propose que les intellectuels africains se détournent de la négritude senghorienne et de l'ethnophilosophie pour construire une philosophie répondant mieux aux exigences théoriques et épistémologiques propres à cette discipline, pour qu'ensuite celle-ci serve à hâter la marche des peuples africains vers la révolution démocratique. Dans le dernier chapitre il expose la conception européenne de la philosophie à travers celle de Hegel et il propose qu'elle soit adoptée sur le continent africain tant dans la forme que dans le fond pour que notre philosophie ait une dimension universelle qui l'éloigne de l'ethnophilosophie et la négritude senghorienne et leurs contradictions.
Ce sont ces chapitres qui sont développés dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle. Mais une lecture minutieuse de l'ouvrage montre que fondamentalement l'auteur a développé trois thèses essentielles : de la philosophie africaine, des taches de la philosophie dans l'Afrique contemporaine ainsi que du concept de philosophie. Concernant la philosophie africaine, il y a lieu de reconnaître qu'avant lui, philosophes et africanistes européens et africains ont tenté les uns de décrypter une philosophie africaine sur la base des différentes manifestations culturelles, les autres de critiquer et montrer les limites de telles démarches. Avec Towa s'ouvre une rupture épistémologique qualitative dans le débat sur la problématique philosophique africaine. En effet Towa considère que la question suprême et première est l'interrogation sur l'existence même d'une philosophie africaine. Cette question marque le début d'une véritable réflexion critique, celle qui va à la racine des choses pour tenter d'épuiser autant que possible la question. Il s'agit entre autres de la nécessite de replacer le débat sur la philosophie africaine dans son contexte d'émergence afin de comprendre ses contours et ses développements. Ce qui est donc en jeu et nouveau ici, c'est la tentative de cerner la problématique philosophique dans sa genèse afin de la comprendre et d'indiquer des voies et moyens pour son développement dans l'Afrique d'aujourd'hui. Cette approche permet à Towa de comprendre que face à la question de l'existence d'une philosophie africaine, il y a toujours eu deux réponses : l'une négative et l'autre positive. Parmi ceux qui dénient à l'Afrique toute philosophie l'auteur retient les grandes idées développées par de grands penseurs occidentaux comme Heidegger, Hegel, F. Crahay etc. ; chacun le faisant avec des arguments fort variés et quelques fois suspects pour employer le terme de Towa lui-même dans le cadre de Hegel notamment. Parmi ceux qui affirment l'existence d'une philosophie africaine, Towa retient le Rev. Père Placide Tempels et tous les africains ou européens qui par la suite abondent dans le même sens que lui. La démarche de notre auteur dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle est de dénoncer la littérature qui en résulte, littérature qu'il qualifie d'ethnophilosophie. Il estime que celle-ci n'est ni une philosophie, ni une ethnologie, mais une discipline d'un genre nouveau, à cheval entre les deux ; et qui comme telle présente la particularité de les trahir toutes deux à la fois. Ensuite, Towa aborde la question des taches de la philosophie en Afrique. Ces taches font référence aux rôles que celle doit jouer sur le contient africain, et cela non seulement sur la plan théorique mais aussi pratique.
Enfin parmi les thèses fondamentales développées dans cet ouvrage, il y a celle portant sur le concept de philosophie. Et pour lui, sur cette question, nul n'est besoin de faire des recherches fastidieuses. Il convient simplement d'interroger Hegel qui est un éminent philosophe, un philosophe respecté tant du côté capitaliste que socialiste. C'est donc la conception hégélienne de la philosophie qui lui semble la mieux indiquée pour faire ressortir ce qu'il faut entendre par philosophie. Dans cette perspective la philosophie est considérée comme une sagesse du monde car prenant pour objet essentiellement le monde et les droit de la nature humaine. La philosophie comme sagesse du monde et son étroite parenté avec la science étaient l'expression de la démarche de Bacon et de Descartes. Pour eux, le rôle de la philosophie et de la science est d'assurer une la puissance de l'homme sur la nature et de lui permettre de subvenir a ses besoins les plus divers. En cela la philosophie européenne moderne a joué un rôle important dans la fondation du mode de production capitaliste. Il s'agit d'une philosophie qui a pour objectif de développer l'emprise de l'homme sur son milieu physique et humain par la médiation d'un savoir rigoureux. C'est donc cette philosophie que Towa invite les africains à adopter pour percer le secret de la victoire de l'Europe sur nous et par la même découvrir la voie de notre libération.
En un mot, Towa développe des thèses courageuses, qui apportent des éclairages et des perspectives nouvelles dans le cadre du débat sur la problématique philosophique en Afrique. Cependant cela n'occulte pas les limites de son analyse que nous tenteront de lever dans les pages qui suivent. Mais avant, quel est le rôle de la philosophie à travers l'ouvrage de Marcien Towa ?
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CHAPITRE II : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS ESSAI SUR LA PROBLEMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELLE :: تعاليق

SECTION 2 : ROLE DE LA PHILOSOPHIE SELON MARCIEN TOWA

Comme précédemment indiqué, le livre de Towa qui nous intéresse est un essai qui tente non seulement de montrer les failles que l'auteur a constatées dans le débat sur la problématique philosophique en Afrique, mais aussi de proposer de nouvelles perspectives à explorer pour l'édification d'une véritable philosophie sur le continent africain. A cet effet, il estime que la philosophie a des tâches à assumer. Ces tâches renvoient aux différents rôles que celle-ci doit jouer tant sur le plan théorique que pratique sur le continent africain. A cet effet il parle de taches fondamentales et de taches secondaires.
