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| | La fabrique du Neutre | |
Sophie Lécole Solnychkine – MCF Arts Plastiques LARA – SEPPIA Université de Toulouse – Jean Jaurès
Nos plus vifs remerciements vont à Pauline Nadrigny, pour la richesse de nos échanges, dont cette réflexion est plus que redevable.
Résumé / AbstractÀ partir de la thématisation dont la notion de Neutre fait l’objet chez Roland Barthes, il s’agit pour nous de tenter de comprendre cette notion comme un concept actif, voire performatif, qui pourrait alors s’inscrire dans le cadre d’une rhétorique de l’engagement, d’une poïétique du discours, bien loin des conceptions endoxales du neutre. En suivant les pistes du paradoxe, de l’antilogie et de l’hétérologie, puis en envisageant la possibilité d’une « dialectique de l’envers », articulée aux principes de la coprésence et de la surenchère du sens, il s’agit de se tenir au plus près de la plasticité du langage, pour y repérer les principes discursifs d’une poétique du Neutre. Celle-ci permet, à son terme, de considérer le Neutre barthésien comme ouverture à l’infini des fictions, et d’y repérer l’opérativité des fictions produites par le discours Neutre.
Starting from Barthes’s theorization of the Neutral as a notion, our purpose is to try and understand the notion as an active concept, if not a performative one, which would find its place within a rhetorics of commitment, a poietics of discourse, far removed from the common sense understanding of the neutral. Reasoning in terms of paradox, antilogy and heterology, then considering the possibility of a “dialectique de l’envers” articulated to the principles of copresence and the maximization of meaning, the point is to keep as close as possible to the plasticity of language, to identify the discursive principles of a poectics of the Neutral. Eventually, the latter will allow us to consider the Neutral as defined by Barthes as an infinite opening of fictions, and to locate the operativeness of the fictions produced by a Neutral discourse. Dans le Cours[1] qu’il donne au Collège de France en 1977-1978, Roland Barthes développe une thématisation du Neutre qui propose de comprendre cette notion comme une invitation à plonger hors de l’habitus binaire de la répartition des opposés qui siège à l’assignation du sens dans les langues et la pensée occidentales. Dans le cadre de la sémiologie littéraire, Barthes suggère que la réalisation, au sein du discours, d’un (ou de)Neutre(s) pourrait se concevoir comme la recherche de ce qui pourrait déplacer, infléchir – déporter ou déborder – le point nodal de l’opposition paradigmatique[2] vers une zone de trouble ou d’indécidabilité. Sur le plan du sens, en ouvrant à la question de l’indécidable (comme à celle de l’inassignable), la perspective barthésienne nous encourage à envisager, dans la visée du Neutre, des propositions de discours qui, en matérialisant une construction structurelle de l’ordre d’un « troisième terme », le feraient précisément en déjouant toute logique endoxale du sens[3]. Il s’agit pour nous de tenter de comprendre le Neutre, hors du cadre strict de la pensée structuraliste, comme un concept actif, voire performatif (rappelons que, pour Barthes, le Neutre « ne renvoie pas à des “impressions” de grisaille, de “neutralité”, d’indifférence »[4], mais appelle au contraire « à des états intenses, forts, inouïs »[5]), qui dès lors pourrait s’inscrire dans le cadre d’une rhétorique de l’engagement, d’une poïétique du discours, bien loin des conceptions endoxales du neutre. Source : Free imagesDès lors, en suivant les pistes du paradoxe, de l’antilogie et de l’hétérologie, puis en envisageant la possibilité d’une « dialectique de l’envers », articulée aux principes de la coprésence et de la surenchère du sens, il s’agit de se tenir au plus près de la plasticité du langage, pour y repérer les principes discursifs d’une poétique du Neutre. Celle-ci permet, à son terme, de considérer le Neutre barthésien comme ouverture à l’infini des fictions, et d’y repérer l’opérativité des fictions produites par le discours Neutre. Par leur effet-monde, qui s’arraisonne à l’ambition barthésienne de « déjouer le paradigme », les fictions issues des discours Neutres remodèlent notre quotidien, et participent de « l’ébranlement et de l’écroulement de l’habituel »[6], dont H.