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| | Reconstruire plutôt que construire | |
Sébastien Roman, ENS de Lyon, Laboratoire Triangle UMR 5206 RésuméLe présent article propose d’aborder la question de la place de la neutralité et de l’engagement dans la philosophie sociale, à partir de la critique honnethienne du formalisme habermassien. Axel Honneth, après Jürgen Habermas, désire renouer avec une philosophie sociale plus engagée. Son intention est d’élaborer une critique reconstructive, en partant de ce que vivent les individus, au lieu de leur imposer une conception idéale de la vie bonne. Mais la manière dont il prétend y parvenir revient à proposer une éthique formelle ou neutre, à l’instar de Habermas, dont la normativité serait déjà inscrite dans l’acte de reconnaissance. Il s’agit de comprendre le sens d’une telle démarche, mais aussi d’en montrer les limites, pour souligner, au final, le dilemme auquel est confrontée la démarche reconstructive.
Abstract : The present paper tackles the issue of neutrality and commitment in social philosophy, founding its approach in Honneth’s critique of habermasian formalism. In the tradition of Jürgen Habermas, Axel Honneth seeks to revive a more committed social philosophy. His aim is to develop a reconstructive social critique based on the individual’s actual experiences of injustice, rather than imposing upon them an idealised image of the good life. Much like Habermas, he claims to do so by elaborating formal or neutral ethics, whose normativity is already considered to be inherent in the act of recognition. The paper’s aim is therefore to understand the reasons behind this approach, yet also to evaluate it, in order to eventually highlight the dilemma facing the reconstructive social critique. Il est frappant de constater que la philosophie politique, dans la seconde moitié du XXᵉ siècle, a fait de la neutralité une question centrale. L’hégémonie du modèle de la démocratie délibérative y a fortement contribué, John Rawls et Jürgen Habermas proposant tous deux une philosophie normative construite par processus de neutralisation, soit par le truchement d’un voile d’ignorance pour se retrouver fictivement dans une position originelle, soit en considérant les rapports de pouvoir et les inégalités sociales comme extérieurs à l’éthique de la discussion, c’est-à-dire comme n’affectant pas sa normativité intrinsèque, mais uniquement ses conditions d’effectivité. La démarche, dans les deux cas, est la même : parvenir à une position neutre synonyme d’objectivité, par abstraction de ce qui pourrait influencer le jugement ou empêcher un travail réflexif sur une pratique, afin de révéler ce que doit être une société juste. La neutralité serait la seule manière de parvenir adéquatement à la normativité, pour proposer un idéal de justice universel. Un tel formalisme ou constructivisme, bien évidemment, a donné lieu à de nombreuses critiques, et de vifs débats ont opposé communautariens, libéraux, et républicains sur la question du bien et du juste, leur relation et leur ordre (déontologieversus téléologie). Nous proposons ici de nous focaliser sur le paradigme communicationnel habermassien et sa critique par Axel Honneth. Habermas et Honneth sont respectivement les grands représentants de la deuxième et de la troisième génération de l’École de Francfort. La position du spectateur impartial est impossible pour la théorie critique, puisqu’elle soutient que l’objet n’est jamais extérieur à nous, mais est construit par la représentation que nous nous en faisons en fonction de notre place sociale. Aider les citoyens à dénoncer les idéologies dont ils sont victimes ne revient pas à construire une théorie neutre. La théorie critique ne peut elle-même échapper à l’idéologie qu’en reconnaissant l’intérêt qui la motive – qui est de proposer, après Marx, un nouveau projet d’émancipation. Pour autant, Honneth reproche à Habermas de proposer une théorie normative qui ne permet pas de lutter adéquatement contre les pathologies sociales, en raison d’un formalisme construit par neutralisation des positions sociales inégales des individus, dont l’idéalité s’avère inefficace. L’engagement pour l’émancipation ne trouverait pas chez Habermas sa juste