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 Le libéralisme peut-il être social?

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جنون
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جنون


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Le libéralisme peut-il être social? Empty
26022016
مُساهمةLe libéralisme peut-il être social?

Chez nous, non sans raison, le terme, est souvent confondu avec l'expression « ultra ou néo-libéralisme », il est alors synonyme de capitalisme sauvage et injuste, car il fait de la liberté d’entreprendre des seuls détenteurs des capitaux la source d'un profit personnel, aux dépens de l'intérêt des salariés, alors qu’aux USA le terme est connoté à gauche ; il désigne le courant culturel et politique qui fait de progrès social favorable à tous (bien commun) et des libertés les conditions de la liberté individuelle. Or, si on se rapporte à l’origine philosophique du terme c’est à l’évidence le sens nord américain qui s’impose car le libéralisme est une invention conceptuelle issue de la philosophie des Lumières contre les formes conservatrices traditionnelles-religieuses et inégalitaires  du pouvoir sociétal pour promouvoir un progrès politique, social et culturel favorable à tous. Ma thèse sera ici de montrer en quoi cette équivoque dans l'usage du terme de libéralisme procède d’un véritable détournement de sens visant à présenter les progressistes comme des ennemis de la liberté, comme des anti-libéraux, voire des totalitaires, voulant asservir les individus à la toute puissance de l’état prétendument plus juste; ce détournement aurait pour but de faire consentir au plus grand nombre, au nom d'une liberté illusoirement présentée comme celle de tous et de progrès économique général, les mesures les plus anti-sociales d’un capitalisme dérégulé.
Mais ce détournement est pire encore, dans ses effets politiques, lorsque les progressistes le reprennent à leur compte pour dénoncer le libéralisme en général en oubliant son sens politique et philosophique authentique. Le but de mon intervention sera donc de rétablir ce sens originaire afin de redonner au libéralisme ses lettres de noblesse progressistes et d’opposer au pseudo-libéralisme, non un anti-libéralisme économique étatiste politiquement dommageable (tous les totalitarismes se sont réclamés de l’anti-libéralisme), mais un authentique libéralisme au sens progressiste et social du terme. Il s'agira pour moi de montrer en quoi ce détournement est philosophiquement fallacieux et politiquement dangereux. Ainsi je serai conduit à m'interroger sur la possibilité d'une relation plus apaisée, sinon démocratiquement moins conflictuelle, entre le libéralisme politique et le libéralisme économique qui fasse droit à un libéralisme social plus juste que celui que l'on présente, pour le refuser à bon droit, comme néo ou ultra-libéral et qui ne serait en réalité alors que le forme d'une dictature politico-économique sans partage, donc despotique du capital sur le travail et sur la vie économique et sociale.
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[*]Du despotisme au libéralisme politique


[*]Du libéralisme économique au libéralisme politique (A.Smith/ J.Stuart-Mill/J.Rawls)


[*]De la critique de l'étatisme économique à l'ultra libéralisme (F. Hayek)


[*]De l'ultra-libéralisme au social-libéralisme (A.Sen)


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1 Du despotisme au libéralisme
La rupture qui couvait depuis la renaissance entre la tradition poltico- religieuse de l'homme et de la société et les valeurs libérales s' affirme sous des formes diverse à partir du XVIIèmeet XVIIIéme siècle. On peut résumer ce renversement des valeurs de la manière suivante :
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[*]Sur le plan personnel : l’obéissance à Dieu s’estompe au profit de la recherche du bonheur personnel ici-bas. D'abord chez les élites sociales et culturelles et dans la bourgeoisie en particulier intellectuelle et commerçante


[*]La peur de l'enfer dans l'au-delà ne suffit plus à faire accepter les sacrifices, voire à justifier les souffrances , les frustrations et la domination de l'homme par l'homme


[*]Le désir, comme recherche du plaisir par chacun s'impose comme la seule finalité raisonnable, c'est-à-dire humaine, de l'art de vivre. Au point que Saint Just a pu affirmer en 1794 , devant la convention : que « l'idée de bonheur devenait une idée neuve en Europe »


[*]Sur le plan politique : Les droits de l'homme comme droit des individus à rechercher librement leur bonheur dans le respect du droit des autres et donc de l'utilité commune devient le fondement de l'ordre social légitime, sans avoir à se soumettre au droit divin. C'est ce que l'on appellera « l'humanisme des Lumières »


[*]Les hiérarchies traditionnelles statutaires sont remises en question au profit de l'égalité des droits humains


[*]Le pouvoir politique trouve sa légitimité non plus dans la religion, mais dans un contrat social entre les citoyens qui le soumet à la finalité du bien commun décidé en commun sous la forme de la loi égalitaire , à laquelle tous doivent se soumettre, à commencer par les puissants, loi décidée sous des formes plus ou moins démocratiques. Le pouvoir juste vient d'en bas et tout pouvoir politique qui prétend s'imposer de haut en bas devient arbitraire et despotique. Même la monarchie doit devenir constitutionnelle, à savoir se soumettre à l'expression des citoyens et à un contrat social. Ainsi Saint- Just a -t-il pu affirmer que « le peuple n'a qu'un ennemi potentiel : le gouvernement »


[*]Sur le plan économique : la recherche égoïste du profit personnel sur la base de la propriété privée des moyens de production et d'échanges et de sa force de travail apparaît comme nécessaire au bien-être général et à la liberté de chacun dans sa recherche du bonheur. Tout échange doit devenir potentiellement égalitaire dans le cadre d'un marché rendu concurrentiel qui fait de la compétition entre les producteurs et du libre choix des consommateurs la forme optimale du progrès et de l'enrichissement de tous.