-G. Gadamer faisait la marque de l’art. *** À partir du latin ne-uter, « ni l’un ni l’autre », source étymologique qui fonde la cristallisation péjorative moderne du mot « neutre », Roland Barthes modèle une « catégorie » non-catégorique[7], aporétique, subversive. D’emblée, le Neutre barthésien se définit comme un moyen de « déjouer le paradigme », d’annuler la dichotomie essentielle sur laquelle reposent sens et langage, et d’échapper ainsi au binarisme implacable des catégories par une pirouette – esquive ou virevolte –, qui n’emprunte l’atour du ludisme que pour mieux pervertir la cardinalité des régimes du sens. Tout de suite, il faut noter que le terme paradigme relève d’une compréhension spécifique chez Barthes, redevable du sens que lui donne F. de Saussure : celui d’une « opposition entre deux termes », dont le choix de l’un à l’exclusion de l’autre produit le sens. Il faut alors comprendre le fonctionnement du sens comme le produit d’un montage paradigmatique : la lecture du monde se conçoit comme recherche d’oppositions structurées par une logique binaire, organisée en couples de contraires (chaud/froid, blanc/noir, bien/mal, etc.), logique à laquelle il faut sacrifier afin de produire le sens. Ne pas choisir, ou fusionner les deux bornes, est perçu comme un acte infamant, à l’origine d’un conglomérat monstrueux formé de critères ne pouvant, dans la perspective de la non simultanéité des opposés, coexister. Dès lors, si le paradigme est le « ressort du sens »[8], si déjouer le paradigme, c’est aller vers le Neutre, alors le projet du Neutre apparaît comme celui de déjouer le paradigme, de déjouer – voire d’ « absenter » – le sens. Paradoxisme et antilogie : une fusion des hétérogènesUne des formes possibles de troisième terme pouvant correspondre chez Barthes à la matérialisation d’un discours Neutre, relève de ce que Bernard Comment, dans son étude intitulée Roland Barthes, vers le Neutre, identifie comme paradoxisme. En prenant l’hypothèse d’un paradigme nommé « A/B », le paradoxisme se comprend comme la fusion des deux termes A+B. Il s’agirait en ce sens de rechercher la réalisation d’un discours Neutre dans les logiques de la fusion des deux bornes du paradigme, proches en ce sens de l’oxymore, pour lequel on connaît l’intérêt de Barthes. Le paradoxisme consisterait en une « actualisation simultanée » des deux termes de l’opposition, termes « que la logique endoxale tient pour opposés et donc incompatibles. Il s’agit de produire un troisième terme à l’intérieur du paradigme par “levée” de la barre oppositionnelle »[9], c’est-à-dire par la fusion des opposés, au sein du paradigme lui-même. Le paradoxisme rejoint en ce sens le principe d’antilogie, ainsi qu’en témoigne la description que donne Barthes, dansSade, Fourier, Loyola, d’un Neutre prenant la place entre les deux termes du paradigme : - اقتباس :
