Les femmes devant le déclin démographique 2 Juillet 2010 | Yves-Marie Laulan*
Le déclin démographique, en France comme en Europe, met de plus en plus en présence deux types de populations, celle d’origine, et celle venue d’ailleurs. Ce qui est en cause est la survie, à terme, de nos sociétés et de leur identité. L’enjeu n’est pas mince. Compte-rendu du colloque du 28 mai 2010 de l’Institut de géopolitique des populations.Les précédents historiques de déclin démographique, depuis la Rome du Bas Empire jusqu’à l’aristocratie française du XVIIIe ne manquent pas. L’histoire nous apprend que les sociétés ou les classes sociales qui ne se renouvellent pas risquent fort de disparaître peu à peu.
Or la femme est biologiquement maîtresse de la reproduction. Elle a donc un rôle fondamental dans le renouvellement de la société. Mais ce rôle n’est que très imparfaitement assuré en Europe, en Russie, et même aux États-Unis depuis une trentaine d’années. Pourquoi ? Est-il possible d’identifier une responsabilité spécifique de la femme en matière de déclin démographique ?
Le paradoxe de la femme d’aujourd’hui est que plus la femme moderne dispose de temps, de loisir et de confort, moins elle semble disposée à mettre des enfants au monde. Or, sans les femmes, pas d’enfants !
Il est curieux de constater que les femmes, qui peuvent donner la vie, ou refuser de le faire, ne semblent guère se soucier de savoir pourquoi il en est ainsi.
En effet, dans la longue histoire des sciences humaines, il apparaït que seuls quelques hommes — responsables politiques ou démographes de profession, au demeurant fort peu nombreux — se sont préoccupés des problèmes démographiques et de l’importance de la natalité pour le destin collectif d’une nation ou d’une société [1].
Pourquoi, les femmes, fort actives et brillantes dans bien d’autres domaines de la pensée ou de la recherche, se sont-elles largement désintéressées de cette problématique ? Pourquoi, depuis Simone de Beauvoir jusqu’à Elizabeth Badinter, en passant par Simone Veil, ont-elles systématiquement appréhendé ce problème crucial uniquement sous l’angle du destin individuel de la femme en ignorant sereinement l’aspect démographique et sociétal [2] ?
Certes, autrefois, les femmes étaient largement soumises à l’homme — père, mari ou fils. Elles sont aujourd’hui libres de leur corps, de leurs revenus et se sont largement affranchies de la pression sociale ou religieuse. Qu’ont-elles fait de cette liberté ?
Déclin démographique et opinion
Le déclin démographique en Europe (et en Occident) entraînera inéluctablement le déclin économique et géopolitique de nos sociétés. Dans quelle mesure les femmes en sont-elles conscientes et responsables ? Peut-on cerner l’attitude des femmes d’aujourd’hui devant le déclin démographique et leurs réactions ?
Avant de poser ces questions déjà précises, il faut auparavant questionner le présupposé : Y a-t-il vraiment un déclin démographique en France, en Europe et en Amérique ? Quand on interroge sur ce sujet d’éminentes personnalités féminines et non des moindres [3], les surprises ne manquent pas.
Comment, dit-on communément, peut-on parler de déclin démographie alors qu’on peut lire dans toute la presse française que la France est « championne d’Europe de la natalité » ?
C’est là que l’on comprend que pour instiller patiemment de fausses idées dans l’esprit de l’opinion publique, point n’est besoin d’instaurer un régime de type autoritaire comme l’Europe en a connu dans le passé. Il suffit de parcourir la presse française qui reproduit aveuglément les chiffres tirés, sans réflexion ni décryptage, des publications de l’INED ou de l’INSEEE, lesquelles sont devenues sans conteste, en matière de démographie, d’authentiques officines de désinformation statistique [4].
Les chiffres, d’un peu plus près
Aux Etats-Unis, en 1960, l’Américaine avait en moyenne 3,6 enfants. En 1980, ce chiffre a été ramené à 2 enfants par femme. Aujourd’hui, il est tombé à 1,8 malgré le concours des populations d’origine noire et hispanique. Cette population est si influente en matière de démographie que de nos jours, les Américains d’origine européenne représentent moins de la moitié de la population des Etats-Unis. D’où l’élection de Barack Obama comme en témoigne l’analyse des résultats électoraux des dernières présidentielles aux Etats-Unis [5]. Mais ceci est une autre histoire.
En Europe, les chiffres sont les suivants : Allemagne : 1,4 enfant par femme ; Italie : 1,3 ; Espagne : 1,3 ; Portugal : 1,5 . Il y a bien déclin démographique en Europe.
Dés lors, avec 1,89 enfant par femme, la France est bien « championne d’Europe de la natalité ». Ce qui est vrai sur le plan statistique. Mais, pour obtenir une vision plus réaliste de ce tableau attrayant, il convient de préciser que ces chiffres flatteurs ne sont obtenus qu’en prenant en compte : a) la natalité des Départements et Territoires d’Outre Mer, Guyane, Réunion, Martinique et Guadeloupe, (bientôt Mayotte !) ; b) celle des populations d’origine immigrée, naturalisées ou non. Ce que l’INSEE et l’INED se gardent bien de souligner.
