MYTHOLOGIESDieux et déessesOn appelle dieux et déesses les êtres surnaturels qui jouent un rôle central dans les religions des peuples dits « primitifs » et dans les religions polythéistes de l'Antiquité(Proche-Orient antique, Grèce, Rome), de l'Asie et de l'Amérique centrale. À côté des dieux et déesses, il existe d'autres figures religieuses, qui parfois jouissent d'un prestige égal ou même supérieur : les héros civilisateurs, les ancêtres mythiques, les âmes des morts (les mânes), les esprits de la nature, etc. En certains cas se produit une coalescence de ces derniers – surtout les héros civilisateurs, les ancêtres mythiques, les esprits de la nature – et des dieux et déesses ; ou bien ils empruntent les prestiges et les symboles des divinités.
Pour comprendre la structure et la fonction des dieux et des déesses, il faut tenir compte du fait que, pour l'homme religieux, la nature n'est jamais exclusivement « naturelle » ; elle est toujours chargée d'une valeur religieuse. Cela s'explique, puisque le monde est unecréation divine : sorti des mains des dieux, il reste imprégné de sacralité. Il ne s'agit pas seulement d'une sacralité communiquée par les dieux, celle, par exemple, d'un lieu ou d'un objet consacré par une présence divine. Les dieux ont fait plus : ils ont manifesté les différentes modalités du sacré dans la structure même du monde et des phénomènes cosmiques.
Le monde se présente de telle façon qu'en le contemplant l'homme religieux découvre les modes multiples du sacré et de l'être. Avant tout, le monde existe, il est là, et il possède une structure : il n'est pas un chaos mais un cosmos ; il s'impose donc en tant que création. Cette œuvre des dieux garde toujours une transparence ; elle dévoile spontanément les multiples aspects du sacré. Le ciel révèle directement, « naturellement », la distance infinie, la transcendance du dieu. La Terre, elle aussi, est « transparente » : elle se présente comme mère et nourricière universelle. Les rythmes cosmiques manifestent l'ordre, l'harmonie, la permanence, la fécondité. Dans son ensemble, le cosmos est un organisme à la fois réel, vivant et sacré : il découvre en même temps les modalités de l'être et celles de la sacralité. Ontophanie et hiérophanie se rejoignent.
Il faut comprendre comment le monde apparaît aux yeux de l'homme religieux ; plus exactement, comment la sacralité se révèle à travers les structures mêmes du monde. Pour l'homme religieux, le « surnaturel » est en effet indissolublement lié au « naturel », et la nature exprime toujours quelque chose qui la transcende. Si une pierre sacrée est vénérée, c'est qu'elle est sacrée, et non parce qu'elle est pierre ; c'est la sacralité manifestée à travers le mode d'être de la pierre qui révèle sa véritable essence. Aussi ne peut-on pas parler de « naturisme » ou de « religion naturelle » dans le sens donné à ces mots au XIXe siècle ; car c'est la « surnature » qui se laisse saisir par l'homme religieux à travers les aspects « naturels » du monde.
La simple contemplation de la voûte céleste suffit à déclencher une expérience religieuse. Le ciel se révèle infini, transcendant. Il est par excellence le ganz andere (le « tout autre ») par rapport à ce rien que représentent l'homme et son environnement. La transcendance se révèle par la simple prise de conscience de la hauteur infinie. Le « très haut » devient spontanément un attribut de la divinité. Les régions supérieures inaccessibles à l'homme, les zones sidérales, acquièrent les prestiges du transcendant, de la réalité absolue, de l'éternité. Là est la demeure des dieux ; là parviennent par des rites d'ascension quelques privilégiés ; là s'élèvent, selon les conceptions de certaines religions, les âmes des morts. Le « très haut » est une dimension inaccessible à l'homme comme tel ; elle appartient de droit aux forces et aux êtres surhumains. Celui qui s'élève en gravissant les marches d'un sanctuaire ou l'échelle rituelle conduisant au ciel cesse d'être homme : d'une manière ou d'une autre, il participe à une condition surnaturelle.