« Le Neutre est ce qui prend la place entre la marque et la non-marque, cette sorte de tampon, d’amortisseur, dont le rôle est d’étouffer, d’adoucir, de fluidifier le tic-tac sémantique, ce bruit métonymique qui signe obsessionnellement l’alternance paradigmatique : oui/non, oui/non, oui/non, etc. […] Est Transition (Mixte, Ambigu, Neutre) tout ce qui est duplicité des contraires, conjonction d’extrêmes […] »[10]. Il faut toutefois remarquer que cette piste, celle du paradoxisme ou de l’antilogie, bien qu’elle s’inscrive dans la topique classique de la coincidentia oppositorum, n’est pas de l’ordre d’une synthèse dialectique, mais plutôt d’un collage, d’un rabattement non dialectique (A+B). Entendus en ce sens, il devient manifeste que le paradoxisme, comme l’antilogie, consistent en un moment d’affolement du paradigme, contribuant à son parasitage. Instant vertigineux d’une affirmation-négation, qui conduirait à inventer des catégories transgressives, inouïes, folles : ainsi Shakespeare, dans les premières pages deRoméo et Juliette, place dans la bouche de Roméo des expressions telles que « lourde légèreté, sérieuse vanité, […] plumes de plomb, fumée lumineuse, flamme glacée, santé malade »[11], entiers indivisibles, incombinables, non-dialectiques. En impliquant certes un affolement, mais à l’intérieur de la structure paradigmatique, ces propositions de discours Neutres, si elles relèvent bien d’un troisième terme, montrent d’emblée les limites d’une telle synthèse, celle-la même d’une esthétique du choc poétique, produisant certes une lueur, comparable à l’étincelle sourdant de la pierre de silex, mais éphémère. La matérialisation du discours Neutre que nous recherchons ne saurait se contenter de telles épiphanies fugitives. De l’hétérologie à la dialectique ?Dans l’exercice d’une pensée qui ne s’épargne ni hésitation ni revirement, Barthes entrevoit également la possibilité de discours Neutre comme une autre forme de mise en crise, cette fois-ci extérieure au paradigme, par le surgissement d’un troisième termeautre. Ce dernier, en se rendant indifférent à l’égard du récit, de « ce qui est dit », permettrait un sursaut dans la structure, sursaut qui appellerait une lecture verticale et viendrait ainsi inquiéter l’horizontalité d’un système narratif linéaire. Il s’agit cette fois d’introduire une logique autre, une logique où dire le contraire n’implique pas de renoncer à la chose contredite. Le troisième terme serait ici pensé comme supplément de sens, comme débordement, n’invitant pas au conflit mais à la nuance[12]. Si le troisième terme barthésien, dont nous avons écarté les logiques du paradoxisme et de l’antilogie, n’invite pas à la synthèse mais au débordement, il introduit de ce fait une logique qui ne viendrait pas masquer ou édulcorer le conflit (le paradigme comme couple de concepts opposés), mais viser à côté et au-delà de lui, une logique qui impliquerait une pensée de l’hétérologie[13]. Le « 3 » chez Barthes n’est pas un « 3 » de synthèse, lequel correspondrait au terme complexe « 2 + 1 », mais plutôt le degré zéro de l’opposition « 1/2 », c’est-à-dire « ni 1 ni 2 ». En ce sens, “3 est une sorte de pôle excentrique du duel, sa dénégation ; c’est en somme un duel raté, c’est l’impair même”[14]. Ainsi, cette affirmation au rôle de quasi manifeste, présente dans Crise de vers, de Stéphane Mallarmé : - اقتباس :
“Naturellement, le seul mot n’est que l’amorce du glissement, puisque, par la signification, il rend à nouveau présent l’objet signifié dont il a écarté la réalité matérielle. Il est donc nécessaire, si l’absence doit se maintenir, qu’au mot se substitue un autre mot qui l’éloigne, et à celui-ci un autre qui le fuit, et à ce dernier le mouvement même de la fuite”[15]. Bien que la fuite mallarméenne soit ordonnée avant tout à la nécessité de maintenir une absence (celle de la chose que le mot ne livre aucunement), et qu’elle n’apparaisse pas comme visée pour telle, pour elle-même, elle donne à voir, en régime poétique (entendu au sens commun), un exemple opérant de l’usage de l’hétérogène. Du régime du paradoxe, étincelle née du choc des contradictoires, nous sommes passés ici au régime constant de la fuite, organisée comme glissement d’autre en autre. Cette hétérologie, que Barthes préfère finalement à l’antilogie et au