libéralisme aujourd'hui : Libéralisme ou social-libéralisme?
La notion de justice sociale est-elle compatible avec le libéralisme?
Textes de Benjamin ConstantTextes de Friedrich HayekTextes de John Rawls
Textes d'Amartya Sen
3-1 La critique de la position sociale-libérale de Stuart-MillLa position social-libérale de Mill rencontre une grande difficulté: celle de faire de l'état un régulateur nécessaire de l'économie libérale, afin de préparer les conditions d'un hypothétique stade ultime, stationnaire et harmonieux de l'histoire humaine, alors que ce stade lui apparaît contraire à le dynamique même de la liberté d'entreprendre en vue de profit individuel qui définit la logique de l'économie de marché capitaliste et que, selon lui, l'état ne peut prétendre diriger l'économie libérale sans devenir nécessairement tyrannique. Devant un telle difficulté Mill est tenté par la fuite dans le rêve finaliste d'une humanité supérieure, acquise à la recherche d'un bonheur général spiritualisé aux dépens du bonheur matériel de l'enrichissement illimité. Cette humanité ne verrait plus dans l'économie marchande elle-même le cadre essentiel de la vie sociale et relationnelle des individus et de leurs désirs mutuels de reconnaissance. Il fait bien souvent recours à l'idéal chrétien de l'amour universel et altruiste sans, afin d'assurer cet optimisme, avoir la ressource de l'espérance que produit la révélation religieuse. On peut donc dire que Mill tente de jeter les bases d'un christianisme non religieux , ce qui est confirmé par ses références constantes au christianisme authentique des origines qu'aurait trahi le christianisme historique et despotique (intolérant). La position de Mill revient donc à reprendre à son compte l'idéal eschatologique du salut de l'humanité pour l'inscrire dans une perspective libérale et séculière. Il emprunte semble t-il à A.Comte cette vision d'une religion positive et immanente possible du salut de l'humanité, à la différence qu'il ne souhaite nullement fonder une nouvelle église pour la promouvoir. Or on voit mal comment une société de marché dans laquelle les individus poursuivent des buts égoïstes, même mutualisés, pourrait se convertir en société réconciliée et altruiste sans intervention divine transcendante (supérieure à l'humaine condition) ou soumission à une autorité morale et politique immanente (une église ou un parti politique hégémonique) qui aurait le pouvoir de l'incarner. Une société religieuse sans religion ni églisedominantes, voire exclusives, et sans culte obligatoire peut à juste titre nous apparaître comme une espérance impossible car contradictoire.
On peut donc faire à Mill la même critique que l'on a pu faire à certains socialistes idéalistes : croire que l'on peut changer les hommes par la puissance d'idées généreuses et qu'il faut penser l'histoire humaine du point de vue de ce que doivent être ou devenir les hommes et non de celui qui définit ce qu'ils sont à savoir nécessairement égocentriques dans le recherche, même partagée, du bonheur ou contentement de soi. Il convient donc plutôt de compendre ce qu'ils peuvent faire de ce qu'ils sont en vue d'entretenir avec les autres des relations plus pacifiques et libérales de coopérations.
Une telle attitude moralisante qui juge de l'histoire selon une vision utopique des hommes s'appelle de l'idéalisme et nous savons d'expérience qu'à vouloir changer radicalement les homme en un sens utopiquement moral (contraire à toute réalité existante ou réalisable), on aboutit toujours à la contrainte extrême religieuse (terreur divine) ou politique et policiere (totalitarisme révolutionnaire). Kant déjà remarquait qu'il était impossible de faire des battons droits dans le bois aussi tordu dont les hommes sont faits et que toute éducation soulevait le problème de savoir qui pouvait éduquer les éducateurs du point de vue d'un idéal qui était si contraire à la réalité vécue et à l'éducation réelle qu'ils avaient eux-mêmes reçus; n'oublions jamais en effet que l'on éduque d'abord par l'exemple et non par des discours aussi généreux soient-ils, car dès lors que ceux-ci ne correspondent plus aux comportements réels des éducateurs, il perdent toutes crédibilité et non seulement n'éduquent plus dans le sens de l'idéal mais au contraire favorise les comportement exclusivement égoïstes; dans de telles conditions la morale ne peut alors s'imposer que pas la terreur qu'exercent les prétendus éducateurs sur ceux qu'ils ont ou qu'ils se donnent ou qu'on leur donne pour mission d'éduquer. Mais une telle terreur est pas essence anti-éducative; il suffit en effet qu'elle soit levée ou que celui qui l'a subie croit qu'elle est défaillante pour que le pire s'affirme sans limite, ni règle, c'est à dire que les mal-éduqués, sinon les mal élevés seraient alors tentés de faire la plus mauvais usage de la (pseudo) liberté ainsi recouvrée. À prétendre forcer les hommes à être des anges on a toute chance de les transformer en brutes égoïstes exclusives et violentes.