Il ne s'agit pas d'une opération logique, rationnelle. La catégorie transcendantale de la « hauteur », du supra-terrestre, de l'infini se révèle à l'homme tout entier, à son intelligence aussi bien qu'à son âme. C'est une prise de conscience totale : en face du ciel, il découvre à la fois l'incommensurabilité divine et sa propre situation dans le cosmos. Le ciel révèle, par son propre mode d'être, la transcendance, la force, l'éternité. Il existe d'une façon absolue, parce qu'il est élevé, infini, éternel, puissant.
C'est dans ce sens qu'on doit comprendre que les dieux ont manifesté les modalités du sacré dans la structure du monde : le cosmos – l'œuvre exemplaire des dieux – est « construit » d'une manière telle que le sentiment religieux de la transcendance divine est stimulé, suscité par l'existence même du ciel. Et parce que le ciel existe d'une façon absolue, un grand nombre de dieux suprêmes des populations primitives portent des noms désignant la hauteur, la voûte céleste, les phénomènes météorologiques : ou encore ils sont tout simplement appelés « propriétaires du ciel » ou « habitants du ciel ».
[size=22]1. Dieux célestes dans les religions primitives
Baiame, le dieu suprême des tribus du sud-est de l'
Australie (Kamilaroi, Wiradjuri, Euahlayi), habite le ciel, auprès d'un grand cours d'eau (la Voie lactée). Il est assis sur un trône de cristal ; le Soleil et la Lune sont ses « fils », ses messagers sur la Terre (en réalité, ses yeux) ; le tonnerre est sa voix ; il fait tomber la pluie, verdissant et fertilisant ainsi la Terre entière : en ce sens, il est « créateur ». De même que les autres
dieux ouraniens, Baiame voit et entend tout. L'être suprême des tribus kulin s'appelle Bundgil : il habite le plus haut ciel. C'est Bundgil qui a créé la terre, les arbres, les animaux et l'homme lui-même. Mais, après avoir donné à son fils Bimbeal le pouvoir sur la Terre, il s'est retiré du monde ; il se tient sur les nuages, comme un « seigneur », un grand sabre à la main.
Les caractères ouraniens se retrouvent aussi chez les autres dieux suprêmes australiens. Presque tous manifestent leur volonté par le tonnerre, par la foudre ou par le vent, par l'aurore boréale, par l'arc-en-ciel, etc. En général, on peut dire que ces êtres divins conservent, sous une forme plus ou moins intégrale, leurs liens directs, concrets, avec le ciel, avec la vie sidérale et météorique. De chacun d'eux on sait qu'il a fait l'univers et créé l'homme (c'est-à-dire l'ancêtre mythique) ; durant leur court séjour sur terre, ils ont révélé les mystères, institué les lois civiles et morales. Ils sont bons (on les appelle « Notre Père »), récompensant les vertueux et défendant la moralité. Ils jouent le rôle essentiel dans les cérémonies d'
initiation de la puberté et on leur adresse même des prières directes. Mais nulle part la croyance en de semblables êtres célestes ne domine la vie religieuse. La caractéristique des religions australiennes, ce n'est pas la croyance en un être céleste créateur, mais le totémisme. On retrouve la même situation dans d'autres régions : les divinités célestes suprêmes sont repoussées vers la périphérie de la vie religieuse, au point de tomber dans l'oubli ; ce sont d'autres figures divines, plus proches de l'homme, plus accessibles à son expérience de tous les jours, plus utiles, qui jouent le rôle prépondérant.
Ainsi, chez les Selknam de la Terre de Feu, le dieu s'appelle Temaukel, mais, à cause de la crainte sacrée, ce nom n'est jamais prononcé. On l'appelle habituellement « habitant du ciel » ou « celui qui est dans le ciel ». Il est éternel, omniscient, tout-puissant, créateur – mais la création a été achevée par les ancêtres mythiques, faits eux aussi par le dieu suprême avant qu'il ne se retire au-dessus des étoiles. Car, actuellement, ce dieu s'est isolé des hommes, indifférent aux affaires du monde. Il n'a pas d'images, ni de prêtres. Il est l'auteur des lois morales, le juge et, en dernier lieu, le maître des destins. Mais on ne lui adresse de prières qu'en cas de maladie : « Toi, d'en haut, ne me prends pas mon enfant ; il est encore trop petit ! » On lui fait des offrandes spécialement pendant les intempéries.