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2 Le libéralisme économique comme condition du libéralisme politique
2-1 Du principe libéral de la concurrence comme principe idéal de justice selon Smith
Pour A. Smith, le marché et la libre concurrence sont des facteurs contraignant d’égalisation. En effet ils détruisent nécessairement  les hiérarchies et les statuts traditionnels figées. En faisant de chacun  un consommateur capable de choisir son fournisseur selon son intérêt mesuré en terme de coût/qualité, le marché concurrentiel détruit le rapport monopolistique qui assure la suprématie des producteurs aux dépens du plus grand nombre : les consommateurs. Au contraire, le marché concurrentiel assure le primat de la demande sur l’offre. La libre concurrence  interdit à un producteur de prétendre rendre captive une clientèle à son profit car aussitôt il serait victime de la défection de ses clients au profit d’un concurrent ; Du coté de la production, la force de travail étant elle aussi  une marchandise (et là c’est l’employé qui est vendeur et le capitaliste l’acheteur) s’échangeant librement contre salaire sur le marché de l’emploi concurrentiel, chaque employé, est a priori capable de s’adapter à ce marché de telle sorte qu’il ne peut en être exclu et encore moins être tenu à travailler pour tel ou tel employeur à des conditions qu’il refuserait. S’il est soumis à la concurrence des autres et en cela ne peut prétendre avoir un place privilégiée ou protégée aux dépens des autres, il ne peut non plus être victime d’un quelconque ostracisme extérieur ou d’une situation imposée de dépendance qui lui interdirait toute liberté de manœuvre et la possibilité de la défection. S’il ne réussit pas dans ce conditions il ne peut alors que s’en prendre qu’à lui-même. Ainsi le marché concurrentiel agit comme un automatisme autorégulé (main invisible) qui produit nécessairement l’ajustement  entre l’offre et la demande au profit de la satisfaction optimale des producteurs, des consommateurs, des employeurs et des employés, c’est à dire de tous. Il est anti-corporatiste et anti-protectionniste et par là permet à chacun de faire valoir dans les rapports de production comme dans les échanges (les rapports de distribution) son autonomie et ses intérêts propres, en l’obligeant à se soucier des intérêts d’autrui ; il réalise sur le plan économique et par le simple jeu de l’intérêt, l’impératif non plus idéalement catégorique mais hypothétique, et par là d’une manière encore plus réellement contraignante, de ne jamais prendre autrui comme seul moyen de son action mais de toujours le considérer comme fin. Ce que la morale idéaliste du devoir est incapable de garantir, l’intérêt bien compris le fait et cela sans effort sur soi-même, ni sacrifice.
Mais dira-t-on qu’est-ce qui empêche l’escroquerie, la manipulation, les fausses promesses pour profiter d’une situation immédiate favorable d’inégalité au profit du vendeur dès lors que seul l’intérêt à court terme pourrait compter pour tel ou tel? : Pour Smith l’intérêt est ordonné par la sympathie ou compréhension de l'intérêt d'autrui et donc oblige à rester honnête dans les transactions et les échanges ; chacun sait que son intérêt implique la recherche de l’estime des autres et exige qu’il considère ce même intérêt chez son semblable. Ce qui veut dire que chez Smith l’intérêt est toujours accompagné, chez la plupart, du désir d’obtenir l’estime des autres ; au travers des échanges et les habitudes sociales, les mœurs fixent par un codage symbolique fort les comportements valorisés et valorisants de telle sorte qu’il faudrait être fou ou totalement inconscient vis-à-vis de son propre intérêt  pour oser s’attirer le mépris et la défiance de ceux dont on a besoin pour vivre. Là encore la confiance se mérite et chacun, d’expérience, le sait. Dans la plupart des cas il n’est nul  besoin d’une autorité extérieure pour l’imposer, du reste elle ne s’impose pas vraiment par la contrainte ou alors c’est que la défiance l’emporte déjà et celle-ci menace en permanence la possibilité même de l’échange réciproque libre et mutuellement fructueux. On ne fait pas affaire avec un escroc avéré ou soupçonné tel.
L’économie libérale est donc une économie contractuelle généralisée sans relations de dépendance hiérarchique statutaire : tous les individus sont en droit maîtres de leur décision et de leur engagement vis-à-vis des autres et ont, sous conditions fixées par contrat, le droit d’y mettre fin. Dans un tel contexte de fluidité libérale des relations de production et d’échange, celles-ci ne peuvent sous l’effet de la concurrence pure et parfaite maintenir dans le durée les inégalités existantes, nous y reviendrons ; chacun peut décider de (re) jouer  sa partie dans des conditions plus favorables pour lui, soit en proposant des produits et services mieux à même de satisfaire la demande que ceux de ses concurrents, soit en offrant un travail plus demandé et donc mieux rétribué. C’est en effet la loi de l’offre et de la demande qui décide du prix ponctuel des marchandises, y compris le travail (salaire) et le capital (intérêt), et si le travail est la source de toute valeur d’échange, celle-ci ne peut se réaliser sur le marché, c’est à dire s’exprimer en prix ou valeur monétaire, que par le jeu de l’offre et de la demande. Or en moyenne ce jeu dans le cadre de la concurrence tend à l’équilibre, c’est à dire que les prix tendent vers une valeur moyenne proche de la valeur du travail et de la rémunération minimale de capital, proche du taux moyens d’intérêt (5%). Le concurrence des investissements et des producteurs fait que des taux durablement supérieurs sont à terme impossibles. Les revenus du capital sont donc justifiés dès lors qu’ils ne sont que la rétribution du risque prix et de l’épargne qui a permis l’investissement productif aux dépens de la dépense destructrice de pure consommation. L’investisseur est  en effet récompensé du fait d’avoir renoncé à la satisfaction égoïste exclusive immédiate au profit des autres consommateurs, en faisant travailler son capital dans des activités productrices de moyens de satisfaire les désirs d’autrui (les consommateurs ou clients). En moyenne donc, dans le cadre d’une concurrence pure et parfaite ,  c’est à dire sans entrave , ni position dominante durable, les rémunérations du travail et du capital ne peuvent être que la juste récompense des mérites égo/altruistes des différents acteurs du jeu économique. Ainsi, le jeu du marché concurrentiel idéal réalise donc par lui-même sans contrainte étatique extérieure et sans hiérarchie sociale qualitative prédéterminée, l’idéal de justice distributive cher à Aristote. 
En s’efforçant de satisfaire son propre intérêt chacun participe nécessairement au bien être de tous sans y être forcé par l’intervention, au moins sous la forme de menace permanente,  d’un pouvoir transcendant supérieur coercitif (le souverain absolu) , ni être contraint par des exigences morales désintéressées exigeant un sacrifice de soi aux autres. La liberté s’auto-régularise par le jeu immanent d’une mutualisation réciproque automatique des égoïsmes transformés en facteurs de coopération.;

