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 3. Structuralisme et philosophie

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فدوى
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فدوى


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13022016
مُساهمة3. Structuralisme et philosophie

3.  Structuralisme et pMichel IZARD

3.  Structuralisme et philosophie

On connaît des noms (Claude Lévi-Strauss, Michel Foucault, Jacques Derrida, Jacques LacanMichel Serres...) ; on croit connaître le terrain intellectuel sur lequel ils se rencontrent : celui d'une modernité philosophique assimilée au structuralisme. Celui-ci a connu son heure de gloire dans les années 1960 et 1970 en France ; il s'est diffusé largement par la suite, en particulier aux États-Unis où l'on parle volontiers aujourd'hui de « poststructuralisme ». On n'en finirait pas, pourtant, d'énumérer tous les paradoxes qui s'attachent à la définition d'un structuralisme philosophique.

  Une école « hors les murs » : philosophie et sciences humaines

Il faudrait d'abord s'entendre, avant la définition même de ce dont il est question, sur une appellation : philosophie structuraliste, structuralisme philosophique, ou philosophie du structuralisme ? Nous prendrons le parti de la coordination (structuralisme et philosophie), qui présente certes l'inconvénient de présupposer l'existence du structuralisme, mais qui a aussi l'avantage de neutraliser la charge polémique des autres dénominations et de respecter trois caractéristiques complexes de cette mouvance ou de ce moment philosophique, qu'aucun des « acteurs » principaux n'a vraiment repris à son compte, à l'exception de Lévi-Strauss, qui manifeste significativement de fortes réticences vis-à-vis d'un structuralisme « proprement » philosophique.

Un rationalisme élargi

D'abord, il y a l'exercice systématique du soupçon vis-à-vis de la prétention philosophique à jouer le rôle d'élucidation des principes premiers, ontologiques ou transcendantaux, de toute connaissance et de toute pratique. Cette prétention est assimilée globalement à un « avant » de la « coupure structurale » en philosophie. Cette caractéristique ne suffit pourtant pas pour répondre à la question posée par Gilles Deleuze en 1973 – « À quoi reconnaît-on le structuralisme ? ». Elle appartient depuis toujours, par exemple, à l'empirisme, attitude philosophique peu illustrée en France où sa version modernisée – l'empirisme logique – ne sera véritablement diffusée que tardivement, au début des années 1980, et précisément en réaction au structuralisme.
C'est plutôt dans le cadre d'un rationalisme élargi, c'est-à-dire désacralisé et historicisé, tendu vers ce qui est inassimilable par les conceptions antérieures de la raison – celles deDescartes, de Kant, de Hegel pour l'essentiel – que le structuralisme va contester la posture philosophique d'un discours fondateur qui n'est pas lui-même fondé. Cet élargissement de la raison ne se réduit pourtant pas à un retour simple sur sa genèse. Il se veut plutôt une remise en cause des limites assignées à la raison par le sujet cartésien assimilé au cogito, par le sujet transcendantal kantien dans ses rapports à la connaissance et aux pratiques, par le savoir absolu hégélien dans ses conditions dialectiques d'émergence et de réalisation, son origine et sa téléologie. C'est pourquoi les formes les plus radicales du structuralisme en philosophie remettent toujours en cause les partitions les mieux établies de la tradition : le sujet et l'objet, si le sujet peut devenir à son tour objet dans la version lacanienne de la psychanalyse, par exemple ; l'a priori et l'a posteriori kantien, si le symbole ou le signe, parce qu'ils relèvent de systèmes « toujours déjà » institués sans sujet originaire qu'il soit individuel ou collectif, ouvrent un abîme qui marque un espace de jeu entre le sujet et l'expérience ; le système et la conception de l'histoire hérités de Hegel enfin, si les différences qui régissent le système ne sont pas de l'ordre de la contradiction dialectique et n'orientent vers aucune fin, aucun telos, les figures de la raison réconciliée avec elle-même.