Partout en
Afrique on a retrouvé les traces d'un grand dieu céleste dont le culte a disparu ou est en train de disparaître, remplacé par celui des ancêtres. La structure céleste de ce grand dieu est évidente. Les Tshi emploient le mot
Nyankupon – nom de leur dieu suprême – pour désigner le ciel et la pluie. Les Ba-Ila croient en un être suprême tout-puissant, créateur, qui habite le ciel, et qu'ils nomment Leza. Mais dans le langage populaire le mot Leza exprime aussi les phénomènes météorologiques ; on dit par exemple « Leza tombe » (il pleut), « Leza est furieux » (il tonne). Pour la majorité des populations éwés, Mawu est le nom de l'être suprême (nom dérivé de
wu, « étendre », « courir ») ; Mawu est utilisé en outre pour désigner le firmament et la pluie. L'azur du firmament est le voile dont Mawu se couvre le visage ; les nuages sont ses vêtements et sa parure ; le bleu et le blanc, ses couleurs favorites. La lumière est l'huile avec laquelle Mawu oint son corps démesuré. Il envoie la pluie. Il est omniscient. Mais quoiqu'on lui offre encore des sacrifices réguliers, il est en train de disparaître du culte.
Les Indiens Pawni reconnaissent Tirawa atius, père de toutes choses, créateur de tout ce qui existe et dispensateur de vie. Il a créé les étoiles pour guider les pas des hommes ; les éclairs sont ses regards et le vent est son souffle. Son culte conserve encore un symbolisme dont la coloration ouranienne est très précise. Sa résidence se trouve loin au-dessus des nuages, dans le ciel qui jamais ne change. Tirawa devient une noble figure religieuse et mythique. « Les Blancs parlent d'un Père céleste, nous, nous parlons de Tirawa atius, le père d'en haut, mais nous ne nous imaginons pas Tirawa comme une personne. Nous nous l'imaginons dans toutes choses... Quelle apparence a-t-il, personne ne le sait. »
2. Le dieu lointain
La pauvreté cultuelle – c'est-à-dire surtout l'absence d'un calendrier sacré des rites périodiques – est une caractéristique de la majorité des dieux célestes. En Afrique, le grand dieu céleste, l'être suprême, créateur et tout-puissant, ne joue qu'un rôle insignifiant dans la vie religieuse de la
tribu. Il est trop loin ou trop bon pour avoir besoin d'un vrai culte, et on l'invoque seulement dans les cas extrêmes. Les Bantous considèrent Nzambi comme tout-puissant, bon et juste ; mais c'est pour cela même qu'ils ne l'adorent point et ne le représentent sous aucune forme matérielle, comme les autres dieux et esprits. Chez les Héréro, le dieu suprême Ndyambi s'est retiré dans le ciel ; aussi n'est-il pas adoré. « Pourquoi lui offririons-nous des sacrifices ?, explique un indigène. Nous n'avons pas à le craindre, car, au contraire de nos morts, il ne nous fait aucun mal. » Les Wachagga, importante tribu bantoue du Kilimandjaro, adorent Ruwa, le créateur, le dieu bon, gardien des lois morales. Il est actif dans les mythes et les légendes, mais joue un rôle assez médiocre dans la religion. Il est trop bon et trop compatissant pour que les hommes aient des motifs de le craindre ; toute leur sollicitude va aux esprits des morts. Et ce n'est que lorsque les prières et les sacrifices offerts aux esprits sont restés sans réponse qu'on sacrifie à Ruwa, spécialement en cas de sécheresse ou de grave maladie.
Même situation chez les Noirs de langue tshi de l'Afrique occidentale, avec Njankupon. Njankupon est loin d'être adoré ; il n'est pas objet de culte et n'a pas même de prêtres à son service ; on ne lui rend hommage qu'en de rares circonstances, en cas de grande disette ou d'épidémie, ou après un violent ouragan ; les hommes lui demandent alors en quoi ils l'ont offensé. Dzingbe (« le Père universel ») se trouve en tête du panthéon polythéiste de la population éwé. À la différence de la majorité des autres êtres célestes suprêmes, Dzingbe a un prêtre particulier, appelé
dzisai, « prêtre du ciel », qui l'invoque pendant la sécheresse : « Ô ciel, à qui nous devons nos remerciements, grande est la sécheresse ; fais qu'il pleuve, que la terre se rafraîchisse et que prospèrent les champs ! »
Les Bantous disent : « Dieu, après avoir créé l'homme, ne se préoccupe plus du tout de lui. » Et les Négrilles répètent : « Dieu s'est éloigné de nous ! » Les populations
fang de la prairie de l'Afrique équatoriale résument leur philosophie religieuse dans ce chant :
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- اقتباس :
- Nzame [Dieu] est en haut, l'homme en bas.
