Jouer pour de vrai, Du psychodrame individuel à la psychanalyse, Sous la direction de Patrick Delaroche, Coll. « Hypothèses », Editions Eres, 2011.
Dispositif créé par Serge Lebovici, le Psychodrame Psychanalytique Individuel (PPI) tel que nous le décrit Patrick Delaroche dans une sélection intéressante de communications aux différentes journées de Ville-d’Avray consacrées à ce sujet, occupe désormais une place reconnue dans la palette des pratiques thérapeutiques. Il comprend un directeur de jeu qui dialogue avec un patient : ce dernier sera susceptible de désigner parmi d’autres cliniciens « jusque là silencieux » les personnages nécessaires à la réactualisation de scènes impossibles à verbaliser en raison « de l’intensité ou de la structure des défenses, qu’il s’agisse de forclusion, de projection ou de clivage ». Et le pédopsychiatre et psychanalyste de regretter les « insuffisances » ou les « impasses » de la technique analytique : notamment celle qui consiste à être « aux yeux du patient, ce grand Autre, cette statue du commandeur qu’il redoute souvent inconsciemment ».
Dans une passionnante introduction où les enjeux sont définis avec précision, Patrick Delaroche souligne pourtant « l’analogie » entre construction dans la cure freudienne traditionnelle et direction du psychodrame », ne serait-ce qu’en se saisissant des bribes de refoulé que le jeu fait affleurer et permet de symboliser. Un fil rouge, parfois très ténu, qui caractérise l’ensemble de ces contributions : le PPI flirte avec la psychanalyse, il s’en inspire, mais se doit en quelque sorte de la critiquer pour mieux établir ses principes cliniques. Des différences qui ne sont pas forcément des contradictions : comment par exemple concevoir cette « distance matérialisée avec son propre discours » qui pourrait, du point de vue des puristes, poser la question du maniement du transfert et du contre-transfert et du moment opportun de l’interprétation ?
Organisé en quatre parties qui tentent de répondre à ces multiples interrogations, l’ouvrage s’intéresse au « jeu des cothérapeutes », à la « direction du jeu », à la « synergie » entre les deux premiers et à la « formation au psychodrame ». Pour Madeleine Jeliazkova-Roussel, « on doit jouer le fantasme » et « amener l’enfant ou l’adolescent à prendre position dans le conflit » joué dans le PPI. « On ne s’embrasse jamais au psychodrame, on ne se touche pas » : règle fondamentale rappelée à propos d’une des premières expériences de PPI par Emmanuel de Nonneville alors qu’Isabelle Blondiaux évoque les conséquences du choix des cothérapeutes par le patient sur le « rythme du jeu » et « ses répercussions sur la production du sens ». D’où une interprétation jouée à partir d’une « articulation entre le dire et le faire » selon Marc Vincent pour lequel le PPI fabrique un « hors temps homologue à celui de l’inconscient »
Dans le chapitre sur la direction du jeu, Yves Manela revendique la supériorité du PPI « qui rend possible la mise en scène de la simultanéité et de l’ambivalence ». Mais quid lorsque le directeur du jeu « explique au patient ce qu’est le psychodrame » ? Que reste-t-il alors de cet entendement conscient sur l’inconscient du patient que l’on éclaire avant la séance en quelque sorte? Ne court-on pas le risque d’une suggestion, voire d’une « interprétation à vide » ? Des éléments de réponse sont donnés par Hager Karray dans ses réflexions sur « L’interprétation dans le PPI : responsabilité du directeur de jeu et responsabilité des cothérapeutes », dans la troisième partie du livre.
Notons l’intérêt particulier de « la dramatisation fantasmogène » signée Jean-Marc Dupeu, sur l’articulation entre la « conception du psychodrame » et la « théorie du rêve ». Le psychiatre et psychanalyste étaye sa réflexion sur un passage de la Traumdeutung (L’interprétation du rêve, 1900), où il note la « seule et unique occurrence » du terme de « dramatisation » emprunté par Freud à l’ouvrage de Spitta de 1892 (Die Schlaf-und Traumzustände der menschlichen Seele ») dont il regrette par ailleurs l’absence de traduction en français. Jean Marc Dupeu veut y voir la « définition métapsychologique de la dramatisation », « soit l’expression du souhait, préconscient ou inconscient, par l’emploi du verbe au présent de l’indicatif ». Retour à Freud et formule qui consacre ainsi la représentation d’action -Au commencement était l’acte- dans le PPI.
Nice, août 2011