Ainsi, la liberté d’entreprendre laissée aux individus, loin de générée la violence et la domination, devient un facteur de pacification égalitaire et de réelle justice distributive qui s’exprime par le principe « à chacun selon son mérite »; l’état n’a pas à inventer les règles de la libre concurrence ou à instaurer un hiérarchie contraignante pour imposer un ordre social, mais doit se contenter de les fixer (formaliser) ces règles librement instituées et d’en garantir le respect par la sanction en tant que règles d’une liberté spontanément coopérante. Le société peut devenir donc à la fois libérale sur le plan économique et sur le plan politique, dès lors que nul n’a intérêt de détruire ou d’exploiter à son profit exclusif ce jeu de la libre concurrence sans se mettre lui-même socialement en danger et perdre la sympathie confiante des autres, ce qui le conduirait nécessairement à l’exclusion du jeu économique et, en cas d’escroquerie manifeste, de sanction pénale par l’état. Celui-ci n’est plus alors que l’arbitre d’un jeu économique et social dont il ne définit plus le contenu, ni même les règles, laissant aux joueurs (acteurs sociaux) le soin de les instituer librement par contrat mutuel. La position de A.Smith, est libérale sur tous les plans : politique, sociétal et économique. Le risque le plus important est que les gouvernants  tentent de profiter de leur rôle d’arbitre pour profiter du jeu en le détournant à leur profit ; c’est pourquoi il convient de les soumettre à des règles de droit qui garantissent les libertés individuelles (droits de l’homme et du citoyen) contre les abus de pouvoirs des gouvernants et la corruption ont il pourrait être l’objet, voire le sujet, lesquels mettraient en cause leur rôle neutre d’arbitre libéral. Pour se garantir contre ce risque et protéger les citoyens contre les forfaitures éventuelles des dirigeants de l’état, il convient d’instituer ce que l’on appelle la séparation entre les pouvoirs législatif, exécutif et surtout juridique, fondement de l’état républicain anti-despotique de droit moderne. Bien que fort en tant qu’arbitre disposant du monopole du pouvoir de sanction pénale et de l’usage légitime de la force (force publique), l’état libéral n’est donc pas un état de domination, mais de direction au service des citoyens disposant de la liberté d’entreprendre contractuelle et coopérative, auto-régulée par la libre concurrence . Il se doit pour cela de lever les obstacles à la libre concurrence (ex : les obstacles protectionnistes préconisés par les mercantilistes), dite pure et parfaire afin d’assurer l’équilibre général de l’offre et de la demande dans tous les domaines, c’est à dire les lois naturelles de l’économie spontanément justes, selon Smith, de l’économie. Quelles sont-elles ?
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جنون
رد: Le libéralisme peut-il être social?
مُساهمة الجمعة فبراير 26, 2016 12:30 pm من طرف جنون
2 Les conditions de la libre concurrence
On peut en distinguer cinq, qui sont, selon Arrow, prix Nobel d’économie en 1972.
1) La transparence immédiate et gratuite  de l’information pour tous les acteurs ;
2) un grand nombre d’acteurs pour qu’aucun ne puisse utiliser sa puissance propre pour peser sur le marché à son avantage exclusif ; d’où l’absence nécessaire de tout monopole, voire de toute position dominante d’un ou de plusieurs des acteurs ;
3) l’homogénéisation des produits de telle sorte qu’ils soient véritablement concurrents ;
4) La totale moblité des acteurs, surtout des travailleurs et des capitaux et le libre mrché pour tous
5) Mais la condition la plus importante, celle qui conditionne le bon usage des autres est la rationalité des acteurs de l’économie qui sont (doivent être) animés du désir dominant de s’enrichir à long terme dans un cadre éthique intériorisé qui privilégie l’estime honnête de soi par la médiation de rapports valorisés et valorisants avec les autres, comme le souligne A. Smith dans sa théorie des sentiments moraux. Ce qui signifie que sans homme raisonnable, capable de raisonner et de dépassionner son désir d’être et d’avoir, il n’y a pas d’homme économique possible susceptible de faire que le libre marché soit juste et équilibré.

Autant dire que ces conditions ne sont jamais acquises et que la libre concurrence ne peut être dite « juste » que si l’état ou les institutions politiques nationales ou internationales garantissent, donc imposent leur respect de  ces conditions ; or celles-ci sont contraire, à la stratégie des entreprises qui vise toujours à fausser le marché à leur profit exclusif et donc à mettre tout en œuvre pour réduire la contrainte de ces conditions : Elles s’efforcent toujours de 
- conquérir une position de monopole ou dominante par l’élimination du marché des concurrents réels et potentiels (rachat, dumping ou capture juridique ou technologique de la clientèle) ;
- faire croire faussement à l’hétérogénéité qualitative des produits ;
Ainsi la libre concurrence n’est juste que si est respectée l’égalité sur le marché , que si la compétition économique reste ouverte, que si les consommateurs ont également accès au marché ainsi qu’à l’information qui leur donne un réel pouvoir de décision et surtout que si les consommateurs sont rationnels dans l’expression de leur désir. Le libéralisme économique est donc un idéal normatif qui implique, nécessairement  l’intervention de la politique et l’éducation des consommateurs pour qu’il soit mis en œuvre, sous peine de générer les inégalités qui transformeraient cet idéal en son contraire : le dictature sur le marché de l’offre sur la demande et du capital sur le travail comme l’avait compris déjà A. Smith (voir textes).
Mais il est curieux de constater cette naïveté optimiste sur l’autorégulation du marché, que, malgré sa lucidité, qui l'empêche d'aborder l’économie mafieuse et l’esclavage comme des tendances tout aussi spontanées du marché sans règles, ni loi, c’est-à-dire sans l’intervention d’une régulation politique. Si on ne peut donc rendre le libéralisme économique, en tant qu’idéal, responsable des inégalités et de ces dérives possibles, c'est au contraire son détournement idéologique par un capitalisme à prétention monopolistique sous la forme d’un pseudo ultra-libéralisme qui récuse par principe toute intervention de l’état dans la régulation de l’économie qui est alors responsable du développement d’un marché de moins en moins concurrentiel, de plus en plus mafieux, et donc de plus en plus anti-libéral et injuste.