Ce qui donne alors le tableau suivant. Sur 831 000 naissances enregistrées en 2006, les naissances d’Outre Mer en représentaient 34 000. Les naissances provenant de ménages immigrés atteignaient, quant à eux, un chiffre de 135 000 (17 % du total). Au total, c’est 169 000 naissances qu’il faut retirer au chiffre donné pour obtenir les naissances venant de la population d’origine ou autochtone. Ce qui ramène ce dernier au chiffre relativement modeste de 663 000 [6]. C’est tout de même moins spectaculaire que le titre de « champion d’Europe de la natalité» dont se rengorge la presse.
Des statistiques à la réalité
La conséquence de cette situation est claire : Michelle Tribalat, directeur de recherches à l’INED à la réputation de démographe rigoureuse et honnête, publiait en 2007 dans la revue
Commentaire (car les colonnes de la revue de l’INED lui avaient été fermées), qu’en 2005, il y a 5 ans, les jeunes de moins de 20 ans d’origine étrangère représentaient en Ile-de-France 31% de la population jeune de la région, 18 % pour la France toute entière. Or il est généralement admis qu’un enfant né une année donnée devient un adulte 18 ou 20 ans plus tard. Ce qui signifie que dans quelques années, un Français sur cinq, ou davantage, sera d’origine étrangère. Cela n’ira pas sans conséquences majeures sur bien des plans.
Il est, certes, permis de considérer que ces naissances d’origine étrangère représentent un élément positif pour précisément limiter le déclin démographique de notre pays (rappelons qu’une population se reproduit à l’identique avec un chiffre de 2,1 enfant par femme). Ce qui est vrai. Mais il n’échappera également à personne qu’une mutation de société d’une telle ampleur, en fait, sans précédent historique, pose aussi un immense défi d’intégration, qui est, pour l’instant, loin d’être relevé, et un risque non moins considérable de désintégration sociale si ce défi ne l’est pas promptement et dans des conditions satisfaisantes [7].
Ceci étant, ces jeunes, ces bébés d’origine étrangère ne sont pas tombés du ciel. S’ils sont là, c’est bien parce que les Françaises d’origine n’ont pas eu assez d’enfants. Il y a donc bien eu déclin démographique en Occident, en Europe et en France aussi. Pourquoi en a-t-il été ainsi? Il faut aller au-delà des simples statistiques pour tenter de le savoir.
Les femmes, victimes ou coupables ?
Les femmes sont-elles coupables ou responsables du déclin démographique ? Un petit peu des deux sans doute. Mais ne sont-elles pas avant tout victimes, victimes de l’air du temps ?
Car on constatera un contraste frappant entre les femmes de plus de 35 ans, restées largement fidèles aux conceptions traditionnelles en matière de maternité et de natalité, et la génération, dite moderne, des moins de 35 ans, imbues des idées et pénétrées des valeurs véhiculées par les médias. Les premières restent largement attachées à la maternité alors que les secondes s’intéressent surtout à la sexualité qui en est, de nos jours, le condiment obligé. C’est la version moderne de Lysistrata [8], mise à la sauce démocratique [9] et libertaire.
Dès lors, la société ne va-t-elle par périr par les femmes qui, en trop grand nombre, et à l’instigation de certains
leaders d’opinion, refusent de donner la vie ?
A cet égard, on assiste à ce que l’on pourrait définir comme un détournement de concept. En d’autres termes, la liberté accordée aux femmes d’avoir des enfants est de nos jours essentiellement interprétée comme la liberté de ne pas en avoir. La femme devenue maitresse de son corps grâce à la contraception et à l’avortement, en est devenue l’esclave. D’où le déclin démographique d’aujourd’hui. C’est la dialectique du maître et de l’esclave.
Les femmes ont acquis la liberté, et ses aménités, sans pour autant en accepter le prix, à savoir les responsabilités sociales qui l’accompagnent obligatoirement.
Causes et principes d’une évolution des mentalités
À quoi cela tient-il donc ? A des facteurs matériels, la contraception comme on l’a vu. Mais les facteurs spirituels — ou plus exactement leur absence — ont également joué un rôle essentiel.
Sans doute et avant tout, la disparition du sens de la transcendance, à savoir, le souci de vivre au-delà du moment présent et des individus que nous sommes, est en cause ici. Or l’enfant, au sein de la famille, est précisément la seule passerelle que l’homme peut jeter entre le passé et un futur par définition inconnu, le seul véhicule inventé à ce jour pour dépasser l’instant présent et se survivre à soi-même [10]. Ajoutons au passage que s’expliquent ainsi les attaques forcenées contre l’Église catholique qui dérange, qui interpelle, qui remet fâcheusement en question les certitudes confortables et sécurisantes apportées par les médias complaisants.