Dieu c'est Dieu, l'homme c'est l'homme.
Chacun chez soi, chacun en sa maison.
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Nzame n'est pas l'objet d'un culte et les Fang ne s'adressent à lui que pour lui demander la pluie. Les hommes ne se souviennent du ciel et de la divinité suprême que lorsqu'un danger venant des régions ouraniennes les menace directement ; le reste du temps, leur religiosité est sollicitée par les besoins journaliers, et leurs pratiques ou leur dévotion se tournent vers les forces qui contrôlent ces mêmes besoins.
En Indonésie, le dieu du ciel a fusionné avec celui du Soleil ou a été remplacé par lui. Dans d'autres régions, par exemple dans les
îles Bank, une divinité lunaire s'est superposée à l'être suprême ouranien. Parfois une grande déesse s'est substituée au dieu du ciel primitif, comme c'est le cas chez les Kavis de l'Assam. La morphologie de cette substitution est assez variée, mais le sens de chaque substitution est en partie le même : le passage de la transcendance et de la passivité des êtres célestes aux formes religieuses dynamiques, efficientes, aisément accessibles aux humains.
3. Dieux souverains
Chez les peuples pasteurs de l'
Asie centrale, les dieux célestes présentent un caractère nouveau : la souveraineté. Ils ne reflètent plus uniquement la sacralité ouranienne et météorologique ; leur puissance ne se manifeste pas seulement par la création cosmique. Ils deviennent les « maîtres », les souverains universels. Le nom mongol de la divinité suprême est
Tengri, qui signifie « ciel ». Mais les différents peuples turco-mongols appellent leurs dieux « Khan », « Chef », « le Sage Maître créateur », « le Maître très élevé », « le Grand », « Seigneur maître », « Père », etc. Dans la lettre que Mangu khan envoya par Ruysbroeck au roi de France, on trouve la profession de foi la plus claire de la race mongole : « Tel est l'ordre du Dieu éternel : au ciel il n'y aura qu'un seul dieu éternel et il n'y aura qu'un maître sur terre, Gengis khan, fils de Dieu. » Chez les Chinois aussi le dieu du ciel avait deux noms : Tian (« Ciel » et « dieu du ciel ») et Shangdi (« Seigneur Altesse », « Souverain d'en haut »). L'empereur est le « Fils du Ciel », Tianzi, le représentant du dieu céleste sur terre.
En
Mésopotamie, Anu, dieu du ciel, siège sur un trône, revêtu de tous les attributs de la souveraineté : le sceptre, le diadème, la coiffe, le bâton. Les rois tirent leur autorité monarchique directement d'Anu. Les épithètes les plus connues sont « dieu du ciel », « roi des cieux ». Les étoiles composent son armée. Sa fête principale coïncide avec le commencement du nouvel an, donc avec la commémoration de la création du monde. Mais, avec le temps, Anu perd cette suprématie au profit d'un dieu plus jeune et plus dynamique, Marduk.
Un processus similaire se vérifie ailleurs. À l'époque védique déjà, la place de
Dyaus, dieu ouranien (son nom signifie « ciel »), a été occupée par
Varuna, qui conserve encore les attributs célestes (il est « visible partout », il a « mille yeux », chiffre mythique des étoiles, etc.), mais qu'on ne peut cependant considérer exclusivement comme une divinité du ciel. Il est omniscient et infaillible, souverain universel et gardien de l'ordre cosmique. Celui qu'il veut perdre, Varuna le « lie », et les hommes craignent les « filets » de Varuna.