Nous rencontrons là la limite de la position d’A.Smith qui reste pour le moins contradictoire. En effet s’il refuse de reconnaître à l’état un rôle de régulateur et de contrôleur de l’économie dès lors que, pour lui, celle-ci doit spontanément s’auto-réguler, il admet néanmoins que les riches et les puissants peuvent très bien utiliser leur position pour exploiter les pauvres et utiliser leur pouvoir économique pour contraindre l’état, sous prétexte de faire respecter la liberté d’entreprendre, à soumettre les employés par la force à leur intérêt particulier exclusif mais aussi, et cela est pour lui encore plus grave, à fausser les règles du jeu à leur avantage en multipliant les obstacles à le libre concurrence (ex : le maintien voire l’élévation des droits de douanes, préconisés par les mercantilistes,  pour avantager les nationaux sur le marché intérieur en les protégeant de la concurrence étrangère, et les ententes validées par l’état pour augmenter les prix et les profits). Donc A. Smith est partagé entre la réalité des comportements sociaux des capitalistes, des dérives anti-libérales, voire criminelles et des conflits qu’ils génèrent, et l’idéal de la libre concurrence qu’il prend, non seulement pour un idéal, mais comme une description et explication de la réalité (et en cela il est dans l’illusion idéologique la plus classique) sans être capable de réduire la contradiction entre sa position qui affirme le principe universel de la  non-intervention de l’état dans l’économie et ses conséquences sociales et le fait qu’il constate que cette non-intervention revient, dans les faits, à favoriser les investisseurs aux dépens des salariés et de l’intérêt général, ne serait-ce qu’en vue du maintien de la paix civile (voir textes). Il admet que l’état doit jouer un rôle d’investisseur, en ce qui les services et les biens d’équipement qui concernent l’intérêt général et qui ne peuvent être rentables à court terme pour des particuliers (infrastructures, équipement du territoire, éducation de masse). Il admet aussi que l'état usent de moyens de protection répressif en vue du maintien de la paix civile, mais il refuse toute politique systématique de redistribution en faveur des plus démunis et accepte le risque politique de l’inégalité des chances tout en soulignant le danger de violence sociale qu’elle génère. il compte sur la tradition plus ou moins religieuse de servilité des pauvres par rapport aux riches, il pense que la hiérarchie entre eux est nécessaire et qu’il suffira à la police de faire son métier pour maintenir l’ordre. Mais il sait néanmoins que cette tradition est de plus en plus contestée et que la police ne peut maintenir la paix dans une situation d'injustice insupportable.
Il reviendra à John Stuart Mill de tenter de corriger les contradictions du libéralisme idéal d'A.Smith.
2-3 L'utilitarisme de John Stuart-Mill
"La seule liberté digne de ce nom, affirme J.Stuart-Mill, est celle de travailler à notre propre bien de la manière qui nous est propre, pour autant que nous ne cherchions pas à en priver les autres ou à leur faire obstacle dans leurs efforts pour l'obtenir." Après avoir précisé auparavant :
"Celui qui laisse le monde ou une partie de celui-ci, choisir le cours et le sens de sa vie à sa place, n'a pas besoin d'autre faculté que celle d'imitation des grands singes."
Telle est, semble-t-il, une conception libérale radicale, mais pour corriger les insuffisances réelles de la position de Smith,
l convient de montrer que la  finalité éthique fondamentale de chacun est aussi le bonheur général (c’est-à-dire de tous) ; si le bonheur de chacun réside dans l’expérience personnelle de plaisir et de  la cessation de la douleur, les devoirs ne sont, et ne doivent être, que des moyens subordonnés en vue du maximum de bonheur universel possible, en tant que celui-ci est constitutif du bonheur personnel de chacun . Bonheur personnel et bonheur général sont selon lui  indissociables. En quoi ?
2-4 La question du bonheur chez John Stuart-Mill
Le bonheur général (universel) est bien la source ultime de la moralité et les règles de la recherche du bonheur pour tous, celle du droit. Les devoirs ou impératifs ne valent que comme moyens dérivés nécessaires mais non suffisants. Une morale du sacrifice de soi est en effet absurde et invivable si elle prend le sacrifice de son bonheur en vue du bonheur général comme fin en soi inconditionnelle; elle ne peut valoir comme moralité concrète et agissante que si elle se donne comme fin le bonheur des autres, en tant qu’il est une composante et une condition du bonheur personnel. Il n’y a pas de morale du devoir en soi, selon Mill, comme le croyait Kant, car toute action ne peut être motivée que par le recherche d’une satisfaction ou l’évitement d’une souffrance, y compris une action morale ; il n’y a qu’une morale du bonheur qui inclut et subordonne le devoir tout à la fois, comme instrument et comme partie prenante du bonheur personnel.
La politique et l’économie sont des moyens de parvenir aux bonheur général ; il faut en effet distinguer sans les opposer le bonheur individuel et le bonheur général car si celui-ci n’est pas la seule sommation des bonheurs individuels, spontanément apparemment incompatibles, il convient de  les rendre compossibles par des lois et règles qui autorise chacun à faire un égal usage de sa liberté sans nuire à celle des autres ; il n’y a du reste pas d’autre limite à la liberté individuelle que celle des autres et  c’est pourquoi, dans le cadre des échanges marchands visant la mutualisation des intérêts individuels,  il faut du droit économique politiquement discuté et décidé. Mais une difficulté apparente de la position de Mill surgit : Comment, dans sa perspective individualiste passer de la satisfaction  personnelle égoïste au désir altruiste en chacun du bonheur général dès lors que celui-ci  implique la soumission au devoir de respecter la liberté d’autrui qui peut, semble-t-il, apparaître comme nuisible ou contraire à celle-la ?