Les tâches fondamentales concernent notre devenir. Il s'agit de définir la manière dont les africains doivent prendre leur présent pour envisager un meilleur futur. C'est cette tache que Towa appelle l'interrogation sur notre dessein profond, sur la direction à donner à notre existence. Dans cette perspective la philosophie est envisagée comme l'effort d'élucidation de notre actuel rapport au monde, plus précisément elle doit jouer ce rôle. Cette entreprise passe par le rejet systématique de l'ethnophilosophie et de la négritude senghorienne. Les deux mouvements s'inscrivent dans le cadre de la revendication d'une dignité anthropologique propre selon la formule de Alassane N'Daw. « Il s'agit de déterrer une philosophie africaine propre et la brandir devant les négateurs de notre dignité "anthropologique comme une irrécusable certificat d'humanité"» (pp 35; 36). Pour arriver à leurs fins, les auteurs de ces deux mouvements incite les africains et la diaspora, au goût de la liberté ; il s'agit d'insuffler en eux qu'ils ne sont pas que des figurants dans ce monde, mais qu'ils y jouent un rôle irremplaçable. Cela passe également par l'effort de convaincre les colonisateurs que leur intérêt à long terme est l'abolition de leur système de domination qui en fait ne fait qu'alimenter haine et ressentiment à leur égard. Towa estime que ce combat là est révolu avec l'accession des pays africains à l'indépendance. D'ailleurs en tant que revendication politique allant dans le sens d'une amélioration des conditions de vie des peuples africains, le problème posé dans cette lutte se règle entre politiciens autours d'une table. Notre auteur voudrait que la philosophie dépasse cette problématique pour aller dans le sens d'une réalisation de notre autonomie retrouvée. Dans cette optique il revient à la philosophie de déterminer le sens de notre être-là et de l'infléchir vers un destin meilleur. Concrètement Towa part du constat récurrent que l'Afrique a été vaincue par l'Europe. Cette victoire a été si retentissante que face à cela, la première réaction fut de copier la civilisation occidentale et abandonner ses propres cultures. Mais se rendant vite compte des imperfections de cette civilisation pourtant si forte et compte tenu de l'exclusion dont ils furent victimes, les Africains firent vite volt face, pour se réorienter vers leur identité propre. Mais la valoriser par tous les moyens d'expression pour que cela serve de négation de leur négation. C'est ainsi qu'en philosophie la réaction fut de rechercher dans toutes les manifestations des cultures négro-africaines cette cohérence interne qui explique l'organisation de leurs institutions la justification de moindre de leurs attitudes et actions et l'ériger en philosophie. Le résultat d'une telle démarche au-delà des interrogations qu'elle suscite sur le plan épistémologique notamment est l'édification d'une philosophie tournée vers le passé. Towa s'insurge contre cet état de fait et suggère que « plutôt que l'exhumation d'une philosophie africaine originale selon des voies qui ne se soumettent ni aux exigences de la science, ni à celles de la philosophie notre dessein principal » soit « de parvenir à une saisie et à une expression philosophique de notre "être-là-dans-le-monde" actuel et à une détermination de la manière de le prendre en charge et de l'infléchir dans une direction définie. Une philosophie arrachée à la nuit du passé, n'a pu être, si elle a existé, que l'expression d'une situation elle même passée.» (P.35). L'effort de restitution d'une philosophie passée ne résout donc pas nos problèmes actuels. C'est pourquoi il planche pour une philosophie tournée vers le présent, voire le futur.
La défaite de l'Afrique face à l'occident est à mettre sous le compte de lacunes graves de sa civilisation. Et ces lacunes elles-mêmes sont en relation avec notre spécificité, ce qui nous différencie de l'Européen (P.40). Il nous incombe donc de ne pas pérenniser cette spécificité. Il faut la dépasser, la transformer. Autrement dit il faut transformer dans le présent, ce qui dans le passé fut responsable de notre défaite. De cela il suit que l'Afrique doit se métamorphoser afin de devenir autre chose que ce qu'il a été. Le but étant d'entrer de pleins pieds dans une nouvelle ère avec ses réalités intrinsèques. Ce la ne signifie pas faire table rase du passé. Mais il s'agit de l'assumer, en être fier, en dépit de ses lacunes et partir de cette base pour nous diriger vers un horizon proche lointain dans lequel notre passé serait meilleur. Cela impose que dans le présent nous opérions « une révolution radicale » (P.41) qui elle-même exige « une rupture radicale avec notre passé ». (idem) Que l'actuelle essence de l'Afrique, ou peut-être même; ce qu'elle sera, soit le produit de son passé, Towa ne le conteste guère. Mais lorsque ce passé, passé sous le crible de la critique lucide et objective montre que l'assujettissement présent trouve son explication dans ce passé, il y a lieu de reconsidérer la valeur accordée à ce passé pour annihiler cet assujettissement. En un mot il revient à l'Afrique de révolutionner ce qu'elle a « en propre, ce qu'il a d'original et d'unique, entrer dans un rapport négatif avec le soi » (P.41). Telle est la méthode que propose Towa pour que l'Afrique puisse faire le poids devant l'Occident. Il pose donc que tout l'effort intellectuel et philosophique soit consacré à identifier ce dessein Absolu afin de l'interroger et le mener vers le sens qui nous convient. En outre il apparaît ici clairement que pour Towa la philosophie doit hâter la prise de conscience des Africains de leur situation défavorable actuelle et aspirer au changement démocratique par la révolution. La philosophie doit être au devant de cette lutte laborieuse des masses africaines vers cette révolution, en déterminant leur rapport actuel au monde ainsi que la direction vers laquelle il importe de l'infléchir. En cela il estime que seul dans Le Consciencisme de K.N'Krumah, la part belle est donnée à la saisie de ce que nous avons à être selon notre condition actuelle. En effet, pour N'Krumah, la conscience africaine actuelle est tiraillée par des idées et valeurs occidentales modernes, musulmanes et chrétiennes. De ce fait projet de N'Krumah porte sur la problématique de savoir par quel moyen « partant de l'état actuel de la conscience africaine.... Le progrès sera tiré du conflit actuellement cette conscience ». (P.54) Donc il s'agit fondamentalement d'une interrogation sur le devoir être de la conscience africaine partant de son état actuel de sa conscience assaillie et déchirée par un conflit venu de civilisations étrangères. C'est en somme la formulation de cette interrogation et les pistes qu'il convient d'envisager et au besoin emprunter que Towa voudrait assigner à la philosophie. En d'autres termes, attribuer à la philosophie la responsabilité d'interroger la condition passée et présente d'un peuple et sur cette base définir son Absolu, son dessein fondamental.