Retenons de la critique de ce rêve de Mill (et dans un autre contexte philosophique communiste de Marx) que l'idée de société harmonieuse, c'est à dire sans inégalité ou conflits sociaux ou de classe, suppose des valeurs communes incontestées fondatrices d'une volonté générale susceptible d'être incarnée par un état investi de la mission de les formaliser et de les faire respecter, sinon de les imposer. Or une telle communauté de valeurs est impossible dans une société libérale qui reconnaît le droit des individus à penser et à s'exprimer éventuellement contre les idées de la réalité sociale (ce qu'elle semble être) et les valeurs dominantes (ce que doit être la vie sociale) et à entreprendre dans le domaine économique réglé par le libre marché concurrentiel.
Chacun sait, en effet, que la compatibilité entre la liberté et l'égalité ne va pas de soi, pas plus que l'affirmation de l'autonomie individuelle ne l'est avec celle de la solidarité collective; chacun sait que les compromis entre ces valeurs, d'autant plus opposées qu'elles sont interprétées et instumentalisées, dans le réalité, par des intérêts en conflit entre possédants et non-possédants , riches et pauvres, dirigeants et dirigés, employeurs et employés sont toujours discutables et nourrissent les divisions politiques, voire éthiques et religieuses ; de tels compromis ou hiérarchie entre les valeurs et leur interprétations concrètes sont donc toujours problématiques dans une société qui se reconnaît comme démocratique, objectivement divisée et idéologiquement pluraliste. Une telle définition de la volonté générale ou commune assortie d'une conception de l'état central chargé de l'incarner risque donc toujours de légitimer telle ou telle forme de tyrannie, fut-elle à forme démocratique; ce que Tocqueville appelait le tyrannie douce de la majorité, douceur qui ne l'a rend pas moins tyrannique, mais plus, dès lors qu'elle s'impose d'autant plus qu'elle paraît plus légitime.
3-2 Benjamin Constant, critique de Rousseau et fondateur du libéralisme moderneDéjà Benjamin Constant, le plus grand penseur libéral français du XIXème siècle (1767-1830), avait instruit dès 1815, le procès de la vision rousseauiste de la souveraineté populaire et de la volonté générale. L'idée même de souveraineté populaire peut-être source de menace pour les libertés individuelles. Celle-ci en effet est affirmée par Rousseau comme devant s'imposer sans restriction aux intérêts particuliers par la médiation de magistrats qui sont chargés de l'appliquer sans aucun contrôle, ni limite. Mais il ne convient pas, pour B.Constant, d'en faire reproche à ces derniers ni même à la forme monarchique ou représentative de gouvernement , car cette dérive relève de l'idée même de volonté générale et de souveraineté populaire "absolue", c'est à dire sans limite légale suffisante visant à préserver les droits individuels vis-à-vis de l'intérêt commun ou bien de l'état ou de la majorité qui s'arroge le monopole de sa définition. Rousseau, en effet, fonde la contrat social sur
"l'aliénation originaire par chaque individu de tous ses biens et de tous ses droits à la communauté" en vue d'éradiquer toute forme d'inégalité antérieure, qu'elle soit naturelle ou historique; si celui-ci récupère des droits et des biens par la suite, il ne le doit qu'à l'état et selon des formes et dans des limites décidées par lui en tant que ce dernier incarne la volonté générale expression de la souveraineté (au moins majoritaire) du peuple. Il n'y a pas chez Rousseau de droit humain indépendant des droits des citoyens: chacun, dans une société juste, doit être entièrement soumis, dans ses droits, à la loi générale égalitaire telle qu'elle s'exprime par la voie du scrutin majoritaire sous forme de volonté générale qui, en elle-même ne peut errer, bien que son expression puisse être pervertie par des mouvements erratiques de l'opinion majoritaire passionnelle des électeurs, dès lors que la société est ou reste peu ou prou inégalitaire. Tous les attributs du souverain qui