paradoxisme, est donc plutôt à l’extérieur du paradigme : ce serait la levée de la marque au moment où le paradigme va se conclure. Cette utopie apparaît, pour l’instant, comme le seul lieu où l’on puisse se tenir, dans la recherche de matérialisations discursives du Neutre. Sommes-nous dès lors, dans la mesure où nous constatons la présence de termes hétérogènes s’annulant, se suspendant mutuellement, dans une mise en rapport dialectique des termes du discours ? Selon Jean-Claude Milner qui évoque, dans Le pas philosophique de Roland Barthes[16], la position de Barthes par rapport à la dialectique, le Neutre chez celui-ci serait précisément indialectique. Interrogeant dans cet ouvrage certains schèmes de l’écriture barthésienne, et faisant plus spécifiquement référence à l’opposition, repérée dans l’écriture de La Chambre claire, entre les thèmes opposés du Retour du Même et de l’Unique, opposition qui pourrait se comprendre dans les termes d’une dialectique, Milner écrit : « de [l’opposition], il retient seulement l’essentiel, qui est sa nature indialectique (le mot se trouve p. 141), son pouvoir de maintenir sans dialectique la relation calme des contraires [nous soulignons] »[17]. Suivant pas à pas l’évolution de la pensée de Barthes, Milner note que « depuis les Mythologies, ou du moins leur seconde partie, son effort avait été dirigé contre la dialectique, d’autant plus inflexiblement qu’il en connaissait les détours et la puissance extrême »[18]. On voit combien, selon Milner, l’opposition barthésienne à la dialectique est claire, voire virulente, allant jusqu’à s’exprimer dans un vocabulaire belliqueux : - اقتباس :
« La guerre inlassablement menée contre la dialectique, depuis la découverte de la structure, entre ainsi dans sa phase terminale. […] “La vie qui porte la mort”, par ces mots, Hegel avait institué la dialectique en horizon indépassable de la modernité »[19]. Reste à savoir s’il faut entendre par dialectique la seule figure tutélaire de Hegel, si, par ce terme, nous clôturons la question à la possibilité d’une opposition presque personnelle, celle de Barthes au philosophe allemand. Bien plus, Barthes ne parle-t-il pas lui-même de « dialoguer en niant », c’est-à-dire de maintenir ouvertes les oppositions (ce que nous pouvons alors rattacher à la recherche de discours Neutre), bien qu’il ne les conduise pas dans la perspective d’une synthèse et d’un dépassement ? On voit ici l’enjeu d’une prise en compte plus approfondie de la notion de dialectique dans le cas barthésien : celui-là même qui consisterait à penser une dialectique hors synthèse, hors dépassement, une dialectique non pas des contraires mais de l’envers. La dialectique de l’envers : ambiguïtés de l’AufhebungOn trouve, dans le Cours sur le Neutre, dans un chapitre consacré aux figures Neutres de la couleur, une phrase énigmatique que Barthes formule de la sorte : « Le Neutre = l’envers, mais l’envers qui se donne à voir sans attirer l’attention : ne se cache pas mais ne se marque pas ( = très difficile) »[20]. Ce projet, celui d’un Neutre envisagé comme envers et non comme contraire, se définit comme celui d’une construction structurelle qui présenterait dans un même temps un discours et sa négation, mais de sorte que tout à la fois, l’un ne consiste pas en une destruction de l’autre, ni que les deux ne soient par la suite conjoints en un troisième terme de synthèse, comme c’est le cas dans la dialectique hégélienne, destructrice en ce sens des deux premiers termes afin de les fondre en un troisième qui les subsume. De cette conception d’une « dialectique de l’envers », se proposant de répondre à la recherche d’un discours Neutre, on trouve des affleurements au sein de l’œuvre barthésienne dans son ensemble. | |
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السبت فبراير 13, 2016 12:44 pm من طرف فدوى