De plus les taches fondamentales s'articulent en deux moments : le rejet du culte du passe et le rejet du culte de la différence. Le rejet du culte du passé signifie fondamentalement se détourner de notre passé qu'il considère comme ce qui a été responsable de notre défaite face à l'occident. Ce passé recouvre une certaine spécificité des peuples africains, spécificité qui elle même a rendu possible notre soumission par les puissances occidentales. Il s'agit donc d'abandonner celui-ci. Mais encore de procéder à la démarche dialectique qui consiste à s'emparer du secret de notre domination par ces puissances afin de devenir semblables à elles donc in colonisables par elles. Et pour lui le secret de l'Occident, c'est sa science et sa philosophie. Ce sont donc ces deux dimensions de la civilisation occidentale qu'il faut à tout prix nous approprier au lieu de nous pérenniser dans une glorification stérile de notre passé. Quant au culte de la différence il renvoie à la propension des auteurs Africains et de certains auteurs non Africains qui ont eu à réfléchir sur la problématique philosophique africaine, de marquer coûte que coûte une différence entre les civilisations africaines et les autres, aux fins avouées ou non de construire une philosophie qui de ce fait serait plus authentique. A la différence d'une telle démarche, Towa propose un dialogue dynamique avec les autres civilisations. Car selon lui, c'est dans ce dialogue que l'Afrique pourra tirer des autres civilisations ce que lui manque pour pouvoir édifier une puissance matérielle suffisante, sans laquelle toute philosophie est en soi impossible. C'est également au nom du rejet du culte du passé et du culte de la différence qu'il estime qu'il incombe à toute philosophie africaine de procéder à une critique sans complaisance de notre héritage culturel et philosophique. Car au sein des auteurs africains particulièrement, la plupart des tentatives sur le champ philosophique se résument en la négation d'un préjugé ; le préjugé raciste selon lequel les peuples d'Afrique seraient incapables de philosopher. En procédant, ils ne sont parvenus qu'à une glorification aveugle des cultures africaines, pire à y fonder la philosophie africaine, sans tacher un seul instant de les remettre en cause. Il en veut pour preuve « La philosophie africaine dans sillage de la négritude »26(*). Il s'agit en réalité de ce courant de pensée qui s'est développé en Afrique et abondant dans le même sens que le Père Tempels dans son entreprise de restitution de la vision du monde à la base de toutes les activités du Noir et qui serait sa philosophie. Pour notre auteur un tel combat tant du point de vue théorique qu'idéologique est un prolongement de la négritude. La négritude est un mouvement politique, culturel qui se fixe pour objectif la réhabilitation du nègre longtemps nié et bafoué par les Occidentaux, par l'exaltation des différentes manifestations de sa civilisation. Ainsi, à travers notamment la littérature de pionniers comme Aimé Césaire, L.S. Senghor, Léon Gontran Damas etc., ce courant de pensée a identifié et valorisé tout ce que le Noir a de positif et de différent et l'a mis en avant devant l'Europe pour prouver à celui-ci que le Noir aussi a une culture, une civilisation avec toute sa richesse et sa complexité. Une civilisation qui pour être différente des autres, n'en demeure pas moins une et exige que le Noir soit respecté, ne serait-ce qu'au nom du droit aux civilisations d'être différentes. C'est ce droit à la différence et le respect qu'il sous-entend dans le commerce inter-civilisationnel qui fait le credo de la négritude. Sur le plan politique, la négritude devient une plate forme de revendication du droit des pays d'Afrique à l'autodétermination, à l'indépendance. La philosophie africaine « dans le sillage de la négritude » renvoie donc à la littérature de ces intellectuels Africains qui espèrent dégager une philosophie africaine à partir de l'étude de son champ culturel ; une philosophie qu'ils essaieront de valoriser par la suite pour mettre à mal la vision selon laquelle l'Afrique est étrangère à la philosophie. C'est cette philosophie que Towa observe dans les écrits de Alassane N'Daw27(*) et J. Basile Fouda28(*). Pour le premier cité « une première déclaration d'indépendance intellectuelle se fait jour par l'intention de fonder une philosophie de l'homme africain qui montre que cet homme ne peut être conçu comme un accident d'une substance qui serait l'Européen. La revendication d'une dignité anthropologique propre constitue l'un des pôles de cette pensée militante qui a pris conscience qu'elle n'aura de chance de dévoiler l'essence de l'homme noir qu'autant qu'elle pourra le considérer comme producteur d'oeuvres culturelles, de philosophie et d'esthétiques »29(*). Ce qui transparaît dans cette réflexion c'est le caractère idéologique de la mission que s'assigne l'auteur. En fondant une philosophie propre à l'africain, il aboutit à une autonomie intellectuelle (donc également politique) qui fait qu'on ne le considère plus comme une substance contingente appelée à se déployer selon le bon vouloir de l'Occident, mais comme acteur de l'histoire de l'humanité et conscient de soi comme tel. Donc une telle philosophie rentre dans le cadre d'une démarche militante en faveur de la dignité de l'homme noir en tant que producteur d'oeuvres culturelles, d'esthétiques, de philosophie etc. Ce qui reste clair, néanmoins, c'est que la philosophie ainsi saisie est différente de la philosophie occidentale notamment. Et Towa relève que les auteurs dont il parle en sont conscients. Car pour contourner les difficultés liées à leur démarche, ceux-ci choisissent d'élargir la notion de philosophie. C'est ainsi que pour A. N'Daw la philosophie africaine serait le résultat de l'interprétation de toutes les oeuvres culturelles africaines afin de dégager leurs caractéristiques générales. Cela aurait l'avantage selon lui de dépasser « une certaine idée de la philosophie considérée comme une vision du monde systématiquement développée ou une tentative de fondation intégrale du discours ».
Quant à J. Basile Fouda, pour lui la philosophie se ramène au processus par lequel l'homme interroge le monde pour le comprendre et l'expliquer, l'organiser et le totaliser. Cela signifie deux choses: la philosophie n'est pas une activité coupée du monde, bien au contraire elle est une interrogation de celui-ci en toutes ces composantes (les phénomènes, les êtres qui y vivent, leurs créations, interactions ...) afin de l'expliquer. La philosophie est également l'acte par lequel l'homme organise le monde pour le saisir comme un tout sur lequel il est appelé à se poser. Plus concrètement, J. Basile Fouda procède par une méthode qu'il appelle positivisme fonctionnel. Celle-ci consiste à considérer les faits culturels comme les institutions, les moeurs, les croyances tec, comme des réalités déjà là, s'imposant au chercheur du dehors. Le tout serait à partir de là, de parvenir à leur cohérence interne, leur structure pour en saisir l'ensemble. Et c'est cela qui serait la philosophie africaine. Towa note qu'en réalité cette méthode est une tentative de réduire la philosophie à la culture. L'objectif poursuivi par les auteurs en question est de fonder une philosophie originale parce que différente de la philosophie occidentale. Cette dernière se caractérise par le fait qu'elle établit une dichotomie entre l'homme et l'univers. Ainsi l'homme va instrumentaliser ses connaissances pour assujettir le monde à ses besoins. Alors le Noir voudrait vivre « en communion » (p.28) avec la nature sans vouloir la dominer. Ainsi sa philosophie n'a nul souci de soumettre cette nature pour ne pas la corrompre. Elle est simplement « une herméneutique du sens de l'homme et de l'univers » (p.28)