expression. Mais, dès lors, quelle est la solution proposée par Honneth, et que peut-elle dire, ou suggérer, de la place du neutre et de l’engagement dans la philosophie sociale à construire, pour ne pas contredire sa visée émancipatrice ? Trois moments vont structurer notre raisonnement : premièrement, une analyse de l’engagement et de la neutralité dans la philosophie habermassienne ; l’étude portera ensuite sur la lecture honnethienne de Habermas, sa critique d’une neutralisation des conflits sociaux par l’éthique de la discussion ; nous proposerons, enfin, une critique de la pensée honnethienne elle-même, pour aborder – très modestement – le problème de la normativité dans la théorie reconstructive, en rapport avec les notions d’engagement et de neutralité. Le sens de l’engagement et de la neutralité chez HabermasHabermas inscrit son « projet d’une communauté de communication idéale[1] » dans la tradition de la théorie critique, en le présentant explicitement comme une utopie qui doit permettre de combattre les idéologies dont sont victimes les individus. L’École de Francfort, en effet, sans représenter un courant homogène, a pour caractéristique principale de représenter un nouveau courant de pensée utopique par sa visée émancipatrice[2]. Habermas en partage l’engagement, et n’hésite pas avec virulence, dans la logique de sa propre utopie, à dénoncer tout ce qui pervertit ou dégrade la possibilité de reprendre l’idéalité de l’espace public bourgeois né au XVIIIᵉ siècle, à savoir la possibilité pour tout un chacun de participer à la formation d’une opinion publique éclairée, de l’ordre d’un usage public de la raison, permettant de faire pression sur le pouvoir et de lui demander des comptes. La philosophie habermassienne revient à l’espoir de rendre possible une démocratie authentique par la mise en place d’une politique délibérative, dont l’intersubjectivité et la normativité doivent être explicitées par l’éthique de la discussion. On oublie trop souvent, en présentant Habermas comme un théoricien du consensualisme, que son intention est de créer un espace public de contestabilité ou une « zone conflictuelle[3] » pour lutter contre la domination et dénoncer tout faux consensus. Sa critique des causes de la dégradation de l’espace public bourgeois et de sa transformation en un espace public post-littéraire ou plébiscitaire concerne le thème de la neutralité. Habermas reproche aux mass media de ne pas être suffisamment neutres ou objectifs dans leur traitement de l’information, alors qu’ils ont la responsabilité de favoriser l’apprentissage d’un esprit critique. Ils devraient être davantage « indépendants des acteurs politiques et sociaux », notamment des partis politiques qui trop souvent les utilisent pour manipuler l’opinion et « extorquer au public sa loyauté de masse[4] ». Les critiques de Habermas s’adressent aussi à l’État social[5] qui, en véhiculant l’utopie de la société du travail, neutralise les conflits qui pourraient naître du travail salarié, tout en employant des moyens juridico-bureaucratiques qui ne sont pas neutres mais coercitifs. Tout est fait, premièrement, pour que les travailleurs acceptent d’être continuellement au travail, et oublient ou supportent du mieux possible la pénibilité de leur tâche grâce à des mesures compensatoires comme l’amélioration des conditions de leur métier. Le but est d’éviter qu’ils prennent conscience des effets pervers de la rationalité instrumentale qui continue d’être à l’œuvre dans le monde du travail, c’est-à-dire des nouvelles formes d’aliénation et d’exploitation qu’ils peuvent subir. En second lieu, si l’État social, particulièrement sous la forme de l’État-providence, permit des progrès en justice sociale (par l’attribution de nouveaux droits, au sujet du chômage, de la retraite, etc.), il ne l’a fait qu’au prix d’un paternalisme ou de la mise en place d’un ensemble de dispositifs contredisant la liberté individuelle. Les moyens juridico-bureaucratiques employés sont une intrusion croissante de l’État dans la vie des individus, et reviennent à des pratiques de « normalisation et de surveillance[6] ». Habermas, de son côté, propose de reprendre le projet de l’État social en substituant à l’utopie de la société du travail celle d’une