Français English Español Deutsch « La Libre Pensée : Heidegger et la découverte de la liberté comme le fondement de la vérité »
Dans La Critique de la Raison Pratique
, Kant met en relief l’inconditionnalité de la liberté en tant que
« l’origine » de toute action de façon systématique. De manière analogue, Heidegger aussi met l’accent sur l’antériorité ontologique de la liberté par rapport à la célèbre distinction métaphysique entre la théorie et la pratique dans L’Être et Le Temps
. Dans ses écrits postérieurs à cette œuvre majeure, Heidegger distingue sa conception de la liberté de celles de Kant et Schelling et va jusqu’à affirmer que
« la liberté est l’essence de l’être-dans-le-monde ». La liberté, pour Heidegger des années 1930 et 1940, est celle de son appropriation en tant que la
« vérité » de l’Être et celle de son envoi historial tout court. Toutefois, la liberté, au sens fondateur que l’œuvre de Heidegger lui confère, n’est pas celle de la réalisation d’un projet. Elle n’est pas, foncièrement, un attribut de Dasein. Elle consiste en un
« com-portement » vers les choses dans
« l’Ouverture » de leur manifestation. Un
« com-portement » qui les laisse être ce qu’ils sont et ne bloque pas leur dévoilement (ainsi que leur voilement) en les soumettant aux concepts métaphysiques tels que, par exemple,
« l’objet » de la philosophie moderne. En tant que libre
« com-portement » vers les choses dans
« l’Ouverture » de leur manifestation, la liberté, pour Heidegger, est
« l’essence » même de la
« vérité » et celle de tout questionnement philosophique.
“Free Thought: Heidegger and the discovery of freedom as the foundation of truth”
In the Critique of Practical Reason Kant stresses the unconditional character of freedom as the origin of any action. Similarly Heidegger also stresses the ontological anteriority of freedom vis-à-vis the famous metaphysical distinction between theory and practise in Being and Time. In the texts written after this major work, Heidegger makes a distinction between his own conception the freedom of being-in-the-world. Freedom for Heidegger in the 30s and in the 40s is that of its historical appropriation and dispensation. However, freedom, in its core meaning defined by Heidegger, is not that of realising projects. It is not, fundamentally, an attribute of Dasein. It stands as a com-portment towards things in the opened-ness of their manifestation. A com-portment that lets them be what they are and doesn’t block their unveiling, or veiling too, by submitting them to metaphysical concepts such as, for example, the object of modern philosophy. As a free com-portment towards things in the opened-ness of their manifestation, freedom, for Heidegger, is the very essence of truth and that of all philosophical questioning.
“El Libre Pensamiento : Heidegger y el descubrimiento de la libertad como fundamento de la libertad”
En la Crítica de la Razón Práctica, Kant pone de relieve la incondicionalidad de la libertad como « origen » de toda acción de modo sistemático. De manera análoga, Heidegger pone también el acento en la anterioridad ontológica de la libertad con respecto a la famosa distinción metafísica entre la teoría y la práctica en El Ser y el tiempo. En lo que escribió después de esta obra fundamental, Heidegger distingue su propia concepción de la libertad de las de Kant y Schelling y llega a afirmar que « la libertad es la esencia del ser-en-el mundo ». La libertad, para el Heidegger de los años 1930 y 1940, es la de su apropiación como « verdad » del Ser. Sin embargo, la libertad, en el sentido fundador que le confiere la obra de Heidegger, no es la de la realización de un proyecto. Fundamentalmente, no es un atributo de Dasein. Consiste en un « com-portamiento » hacia las cosas en la « apertura » de su manifestación. Un « com-portamiento » que les deja ser lo que son y no impide su aparición (ni tampoco su desaparición) sometiéndolas a los conceptos metafísicos como por ejemplo el « objeto » de la filosofía moderna. Como libre « com-portamiento » hacia las cosas en la « apertura » de su manifestación, la libertad, según Heidegger, es la « esencia » misma de la « verdad » y la de todo cuestionamiento filosófico.