C'est en définitive contre cette philosophie qui fait constamment référence au champ culturel africain pour le valoriser par tous les moyens que Towa met en garde. Il trouve infondée la spontanéité avec laquelle toute interprétation du champ culturel négro-africain est transformée en philosophie. Pour lui, dans le cadre de la problématique philosophique africaine, toute philosophie, fut-elle africaine, doit au préalable de « soumettre l'héritage philosophique et culturel [africain] à une critique sans complaisance » (p.30). Cela signifie que non seulement la philosophie ne saurait se limiter à une interprétation pure et simple d'éléments culturels ; mais aussi qu'elle n'est pas restitution mécanique ou une vile répétition de ce qui est déjà là. Elle doit être d'abord critique, dédoublement du penseur avec son objet de pensée pour y poser sa réflexion claire et objective. Par cette démarche, la philosophie africaine pourra éviter certaines positions qu'il considère incompatibles avec la philosophie. Il s'agit en l'occurrence des positions qui renvoient au « retour aux sources », « l'exaltation de l'originalité et de la différence » (p.24). Ces positions Towa les voit poindre dans la littérature philosophique africaine. Elle ont conduit à des travers qui selon méritent d'être dénoncées. Car pour lui, pour lui « amener au jour une authentique philosophie négro-africaine établirait à coup sûr que nos ancêtres ont philosophé, sans pour autant nous dispenser, nous, de philosopher à notre tour. Déterrer une philosophie ce n'est pas encore philosopher ». (p.29). La philosophie ne commence qu'avec la décision du philosophe, dans le présent, de soumettre tout à la critique y compris son héritage culturel. Cet héritage culturel est certes nôtre. Le dévaloriser ou l'avilir reviendrait à abdiquer à ce qu'on est et être condamnés à errer inexorablement vers une "néo-culture" qui n'existe nulle part que dans nos idéaux teintés du ressentiment de notre défaite face à l'occident notamment. Cependant de là à assimiler systématiquement toute manifestation culturelle africaine en philosophie, sans tenter un seul instant d'identifier et de tenir compte de ses éventuelles facettes négatives ou les contradictions théoriques que cela sous-tend relativement à la philosophie en tant que discipline spécifique, il y a un pas que Towa refuse de franchir. Cela d'autant plus que les résultats auxquels ont conduit « cette quête d'une philosophie négro-africaine originale préexistante » sont loin d'être pertinents à ses yeux. Le premier résultat est d'ordre terminologique (p.30). Car la traditionnelle opposition entre les productions culturelles africaines et la philosophie reste inchangée. C'est simplement que ces productions prennent désormais « le nom de philosophie de telle sorte que leur opposition avec la pensée occidentale devienne intérieure à la philosophie » (p.30). Un autre résultat est relatif à l'attitude des productions de la pensée africaine relativement à l'ethnologie. Towa estime qu'au lieu d'adopter à leur encontre le détachement objectif du scientifique, les auteurs en quête d'une philosophie spécifique, leur confèrent une valeur normative relativement à la vérité et à l'action. Une telle attitude pose problème car elle n'est ni ethnologique, ni philosophique. L'ethnologie décrit, explique tout en évitant de s'engager explicitement. Quant à la philosophie, elle est toujours une réfutation, une argumentation, une démonstration. Alors que ce qui est donné ici comme philosophie n'est ni philosophie, ni ethnologie. Mais un discours d'un genre nouveau à cheval entre ces deux disciplines. D'où son appellation d'ethnophilosophie (p.31). Il s'agit en fait d'un exposé des mythes, rituels, croyance qui se transforme brusquement en profession de foi métaphysique et militante. Le souci n'est plus de fonder ce qu'on dit sur les critères objectifs, scientifiques qui existent en philosophie et en ethnologie. Mais de produire quelque chose selon son bon vouloir avec la seule obsession de nier la négation de son peuple par l'Occident. A cet effet l'exposé des manifestations culturelles échappe à tout questionnement, toute critique, mais il n'est que le vecteur d'une idéologie dogmatique. « Pour cette raison l'ethnophilosophie apparaît comme une théologie qui ne veut pas dire son nom ». (p.32). L'autre travers de l'ethnophilosophie est ce que Towa appelle la rétro-jection. « La rétro-jection, c'est le procédé par lequel il (le philosophe africain en quête d'une philosophie spécifique) altère et défigure la réalité traditionnelle en y introduisant secrètement dès le stade descriptif, des valeurs et des idées actuelles pouvant être tout à fait étrangères à l'Afrique, pour les retrouver au stade de la profession de foi militante, «authentifiée» en vertu de leur prétendue africanité» (p.32). En d'autres termes, par ce procédé, l'intellectuel africain attribue une valeur actuelle à la réalité traditionnelle passé et s'en sert comme argument de revendication.
Telle est en substance, la situation de la philosophie africaine dans le sillage de la négritude. C'est contre elle que s'insurge Towa, notamment en tant que philosophie africaine spécifique et originale restituée à partir d'une herméneutique du champ culturel négro-africain. Pour notre auteur, cette philosophie n'est qu'une ethnophilosophie. La tâche qui revient à toute philosophie digne de ce nom est de commencer par soumettre avant tout cet héritage culturel à une critique sans complaisance. Car pour lui, pour le philosophe aucune donnée, aucune idée si vénérable soit-elle, n'est recevable avant d'être passé au crible de la pensée critique. La philosophie est perçue par lui comme l'unique instance normative, décidant selon ses principes, ce qui est sacré, absolu, mystique etc. ou non. La philosophie n'accepte pas des priori de quelque nature que ce soit. Elle se pose librement sur toute chose et décide toute seule de la mesure de toute chose. C'est pourquoi il note que tous les grands philosophes commencent par invalider les systèmes philosophiques existant avant eux.
Quant aux taches secondaires elles font référence à la restitution de l'histoire de la pensée africaine. Après avoir identifié le sens du rapport de l'Afrique au monde actuel et la détermination de l'orientation à lui assigner, les africains doivent également s'atteler à retracer l'histoire de la pensée africaine. Cette démarche inclut la pensée africaine passée et présente. Elle incombe à toutes les disciplines du savoir donc également la philosophie. Dans cette perspective plusieurs thématiques de recherche se dégagent. C'est le cas « des phénomènes de décadence ou de régression des civilisations » (p.170). Cela suppose que nous partions du principe qu'à un moment de l'histoire, des civilisations brillantes ont fleuri sur le continent africain. Mais qu'à un autre moment donné ces civilisations se sont atrophiées considérablement, quand elles n'ont pas disparu. Towa voudrait également que des études soient menées aux fins de prouver que « les éléments fondamentaux de culture sont présents dans toutes les civilisations, et que les différences entre celles-ci sont finalement des différences de développement, d'actualisation de tel ou tel aspect de la culture en général et non des différences de nature ». (p.70) Cela permettra de lever les équivoques qui ont conduit à notre négation par l'Occident. Les lacunes qui, dans le passé ont conduit à notre défaite, doivent être revisitées avec sévérité au lieu de la complaisance qui « engendre l'autosatisfaction factice et la stagnation dans notre présente condition de dépendance et d'humiliation » (p.70). Towa, pour ce qui est du philosophe en particulier invoque « rigueur et objectivité » dans la restitution de l'histoire de la pensée africaine. Des ébauches non négligeables ont été avancées dans ce domaine notamment avec les travaux de Cheick Anta Diop30(*), mais il convient de les approfondir en se penchant par exemple sur les limites de l'histoire africaine. Le regard doit également être tourné vers l'enseignement de la philosophie grecque en Afrique au moyen âge avec l'arrivée de l'islam. Si des intellectuels en sont sortis, leur pensée doit être recherchée et analysée. Il faut également s'intéresser aux philosophes de la diaspora comme William Amo, d'origine ghanéenne qui a enseigné dans les universités allemandes au 18ème Siècle. Donc on peut schématiser en disant que sur cette question Towa assigne à la philosophie les rôles suivants :
q Retracer avec le maximum de rigueur l'histoire de la pensée africaine
q étudier la tradition orale africaine dans ses différentes manifestations, pour dégager la conception du monde des africains
q Chercher à savoir si l'enseignement de la philosophie grecque en Afrique de l'Ouest au moyen age, à la faveur de l'expansion de l'islam n'a pas donné naissance à des oeuvres philosophiques intéressantes
q Faire des recherches parmi les auteurs de la diaspora africaine pour identifier les philosophes et étudier leurs oeuvres
En un mot, pour Marcien Towa, sur le continent africain, il y a des taches qui reviennent à la philosophie. Parmi ces taches, il y a les taches fondamentales et les taches secondaiares. Ces taches renvoient concrètement aux différents rôles que la philosophie doit jouer sur le continent africain. De manière générale ceux-ci sont conçus chez lui comme devant contribuer à la marche de l'Afrique vers la révolution démocratique ainsi l'instauration sur le continent d'une culture littéraire et philosophique différente de celle de l'ethnophilosophie et de la négritude senghorienne. Cependant, de ces rôles rôles, nous devons prodéder à une analyse critique pour mieux les comprendre et éventuellement relever les éventuelle limites.