Une tradition repensée

Si toujours la philosophie s'est nourrie « de ce qui n'est pas elle » (Georges Canguilhem), les philosophes réputés structuralistes, ou impliqués dans le développement du structuralisme sur un mode plus ou moins critique (Gilles Deleuze, Paul Ricœur, par exemple) se sont efforcés de formuler de manière explicite, problématique et par différence, un régime de la pensée philosophique vis-à-vis des sciences humaines et des pratiques sociales qu'elles théorisent.
Il s'agit là sans doute, sur le plan historique, de l'une des caractéristiques majeures des rapports qui régissent philosophie et structuralisme. De ce point de vue, à la prudence « scientifique » d'un Lévi-Strauss, qui manifeste très tôt des réticences vis-à-vis de ce qu'il considère comme un structuralisme plus ou moins spéculatif (donc philosophique), répondrait, à l'autre extrémité du spectre, la réflexion de Derrida (dès L'Écriture et la différence et De la grammatologie) sur la « naïveté » d'une détermination strictement positive de la « structure » dans les sciences de l'homme (linguistique, anthropologie, théorie de la littérature...) et sur les notions mêmes de « marges » ou de « propre » de la philosophie.
D'une attitude à l'autre, c'est le statut même du discours philosophique qui est mis en question. La définition althussérienne de la philosophie comme « pratique théorique », puis « lutte des classes dans la théorie » modalise autrement mais dans la même direction, cette interrogation « structuraliste » hantée à la fois par le thème de la « scientificité » (ici, par le biais du matérialisme historique), des « positivités », et par le refus du positivisme. Le structuralisme français des années 1950 et 1960 prend acte de l'impossibilité où se trouve le discours philosophique de maintenir une consistance sans recourir aux résultats et aux méthodes des sciences humaines qui se sont détachées de la philosophie à la fin du XIXe siècle. Par là, comme le souligneront François Wahl puis Thomas Pavel, il est incontestablement une entreprise de modernisation. Quant à Foucault, les notions qu'il propose de « positivité », « d'épistémé », de « configurations discursives », de « régime de discours »... contestent toutes le pouvoir d'autofondation philosophique traditionnel ; l'enquête archéologique sur le regard médical (Naissance de la clinique), sur la déraison (Histoire de la folie), sur les sciences humaines (Les Mots et les choses) n'élabore à chaque fois son objet qu'en déconstruisant les objets privilégiés des discours philosophiques de la tradition : la Raison, le Normal et le Pathologique, l'Homme... Malgré des divergences fondamentales qu'on trouve violemment exprimées dans un débat sur Descartes par exemple, la notion derridienne de « déconstruction » et celle foucaldienne d'« archéologie » ont au moins en commun, à travers deux métaphores très diversement connotées renvoyant à deux sources dissemblables (la Destruktion heideggérienne et laGenealogie nietzschéenne), à partir de conceptions différentes du « discours » ou du « texte », de prendre acte d'un régime de pensée « second » attaché à défaire – c'est-à-dire aussi bien à réinvestir – les enjeux de la tradition philosophique.
Une telle « secondarité » représente sans doute une autre caractéristique majeure de l'orientation structuraliste en philosophie. Cette secondarité s'exprime d'une part, dans le mode de référence à certains textes privilégiés sous l'égide du « retour à... » (retour àFreud pour Lacan, à Marx pour Althusser, et, de manière moins évidente mais néanmoins patente à Nietzsche pour Foucault, à Heidegger pour Derrida), d'autre part dans un style de problématisation philosophique où les objets de la philosophie (la Liberté, la Vérité, l'Homme...) ne sont plus accessibles « directement », mais seulement à travers les discours qui sont tenus sur eux par la tradition ou par les sciences humaines.
De ce point de vue, le structuralisme entretient des relations d'intimité conflictuelle avec l'herméneutique : la « re-lecture » ne conduit pas ici à l'assomption d'un sens caché. La secondarité s'exprime plus fondamentalement, dans ce que certains ont appelé la « forclusion de la référence », dont le principe serait fourni dans la définition saussurienne du système de la langue comme « structure de renvoi » où toute identité n'est produite que par différenciation et opposition sans terme ultime. Ce dernier aspect n'est d'ailleurs pas nécessairement inhérent au structuralisme : Gilbert Hottois y voit une ligne de fracture commune à plusieurs courants contemporains qui distinguent différentes formes et degrés de la « secondarité » entendue en ce sens dans la phénoménologie, l'herméneutique, la philosophie du langage ordinaire.
Enfin, la secondarité est cet aspect du structuralisme qui, amplifié, donnera naissance au thème poststructuraliste de la « postmodernité ».