“Das Freidenkertum: Heidegger und die Entdeckung der Freiheit als Grundlage der Wahrheit”
Die Freiheit müsse als „Ursprung“ jedes systematischen Handelns bedingungslos sein, so Kant in der „Kritik der praktischen Vernunft. Heidegger behauptet seinerseits, dass die Freiheit ontologisch allem anderen vorangeht, dies auf Bezug auf den berühmten metaphysischen Gegensatz zwischen Theorie und Praxis in „Sein und Zeit“. In seinen folgenden Werken distanziert er sich aber von Kant und Schelling was die Freiheit betrifft und sagt, die „Freiheit sei das Wesen des In-der-Welt –sein“, die Freiheit sei ein „Ver-halten“.
Haut de page Texte intégral PDF Signaler ce document 1On sait que pour un grand philosophe comme Kant, la liberté ne peut que paraître inconditionnellement pratique dans la mesure où elle est l’origine et peut-être même la non-origine de toute action. Ce que Kant appelle la «
condition de sa possibilité », son insaisissable fonte. Dès lors, faut-il vraiment s’étonner de ce qu’une analyse du concept de la liberté-comme celle que Heidegger entreprit en 1929 et poursuivit jusqu’à la publication de son célèbre livre sur la doctrine de la liberté humaine dans la pensée de Schelling en 1936 – demeure, et ceci jusqu’à la fin, une analyse de ce que Kant appelle
« la raison pratique » ?
2Pourtant les apparences ne sont pas toujours sûres et il serait hâtif de conclure que l’interprétation heideggérienne de la liberté ne nous réserve pas des surprises. Car, il faut se rappeler que le grand livre de Kant, c’est-à-dire
La Critique de la Raison Pratique, n’entend nullement restreindre le domaine de l’application du concept de la liberté à celui de la pratique humaine même si, dès son introduction, il offre l’attestation et la preuve décisives de son incontestable avènement dans celui-ci. Comme Kant le souligne :
- 1 . Kant, Kritik der praktischen Vernunft, Berlin, Walter de Gruyter Verlag, 1968.
3
« Le concept de la liberté est la pierre angulaire de tout l’édifice du système de la raison pure et même de la raison spéculative. Ceci est bien prouvé par une loi apodictique de la raison pratique elle-même » 1.
4Dans la mesure où la liberté est le principe de la cohésion du système de la raison spéculative, elle n’appartient pas exclusivement à l’un des deux domaines qui le constituent, à savoir, la raison théorique et la raison pratique. Non seulement l’action mais aussi la pensée, dans la dignité qui lui est propre selon Kant, ont la liberté comme leur source et origine commune.
5Dans
L’Être et le Temps (
Sein und Zeit), Heidegger relativise la distinction entre la pensée théorique et la pratique du
Dasein-engagés dans son monde historique – et y met en relief l’antériorité non seulement de la liberté mais aussi celle de toute l’analyse existentielle par rapport à cette distinction. Il y privilégie, évidemment, l’aspect pratique d’engagement du
Dasein avec les outils et autres éléments de sa vie quotidienne. Une vie dans laquelle le
Daseinse rapporte à ces étants en les utilisant et projetant dans le cours de réalisation de ses différents projets. Dans le monde du
Daseinqui porte la marque de son souci existentiel («
Sorge ») et dont la signification constitutive y aussi est magistralement analysé par Heidegger, ces étants ne sont pas d’entités simplement présentes car ils
« existent en vertu de ce qu’ils font ». Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles impliquant l’interruption des ses tractations soucieuses avec le monde qui l’entoure que le
Dasein enfin arrive à les regarder, quoique provisoirement, comme des choses qui demeurent purement et simplement présentes.
- 2 . Martin Heidegger, Sein und Zeit, Tübingen, Max Niemeyer, 1960.
6Pourtant, ce regard, fût-ce le plus prolongé, ne deviendra jamais un regard purement théorique détaché des soucis quotidiens du
Dasein dans son monde. En effet, Heidegger y va jusqu’à mettre en question la possibilité même de distinguer, tout simplement, le domaine de la théorie et celui de la pratique comme deux domaines étanches et radicalement distinctes. Ce n’est pas comme si, dit Heidegger,
« nous observons d’un côté et agissons del’autre ». Toute observation présuppose et constitue déjà un « souci d’engagement (
Besorgen) aussi primordialement que l’action. Laquelle a aussi sa propre façon de voir et d’observer »
2.