SECTION 3 : EXAMEN CRITIQUE DU ROLE DE LA PHILOSOPHIE SELON MARCIEN TOWA

Dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle Marcien Towa aborde des questions épineuses. En le parcourant ce qui revient le plus c'est une volonté d'envisager la problématique de la philosophie africaine sous un angle nouveau. Il s'agit principalement pour lui, non seulement de critiquer la direction empruntée par certains de ses devanciers, mais également de proposer de nouvelles pistes à explorer pour que fleurisse sur le continent une philosophie qui ne serait pas telle que sur le continent africain. Mais une philosophie qui aurait droit de citer partout dans le monde. C'est à cet effet qu'il considère que celle-ci doit fonctionner comme cela a toujours été observé notamment dans la tradition philosophique occidentale. En outre dans son optique, la philosophie africaine ne doit pas être un discours sans importance, c'est-à-dire ne reflétant rien de la vie quotidienne des Africains. Mais une philosophie qui joue des rôles concrêts et constructifs dans l'Afrique d'aujourd'hui et de demain. Cela l'a emmené à défendre les positions qu'on vient d'énumérer.
Au risque de nous répéter les rôles que doit jouer la philosophie sur le continent africain sont désignés comme des taches. Dans ces taches on distingue les taches fondamentales et les taches secondaires. Les taches fondamentales sont celles qui font référence au devenir des peuples africains, leur dessein fondamental. Au nom de celles-ci il estime la philosophie doit déterminer et orienter la marche laborieuse des peuples africains vers la saisie de leur dessein fondamental. L'attribution de ce rôle répond à une certaine vision de la philosophie qui fait d'elle en dernier ressort un discours théorique appelée d'une manière ou d'une, à intervenir dans le devenir général des hommes. Il faut préciser que Towa est profondément séduit par les idées de Kwamé Krumah. Quand on sait que ce dernier est panafricaniste convaincu, rêvant d'une Afrique forte et unie, avec un même destin, on comprend aisément le propos de Towa ici. Il rêve d'une Afrique sous forme d'Etat centralisé, une Afrique dans laquelle il reviendrait à la philosophie de fixer les objectifs à atteindre pour l'amélioration de sa condition dans sa globalité. La philosophie devient ainsi le vecteur de tout un continent vers son destin. Cette manière d'envisager la philosophie est celle qui transparaît dans la pensé de Kwamé N'Krumah. En effet ce point de vue se retrouve dans Le Consciencisme. Pour Kwamé N'Krumah philosophie et idéologie entretiennent des rapports féconds et constructifs aussi bien sur le plan théorique que celui de la praxie sociale. La philosophie n'est pas un discours essentiellement conceptuel coupé du monde. Elle n'est que l'expression théorique discursive des manifestations concrètes de la vie, des rapports sociaux de production et d'échange dans la sphère de la superstructure. Mais cette philosophie doit être au service de l'idéologie dominante. Pour cela elle doit se présenter sous la forme d'un corps de doctrine qui déterminera la nature générale de notre action consistant à unifier la société dont nous avons héritée. La philosophie devient ainsi toute idéologie explicitement formulée dans un discours théorique. Cette idéologie, N'Krumah la conçoit comme globalisante et vise à unir le peuple au corps social. Elle décide à la lumière des circonstances, de la forme des institutions et de la direction à imprimer aux efforts communs. A la lecture de Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle on voit aisément les penchants de Towa pour de telles idées, non seulement en vertu de sa propre argumentation, mais aussi des termes dithyrambiques qu'il use pour qualifier N'Krumah et sa philosophie.
De cette vision de la philosophie il se dégage deux idées majeures : l'idée d'une philosophie commune et celle que cette philosophie même soit à la solde de l'idéologie dominante africaine. Sur le premier point notre auteur semble faire un virage à cent degrés. En effet à la lecture de son ouvrage, tout porte à croire que tout le projet de Towa vise à ruiner toute idée de philosophie commune, surtout si celle-ci mise sur l'originalité pour être brandie devant l'Occident comme certificat d'humanité. Or une philosophie dans laquelle tous les africains se retrouveraient, car seule habilitée à fixer leur dessein fondamentale est déjà une philosophie commune, originale et spécifique. Car elle se présenterait sous la forme d'un corpus philosophique, mieux idéologique ayant la prétention d'être la seule appropriée pour les peuples africains, et seule à même de dire ce que doit être leur destin. En tant que telle et en vertu des spécifiés indéniables de ces peuples par rapport aux autres peuples du monde, cette philosophie aurait toutes les chances d'épouser ces spécificités et d'être tout sauf quelque chose d'universel. Alors même que le souci de Towa tout au long de son livre nous a semblé proposer des pistes pour que naisse et fleurisse une activité philosophique qui intégrerait cette dimension d'universalité. En outre, faire de la philosophie un instrument de l'idéologie, c'est purement soumettre celle-ci à une autorité au lieu qu'elle soit ce discours libre, objectif dont le seul absolu est l'absolu de la pensée. La philosophie devient prisonnière de l'idéologie qu'elle sert, elle devient ainsi une simple marionnette dont la possibilité même d'existence est fixée en dehors d'elle, selon des critères qui ne peuvent pas nécessairement lui seoir. De plus en tant que servante ou serveuse de l'idéologie dominante, la philosophie devient la pensée unique systématisée, la théorie de l'idéologie dominante. Car nous savons qu'une idéologie a toujours ces théoriciens. Ceux-ci qu'en tant que théoriciens d'un mouvement ayant des visées politiques, économiques, stratégiques etc. sont plus préoccupés par ces visées mêmes, selon des circonstances qu'ils déterminent. La philosophie devient la pensée unique des maîtres à penser au service des intérêts singuliers de ces maîtres à penser. Au lieu qu'elle soit cette libre tribune où les points de vue les plus contradictoires peuvent être développés, combattus, améliorés etc. selon les règles de la libre pensée, la philosophie se mouvrait en une pseudo pensée illuminée ayant la prétention d'être seule détentrice de la vérité. Cette situation est toujours dangereuse car elle peut avoir pour effet de donner une autorité sans borne à un individu ou quelques individus selon qu'une propagande efficace est orchestrée dans ce sens. Dans le même ordre d'idées, il semble illusoire de vouloir faire de la philosophie une pensée qui se pense, une pensée qui n'admet aucune autorité physique ou spirituelle ni à côté d'elle, ni au dessus d'elle et en même temps concevoir que cette pensée soit la même chez tout un peuple. Car en la matière, la seule chose dont peut être sûre c'est l'intentionnalité de la pensée. Autrement, que toute pensée est pensée de quelque. Que ce que quelque chose soit la pensée elle-même ou quelque qui ne soit pas une pensée, ne change rien. Donc concevoir la philosophie de cette manière et dire qu'elle doit être perçue et vouloir qu'elle soit véhiculée par tout un peuple, c'est purement passer sous silence les conditions mêmes de possibilité de cette pensée. Et ces conditions sont généralement spécifiques à chaque culture, chaque zone géographique, etc. Dans la perspective marxiste par exemple, ces conditions seraient à rechercher dans le processus hétéroclite où des individus entretiennent sans cesse des relations complexes en tout genre dans le cadre de leur production matérielle.