Mais avec le temps Varuna s'efface devant
Indra, le plus populaire des dieux védiques. Indra est le « héros » par excellence, guerrier téméraire et à l'énergie indomptable, vainqueur du monstre Vritra (qui avait confisqué les eaux), inlassable consommateur de soma. Quelle que soit l'interprétation que l'on propose, il n'est pas possible de négliger les valences cosmiques d'Indra et sa
vocation démiurgique. Indra recouvre le ciel, il est plus grand que la Terre entière, il porte le ciel comme diadème, et les quantités de soma qu'il peut ingurgiter sont effrayantes ; n'en absorbe-t-il pas trois lacs d'un coup ? Ivre de soma il tue Vritra, déclenche les ouragans, fait trembler l'horizon. Tout ce que fait Indra déborde de force et de jactance. Il est une vivante réalisation de l'exubérance de la vie, de l'énergie cosmique et biologique ; il fait circuler la sève et le sang, anime les germes, donne libre cours aux eaux et fait s'entrouvrir les nuages. La foudre (
vajra) est l'arme avec laquelle il a tué Vritra, et les Maruts, divinités mineures de l'ouragan dont le chef est Indra, possèdent aussi cette arme. L'orage représente, par excellence, le déclenchement puissant des forces créatrices ; Indra déverse les pluies et commande à toutes les humidités, puisqu'il est à la fois la divinité de la fertilité et l'archétype des forces génésiques. Il est « le maître du champ » et « le maître de la charrue », « le taureau de la Terre », le fécondateur des champs, des animaux et des femmes. « C'est Indra qui procrée les animaux », et qu'on invoque aux noces pour qu'il accorde dix fils à la mariée : innombrables sont d'ailleurs les invocations qui se réfèrent à sa force génésique inépuisable. Toutes les attributions et tous les prestiges d'Indra sont solidaires, et les domaines qu'il contrôle se correspondent.
4. Ouranos, Zeus et les dieux de l'orage
En Grèce, Ouranos a conservé plus nettement ses caractères naturistes : il
est le ciel. Hésiode nous présente son approche, quand s'étendant en tous sens, « tout avide d'amour » et apportant avec lui la nuit, il enveloppe la Terre. Mais, à part le
mythe, il ne nous est rien resté d'Ouranos, pas même une image. Son culte éventuel a été usurpé par d'autres dieux, en premier lieu par Zeus. Ouranos confirme lui aussi ce destin des divinités célestes suprêmes d'être graduellement repoussées en dehors de l'actualité religieuse, de supporter usurpations sans nombre, substitutions et fusions pour tomber finalement dans l'oubli. Complètement effacé dans la religion, Ouranos survit dans le mythe transmis par Hésiode ; mythe qui, quels que soient les rituels qu'il implique, répond néanmoins au désir de connaître l'origine des choses. En effet, au début il y avait, sinon uniquement le Ciel, du moins le couple divin Ciel-Terre. C'est de cette
hiérogamie inépuisable qu'ont pris naissance les premiers dieux, les
Cyclopes et autres êtres monstrueux
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DiaporamaHéros et monstres de la mythologie grecqueHéros et monstres de la mythologie grecque dessinés d'après des vases peints. Crédits: Encyclopædia Universalis France[/size]
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Mais, à la différence des autres dieux célestes, Ouranos a une fécondité périlleuse. Ses créatures ne ressemblent pas aux formes qui peuplent aujourd'hui la Terre, mais sont des monstres (aux cent bras, aux cinquante yeux, d'immense stature). Comme il les « haïssait dès le premier jour » (Hésiode), Ouranos les cachait dans le corps de la terre (Gaia), qui souffrait et gémissait. Encouragé par Gaia, le dernier de ses enfants, Kronos, attend que son père s'approche de la Terre, comme il le faisait à la tombée de chaque nuit, lui coupe l'organe générateur et le jette dans la mer. La mutilation d'Ouranos met un terme à ses créations monstrueuses et, par là même, à sa souveraineté.
Quelle que soit l'explication de ces créations aberrantes, le fait est qu'Ouranos a disparu du culte dès avant les temps historiques. Sa place a été prise par Zeus, dont le nom exprime clairement l'essence céleste. Comme Dyaus, Zeus conserve les valeurs onomastiques « éclat » et « jour ». Étymologiquement, il est solidaire du grec
dios (divin) autant que du latin
dies (jour). Mais évidemment, il ne faudrait pas limiter son domaine à ce qu'on a nommé abusivement « le ciel serein, lumineux, brillant », en considérant ses fonctions météorologiques comme des développements ultérieurs ou des influences étrangères. La foudre était l'arme de Zeus et les lieux frappés par l'éclair lui étaient consacrés. Les titres de Zeus sont transparents et témoignent tous plus ou moins directement de ses rapports avec la tempête, la pluie, la fertilité. C'est ainsi qu'on l'appelle
Ombrios et
Hyettios (pluvieux),
Urios (celui qui envoie les vents favorables),
Astrapios (qui foudroie),
Bronton (celui qui tonne), etc. On l'appelle
Georgos (fermier) et
Chthonios, parce qu'il commande la pluie et assure la fertilité des champs.