7Toutefois, le concept de la liberté a une valeur plutôt opérationnelle que thématique dans cette œuvre majeure de Heidegger. Elle lui fournit des vastes ressources descriptives qui s’avèrent indispensables à la caractérisation du comportement du
Dasein vis-à-vis ses diverses et constitutives possibilités existentielles. Ainsi,
Daseinest caractérisé comme
« étant libre (Freisein) pour sa plus propre potentialité de l’être » (SZ,191). Et Heidegger d’aller jusqu’à affirmer que « l’être pour la potentialité de l’être du Dasein est déterminé par la liberté »
3.
8Lorsqu’il élabore la célèbre notion de l’anticipation
(Vorlaufen) en tant que le mode authentique de l’être du
Dasein, c’est-à-dire,
être-pour-la-mort, Heidegger la décrit comme la question
« d’être libre pour sa propre mort » en tant que pure possibilité (existentielle) authentique de
Dasein. 9Bien sûr, le
Dasein peut parfaitement choisir de ne pas choisir (librement) ou ne pas choisir du tout et laisser dicter son choix par ce que Heidegger appelle la manière inauthentique d’être de
« l’on». 10Il n’en résulte pas moins que la liberté à la fois présuppose et exige sa propre doublure, c’est-à-dire, qu’elle signifie non seulement être libre mais aussi être libre pour sa propre liberté. Comme d’autres traits existentiels fondamentaux qui participent à la constitution de
« l’être-là » du
Dasein, la liberté se rapporte à l’éclaircissement d’un espace et à l’ouverture d’un monde chargé du sens pour
Dasein où différents étants se manifestent et se dévoilent. La liberté s’imbrique et participe à l’occurrence de
l’Ouverture («
Erschlossenheit ») d’un monde qui est indifférent à la distinction entre la théorie et la pratique. Une
Ouverture dont dépendent à la fois la théorie et la pratique.
- 4 . Martin Heidegger, Metaphysiscche Anfangsgrunde der Logik, GA 26, Frankfurt am Main, Vittorio Klost(...)
- 5 . Martin Heidegger,Vom Wesen des Grundes, Wegmarken GA 9, Franfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1(...)
- 6 . Martin Heidegger, Wegmarken.
11Dans les cours et conférences postérieures à
Sein und Zeit, la liberté acquiert une signification nettement plus thématique dans la pensée de Heidegger jusqu’à ce qu’il en arrive à affirmer que
« être-dans-le-monde n’est rien d’autre qu’être libre » 4. Plus précisément, dans les écrits et cours de la période 1929-1930 ces développements se voient consolidés au point que dans un texte important de l’année 1929,
Sur l’Essence du Fondement (Vom Wesen des Grundes) 5, la liberté est définie comme le mouvement du passage au-delà des étants qui permet à un monde du sens de prévaloir, un monde où les entités viennent se présenter. Mais, c’est surtout dans le célèbre texte datant de 1930, l’année que Heidegger qualifiera plus tard comme marquant le début d’une critique immanente du
Sein und Zeit et d’une tentative de formulation (
« Fragestellung ») plus originelle (
« Ursprünglich ») des ses questions, à savoir,
L’Essence de la Vérité (Vom Wesen der Wahrheit) 6 que Heidegger radicalise le centrage thématique de la liberté en y pensant la liberté comme l’essence même de la vérité. Il faut souligner le fait que ce texte fut d’abord présenté comme une conférence en 1930 et ensuite modifié et représenté plusieurs fois avant sa publication définitive en 1943.
12Il s’agit d’un texte singulier de Heidegger dans la mesure où non seulement l’essence de la vérité mais aussi le sens même du vocable «
essence » dans son titre y sont mis en question. Heidegger y analyse la conception commune et courante de la vérité comme correspondance, concordance et justesse. La correspondance en question ici est celle d’une chose avec sa préconception opérationnelle et d’un énoncé avec l’objet de son énonciation. Pareille correspondance est, d’ailleurs, ce qui rend juste et vraie toute assertion. Elle est commune à tout ce que l’on peut qualifier de vrai.
13Prenant le sens de l’essence de la vérité comme celui de cette qualité commune à tout ce qui est vrai (
« »)
, on pourrait dire que l’essence de la vérité est la correspondance et l’accord entre l’énoncé et son objet.