A l’irresponsabilité, plus récente, de la femme, fait écho l’irresponsabilité, plus fréquente encore, de l’homme, devenu trop souvent le partenaire réticent et peu fiable dans le couple, « celui-qui-refuse-l’enfant ». Car l’enfant, surtout s’il est multiple, est gênant dans le couple, par sa seule présence, par son bruit, son coût, ses besoins et ses exigences toujours croissantes avec l’âge. Comment concilier l’enfant et les vacances au Club Med ou le voyage aux Iles Galapagos ? Ce n’est pas chose aisée dans une société hédoniste perpétuellement à la recherche de plus de commodité et de confort.
Mais ce n’est pas tout. La sacralisation du corps de la femme, omniprésent dans l’image, s’impose comme source de plaisir narcissique pour soi-même et de plaisir partagé pour l’homme, partenaire d’un instant, corps qu’il faut donc bien se garder de déformer par une grossesse intempestive.
A cela s’ajoute le travail, choisi ou subi, et la poursuite de la carrière, soucis qui priment parfois le désir de la maternité.
Pour comble, soulignons l’imposture intellectuelle qui s’empare avec le plus grand sérieux des concepts les mieux établis pour les déformer jusqu’à la caricature la plus risible. Il en va ainsi de la juste poursuite des droits de la femme poussée jusqu’à l’absurde par la négation de la différentiation biologique. La révolte de la femme contre son propre corps et ses servitudes biologiques débouche ainsi sur la notion d’un être mi-homme mi-femme, ou plus précisément, ni homme ni femme, dont l’âme, et la spiritualité, lui ont été ôtées. D’où le processus latent de déshumanisation de l’humanité qui menace l’espèce humaine tout entière.
Dans ce contexte mortifère, comment sauver la famille nombreuse, pourtant seul pôle positif, seule bouée de sauvetage dans une société qui fait naufrage dans l’indifférence ou l’autosatisfaction ? Le problème majeur de la famille nombreuse dans l’opinion publique est que son image a été fâcheusement brouillée, voire défigurée, par un amalgame trop facile avec les excès de certaines familles d’origine étrangère, notamment polygames. C’est ainsi que certains abus en matière de fraude à l’aide publique ont été complaisamment montés en épingle dans les médias [11]. Il ne sera guère aisé d’y porter remède dans le contexte juridique actuel.
Sans maternité, la fin d’une société
Tout ce qui précède débouche sur une simple et naïve interrogation : comment en est-on arrivé là ? Comment la nation qui avait émergée de la terrible épreuve de la guerre, meurtrie, mais vivace, dans les années 40, a-t-elle pu devenir cette société frileuse, égoïste, vouée à l’hédonisme dont on ne peut qu’appréhender la ruine ? Le mystère demeure entier. Comme si notre société avait secrété discrètement au fil des ans des toxines mortifères qui ont fini peu à peu par empoisonner le corps social tout entier, jusqu’à risquer de l’anéantir.
A partir de là, où va-t-on ? Eh bien, vraisemblablement nulle part. Autant regarder les choses en face. Il faut entendre par là la quasi certitude de la disparition progressive de notre société telle que nous la connaissons aujourd’hui et telle qu’elle a été patiemment façonnée au cours des siècles passés.
En effet, les phénomènes démographiques ont ceci de fâcheux qu’ils revêtent toujours un caractère inévitable, irrépressible et irréversible. C’est le Léviathan des temps modernes. Autant vouloir dresser un barrage contre le Pacifique [12]. Sauf miracle. Mais les miracles sont rares, voire inexistants en matière démographique.
Nos sociétés sont donc condamnées à disparaître à plus ou moins long terme et à laisser la place à d’autres populations plus fécondes et surtout, plus soucieuses de vivre et de survivre [13].
Un tel aboutissement répond aux vœux implicites d’une partie de nos élites tant il est avéré que notre époque est traversée par de puissants courants suicidaires [14] dont l’on trouve des manifestations multiples dans les domaines les plus divers [15].
Quoi qu’il en soit, on ne saurait mieux conclure qu’en citant le dernier ouvrage du regretté Pierre Chaunu, le grand démographe récemment disparu,
La femme et Dieu où il évoque la femme en des termes bouleversants
: « la femme, prêtresse et prophétesse, en raison de son rapport intime avec la vie et aussi avec la mort ». Et de s’interroger avec angoisse : « Voyez-vous quel est aujourd’hui le rôle de la femme dans le dialogue avec Dieu ? Le voyez-vous en ces temps où elle vient de prendre le pouvoir, puisqu’avec la contraception, elle détient seule le secret du code qui permet de transmettre la vie ? ».
Pour terminer enfin sur une note grave : « Le monde est condamné si la femme répudie son désir d’enfant ».
Notre monde n’en est peut-être plus très loin. Mais si l’espoir est humain, l’espérance, elle, est divine.