Une crise de la signification

D'autre part, on peut considérer comme symptomatique d'une attitude philosophique de l'époque le travail d'un historien de la philosophie comme Martial Guéroult qui, selon unparadoxe qui n'est qu'apparent, a considéré les œuvres philosophiques du passé (Fichte, Descartes, Spinoza...) comme des textes clos sur eux-mêmes, soustraits aux déterminations historico-psychologiques externes, et entièrement voués à la reconstruction systématique de leurs commentateurs. Même si cette clôture ne doit rien, directement, à celle des « systèmes » langagiers analysés par les linguistes ou les théoriciens de la littérature, elle atteste paradoxalement du surinvestissement dont l'épistémologie des systèmes de pensée fait l'objet à l'époque et, plus largement, des difficultés à penser l'histoire à partir de la catégorie saussurienne de synchronie.
Au-delà du cas Guéroult – qui a joué un rôle non négligeable dans la formation philosophique d'une génération sans assumer explicitement une position « structuraliste » –, c'est souvent sous le nom de Théorie que s'auto-désigne alors ce point de vue : intransitivement et souvent sans détermination supplémentaire. Non que la Théorie n'ait pas d'objet et ne puisse devenir « théorie de... », mais parce que les objets qu'elle se donne sont toujours donnés « ailleurs » à travers les médiations d'un système symbolique structuré où ils n'apparaissent que comme les symptômes de surface d'une configuration latente : d'où la promotion d'un mode de lecture « symptomale » de Marx, à l'œuvre par exemple dans Lire le capital d'Althusser, et plus ou moins librement emprunté à Nietszche.
Dans tous les domaines qu'elle aborde, la manière structuraliste consistera non en une suspension provisoire du sens, ce qui fut la grande affaire de la phénoménologie qui cherchait là un accès aux modalités transcendantales de donation de sens originaires, mais en la mise en crise systématique ou stratégique de la signification sous l'égide du Signifiant. Sous sa forme la plus systématisée, en même temps sans doute que la plus positive, la thématisation par Serres de la communication sous le signe d'Hermès et deLeibniz (Hermès I, II, III) problématise de la manière la plus large cette circulation, sans terme ni but ultime, de l'infini pluralité des codes qui définissent le monde comme « l'ensemble des possibles ». Non que le monde soit codé dans une langue universelle, mais au contraire parce que chaque chose du monde, chaque région du savoir ne reçoit son identité individuelle que dans la mesure où elle est porteuse d'une forme (« une morphè ») qui en fait un canal sur le réseau de communication universel : « La condition de possibilité de tout savoir est cet espace transcendantal de communication où les transports peuvent s'effectuer, où les graphes sont inscriptibles. Tout domaine scientifique n'est qu'une région de cet espace » (Hermès II, L'Interférence). Le transcendantal n'est plus alors ni rigoureusement dans le sujet qui pense le monde (une forme de la pensée) ni dans les choses comme corrélat de la pensée (une forme universelle), mais dans un espace indéterminé de variations que ni l'unité de l'esprit, centre de toutes « mes » représentations, ni celle de l'univers dont la première serait le reflet ne viennent garantir. La seule unité du savoir réside dans la circulation de références multiples comprise comme un espace d'échanges sans terme. De ce point de vue, on pourrait presque définir les rapports de la philosophie et du structuralisme des sciences humaines à partir de ce paradigme de la traduction, de la communication et de l'échange.
