Incroyablement doués pour la survie, ces minuscules animaux viennent de donner une nouvelle preuve de leur résistance. Un tardigrade adulte et un œuf ont été ramenés à la vie après avoir passé 30 ans et demi dans un congélateur à -20 °C ! Soit près de trois fois plus que le précédent record, lorsque des chercheurs avaient fait revivre des tardigrades déshydratés pendant 9 ans.
Appelés également oursons d’eau pour leur forme dodue et un peu empotée rappelant celle d’un ours —mais avec huit pattes et mesurant un demi millimètre en moyenne !—, les tardigrades (“qui marchent lentement” en latin) sont un petit embranchement d’invertébrés proches des arthropodes (araignées, insectes, crustacés…).
DES AS DE LA SURVIE EN TOUTES CONDITIONS
Des pôles à l’équateur, des sommets de l’Himalaya aux profondeurs océaniques, les quelque 1000 espèces de tardigrades prospèrent partout où poussent les mousses et les lichens dont ils se nourrissent, ainsi que dans les eaux peuplées d’algues microscopiques, qu’ils apprécient également.
Mais leur extraordinaire capacité d’adaptation va bien au-delà : les expériences montrent qu’ils résistent à l’eau bouillante ou à la congélation, à une déshydratation presque totale, à desradiations ionisantes des centaines de fois supérieures aux doses létales pour l’homme, ainsi qu’au vide intersidéral ! Des performances à première vue invraisemblables, dues à leur capacité à entrer, comme peu d’autres animaux, en cryptobiose : un état de mort apparente où toutes les fonctions vitales sont figées, et plus aucune activité biologique a lieu dans l’organisme… jusqu’au moment où les conditions sont de nouveau réunies pour que la vie recommence.
A présent, une nouvelle étude parue dans la revue Cryobiology prouve que la cryptobiose permet aux tardigrades de survivre à de très longues années de congélation, avant de reprendre une vie normale, jusqu’à la reproduction. Ils peuvent ainsi repeupler leur environnement en l’espace de quelques semaines !
Un tardigrade adulte nageant dans l’eau. [size]
DÉCONGELÉS, UN TARDIGRADE ADULTE ET UN ŒUF ONT REPRIS LEURS FONCTIONS VITALES
La démonstration a eu lieu à l’Institut national japonais de recherches polaires (
NIPR) où un échantillon de mousse prélevé en novembre 1983 en Antarctique sommeillait dans un congélateur à -20 °C.
En mai 2014, soit 30 ans et demi après sa congélation, Megumu Tsujimoto et ses collègues ont progressivement décongelé ce petit glaçon d’un centimètre cube. Trois tardigrades de l’espèce
Acutuncus antarcticus, deux adultes et un œuf, ont été ainsi libérés de la glace.
Afin de les laisser se réveiller dans les meilleures conditions, ils ont été installés dans des capsules Pétri tapissées d’un gel et contenant de l’eau minérale additionnée en
algues microscopiques (
Chlorella) en guise de nourriture.
EN QUELQUES SEMAINES, UNE PETITE POPULATION SE RECONSTITUE
Peu à peu, sous les microscopes des biologistes, la magie a opéré : dès le 1er jour, le premier tardigrade a commencé à bouger ses pattes arrière, avant de se redresser le 6e jour et de commencer à se nourrir à partir du 13e jour. Le 23e jour, il pondait ses premiers œufs ! Cette espèce se reproduit en effet par parthénogénèse, un mode de reproduction asexuée (qui ne demande pas d’accouplement). Au bout de cinq pontes, sur un total de 19 oeufs, 14 petits tardigrades ont vu le jour.
De son côté, l’oeuf congelé a éclos 6 jours après décongélation ! L’animal qui s’est développé a commencé lui aussi à pondre rapidement, produisant une descendance de 7 petits, que les chercheurs japonais continuent d’élever et de laisser se reproduire en laboratoire. Le deuxième adulte, en revanche, n’a pas survécu au-delà du 20e jour, suite à des difficultés à s’alimenter.
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Le ventre plein d’algues unicellulaires, un descendant de l’œuf de tardigrade décongelé (Acutuncus antarcticus) se porte bien. La barre représente cent microns, soit un dixième de millimètre. – Ph. Cryobiology / CC BY 4.0 [size]
LA CRYPTOBIOSE, MÉCANISME ULTIME DE SURVIE
Quel est donc le secret de cet incroyable retour à la vie ? Il serait expliqué,
selon des chercheurs de l’université de Chicago, par une sorte de verre qui occupe l’organisme des tardigrades lorsqu’il se fige. Des protéines, normalement liquides, se lient entre elles en cas de forte déshydratation, formant une structure solide qui “vitrifie” en quelque sorte l’animal… pour un temps indéfini. Une fois remis en contact avec de l’eau (liquide), l’organisme se fluidifie peu à peu, les protéines retrouvant leur état normal.
En outre, les tardigrades disposeraient de mécanismes de réparation de l’ADN très performants, qui pallieraient les dégâts provoqués par la congélation et la déshydratation.
La cryptobiose existe également chez d’autres animaux microscopiques, tels que les
rotifères et les
nématodes (les vers ronds) : c’est d’ailleurs l’un de ces derniers,
Tylenchus polyhypnus, qui détient le record absolu de dormance : des jeunes femelles et des larves ont pu être “ressuscitées” après près de 39 ans !
—Fiorenza Gracci
> Lire également dans les Grandes Archives de Science&Vie :[/size]
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- Voici les nouveaux extrêmophiles — S&V n°1129 (2011). Une foule d’espèces animales survit à des conditions extrêmes : crustacés, vers, insectes et même des poissons !
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