"en tant que corps social ne peut nuire à chacun de ses membres" et par lesquels chacun se donnant à tous nul ne se donne à personne ne sont effectifs que si le souverain délègue ce pouvoir à une minorité qui seule peut faire usage de la force, à savoir les membres de l'état ou le prince et l'égalité théorique qui fonde le contrat social disparaît alorsdans la pratique même du pouvoir étatique d'autant plus absolu qu'il se réclame de l'autorité, réelle ou supposée, de la volonté générale ou majoritaire que seul il peut prétendre incarner . L'état est alors (le) tout et les individus souverains en tant que citoyens contractants, ne sont plus rien en tant que membres ou sujets de l'état face à son autorité instituée comme juridiquement transcendante.."Le peuple a écrit Rousseau est souverain dans un rapport et sujet sous un autre" ; dans ces conditions lui répond B.Constant "Il est facile à l'autorité d'opprimer le peuple comme sujet pour le forcer à manifester comme souverain la volonté qu'elle lui prescrit ". Nous avons là par anticipation une critique tout à fait pertinente du totalitarisme des soi-disant ex-démocraties populaires lesquelles ne manquaient pas de se réclamer de l'exigence d'égalité non seulement de Marx mais aussi (et peut-être surtout) de Rousseau pour justifier l'absence de liberté individuelle sur tout les plans: en l'absence de toute liberté politique et de penser, l'état au nom d'une volonté générale dont il s'arroge l'usage monopolistique soumet le peuple à un régime despotique qui exclut par principe les opinions et intérêts particuliers et pluriels des individus à l'exception de ceux des dirigeants. Un tel état ne peut tolérer aucun pouvoir ni aucune initiative individuelle , en particulier sur le plan économique lequel détermine la vie sociale et les rapports sociaux. Un tel état est donc tenté de s'approprier toutes les sources possible de richesse et de pouvoir aux dépens de l'initiative individuelle et de ce fait prépare une économie fonctionnarisée totalement incapable de satisfaire aux désirs et aux besoins des individus consommateurs, mais génératrices de dirigeants dont le pouvoir fusionne l'autorité politique et économique pour ne rien dire de l'autorité juridique et qui de ce fait ne connaît plus aucune limite. Un tel pouvoir, nous ne savons d'expérience, ne peut qu'ouvrir la porte à la corruption généralisée.
Ainsi la position de Rousseau, apparemment libérale dans le domaine législatif, puisqu'elle reconnaît la souveraineté de peuple pour décider des lois, ne l'est, selon B.Constant, ni en ce qui concerne du pouvoir exécutif qui reste l'apanage des magistrats qui pourraient ne pas être élus mais nommés à vie et dont les décisions échappent au pouvoir et au contrôle populaire qui ne concerne que les lois dans leur généralité mais non dans leur mise en application particulière, ni sur celui du pouvoir judiciaire, pour le même motif. De plus Rousseau refuse un principe essentiel du libéralisme politique, celui de la liberté d'organisation politique des citoyens et de la représentation parlementaire sous le motif qu'elles mettraient en danger l'égalité entre les citoyens et surtout le souci par chacun d'eux de l'intérêt général au profit des intérêts particuliers des partis et des députés, ne serait-ce que de leurs intérêts de pouvoir. Une telle représentation ferait donc selon lui capoter l'expression(mais non pas sa réalité) d'une volonté authentiquement générale. Enfin , l'exigence de préserver l'égalité réelle entre tous les citoyens, au regard du droit individuel à la propriété que Rousseau considère comme une condition de l'autonomie citoyenne, fait de l'état et des magistrats les contrôleurs suspicieux et incontestables, sinon les décideurs, d'une l'économie qui doit rester strictement frugale et égalitaire. Autant dire que pour B.Constant la liberté politique à pour condition nécessaire (bien que non suffisante) la liberté économique et vice-versa. Au point même que pour lui citoyenneté et propriété sont indissociables dans la mesure ou, comme chez Rousseau, un prolétaire (qui ne possède rien) ne peut être une citoyen autonome dès lors qu'il n'aurait pas d'intérêts propres à défendre. B. Constant distingue en effet deux conceptions de la liberté, plus ou moins exclusive, celle des anciens et celle des modernes.
- La première (celle des anciens) consiste, pour les citoyens, à exercer collectivement et directement plusieurs parties de la souveraineté ppolitique, mais fait d'eux des esclaves dans tous ses rapports privés.
"Comme citoyen, il décide de la paix, de la guerre et des lois, mais comme particulier, il est circonscrit, observé et réprimé dans tous ses mouvements". même lorsqu'il a, comme citoyen, le pouvoir de destituer les magistrats et de les bannir, voire de les mettre à mort, comme soumis au corps collectif il peut être à son tour "être privé de son état, dépouillé de ses dignités, banni, mis à mort" au nom du bien commun et de la volonté dite générale. Rousseau ne dit-il pas qu'
"il faut (l'état comme pouvoir exécutif doit) forcer les hommes à être libres"! L'individu soumis entièrement à la communauté à laquelle chacun a l'obligation de participer comme citoyen telle la liberté des anciens. La position de Rousseau appartient entièrement à cette vision archaïque de la liberté.