Zeus est, naturellement, souverain ; mais il a conservé plus nettement que d'autres dieux célestes son caractère de « Père ». Il est Zeus pater (Dyaus pitar, Jupiter), archétype du chef de la famille patriarcale. Les conceptions sociologiques des ethnies aryennes se reflètent dans son profil de
pater familias. Cette fonction explique Zeus Ktêsios, le
Hausvater que les Hellènes ont transporté dans toutes leurs migrations et qu'ils représentaient comme un véritable génie domestique, sous forme de serpent. « Père » et « Souverain », Zeus devient tout naturellement la divinité de la cité, Zeus Polienos, et c'est de lui que les rois recevaient leur autorité. Mais cette polymorphie peut toujours se réduire à la même structure : la suprématie appartient au Père, c'est-à-dire au Créateur, l'artisan de toutes choses. Cet aspect « créateur » appartient évidemment à Zeus, non sur le plan cosmogonique (puisque ce n'est pas lui qui a fait l'univers), mais sur le plan biocosmique : il commande les sources de fertilité, il est maître de la pluie. Il est « créateur » puisqu'il est « fécondateur » (parfois il est lui aussi un taureau, comme dans le mythe d'Europe). Or, cette « création » de Zeus dépend en premier lieu de tout le
drame météorologique, et d'abord de la pluie. Sa suprématie est à la fois paternelle et souveraine : il garantit le bon état de la famille et de la nature par ses forces créatrices et par son autorité de gardien des normes.
Le Jupiter italique, comme Zeus, était adoré sur les hauteurs. Le chêne lui était consacré (comme il l'était à Zeus), car c'était l'arbre que la foudre frappait le plus fréquemment. Comme tous les dieux célestes, Jupiter punissait de la foudre ; il châtiait d'abord ceux qui manquaient à la parole donnée, ceux qui violaient un traité. Jupiter était la divinité suprême, le souverain absolu :
Jupiter omnipotens,
Jupiter optimus maximus. Véritable souverain cosmique, Jupiter intervient donc dans l'histoire non par la force militaire, comme Mars, mais par les prestiges de sa
magie.
D'après Tacite, les anciens Germains adoraient Wothan (Odhin) et Tyr (de
tîwaz, correspondant à
dieus, avec le sens générique de « dieu »). Le dieu champion Thôrr (Donar) est l'homologue d'Indra. Le celte
Taranis (de la racine
taran : éclair), le balte Perkûnas (éclair) et le proto-slave Perun (qui évoque le polonais
piorum : éclair) sont, eux aussi, des dieux du ciel orageux. Ils contrôlent les saisons, amènent la pluie et comme tels sont des divinités de la fertilité.
Les dieux de l'orage sont par excellence des « fécondateurs ». Ils sont comparés aux taureaux, et le taureau est leur épiphanie la plus habituelle. Hadad, Ba'al, Bel, Teshup sont des dieux taurins de l'orage, époux de la Grande Déesse agraire. Ils ne sont plus en rapport avec la sacralité céleste, mais avec le drame météorologique, l'atmosphère où « mugit » le tonnerre, où s'assemblent les nuages et où se décide la fertilité des champs ; c'est-à-dire la région qui assure la continuité de la vie sur la terre. Il s'agit, en somme, d'une « spécialisation » qui finit par modifier de façon radicale le dieu céleste. Le dieu de l'orage n'est plus créateur, mais seulement fécondateur. Il ne s'efface pas du culte : il devient non pas un
deus otiosus, mais un
deus pluviosus ; s'il garde son actualité religieuse, il perd sa transcendance et sa souveraineté absolue. Chaque dieu de l'orage est accompagné, et souvent dominé, par une Grande Déesse, dont dépend, en dernière instance, la fécondité universelle.[/size]
الأحد فبراير 14, 2016 5:47 am من طرف فدوى