C’est pour répondre à cette question que Mill fait intervenir une distinction fondamentale entre les plaisirs immédiats matériels et égoïstes et les plaisirs spirituels qui leur sont qualitativement  supérieurs, à savoir les plaisirs qui sont le fruit des activités  intellectuelles esthétiques et éthiques (altruistes) dans lesquels chacun même matériellement insatisfait peut être heureux en tant qu’ils permettent à chacun de se reconnaître dans sa dignité humaine. En quoi ces derniers sont-ils supérieurs? En cela qu’ils sont spécifiquement l’expression de la supériorité spirituelle et sociale des hommes et que chacun peut éprouver par là qu’il incarne cette valeur humaine supérieure . Ainsi nous dit Mill mieux vaut être Socrate insatisfait (matériellement) qu’un porc satisfait, car si Socrate est matériellement insatisfait, il est  heureux d’être l’homme valeureux car moral et donc pleinement humain qu’il a été. Donc pour Mill le bonheur ne recouvre pas tous les plaisirs d’une manière indistincte et le bonheur ne se mesure pas seulement à la « quantité » de plaisirs mais à leur « qualité » et si les plaisirs matériels sont souvent nécessaires, ils ne sont pas suffisants car ils ne valent au mieux que comme moyens du bonheur spirituel, plus durable que les satisfactions matérielles. Seuls les plaisirs qui portent une dimension éthique peuvent nous procurer le bonheur authentique, c’est-à-dire le sentiment positif de notre pleine humanité.  Mais cela veut-il dire que cette accession au bonheur éthique soit spontanée ou immédiate? 
Certes non, car l’expérience de ce bonheur est une conquête de l’histoire de l’humanité et de l’évolution des sociétés. Le sens du devoir en tant qu’il ordonne et le bonheur de chacun, fait partie intégrante du bonheur personnel. Il doit être forgé au feu de l’habitude acquise par l’éducation cognitive et affective dans une société juste et libérale; or, qui n’a pas reçu d’éducation libérale ( non religieuse et non-sacrificielle), altruiste et donc heureuse ne peut savoir clairement qu’il existe un bonheur qualitativement supérieur à la seule satisfaction matérielle ou égoïste. D’où la nécessité de penser sur fond de l’analyse des relations sociales  existantes et de leur contradictions, les conditions politiques et économiques d’une société à la fois juste et libérale ; libérale parce que juste et juste parce que libérale ; en tant que cette société serait la fin du progrès en vue du plus grand bonheur pour tous, sans distinction entre les sexes et les positions .

