NDE (Arts et culture)Les sciencesL'histoire des sciences, au sens où nous l'entendons en Occident, a bénéficié d'apports spécifiques de l'Inde, au moins dans trois domaines : l'astronomie, les mathématiques et les sciences médicales. D'autres disciplines scientifiques, la physique par exemple, n'ont pas été cultivées en Inde, sinon sous une forme purement spéculative. À bien des égards, la médecine, qui n'est pas sans parenté avec la médecine hippocratique fondée sur lathéorie des humeurs, reste préscientifique, mais elle a suscité une masse considérable d'observations et les méthodes de classification biologique sont très intéressantes. On décrira ici les temps forts et les acquis de l'activité scientifique dans l'Inde ancienne et médiévale, en indiquant les échanges d'idées qu'ils ont suscités entre l'Inde et l'Europe, d'abord au contact de la civilisation grecque et, quelques siècles plus tard, par l'intermédiaire des Arabes.
On considérera donc les sciences au sens moderne du mot, et principalement l'astronomie, les mathématiques et la médecine, qui occupent une position éminente dans l'histoire de la science ancienne, en dehors même des frontières de l'Inde. Cependant, parmi toutes les disciplines savantes qui se sont formulées en sanskrit, ce ne sont sans doute pas les plus caractéristiques. Le droit, la science du dharma (les normes brahmaniques), est plus important, car il imprègne toute la vie quotidienne. La grammairede Pāṇini est la plus hindoue de toutes les sciences, parce qu'elle place d'emblée au cœur de toute recherche intellectuelle la maîtrise de la langue sanskrite. D'autres disciplines, enfin, portent le nom sanskrit de « sciences », śāstra, au sens indigène ou traditionnel du mot, comme l'architecture (śilpaśāstra) ou la science politique (arthaśāstra). Elles réclament d'autres méthodes, un autre éclairage que celui de l'histoire des sciences, et l'on n'en parlera pas ici.
Tableau
[size=13]Inde : repères chronologiques pour une histoire des sciencesRepères chronologiques pour une histoire des sciences dans l'Inde. Crédits: Encyclopædia Universalis France[/size]
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Mais l'astronomie, les mathématiques et la médecine partagent avec toutes les autres disciplines savantes un certain nombre de traits caractéristiques et de difficultés d'expression liées à la langue sanskrite et à la
versification systématique de la plupart des textes scientifiques en sanskrit. Les textes classiques sont toujours en sanskrit et, en principe, ils sont l'œuvre d'un brahmane. Le genre littéraire le plus couramment pratiqué est mixte et combine un texte de base souvent elliptique (des aphorismes ou des strophes qu'on apprend par cœur) et une abondante littérature de commentaires en prose. Le mode d'enseignement pratiqué depuis toujours est la récitation commentée d'un texte doué d'autorité. De plus, les arts du langage – grammaire et
rhétorique – ont usurpé la place d'honneur dans la classification des sciences. Certains auteurs de textes scientifiques ont consciemment cherché à faire œuvre littéraire, et l'on cite souvent l'exemple de Mahāvīra, mathématicien du
IXe siècle, qui fait de l'énoncé d'un problème d'arithmétique un poème du plus pur style hindou : « Les branches ployaient sous les fruits et les fleurs ; c'étaient le jambosier, le citronnier, le bananier, les aréquiers et les jaquiers, les dattiers et les paludosa, les lataniers, les muscades, les mangues ; autour des bassins de lotus, les abeilles tournaient, des bandes de perroquets, des coucous chantaient emplissant tout l'espace ; des voyageurs fatigués, à la lisière de ce bois frais et pur, entrèrent, joyeux. Ils étaient 23 ; ils comptèrent 63 régimes de bananes, y ajoutèrent 7 bananes et se partagèrent le tout à parts égales ; dis la mesure d'un régime » (trad. P.-S. Filliozat résumée ; les solutions théoriques forment une suite arithmétique de premier terme 5 et de raison 23, mais concrètement les régimes de bananes portent de 30 à 40 fruits à de 150 à 170 fruits suivant les espèces : les réponses possibles sont donc 51, 74, 97, 120, 143, 166).
La versification a suscité l'emploi de clichés pour noter les chiffres. À travers le jeu illimité des synonymies qui caractérise la langue sanskrite, la valeur numérique des données astronomiques est notée avec précision, au moyen de symboles naturels ou fixés par la tradition. Ainsi
nayana (œil) ou
bāhu (bras) pour le nombre 2,
agni (feu) pour 3 (parce qu'il y a trois feux rituels védiques),
adri (montagne) pour 7 (les sept montagnes de l'Inde dans la géographie religieuse), etc. Les mots sanskrits pour « ciel » ou « espace » désignent le zéro, car il s'agit déjà de la numérotation à base dix. L'ordre de l'énoncé des chiffres à l'intérieur du nombre est l'inverse du nôtre et 23 s'écrit par exemple
agni-nayana... Mais bien d'autres synonymes peuvent être forgés pour les besoins de la métrique. Ce procédé de notation favorise la conservation du nombre à travers l'incessante retranscription des textes, autre caractère commun à toutes les sciences dans une région du monde où le climat limite la
durée de vie des
manuscrits à deux ou trois siècles en général, parce qu'ils sont détruits par les moisissures ou la vermine. Le mot symbole, en effet, risque d'autant moins de s'altérer (sous la plume d'un copiste négligent) qu'il est fixé dans le texte par les exigences de la métrique.
À la seule exception des textes d'astronomie, où les nécessités mêmes du calcul réclament de l'auteur qu'il indique avec précision l'époque (le point fixe du temps) où il se situe, un autre caractère commun à l'ensemble des littératures techniques en sanskrit est l'extrême difficulté que nous avons à dater les textes et à identifier leur auteur. Les indications biographiques qui permettraient de localiser et de dater telle ou telle œuvre dont l'auteur paraît être un personnage de légende ont été comme soigneusement gommées pour donner à cette œuvre une dimension immémoriale et, par là, plus d'autorité. Ce procédé scolastique est particulièrement employé dans la littérature médicale. Les seuls indices dont nous disposons, dans de nombreux cas de ce genre, sont les témoignages indirects des voyageurs et des auteurs arabes.
Enfin, le découpage qui est le nôtre, la classification traditionnelle des sciences en Europe, reste étranger à l'esprit des savants indiens. Lorsque l'historien des sciences délimite son champ de recherche selon des critères géographiques, linguistiques et culturels – comme c'est ici le cas, puisque nous voulons décrire des faits spécifiques de l'Inde, des avancées scientifiques formulées en sanskrit –, il convient de respecter la classification des sciences indigènes. On s'est inspiré de l'ordre adopté dans l'
Amarakośa (présenté plus loin) en commençant par l'astronomie (le Ciel) pour conclure sur la médecine (l'Homme).[/size]
الأحد فبراير 14, 2016 11:17 am من طرف فدوى