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| | A quoi servent les séries télé ? | |
Mélissa Thériault – Professeure, Département de philosophie et des arts Directrice, Laboratoire de recherche en esthétique Université du Québec à Trois-Rivières Il n’est pas du tout anodin que nous soyons de plus en plus nombreux à nous adonner aubinge viewing, c’est-à-dire à consommer en rafale des séries qui mettent à mal le programme de notre journée ou nous laissent cernés au petit matin. Cet engouement n’est pas seulement révélateur du potentiel de séduction de ce genre de productions : il trahit en fait la présence d’une question philosophique sous-jacente. L’essor marqué de cet engouement est multifactoriel. On peut évoquer deux causes, outre une potentielle « faiblesse de la volonté » en terme de choix esthétiques (explication toutefois non recevable qui sera discutée ailleurs[1]mais qui trouve son lot de défenseurs : les pourfendeurs du petit écran demeurent nombreux et ses productions ne jouissent toujours pas de la même reconnaissance que celles du septième art). D’abord, le développement de nouveaux modes de diffusion facilite la consommation de séries, notamment grâce aux diffuseurs en ligne qui permettent d’éviter tout déplacement. Ensuite, le niveau des séries télé a beaucoup évolué au cours des dernières années[2], tant sur le plan de la qualité visuelle que la qualité de la trame narrative. Cet engouement indéniable génère par ailleurs une imposante production d’ouvrages critiques dérivés (par exemple, la collectionPhilosophy and Pop Culture Series publiée par Blackwell) qui indique que la fascination pour ces productions ne se limite pas au fandom. En effet, elles suscitent dans les milieux universitaires les réflexions d’aficionados qui ne sont pas forcément des spécialistes demass media studies. Comme le roman et le cinéma jadis, les séries télé nouveau genre présentent un point focal dans lequel se retrouvent concentrées nos représentations : en elles, le public peut reconnaître, souvent inconsciemment, les archétypes qui lui fournissent autant de repères culturels. Elles deviennent alors de véritables laboratoires d’exploration de nos craintes, espoirs et idéaux[3] et peuvent contribuer au développement de notre pensée éthique ou politique. La question posée par le titre de ce texte ne fait donc pas référence au caractère utilitaire des séries en tant que telle, mais bien à l’usage qu’on en fait et qui dépasse de loin –tel que nous tâcherons de le montrer – le simple divertissement. Il s’agit donc d’exposer ici dans quelle mesure les séries télévisées (du moins certaines d’entre elles) peuvent offrir bien plus qu’un divertissement qui s’étale sur quelques heures et constituent au contraire un outil de développement moral souvent bien plus efficace que moult ouvrages de philosophie, pour reprendre la proposition « scandaleuse » défendue par Martha Nussbaum dans La connaissance de l’amour. Essais sur la philosophie et la littérature (2010). Pour appuyer cette première affirmation, il nous faudra rappeler les grandes lignes des versions de l’éthicisme (la position selon laquelle art et moralité sont liés, qui n’est toutefois pas endossée ici), défendues notamment par Matthew Kieran, Noël Carroll et Martha Nussbaum. Toutefois, nous nous éloignerons de cette position en montrant que, très souvent, les œuvres contribuent au développement de la réflexion éthique même si elles présentent un contenu douteux sur le plan moral, suivant l’idée selon laquelle une œuvre n’a « pas besoin d’être moralisant[e] pour permettre une éducation morale » (Chavel 2012a, p. 159), ce qui, on en conviendra, ne pourrait constituer, au mieux, qu’une version assez peu orthodoxe de la position éthiciste. Nous ferons en chemin référence à quelques éléments bien connus de la tradition philosophique ainsi qu’à deux séries télévisées qui nous permettront d’étayer notre hypothèse, Série noire et Dexter. Qu’est-ce que l’éthicisme ?L’éthicisme est la thèse selon laquelle l’art « nous prescrirait et nous orienterait vers une saine compréhension morale du monde » (Kieran 2011, p. 83). Comme l’explique Kieran, cette position comporte plusieurs variantes ainsi que de « solides précédents historiques » : on trouve en Platon un de ses plus ardents défenseurs ; par la suite, Kant et Schiller ont également adopté une telle position. Les arguments évoqués par le maître de l’Académie dans La République pour contrôler l’art au nom de ses conséquences sur le plan moral correspondent d’ailleurs si bien à certaines de nos intuitions qu’encore aujourd’hui, les critiques que nous adressons à certaines formes d’art s’en éloignent bien peu. L’un des points forts de la position éthiciste est qu’elle réaffirme la légitimité de l’art en tant que moyen de connaissance (de soi, du monde, de l’action juste), ce qui correspond – du moins partiellement – à notre expérience courante. Ce n’est pas pour rien que nous accordons à l’art une place si importante dans nos vies : c’est qu’il nous aide à cheminer en elles. Par ailleurs, poser une relation de complète autonomie entre art et éthique est difficile à défendre, puisque les deux domaines sont construits autour de valeurs parfois reliées les unes aux autres : l’artiste expose généralement dans son œuvre une vision du monde, des idéaux et ceux-ci sont rarement neutres sur le plan des valeurs. Mais l’éthicisme est souvent associé à une volonté d’instrumentaliser l’art ou