2-5 Libéralisme économique et justice sociale chez Stuart-Mill
La liberté économique individuelle comme liberté d’entreprendre est pour Mill, comme pour Smith, le fondement de toute relation de réciprocité  positive entre les individus qui ne sont pas liés entre eux par des relations de dépendances particulières permanentes (type allégeances communautaires, amicales, amoureuses ou familiales). L’économie libérale est bien l’ensemble des échanges de biens et de services produits dans le cadre de l’échange  marchand lequel égalise dans un sens contractuel  universel et volontaire , les relations vitales entre les humains : chacun sait mieux que quiconque ce dont il a besoin ou ce qu’il désire et doit seul prendre la décision d’acheter ou non et s’il achète c’est à lui seul de décider qui lui offre les conditions les plus favorables. La liberté d’entreprendre au mieux de ce qui est utile à chacun exige donc bien un choix individuel et qui dit choix dans le domaine économique dit concurrence libre et non-faussée. Tout corporatisme, en effet, fausse la concurrence et provoque  toujours une réduction et/ou captation de l’initiative de chacun en vue d'une satisfaction égoïste aux dépens de celle d'autrui.  L’échange marchand libéral soumis à la concurrence, au contraire, est donc pour Mill comme pour A.Smith garant de la liberté individuelle universelle car avant que d’être des producteurs spécialisés nous sommes tous des consommateurs. De plus l’échange marchand obéit à la règle donnant /donnant et ce faisant égalise les conditions de l’échange selon un règle simple : « À chacun selon ses revenus » et, par delà ses revenus, « son travail ». Cette règle de justice distributive automatisée fait que chacun consomme selon son travail et donc que chacun reçoit selon son mérite dans le processus de production et d’échange.
Mais à la différence de Smith, Mill ne pense pas que le développement à l’infini des échanges marchands puissent se faire sans déséquilibre entre les ressources et les besoins ou désirs, dès lors que ceux-ci croissent plus que les premiers et cela pour deux motifs : l’excès illimité des désirs au-delà des besoins chez les plus riches et l’accroissement de la population mondiale de plus en plus intégrée aux échanges marchands et à l’économie du désir sans limite. Le progrès ne peut que déplacer, en le masquant, le moment où les ressources seront épuisées. La rareté s’imposera alors comme un facteur croissant d’inégalité entre les riches et les pauvres, d’autant plus que les riches bénéficieront d’un avantage décisif du fait de l’héritage et de la propriété du sol et cela dès leur naissance. L’équilibre entre l’offre et la demande se fera au profit de la demande solvable et aux dépens des besoins des plus pauvres, devenus de moins en moins solvables. Les inégalités seront telles qu’aucun progrès économique ne pourra les réduire sauf à envisager l’arrêt autoritaire de la croissance démographique et la réduction des inégalités dans l’accès aux ressources par la loi et la redistribution par l’impôt. Les riches sauront profiter de la pauvreté croissante des pauvres pour leur imposer une réduction des salaires en vue de continuer à satisfaire leurs désirs sans limite aux dépens de la satisfaction des besoins de ces derniers , c’est-à-dire de leur espérance de survie. Ainsi le progrès infini du capital et des richesses en termes de bénéfices pour ceux qui en disposent déjà n’est pas un critère de réussite pour les pays les plus avancés dès lors que s’aggravent les inégalités ; de plus selon Mill l’état stationnaire des richesses et de la population ne serait  pas une catastrophe pour un  pays très développé mais au contraire la condition d’un véritable progrès de civilisation dans le sens d’une spiritualisation de la vie sociale qui passerait par l’utilisation des techniques dans le but de réduire le temps de travail contraint au profit du temps de la relation libre et désintéressé aux autres et de la contemplation de la nature qui ne serait alors plus seulement considérée comme réservoir de matières premières exploitables en vue de la production et du profit, mais comme une source illimitée d’émotions esthétiques, ce qui suppose que cette liberté passe aussi et peut-être surtout par la solitude, c’est à dire le retrait par rapport aux obligations sociales et économiques. Le bonheur, pour Mill, n'est pas, nous l’avons vu en effet, dans la quantité de biens matériels accumulés ou consommés ou des richesses acquises mais dans la qualité de la vie, à savoir celle des relations aux autres, à la nature et à soi.
Ainsi limiter les naissances en vue du seul renouvellement de la population, limiter l’héritage à ce qui peut rendre chacun indépendant, redistribuer les richesses, limiter le temps de travail et la production, développer les moyens de formation personnelle et l’éducation des citoyens, sont pour Mill les conditions d’un progrès de la société lequel implique à terme l’arrêt de la progression illimitée dans production des richesses matérielles en vue d’atteindre ce qu’il appelle l’état stationnaire et équilibré qu’il souhaite pour assurer les conditions de l’existence harmonieuse de l’espèce humaine. La justice sociale implique donc pour lui non pas moins de liberté personnelle mais plus, c’est-à-dire plus de temps libre pour soi, tant il est vrai que l’économie reste le domaine de la nécessité, que le développement infini des richesses produit des inégalités et que la croissance économique, loin de réduire, s'accroît. D’où la nécessité de mettre au service de la liberté de tous, par la loi, l’économie libérale et qui ne peut être telle que par cette subordination au but final de l’état stationnaire et de l’égalité sociale. Le justice n’est pas pour Mill le résultat d’un processus mécanique mais l’expression d’un programme politique qui doit orienter la société et l’économie libérale vers cet état final. La justice présuppose le libéralisme économique mis au service d’une société régulée par le droit en vue du bonheur universel des individus. Le libéralisme économique doit être subordonné au libéralisme éthique, c’est-à-dire à la recherche du bonheur général, qui est un devoir politique dans le mesure où il est un droit universel. C’est dire que les droits individuels et les droits sociaux, pour Mill sont indissociables, dès lors qu’il s’agit de réduire, voire d’abolir,  les inégalités que génèrent en permanence le libéralisme économique lequel, s’il n’est pas politiquement régulé, se transforme nécessairement en dictature  anti-libérale du capital sur le travail et des entrepreneurs (ou mieux des investisseurs)  sur les consommateurs. Il est indispensable de limiter la liberté des riches et des puissants afin que tous aient, non seulement en théorie, mais en réalité les mêmes droits.
Ainsi, pour cet auteur, dans une société libérale, les droits individuels, sont indissociables des droits sociaux, et le fonctionnement de l’économie libérale, qui n’est pas automatiquement équilibré et juste doit être politiquement orienté dans le sens d’une production des richesses plus raisonnable et une meilleure d’utilisation des ressources afin que les richesses profitent à tous et que chacun puisse développer ses capacités spirituelles en autonomisant le plus possible sa vie par rapport aux contraintes du processus de production. Cette autonomie, elle-même,  est rendue possible par le développement des sciences et des techniques et rendu nécessaire par le risque de l’épuisement des ressources. Il ouvre en cela le grand débat entre ce que l’on appelle l’ultra-libéralisme et le social libéralisme écologique qui reste pour le moins d’actualité.
جنون
رد: Le libéralisme peut-il être social?
مُساهمة الجمعة فبراير 26, 2016 12:30 pm من طرف جنون
[size=13]2-6 La critique de la position sociale-libérale de Stuart-Mill
La position  social-libérale de Mill  présente grande difficulté: celle de faire de l'état un régulateur nécessaire de l'économie libérale, afin de préparer les conditions d'un hypothétique stade ultime, stationnaire et harmonieux de l'histoire humaine, alors que ce stade lui apparaît  contraire à la dynamique de la liberté d'entreprendre en vue de profit individuel et que, selon lui, l'état ne peut prétendre diriger l'économie libérale sans devenir nécessairement tyrannique. Devant un telle  difficulté, Mill est tenté par la fuite dans l'utopie finaliste d'une humanité supérieure, acquise à la recherche d'un bonheur général spiritualisé aux dépens du bonheur matériel de l'enrichissement illimité. Cette humanité  ne verrait plus dans l'économie marchande elle-même le cadre essentiel de la vie sociale et relationnelle des individus et de leurs  désirs mutuels de reconnaissance. Il fait bien souvent recours à l'idéal chrétien de l'amour universel et altruiste sans, afin d'assurer cet optimisme, avoir la ressource de l'espérance que produit la  révélation religieuse. On peut donc dire que Mill tente de jeter les bases d'un christianisme non religieux , ce qui est confirmé par ses références constantes au christianisme authentique des origines qu'aurait trahi le christianisme historique et despotique (intolérant). La position de Mill revient donc à reprendre à son compte l'idéal eschatologique du salut de l'humanité pour l'inscrire dans une perspective libérale et séculière. Il emprunte semble t-il à A.Comte cette vision d'une religion positive et immanente possible du salut de l'humanité, à la  différence qu'il ne souhaite nullement fonder une nouvelle église pour la promouvoir. Or on voit mal comment une société de marché dans laquelle les individus poursuivent des buts égoïstes, même mutualisés,  pourrait se convertir en société réconciliée et altruiste sans intervention divine transcendante (supérieure à l'humaine condition) ou soumission à une autorité morale et politique immanente (une église ou un parti politique hégémonique) qui aurait le pouvoir de l'incarner. Une société religieuse sans religion ni église dominantes,  voire exclusives, et sans culte obligatoire peut à juste titre nous apparaître comme une espérance impossible car contradictoire. 