14Or, Heidegger vise à déstabiliser cette conception commune et traditionnelle de l’essence de la vérité en mettant en relief sa dépendance à l’égard de la détermination médiévale de la vérité en tant que «
adequatio rei et intellectus ». Laquelle, à son tour, dépend de la conception médiévale et hautement «
métaphysique » de l’Être en tant que présence continue de la chose dont l’ultime fondement est l’étant-chose suprême ou «
Dieu ».
15En y posant la question de savoir ce qui signifie, fondamentalement, la correspondance qui constitue l’essence de la vérité, Heidegger entend radicalement approfondir le caractère spécifique de l’énoncé que l’on qualifie habituellement de vrai.
16En quoi consiste, demande Heidegger, la justesse d’une juste correspondance et la vérité d’un énoncé vrai ? La réponse la plus directe à cette question ne se trouve non pas dans la version modifiée de 1943 mais dans la version originale de 1930 où Heidegger affirme que
« c’est puisque un énoncé est une façon de se comporter qu’elle peut s’accorder à quelque chose » et être
« vrai ». Ceci veut dire qu’un énoncé peut s’accorder et correspondre à quelque chose dans la mesure où il n’est pas lui-même une chose comparable à cette autre chose, très différente, dont il parle mais plutôt un
com-portement vis-à-vis d’elle.
17Un
com-portement étant une manière pour l’énoncé de se tendre vers, d’entendre et de s’entendre avec la chose. Plus précisément, un énoncé qui correspond à cette chose, un énoncé vrai, dit Heidegger, est un
com-portement qui la présente telle qu’elle est. La question qui surgit inévitablement est de savoir ce qui permet à un énoncé vrai de se
com-porter de telle manière vers la chose pour qu’il puisse la dire et présenter comme elle est. Mais quelle est, comme le formulerait Kant, sa
« condition de possibilité » ? La réponse de Heidegger est à la fois simple et rigoureuse. Il faut que la chose se montre dans une région ouverte où l’énoncé, le
« com-portement verbal », puisse se soumettre à elle et recevoir ses critères d’elle afin de pouvoir la dire comme elle est dans sa
« vérité ».
18Le
com-portement devra être ouvert vers la chose et la laisser lui donner sa mesure. Autrement dit, c’est
« l’ouverture du com-portement » pour l’énoncé qui rend possible la correspondance entre lui et la chose. C’est elle qui détermine «
la vérité » de l’énonciation de l’énoncé. Heidegger conclut que c’est rien moins que cette
« ouverture du comportement » qu’il faudrait considérer, dans un sens plus originel, comme
« l’essence de la vérité ». 19Mais, peut-on toujours demander, quel est le fondement de
« l’ouverture du comportement » qui, on l’a dit, est aussi celle de tout énoncé vrai ? Qu’est-ce qui la rend possible ? Qu’est-ce qui donne à un énoncé son
orientation, dans
« l’ouverture du comportement », vers la chose dont il parle ? Comment concevoir la pré-donation de son orientation vers la chose, la pré-donation qui l’oriente ? Cette pré-donation ne peut être reçue, dit Heidegger, que si « elle est déjà entrée librement dans la région qui est ouverte pour la chose ».
- 7 . Martin Heidegger, Vom Wesen der Wahrheit, Wegemarken, 185f.
20Une région où la chose s’ouvre. Qui domine en liant entre elles toutes les présentations. Un libre attachement à la chose n’est donc possible que lorsque l’on est libre («
Freisein ») pour ce qui s’ouvre («
zum Offenbaren ») dans la région ouverte. Être libre de cette manière met en relief l’essence, jusqu’à ici incomprise, de la liberté. L’ouverture du com-portement en tant que la condition de la possibilité de la correspondance et de l’exactitude a pour fondement la liberté. L’essence de la vérité est la liberté »
7.
21Conçu en tant que son fondement, c’est-à-dire, sa «
condition de possibilité », la liberté s’avère être «
l’essence » même de la vérité.