à l’acceptation tacite de celle-ci (Kieran 2011, p. 85-86), comme si voir un lien entre l’art et la morale faisait en sorte de subordonner automatiquement le premier au second. Ce serait toutefois mal comprendre cette position que de la réduire à cela ou de la discréditer parce qu’elle aurait été adoptée parfois comme arrière-fond théorique justifiant des pratiques hautement polémiques telles que la censure, la manipulation du récepteur, la propagande (ou toute autre entrave à la création ou à la réception). Mais dire qu’il y a un lien entre l’art et la moralité ne revient pas à dire que toute œuvre d’art doit prendre pour modèle les récits de la Comtesse de Ségur. Cela signifie simplement que d’autres éléments que les critères esthétiques influent parfois sur notre appréciation esthétique des œuvres[4], et que certaines œuvres ont parfois une influence sur nos positions éthiques. À titre d’exemple, Noël Carroll a récemment défendu une version de l’éthicisme que l’on peut traduire par « moralisme modéré », qui pose qu’un défaut moral, dans une œuvre,peut, dans certain cas, devenir un défaut esthétique[5]. De façon générale, cette approche a été « balayée sans ménagement » au profit de l’esthétisme dans le contexte actuel, qui admet depuis l’ère romantique et postromantique que « la morale et l’art sont considérés comme autonomes » (Kieran 2011, p. 83-84), ce qui fait que des thèses comme celles de Noël Carroll ou Berys Gaut[6], bien qu’intéressantes, sont généralement fortement contestées. La lecture de Kieran néglige cependant un détail important : si l’art institutionnel (qui inclut également les pratiques qui se définissent par la critique des institutions) est désormais affranchi de l’exigence de prouver son innocuité morale, d’autres types d’art y demeurent assujetties, du moins aux yeux de certains observateurs. En effet, les œuvres destinées à un très large public sont attentivement scrutées eu égard à leur impact sur les mœurs, souvent sans fondement car elles le sont à l’aune d’un double standard, ce qui complexifie d’autant le traitement de la question[7]. Éthique et paradoxes de la fictionL’étude des rapports entre art et moralité est donc un sujet à la fois très actuel et très ancien, discuté dès l’Antiquité par Aristote dans la Poétique. Bien qu’il se présente en des termes très différents des nôtres, ce texte bien connu sur la tragédie laisse apparaître que les questions morales sont cœur du processus de création et de réception, dans la mesure où la tragédie dépeint les actions en pire ou en mieux, selon l’effet voulu chez le spectateur. La réception des œuvres est donc potentiellement teintée de considérations morales, mais dans un sens positif. En expliquant avec acuité comment les émotions peuvent nous être utiles (s’opposant de la sorte à son maître, qui se méfiait de l’effet de contamination des émotions sur la raison), Aristote avait montré bien avant l’invention des programmes éducatifs télévisuels comment celles-ci contribuent à l’éducation morale et nous aident à agir et à réfléchir à propos de nos actions. S’intéressant aux mécanismes employés dans la tragédie pour produire un effet sur le spectateur, il avait exposé comment le récit des actions vise à mettre en œuvre une réaction d’empathie libératrice (qui se manifeste par des élans de peur et de pitié), analogue à celle qui se produit lors que ces sentiments sont provoqués par une situation réelle. Cette question fascinante a été plus récemment relancée à nouveaux frais dans le cadre des débats sur le « paradoxe de la fiction » : pourquoi pleure-t-on dans une scène triste, même si la situation n’existe pas dans la réalité ? Comment expliquer que certains éléments d’un récit (et à plus forte raison, un récit lointain retransmis sur un petit écran) arrivent à nous happer complètement ? La réponse traditionnelle, bien connue, évoque la qualité narrative et la façon dont sont construits les personnages du récit. Les personnages de la tragédie n’ont pas les caractéristiques d’une personne en particulier (car on serait alors dans le récit historique et non fictionnel), mais des traits universels, ce qui fait que nous pouvons nous identifier à eux sous un rapport ou un autre. Ainsi, parce que nous sommes touchés – et surtout : parce que selon Aristote, la morale est une affaire de sentiments[8] –, nous sommes davantage susceptibles d’arriver à réviser nos convictions morales à la lumière d’un problème présenté dans une œuvre fictionnelle que face à un problème réel qui serait présenté, par exemple, dans un bulletin d’information (ou sous forme abstraite dans un ouvrage théorique[9]). Ce sont les motivations qui sous-tendent ce « portrait en laid » de l’humanité (pour reprendre les termes d’Aristote) qui nous intéresseront ici : si les travaux sur les œuvres dramatiques exemplaires sont légion, qu’en est-il de la comédie, qui, pour être associée au divertissement, est rarement considérée d’un point de vue moral ? Nous avons choisi pour illustrer notre propos deux séries très différentes : la première, Série Noire, est une production québécoise comique aux accents dramatiques télédiffusée à l’hiver 2014 sur la chaîne Radio-Canada (et dont la suite est prévue pour l’automne 2015). La seconde,Dexter, est une série dramatique teintée d’humour télédiffusée entre 2006 et 2013 sur la chaine américaine Showcase. | |
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السبت فبراير 13, 2016 1:24 pm من طرف فدوى