On peut donc faire à Mill la même critique que l'on a pu faire à certains socialistes idéalistes: croire que l'on peut changer les hommes par la puissance d'idées généreuses et qu'il faut penser l'histoire humaine du point de vue de ce que doivent être ou devenir les hommes et non de celui qui définit ce qu'ils sont, à savoir nécessairement égocentriques dans le recherche, même partagée, du bonheur. Il convient donc  plutôt de comprendre ce qu'ils peuvent faire de ce qu'ils sont en vue d'entretenir avec les autres des relations libérales de coopérations. 
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[size=13]Retenons de la critique de ce rêve de Mill (et dans un autre contexte philosophique communiste de Marx) que l'idée de société harmonieuse, c’est-à-dire sans inégalité ou conflits sociaux ou de classe, suppose des valeurs communes incontestées fondatrices d'une volonté générale susceptible d'être incarnée par un état investi de la mission de les formaliser et de les faire respecter, sinon de les imposer. Or une telle communauté de valeurs, ec'est là une autre contradiction de sa position, est impossible et même pas souhaitable dans une société libérale et pluraliste qui reconnaît le droit des individus à penser et à s'exprimer éventuellement contre les valeurs dominantes.
Chacun sait, en effet, que la compatibilité entre la liberté et  l'égalité ne va pas de soi, pas plus que l'affirmation de l'autonomie individuelle ne l'est avec celle de la solidarité collective ; chacun sait que les compromis entre ces valeurs, d'autant plus  opposées qu'elles sont interprétées et instrumentalisées, dans le réalité,  par des intérêts en conflit entre possédants et non-possédants , riches et pauvres, dirigeants et dirigés, employeurs et employés sont toujours discutables et souvent impossibles et nourrissent les divisions politiques, voire éthiques et religieuses. De tels compromis ou hiérarchie entre les valeurs et leur interprétations concrètes sont donc toujours problématiques dans une société qui se reconnaît comme démocratique,  socialement divisée et idéologiquement pluraliste. Une telle définition de la volonté générale ou commune assortie d'une conception de l'état central chargé de l'incarner risque donc toujours de légitimer telle ou telle forme de tyrannie, fut-elle à forme démocratique; ce que Tocqueville appelait le tyrannie douce de la majorité, douceur qui ne l'a rend pas moins tyrannique, mais plus encore, dès lors qu'elle s'impose d'autant plus qu'elle paraît plus légitime.
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C'est F. Hayek qui est allé le plus loin dans le refus de voir l'état et la politique s’immiscer dans la vie économique et culturelle d'un pays


2 F. Hayek: La critique de l'économie étatisée ou la liberté économique comme condition nécessaire de la justice.

La critique de l'économie administrée par l'état , chez Hayek   se déploie sur trois plans indissociables :
le plan épistémologique, le plan économique et le plan politique, ce qui lui confère une radicalité d'une extrême efficacité critique du rêve socialiste d'état..

- La critique épistémologique de la possibilité d'un entrepreneur économique global.
Pour Hayek l'économie, dès lors qu'elle vise à satisfaire les besoins et désirs des consommateurs, met nécessairement en jeu, en situation normale,  des acteurs et des forces qui poursuivent des buts divers selon des valeurs plus ou moins hétérogènes voire contradictoires, . Or ces contradictions interdisent,  sauf situation de détresse collective temporaires extrêmes qui menacerait  globalement la survie des populations  (guerre, famine, épidémie ou  catastrophe écologiques imminentes etc.), de  définir sur un plan global des priorités univoques générales, et  d'ordonner par un plan central une politique cohérente de production et de distribution . Un plan central en économie ne peut qu'être trop rigide, car défini à a priori ,et par là incapable de s'autocorriger  pour s'adapter souplement aux besoins et désirs multiples et évolutifs des consommateurs et/ou usagers des biens et des services au contraire du marché concurrentiel nécessairement pluriel et soumis à la demande des consommateurs. Il est irrationnel selon notre auteur de prétendre rationaliser ou planifier l'économie par en haut  (l'état central) alors que celle-ci ne se déploie et ne peut accroître son dynamisme et son adaptabilité que dans le cadre d'une demande plurielle  et hétérogène. Pour lui une rationalité économique planifiée ne peut être que sectorielle et multipolaire ou multifactorielle visant telle ou telle sorte de désir et de besoin ou ciblant telle ou telle type de clientèle à satisfaire. Dans une société où, du fait des progrès des forces productives et des technologies, l'économie du désir individuel (de réalisation de soi par soi) a pris le pas sur celle du besoin collectif, l'idée même de maîtrise politique rationnelle de l'ensemble de la production et des échanges est précisément irrationnelle  en cela qu'elle est contradictoire avec le réalité même du fonctionnement rationnel d'une société économique nécessairement individualiste et plurielle, ce qu'est forcément une économie du désir comme expression de soi par soi. 

Vouloir centraliser les décisions économiques, c'est refuser  les sociétés modernes dans lesquelles, comme l'avait compris B. Constant, les individus se sentent, aujourd'hui,  d'abord libres dans l'expression de leurs intérêts privés, pour, au fond promouvoir une société frugale et stagnante à la Rousseau dans laquelle les individus acceptent de se soumettre à un prétendu intérêt général uniformisé et liberticide. De plus un telle irrationnelle conception de la rationalité économique, en contradiction avec le complexité du réel dans nos sociétés modernes développées, n'ont pu aboutir qu'à une irrésistible catastrophe économique. Il convient de se demander en quoi et pourquoi.

La critique politique des économies planifiées par l'état.
  Hayek distingue à juste titre l'idée de planification fondée sur un but déterminé, satisfaire tel désir ou besoin, de l'idée de planification généralisée de l'économie dans son ensemble. La première est indispensable pour diriger un  processus de production et d'échange efficace au regard d'une demande particulière exprimée sur un marché concurrentiel. La seconde est par nature incapable de trancher entre des demandes diverses et concurrentes, sauf, nous le verrons, pour l'état à imposer sa décision, c'est à dire celles des experts-fonctionnaires  concepteurs du plan national, aux consommateurs et usagers. Ainsi cette dernière alternative est condamnée à l'échec en cela que l'état est par nature incapable de prévoir les désirs et besoins des individus particuliers, sauf à les considérer d'une manière abstraire et impersonnelle, de plus il est incapable de savoir à l'avance quels seront les effets concrets de ses décisions, dès lors qu'elles ont des conséquences diverses sur le jeu et les comportements des différents acteurs du point de vue de leur motivations propres en évolution constante et de la perception et jugement toujours imprévisible de leur situation . Chaque individu sait, en tout cas mieux qu'une institution planifiante étatique, ce qu'il désire; mais la satisfaction de tel désir chez lui fait nécessairement naître de nouveaux désirs différents voire parfois opposés au désir antérieurement satisfait; c'est dire qu'en économie moderne développée, c'est le désir et son infinité d'objets possibles, entre lesquels chacun doit en permanence arbitrer à tel ou tel moment, qui constitue la demande économique effective et c'est la capacité de chacun à opérer des choix entre des offres concurrentes en fonction d'un critère utilité/coût dont il ne peut être que le seul juge qui stimule en permanence l'innovation et le développement des techniques et des modes de production pour toujours mieux s'ajuster; Or dans s'ajuster transparaît aussi une certaine idée de "justice" comme "justesse" sur fond de rapport marchand entre partenaires égaux en droits et valeurs d'échange monétairement équivalentes.