22Pourtant, rien ne semble, à première vue, si radicalement étranger et dissemblable à la vérité que la liberté. Il est crucial ici de distinguer entre la liberté, non-restreinte, de celui qui formule l’énoncé sur la chose et la liberté en tant que
« l’essence de la vérité ». Car il ne s’agit nullement de soumettre la vérité aux caprices des hommes et il n’y est pas question non plus de distinguer, comme le ferait toute métaphysique, entre la pure essence d’une vérité
« transcendantale » et la sphère de ce qui est humain et semble (au sens commun) diamétralement opposé à la vérité. En effet, la plus étrange conclusion de l’analyse de Heidegger est que la liberté fondatrice de la vérité n’est pas celle des hommes. Elle n’est pas à concevoir comme un attribut de l’être humain. Mais alors en quoi consiste-t-elle ? Il serait certainement plus aisé de préciser ce qu’elle n’est pas car dans cette même période Heidegger tâche de distinguer sa nouvelle et insolite conception de la liberté des ses formulations traditionnelles comme, par exemple, celles de Kant ou de Schelling. Il distingue le concept schellingien de la liberté, un concept unique, de toutes les conceptions traditionnelles ainsi que de la sienne propre. Pour Schelling, la liberté est la capacité («
Vermogen ») pour le bien et le mal. En revanche, pour Kant la liberté est pensée comme la libre auto-détermination de celui qui se donne, librement, la loi gouvernant son action à partir de son propre essence, autrement dit, l’auto-détermination en tant que libre législation et gouvernement rationnel de soi.
23Conçu comme être libre pour la réception de ce qui vient se présenter dans
l’Ouverture et oriente l’énoncé, Heidegger conçoit la liberté fondatrice de la vérité comme une liberté orientée certes, une liberté pour, mais non pas pour quelque chose de particulier. Elle n’est pas la liberté d’entreprendre une action particulière sur la chose. Elle est plutôt la liberté pour toutes les choses comme telles, pour
l’Ouverture même qui leur permet de venir se présenter en s’y liant ouvertement. Dans un sens, elle est aussi une forme de l’auto-détermination (au sens de Kant) mais une auto-détermination en vue de la soumission à la manifeste ouverture des choses. Heidegger la conçoit comme la liberté de laisser être les étants comme ils sont («
das Seinlassen von Seiendem »). Il déclare que pareil laisser être des étants ne relève pas de l’indifférence ou de la négligence à leur égard. Une petite note en marge de ce texte précise que cette liberté ne doit pas être conçue négativement mais comme une sorte de
« donation-préservation » qui
« laisse ce qui est présent se présenter sans imposer ou interposer autre chose. » Elle est donc une sorte de libre engagement dans la région ouverte pour la chose (l
’Ouverture) qui permet aux choses de se tenir dans leur manifeste ouverture, c’est-à-dire, être ce qu’elles sont dans leur
« vérité ».
24Mais, dès lors, que faut-il penser de la question de la vérité en philosophie ?
25Heidegger pense la
« vérité » de la manifestation des êtres et de leur venue à la présence comme un jeu complexe entre leur dévoilement («
Unverborgenheit ») et leur voilement («
Verborgenheit ») dans
l’Ouverture. Ces deux possibilités sont indissociables et contemporaines. Pour Heidegger, poser la question de ce jeu de la libre venue et dérobade à la présence des êtres signifie rien moins que se libérer, enfin, de l’errement (caractéristique de toute l’histoire de la philosophie occidentale) qui consiste à laisser éclipser son mystère sous l’empire des conceptions métaphysiques telle que, par exemple, l’objectivité de l’objet. Un objet dont le sujet de la philosophie moderne se doit de configurer, c’est-à-dire, maîtriser la «
vérité » objective en tant que l’ultime fondement (
« Grund »--«
Subjectum ») de toute pensée. Un sujet qui, de surcroît, est lui-même la condition hautement conditionnée (sur les plans ontologique et historique) de la possibilité de la
« découverte » de la
« vérité ». Laisser les choses être ce qu’elles sont sans s’interposer par le biais des concepts métaphysiques, c’est, d’abord, ne plus vivre dans une exposition voilée au mystère de leur dévoilement dans
l’Ouverture.
26C’est se libérer pour la question que pose (et qui est) leur manifestation.
27Une question qui est aussi celle de la vérité en philosophie, la question de «
l’Être » en tant que telle. C’est pourquoi pouvoir dire la chose «
justement » et formuler un énoncé
« vrai » sur elle, c’est assumer – résolument et sans rendre compte à une quelconque autorité métaphysique ou doctrinale – la liberté du questionnement de la libre pensée qui constitue l’essence même de la philosophie