démocratie radicale fondée sur la communication. Il n’est plus possible d’espérer pouvoir garantir à tous une vie digne par la visée du plein emploi, car le monde du travail relève de la rationalité instrumentale, donc des domaines de l’argent et du pouvoir qui accentuent les inégalités entre les individus. Seule la raison communicationnelle peut produire la solidarité sociale nécessaire pour créer une opinion publique politique qui, par son pouvoir d’autodétermination, permettra de vivre dans une démocratie authentique. Le projet habermassien de communication idéale n’a donc rien de neutre, au sens d’une indifférence ou d’un manque d’engagement. Il est au contraire éminemment normatif, en désignant un bien à visée émancipatrice. Cependant, ce bien ou ce projet, aussi assumés soient-ils, sont neutres en tant qu’ils sont déontologiques. L’engagement pour l’émancipation ne contredit pas le fait que la conception de la justice proposée est indépendante d’une conception particulière du bien. En d’autres termes, Habermas prétend que le projet de communication idéale est neutre – donc universel – parce qu’il n’ajoute rien à la normativité déjà inscrite dans la pratique communicationnelle que tout un chacun peut comprendre. Il n’est que la réflexivité de ce que discuter veut dire, à savoir que les règles à respecter, sur lesquelles doit reposer la vie sociale, sont les quatre présuppositions idéalisantes de la pratique argumentative : il n’y a de discussion réelle que si on recherche de manière désintéressée avec son ou ses interlocuteur(s) le meilleur argument possible, l’idéal étant que toute assertion puisse être tenue pour vrai non seulement par tous les participants mais, au-delà du cercle de discussion, par toute personne, ce qui implique qu’une discussion réussie débouche nécessairement sur un consensus ; la symétrie des participants – second point – est requise, il faut considérer autrui comme notre égal pour rechercher avec lui la vérité et savoir intervertir les rôles, c’est-à-dire se mettre à sa place pour comprendre son point de vue ; la discussion, en troisième lieu, requiert la sincérité des partenaires, sans laquelle aucun consensus ne peut être valide ; enfin, les individus doivent entrer librement en discussion, et se soumettre eux-mêmes aux règles imposées par l’éthique de la discussion. Aux communautariens qui lui reprochent la fausse neutralité de l’argumentation, affirmant qu’elle n’a rien d’universel mais dépend d’une certaine conception du bien, Habermas répond que tous les individus, quelle que soit leur culture, s’accordent sur la pertinence de tels principes : - اقتباس :
[La pratique de l’argumentation] constitue un foyer dans lequel les efforts d’entente déployés par les participants d’une argumentation, quelles que soient leurs différences d’origine, convergent au moins intuitivement. En effet, des concepts tels que ceux de vérité, de rationalité, de justification ou de consensus, bien qu’ils puissent être diversement interprétés et employés suivant des critères différents, jouent le même rôle grammatical dans toutes les langues et dans toutes les communautés linguistiques[7]. L’élaboration de l’éthique de la discussion dans la Théorie de l’agir communicationnelsouffrait encore du défaut de ne pas distinguer suffisamment la morale du droit. Habermas reconnaît que les présuppositions idéalisantes de la discussion donnaient trop l’impression d’être des normes morales, ce qui a pour défaut de donner à son raisonnement la forme apparente d’un cercle vicieux : la visée de l’entente ou du consensus ne serait pas tant ce qui découle logiquement de la pratique argumentative, qu’une finalité imposée par une certaine conception du bien et de ce que doit être une discussion réussie. La normativité visée ne serait rien d’autre que celle qui est déjà présupposée. Habermas, dans Droit et démocratie, corrige ce défaut en renforçant la neutralité de l’éthique de la discussion par une distinction plus nette entre le principe de discussion (D) et le principe moral. (D) stipule que : - اقتباس :