Il ressort de ce qui précède qu'en attribuant à la philosophie le rôle d'élucidation de l'être dans le monde des Africains et la détermination de la direction qu'ils doivent emprunter pour un futur meilleur puisque devant conduire à la révolution démocratique, Towa est ni plus ni moins entrain de défendre les points de vue qu'il dénonce chez les auteurs de la philosophie africaine notamment ceux « dans le sillage de la négritude ». En réalité aucune philosophie ne peut être la philosophie de tout un peuple au sens où elle défendrait des thèses qui engagent l'ensemble de ce peuple. Bien au contraire elle est d'abord et avant tout une opinion individuelle emmenée à être combattue ou améliorée dans un débat sans cesse rebondissant où ce qui a été dit antérieurement est amendé ou enrichi par des propositions nouvelles, selon les problématiques nouvelles. Seuls les prophètes ou quelques "illuminés" peuvent véhiculer une philosophie de tout le monde appelée à être acceptée par delà l'espace et le temps. Et ce, pour cela seul qu'ils se font passer pour messagers de Dieu ou quelque êtres transcendantaux, ce qui est du reste toujours difficile à confirmer où à infirmer.
Un autre argument de Marcien Towa dans Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle est que la philosophie doit procéder à une critique sans complaisance de l'héritage culturel et philosophique africains. Il faut savoir replacer cette position dans le contexte général de la pensée de l'auteur. Pour lui en effet, la philosophie africaine doit pouvoir dépasser l'ethnophilosophie et la négritude senghorienne pour être une discipline apte à porter ce nom; une discipline qui existe et fonctionne à la manière de ce qui a été considérée comme telle, notamment dans la tradition occidentale. Et que dans cette tradition elle-même la conception de Hegel seul, du fait de sa notoriété tant dans le bloc socialiste que capitaliste, suffit à donner une image satisfaisante de la philosophie. C'est au nom de cette vision de la philosophie qu'il lui attribue le rôle de critiquer sans complaisance l'héritage culturel et philosophique des peuples africains. Pour lui donc, abondant dans le sens de Hegel, la philosophie est la pensée reposant sur elle-même, ne souffrant d'aucune autorité à côté d'elle ou au dessus d'elle. Cela signifie que pour la philosophie rien n'est accepté comme vrai qui n'ait été reconnu comme tel par la pensée elle-même. Cette conception fait de la pensée un attribut pour le moins puissant et incontournable de l'homme, seule capable de différencier le vrai du faux. La philosophie par ailleurs s'exprime dans le concept. Le concept est une notion dynamique qui s'exprime et se développe dans le réel. Aux yeux de Hegel, le concept représente l'élément de rigueur qui permet de construire un savoir universel, valable pour tous. La philosophie doit opter pour la détermination conceptuelle si elle ne veut pas s'anéantir comme science. Ainsi donc Hegel voudrait rapprocher le discours philosophique de la science pour qu'il ait plus de rigueur et d'objectivité. Par cela donc Hegel voudrait que le philosophe soit guidé dans ses recherches par sa seule raison et n'admette aucune autorité venant du dehors, si elle n'est pas admise comme telle par cette même raison. En cela la philosophie s'oppose à la religion, notamment les religions dites révélées. D'une part celles-ci se donnent comme un ensemble de rites, de cultes fondés sur des principes dogmatiques auxquels les adeptes doivent croire sans questionnement. Mais surtout enseignés par quelques prophètes qui prétendent être des envoyés de Dieu, pour aider l'humanité à suivre la voie du créateur. En outre la religion considère que l'esprit humain est borné, limité, inapte à s'élever jusqu'à certaines vérités. Hegel ne nie pas la finitude humaine de manière générale. Mais pour lui une exception doit être faite du côté où il est esprit : «le fini concerne les autres modes d'existence ..., mais quand, comme esprit, il est esprit alors il ne connaît pas de limites. Les bornes de la raison ne sont que bornes de la raison de ce sujet là mais s'il se comporte raisonnablement l'homme est sans bornes, infini » (p.62). La philosophie ainsi appréhendée fait de la pensée humaine libre, infinie, le point de départ et le point d'arrivée de la chose, elle est principe d'elle-même donc absolue. En cela la philosophie détrône la religion qui occupait déjà cette place. Hegel considère d'ailleurs l'histoire de la philosophie comme l'histoire de la lutte de celle-ci contre l'autorité religieuse. Il estime seulement qu'un consensus peut être trouvé à cette interminable querelle entre philosophie et religion. Mais dans les termes fixés par la philosophie, c'est à elle que revient la tâche d'interpréter les représentations religieuses, mythologiques pour décider ce qu'il y a de vrai. C'est à la philosophie en tant que pensée libre qu'incombe d'analyser les manifestations religieuses. Si la philosophie rencontre ses catégories dans le discours ou la représentation religieuse, elle est fondée à rendre compte mais l'inverse est impensable «parce que la conception religieuse ne s'applique pas à la pensée» (p.64). Hegel exclut également de la philosophie, « la philosophie populaire » telle qu'elle existe dans le romantisme de Jacobi31(*) et de Schleiermacher32(*), la philosophie écossaise du sens commun33(*) ou dans les écrits de Cicéron34(*). Dans tous ces courants de pensée, tout repose sur l'instinct moral, le sentiment du droit ou du devoir etc. Autrement sur des notions subjectives susceptibles d'interprétations aussi différentes que variées selon les individus, les cultures, etc. ; de telle sorte que le contenu d'une pensée peut revêtir telle forme, telle signification chez un penseur et telle autre chez un autre; sans qu'un critère objectif de vérité ne puisse être trouvé. Cela s'oppose diamétralement à l'optique hégélienne qui met cette scission même de la pensée au point de départ du besoin de philosopher. C'est pourquoi il estime que « quand la puissance d'unification disparaît de la vie des hommes et que les oppositions ont perdu leur rapport vivant, leur action réciproque, et deviennent indépendantes, alors naît le besoin philosophique».35(*). En cela la philosophie se présente, comme une entreprise s'efforçant de mettre fin à la séparation, le déchirement de l'humanité. Quand les hommes ne sont pas en mesure d'unifier leur champ théorique, spéculatif, historique, la philosophie tente de répondre au besoin fondamental d'unité de l'esprit. Cette démarche s'oppose à la philosophie populaire qui recherche plus « l'édification par l'enthousiasme enflammé pour le beau, le sacré, ou la religion. Elle croit trouver dans ce zèle brûlant un raccourci vers le vrai, lui épargnant de suivre le long chemin de culture philosophique le mouvement riche et profond à travers lequel seul l'esprit parvient au savoir ». (p.65) Le résultat est que dans ces conditions certaines notions, certaines propositions échappent à la discussion et sont considérées de facto comme vraies. Et à celui qui avancerait un point de vue différent on rétorque qu'il fait preuve d'aveuglement ou de mauvaise foi. Le recours au sens commun, à la pureté de conscience et du coeur font de la vérité un dogme auquel tous les hommes sont censés soumettre.