- La seconde (celle des modernes), sur fond de rapports marchands dominants (doux commerce) et non plus de rapports hiérarchiques statutaires ou rapports de force violents (la guerre) ,
"l'individu, indépendant dans la vie privée" (en particulier dans le domaine économique en tant que propriétaire de ses biens), "même dans les états les plus libres, n'est souverain qu'en apparence" et si à époques fixes (au moment des élections) , mais rares, durant lesquelles il est encore entouré de précautions et d'entraves, il exerce cette souveraineté, ce n'est jamais que pour l'abdiquer". Dans ces conditions, fondée sur la vision marchande donc individualiste de la liberté, la vie privée doit l'emporter sur la vie politique dans les activités ces individus. "Que le pouvoir s'y résigne donc, s'exclame B.Constant, il nous faut la liberté et nous l'aurons; mais comme la liberté qu'il nous faut est différente de celle des anciens, Il faut à cette liberté une autre organisation que celle qui pourrait convenir à la liberté antique.
"De là, ajoute-t-il vient le système représentatif" qui n'est autre que que
"l'organisation à l'aide de laquelle une nation" d'individus privés "se décharge du souci des affaires publiques sur une minorité" que, dans le meilleur des cas, elle élit régulièrement pour cela.
Or si la liberté des modernes est préférable et plus adaptée à la vie des individus pourvus de droits individuels inviolables, dont le droit de penser et d'entreprendre dans le domaine économique et marchand, elle n'est pas exempte de dangers :
le premier d'entre eux qui entraîne les autres, est celui qui ferait que les individus renoncent à trop facilement à leur droit de partager le pouvoir politique au profit de la jouissance de l'indépendance privée. Donc à sacrifier leur droit (et leur devoir) politique à la poursuite de leur bonheur personnel. Or celui-ci ne permet pas de progresser intellectuellement et moralement; il rend l'individu limité dans ses facultés cognitives et égoïste exclusif sur le plan éthique. La liberté politique soumettant à tous les citoyens, sans exception, l'examen et à l'étude de leurs intérêts sacrés (disons mutuels et collectifs), sinon communs, agrandit leur esprit et anoblit leurs pensées (traduisons: les rend plus raisonnables). Il convient donc que les citoyens soient éduqués par la politique (éducation civique dirions nous aujourd'hui) à la réflexion politique, ne serait pour comprendre en quoi leurs intérêts privés sont tributaires de lois et règles collectives qui en sont les conditions de possibilités. Il faut donc, sur le plan de l'éducation éthique, apprendre à combiner la liberté des anciens avec celle des modernes, sans pour autant nous rallier à l'exigence rousseauiste de sacrifier la seconde à la première.
Le caractère spécifique, pour B. Constant, par lequel la société moderne limite l'arbitraire de l'état, voire le rend impossible, est le développement autonome de l'économie marchande et de la propriété et du crédit privés qui font perdre à la puissance proprement politique un des ses instrument essentiels de contrôle des motivations et des comportement individuels; cela n'entraîne du reste pas la violence car les échanges marchands pour se poursuivre exige la confiance et donc leur auto-régulation non-violente égalitaire (droit commercial) que l'état moderne lui-même est obligé de formaliser par la loi et de garantir (le doux commerce cher à Montesquieu): on ne peut emprunter ou commercer avec qui on traite en ennemi ou que l'on vole ou escroque.. Dans une société où les principaux rapports entre des individus, qui ne se connaissent pas forcément entre eux, sont commerciaux et contractuels, l'intérêt individuel (donc la liberté des modernes) prend nécessairement le pas sur la communauté religieuse ou politique, de proximité et d'allégeance, pour constituer le lien social et la vie avec les autres dans le cadre de la société globale.
Non seulement pour notre auteur la liberté des anciens est condamnable, elle serait , dans le cadre économique de la société moderne génératrice d'une violence pire que dans le sociétés précédentes, dès lors qu'elle devrait s'opposer frontalement à l'idée que les individus se font massivement, dans l'économie et la société, de leurs droits individuels. Un tel pouvoir ne pourrait plus prétendre incarner une quelconque volonté générale et devrait la détruire et/ou la formater par la terreur extrême pour s'imposer, tout en abolissant l'économie marchande. (totalitarisme) Ce que Rousseau refusait justement, c'est la logique d'une société marchande de progrès infini de production des richesses et des échanges qui, selon lui, ne pouvait aboutir qu'à la démoralisation de l'idée de communautaire de contrat social dont il rêvait su le modèle mythique des anciens ou plus encore des micro-sociétés tribales primitives.. En cela la position de Rousseau est cohérente: pas de société égalitaire possible sans une soumission illimitée des intérêts individuels à une volonté générale qui prétend transcender les volonté particulières, mais qui toujours confie un pouvoir réel sans limite à ceux, particuliers, qui l'exercent.
الجمعة فبراير 26, 2016 6:38 pm من طرف فدوى