Sont valides strictement les normes d’action sur lesquelles toutes les personnes susceptibles d’être concernées d’une façon ou d’une autre pourraient se mettre d’accord en tant que participants à des discussions rationnelles[8]. Le principe de discussion revient aux présuppositions idéalisantes de l’argumentation. Celles-ci n’ont en elles-mêmes aucune dimension morale, mais sont les critères de validité de futures normes adoptées. (D) aborde les normes d’action dans leur capacité à être « fondées en raison de manière impartiale[9] ». De son application peut découler soit le principe démocratique, quand les normes adoptées font l’objet d’un accord général, entre les citoyens d’une même société, soit le principe moral, quand cet accord peut être universalisable ou être accepté de tous quelles que soient les différences culturelles[10]. L’éthique de la discussion est neutre en ce qu’elle revient à proposer une conception procédurale du droit ou de la démocratie : ce qui lie les individus, ce n’est plus une morale donnée ou acquise, qu’ils partageraient à l’identique, ni des traditions qui pourraient servir comme autrefois de consensus d’arrière-plan massif. Le fait contemporain du pluralisme a irréversiblement changé la donne. L’entente entre les citoyens, désormais, ne peut être que formelle, en portant sur les règles de validité des normes qu’ils vont établir. La cohésion sociale tient à l’accord sur les procédures à suivre et sur la manière de les concevoir pour garantir la démocratie. Appliquer le principe de discussion exige de respecter les droits fondamentaux. Il n’y a pas de discussion possible – ni de démocratie – sans la reconnaissance pour tous des libertés fondamentales individuelles. Il n’y a pas non plus de démocratie (authentique ou radicale) sans le principe d’auto-détermination du peuple, sans la création d’une opinion et d’une volonté collectives pour empêcher que la politique relève de la domination. Les institutions doivent appliquer le principe de discussion pour donner confiance aux citoyens et favoriser chez eux un « patriotisme constitutionnel[11] ». L’éthique de la discussion a pour ambition de garantir l’exercice véritable d’un État de droit par la pratique argumentative. Pour autant, si elle est neutre moralement en ses présuppositions idéalisantes, ou en son fondement, elle ne l’est pas dans sa finalité : elle vise à encourager une « morale fondée à la fois sur l’égal respect de chacun et sur la responsabilité solidaire et universelle que chacun doit assumer pour l’autre[12] », pas seulement vis-à-vis de ses semblables, mais de toute personne. L’éthique de la discussion est donc à la fois à comprendre au sens d’une déontologie à respecter (appliquer les règles qui régissent la pratique argumentative), et d’une morale. Elle témoigne d’un ethos particulier en étant propre à la culture politique libérale. Mais sa relativité, qui justifie qu’on la nomme « éthique[13] », ne contredit pas sa dimension universelle qui la rend indissociable de la morale transmise par le christianisme[14], dont ont hérité nos principes démocratiques de liberté, d’égalité, et de solidarité. L’éthique de la discussion à la fois encourage et présuppose pour son application une morale de la reconnaissance mutuelle. Elle est inapplicable sans l’adoption de valeurs, de même que son application a pour sens de les renforcer[15]. La pratique argumentative, enfin et surtout, exige des citoyens une démarche de neutralisation. Pour entrer en discussion, ils doivent faire l’effort de passer du singulier au général ou à l’universel, en cherchant non pas à défendre coûte que coûte leurs points de vue, pré-construits avant la discussion, mais en élaborant avec d’autres le meilleur argument possible. Les présuppositions idéalisantes exigent d’eux une neutralisation au sens d’une abstraction de leur position sociale, pour considérer leur(s) partenaire(s) comme leur égal. Ils doivent adopter un point de vue « extramondain[16] ». C’est ce qui différencie l’éthique de la discussion de la négociation. La négociation est nécessaire quand il est impossible de neutraliser les rapports de pouvoir : - اقتباس :
Les processus de négociation sont appropriés à des situations dans lesquelles les rapports sociaux de pouvoir ne peuvent pas être neutralisés comme le présupposent les discussions rationnelles[17]. | |
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السبت فبراير 13, 2016 1:19 pm من طرف فدوى