En un peu de mot c'est la philosophie conçue de cette manière qui a séduit Marcien Towa pour que sur la problématique philosophique africaine, il lui assigne entre autres rôles, la critique sans complaisance de l'héritage culturel négro-africain et philosophique. Cette thématique intéresse tout africain à plusieurs égards. L'Afrique a longtemps subi le choc avec les autres civilisations. Elle a enduré plusieurs siècles d'esclavage au cours desquels ses bras valides ont été déportés. Elle a connu la colonisation avec son cortège de mauvais traitements, de travaux forcés, d'expropriation, d'endoctrination de cultures venues d'ailleurs et incompatibles avec sa culture antérieure. De nos jours elle est dans une large partie le théâtre de conflits sanglants, elle à la solde de dirigeants marionnettes des puissances occidentales et le processus de pillage humain et économique de ses ressources continue de plus belle. Cependant, ce qu'on n'a pas complètement arraché à l'Afrique c'est sa culture, dans sa diversité et sa profondeur. Certes la jeunesse actuelle est en train de se détourner des valeurs issues de cet héritage culturel et d'adopter aveuglément tout ce qui vient d'Occident. Et cela, du fait notamment de l'envahissement du continent par la culture occidentale à travers des vois supposées d'échanges et d'intercommunications constructives comme la télévision, les NTIC. Cependant cela ne suffit pas pour faire disparaître cet héritage culturel36(*). Il est donc notre richesse, notre point de repère, ce que nous pouvons avancer dans le contact sans cesse croissant avec les autres civilisations. Néanmoins de là ériger toute interprétation de cet héritage culturel en philosophie africaine il y a un pas que Towa refuse de franchir, mais plus que cela il lui adresse la critique virulente ci-dessus. A juste titre peut-être. Cependant le fait d'amorcer cette critique dans le champ spécifique occidental et poser la philosophie de ce champ comme seule capable de l'amorcer expose l'argumentation à des réserves. En effet le seul fait de transporter cet héritage culturel dans une sphère spécifique, avec ses exigences en termes de catégorie, de cadre conceptuel donne l'impression de fausser le débat avant même de l'avoir amorcé. Cette nécessité d'utiliser un cadre théorique et conceptuel étranger à l'Afrique pour traiter des sujets africains est une reconnaissance tacite de son inexistence dans notre continent sans même faire de la recherche informée sur la question. Alors même que la construction de ce cadre seulement, qu'il soit propre à toute l'Afrique en général ou en fonction de sa multiple et complexe composition culturelle, est un défi qui se pose au chercheur Africain. Cette tache était reconnue comme une tache urgente par Wilmot Blyden37(*) en son temps, qui dans ses écrits posait le problème de la détermination ou l'invention d'un discours théorique propre à rendre compte de la pensée du négro-africain à partir de champ culturel propre. En cela Pathé Diagne considère qu'il est un précurseur en la matière et considère que cette problématique doit être poursuivie et approfondie. En effet faute de son existence, l'universitaire africain actuel échappe difficilement à l'influence de l'Occident. Ayant une formation occidentale, il aborde toute thématique selon les catégories de cette formation même si celles-ci sont incompatibles avec le contexte de la problématique considérée. D'autre part le fait d'avancer comme modèle de critique de l'héritage culturel africain la philosophie occidentale en soi semble inopportun. C'est au sein de la littérature occidentale que le monde négro-africain a eu ses plus farouches négateurs. Les thèses racistes et négationnistes d'un comte de Gobineau ou Levy-Bruhl sont connues de tous. Sont connues également toutes les tentatives d'éminents penseurs Occidentaux de faire de la philosophie l'apanage de leur civilisation. Mais il y a plus. Dans cette cacophonie où le Noir est tout sauf un homme, se mêle la voix de Hegel avec la minutie qu'on lui connaît. On sait que dans son acception le Noir est l'être dans sa sauvagerie et sa pétulance; qu'il faille faire abstraction de tout sentiment humain pour l'appréhender à sa juste valeur. Pour cet être il suggère un esclavage des plus dégradants pour lui insuffler un peu d'humanité. Comme on le voit ériger la philosophie occidentale en modèle de critique des cultures négro-africaines et de surcroît justifier cela selon la conception de la notion de philosophie d'un Hegel affaiblit fortement l'argument de notre auteur. Towa lui même est conscient de la difficulté de sa démarche. C'est pourquoi il suggère de distinguer dans la position hégélienne la détermination du concept de philosophie et le refus de cette discipline aux peuples non occidentaux. Sur le premier point, il estime que Hegel fait partie des plus grands dans l'histoire de la philosophie, donc il est bien placé pour définir sa discipline. Quant au second point, Towa trouve sa position suspecte au regard de sa sous information sur les cultures non occidentales et ses penchants impérialistes. Cependant la question est ailleurs : il est question de savoir pourquoi, même connaissant les thèses racistes et esclavagistes de Hegel, Towa persiste à poser sa philosophie comme le fondement de notre acte philosophique ? Cette attitude fait ressortir une fidélité dogmatique de Towa à la philosophie occidentale en général et hégélienne en particulier. Il convient de souligner depuis la première publication de Essai sur la problématique philosophique dans l'Afrique actuelle en 1971, la position de Towa sur cette question ont fortement varié.