Le moment structuraliste en philosophie, s'il procède bien de développements en linguistique, en anthropologie, en psychanalyse, qui se sont produits en dehors d'elle, ne consiste pas en une sommation des savoirs partiels dans le cadre d'une anthropologie encyclopédique, ni en une transgression des frontières disciplinaires dans une interdisciplinarité à visée totalisante, mais plutôt en une réappropriation souvent conflictuelle de concepts enracinés dans une région du savoir (le symbolique, le signe, le signifiant, la structure...). Mis à l'épreuve à l'intérieur de la tradition philosophique, ils vont soumettre cette tradition à l'épreuve en retour. Exemplaire est à cet égard le style derridien en philosophie qui consiste à diffuser à partir de domaines variés du savoir des « simulacres » conceptuels, par exemple la « différance », à partir de l'analyse du signe saussurien considéré à la fois comme l'avancée la plus décisive par rapport à l'idée de signifié transcendantal, et comme la forme la plus subtile du maintien du préjugé logocentrique dans la pensée moderne.
Le jeu réglé, la stratégie (à la fois comme combinatoire, ajustement mécanique, exploration systématique des compossibilités) définissent alors non seulement des objets de pensée, mais aussi un style que chacun des philosophes saisi par le structuralisme module dans des directions diverses ou à partir d'un champ qui lui est propre. L'épistémologie de Serres consiste à parcourir, en le faisant exister par là-même, l'espace différencié des sciences modernes. Cette stratégie montre qu'il existe plusieurs théories d'une même science (l'arithmétique est « réaliste », l'algèbre « nominaliste »), plusieurs théories de sciences différentes, et donc « qu'il est vain de demander où s'enracine la science, à partir de quoi elle prend son sens global, sur quel sol primitif elle se fonde. Les sciences, en interférant, se confèrent entre elles le sens » (L'Interférence).
Les définitions de l'énoncé dans L'Archéologie du savoir, leur mise en pratique dans Les Mots et les choses relèvent également, pour Foucault, du jeu réglé : si un énoncé au sens foucaldien n'est ni une proposition (proférée par un sujet logique) ni une phrase (simple émanation d'un auteur), c'est parce qu'il relève d'une régularité spécifique qui n'est ni celle de son origine ni celle de son originalité, référable à un sujet transcendantal ou à un esprit d'époque, mais qui renvoie à « une place déterminée et vide qui peut être effectivement remplie par des individus différents ». Dans cette mesure, l'archéologue foucaldien ne dresse pas une typologie des énoncés mais ordonne leur topologie : il décrit un espace, celui des « formations discursives », où les énoncés se constituent en familles. Les lieux d'apparition d'objets et de concepts sont des corrélats de ces formations, et les « formations non discursives » où s'inscrivent les énoncés (institutions, événements, pratiques sociales...), ou qui sont elles-mêmes des énoncés (codes déontologiques, chartes, contrats...), en constituent la condition de possibilité. À travers l'analyse archéologique de l'Histoire naturelle, de l'Analyse des richesses, de la Grammaire généraleLes Mots et les choses dessine ainsi l'espace de jeu de formations discursives qui échappe autant à la formalisation des propositions qu'à l'herméneutique des phrases, qui considère ses objets non comme des documents attendant l'interprétation ou la formalisation, mais comme des « monuments » posés sur un socle énonciatif anonyme. De manière semblable, à travers la relecture de Marx, Althusser discerne, derrière les hommes « réels » et leurs rapports « réels », derrière les idéologies et les rapports imaginaires que les hommes entretiennent avec leurs conditions matérielles d'existence, un domaine plus profond comme objet de science et de philosophie. De ce point de vue, la Théorie s'identifie à la production de l'objet théorique, puisque les vrais « sujets » de la structure économique sont d'abord des « places » dans un espace défini par les rapports de production, objet propre de l'analyse... dont l'analyste est lui-même partie prenante.
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