En effet environ dix ans par cet ouvrage Marcien Towa a publié un autre ouvrage intitulé L'Idée d'une philosophie négro-africaine. Dans cet autre ouvrage notre auteur, certainement compte tenu de toutes les critiques que Essai sur la problématique philosophique a suscité, a considérablement changé de point de vue à propos de l'héritage culturel africain. Plus précisément, au lieu d'adopter à son égard cette attitude négative faite de méfiance, de suspicion où il considère qu'il y a certainement en cet héritage culturel la spécificité qui fut responsable de notre défaite face à l'Occident, il y décèle « l'existence d'une tradition philosophique profonde remontant à la plus haute antiquité qui soit »38(*). Pour montrer la profondeur du revirement de Towa à ce propos soulignons les grandes lignes de cet ouvrage.
Pour Towa, encore une fois la démarche la plus appropriée consistera de partir de l'interrogation de l'existence ou non d'une philosophie africaine. Dans cette perspective il pense qu'il y a la philosophie comme pensée de l'absolu et il y a également des philosophes. Donc pour saisir la notion de philosophie africaine, il faut au préalable élucider le concept de ce que les Européens désignent par « philosophie ». Car ce sont eux qui ont formulé le syllogisme raciste selon lequel :
« L'homme est un être essentiellement pensant, raisonnable
or le nègre est incapable de pensée, de raisonnement. Il n'a pas de philosophie, il a une mentalité prélogique, etc.
donc le Nègre n'est pas vraiment un homme et peut être à bon droit, asservi, traité come un animal ».
Towa pense qu'il y a deux manière de réfuter ce syllogisme raciste et impérialiste : soit en élargissant le sens du mot philosophie pour le ramener à celui de mythe , soit en conservant au mot philosophie son sens rationnel et en montrant que les Africains ont produit quelque chose de semblable ou qu'ils sont en mesure de le faire. Il choisit donc cette deuxième solution et fait un exposé sur les civilisations de l'Egypte pharaonique et celles du reste du continent. Concernant les civilisations pharaoniques, s'appuyant sur des textes des Ecritures saintes comme le papyrus 1350 du musée de Leyde (1300-1200 avant Jésus Christ), le Livre des Morts notamment, il arrive à la conclusion qu'il a existé dans cette partie du continent une philosophie qui remonte à des millénaires avant Thalès, le premier présocratique. Ensuite, se penchant sur le reste du contient, notamment en Afrique Noire, il s'intéresse à la tradition orale, plus particulièrement les contes qui, selon lui ont principal souci d'enseigner la ruse, la prudence et la réflexion. Il en dégage des idées fortes comme :
- La pensée africaine traditionnelle ne place rien au-dessus de l'intelligence
- La pensée africaine traditionnelle refuse de reconnaître à quiconque le monopole de l'intelligence et de la perfection éthique, etc.
Toutes choses qui lui permettront de prétendre que la pensée de l'Afrique Noire a suffisamment de ressemblances avec celle de l'Egypte antique pour qu'on soit autorisé à lui attribuer une tradition philosophique qui remonte à la plus haute antiquité.
Ce qui ressort ici, c'est Towa ne rejette plus comme il le faisait quelques années plutôt l'héritage culturel et philosophique africain. Mais il se base sur lui pour établir l'existence d'une philosophie africaine. Il faut reconnaître avec Tshiamalenga N'Tumba que Towa avait une conception absolutiste et idéalisante de la philosophie. Cela l'a poussé à avancer des positions comme : « La philosophie ne commence qu'avec la décision de soumettre l'héritage culturel et philosophique à une critique sans complaisance », Pour la philosophie, aucune idée ... n'est recevable avant d'être passée au crible de la pensée critique », La philosophie est peut-être la seule discipline qui a le courage et la force de soumettre l'absolu à la discussion » etc. Le moins qu'on peut dire c'est que entre la publication de ces deux ouvrages les positions de notre auteur ont bien changé. Et s'il persistait à défendre de tels points de vue, on pourrait toujours lui demander ce qu'il y a réellement de critique ou d'autocritique chez les Présocratiques et bien d'autres penseurs anciens, médiévaux, modernes et contemporains que les historiens de la philosophie appellent cependant philosophes. Kant, le maître de la critique, celui même qui a voulu critiquer la raison en sa faculté de connaître, a-t-il jamais critiqué par exemple son sujet transcendantal ?
Enfin Towa propose comme rôle de la philosophie, la restitution de l'histoire de la pensée africaine. Il s'agit d'une thématique très pertinente eu égard aux vastes enjeux qu'elle recouvre. Cela rentre d'ailleurs parfaitement dans l'objet d'étude de la philosophie qui en plus d'être l'effort de saisie de l'origine de toute chose, l'amour de la sagesse, l'élucidation de proposition analytique etc.; est le discours portant sur son propre déploiement dans l'histoire humaine. Pour le cas de l'Afrique que le contact avec l'Occident a failli emporter, il est plus qu'impérieux de savoir ce qui était la pensée africaine avant ce contact, après ce contact, mais aussi perdant ce contact. Cependant il transparaît chez Towa une certaine suspicion qui fait que selon lui cette tache doit être menée avec sévérité. Cela dénote d'un état d'esprit négationniste qui présente le risque d'emmener le chercheur à trouver tout, sauf ce qu'il cherche. Il n'y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. A l'encontre de cela, il convient plutôt d'entreprendre des recherches sérieuses, sans préjugés. De plus sur cette question, l'un des points qui fait débat et sur lequel il ne se prononce pas explicitement, c'est le cadre théorique et conceptuel qui doit être utilisé pour retracer l'histoire. Faut-il utiliser les méthodes de la tradition scientifique et philosophique occidentale ou inventer un cadre spécifique propre au champ négro-africain?
Pour résumer, retenons que dans son ouvrage propose des tâches spécifiques et pertinentes qu'il incombe à la philosophie de remplir dans la problématique philosophique africaine. Ces tâches sont concrètes et marquent une véritable rupture avec les conceptions de ses devanciers. Cependant, sa propension à ne ramener la philosophie qu'à ce qu'elle désigne dans la tradition occidentale, le fait tendre vers l'eurocentrisme. C'est certainement conscient de cela qu'il a reconsidéré certaines de ses positions, notamment celles relatives à l'héritage culturel africain.
* 31 Friedrich Heinrich Jacobi, n
 

CHAPITRE II : LE ROLE DE LA PHILOSOPHIE DANS ESSAI SUR LA PROBLEMATIQUE PHILOSOPHIQUE DANS L'AFRIQUE ACTUELLE

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