Par contre, dès que l'état  prétend décider de ce qui est bon pour chacun, il ne peut décider que du seul point de vue de ceux qui ont le pouvoir politique de décider centralement pour les autres, car il est incapable de savoir ce que tel ou tel individu -et chacun de nous est  un individu différent dans l'expression mouvante de nos désirs- qui subit sa décision et ses conséquences préfère à tel ou tel moment de sa vie. De plus si l'institution planificatrice étatique prétend définir les besoins en consultant collectivement les consommateurs et usagers , elle se heurtera immédiatement au fait qu'il est impossible d'agréger en une demande globale des préférences individuelles aussi versatiles et contradictoires. Cette impossibilité entraîne comme conséquence que l'état produira les biens économiques qui avantagent l'idée qu'il se fait des besoins prioritaires et uniformes des consommateurs du point de vue de l'intérêt que chaque fonctionnaire responsable de la production a de son intérêt propre à suivre le plan et à réaliser ses objectifs sans se soucier de la satisfaction des consommateurs en tant qu'individus qui nécessairement lui échappe et vis-à-vis desquels il n'est pas personnellement intéressé ; on peut même dire que, s'il a intérêt pour sa carrière, de suivre le plan, il serait contradictoire pour lui de satisfaire le demande privée des individus consommateurs. 

Ainsi une économie centralement administrée ne peut être que fonctionnarisée, c’est-à-dire routinière, bureaucratique et donc inadaptée à la demande réelle, sans aucun souci de rentabilité et d'innovation en faveur des consommateurs/usagers, mais par contre il fait du gaspillage et de la non-qualité car son inadéquation entre offre et demande suscite les conditions irrésistibles d'une faillite inéluctable. La faillite d'une telle économie n'est pas seulement de l'ordre d'une conjecture théorique, elle a été prouvée par toutes les tentatives socialistes ou nationale-socialistes d'état. L'état en tant qu'il est un pouvoir central est donc nécessairement le plus mauvais décideur économique qui soit, car il n'est soumis à aucune contrainte du marché, ni en aval (les clients), ni en amont (ressource en capital); en effet il ne peut être "déclaré" en faillite tout en l'étant réellement. La seule contrainte de son action est politique:  il doit favoriser les demandes de protection qui "légitiment" son action, doublée de celles des fonctionnaires de l'économie qui cherchent nécessairement à préserver leur pouvoir et les privilèges qu'ils en tirent . Enfin  l'économie d'état réalise une nouvelle forme de despotisme en cela qu'il fusionne deux pouvoirs, le pouvoir politique et le pouvoir économique  et que cette fusion conduit nécessairement au totalitarisme politique et idéologique.

-La critique philosophique du socialisme d'état: Économie d'état et totalitarisme. 
Selon Hayek l'état planificateur de l'économie ne peut décider de ce qu'il faut produire et distribuer qu'en hiérarchisant les désirs et besoins des individus selon des valeurs homogènes qui commandent l'expression de leurs désirs et qui doivent s'imposer à tous. Il faut donc pour cela qu'il contrôle l'expression de ces  désirs individuels de telle sorte qu'elle ne mette pas en cause les critères des décisions économiques qu'il prend au nom d'un intérêt prétendument général dont il détient le monopole de la définition . Or définir ce que doivent être les désirs prioritaires des individus d'une manière centrale et a priori c'est nécessairement chercher à imposer une idéologie commune incontestable qui tend à effacer les différences entre les valeurs, les intérêts et les désirs privés divergents ainsi que la distinction entre vie publique et vie privée,  cet effacement définit précisément l'idéologie totalitaire. Une telle volonté rendue nécessaire par l'économie étatisée ne peut, pour être efficace, qu'utiliser la terreur en refusant  les droits individuels de l'homme, dénoncés comme  bourgeois, car contraire  au socialisme collectiviste étatiste. 

Ainsi dans le cadre de l'échec programmé de la planification économie centralisée , la seule manière pour l'état et ceux qui en profitent de préserver leur système est de faire, au lieu et place du marché concurrentiel,  du système D informel,  de la corruption et de la police, les seules formes possibles  de la régulation des conflits inévitables et croissants entre l'offre et la demande que ce système produit nécessairement. Une économie centrale étatisée porte en elle le totalitarisme politique généralisé, voire la guerre internationale afin de ressouder l'unité autoritaire contre l'étranger, comme les nuées portent l'orage. Là où le libre commerce pacifie et impose le respect des droits de l'homme et de la propriété, l'économie administrée ne peut que fonctionner à la violence et à la domination.  Entre le national-socialisme et le social-nationalisme, il n' y a que des différences superficielles et rhétoriques: l'impérialisme totalitaire anti-individualiste et ultra-nationaliste fondé sur le culte du chef tout puissant,  que ce soit eu nom de la race ou de la classe, dérive logiquement du refus de l'économie concurrentielle de marché et du droit à la propriété privée des moyens de production et d'échange pour faire de l'état le seul propriétaire de fait sinon de droit (cas du nazisme) de l'ensemble de la machinerie économique. Là encore tous les exemples historiques confirment cette analyse.

Cette triple critique coordonnée du socialisme d'état oblige notre auteur à critiquer le notion de justice dont le totalitarisme se réclame pour  légitimer son despotisme au nom de la sécurité socialisée et de l'égalité généralisée. 


2-1 La liberté comme source de la justice

Quand on pense à l'idée de justice, on l'associe spontanément à l'idée d'égalité; mais celle-ci peut avoir deux acceptions écrit Hayek reprenant l'analyse d'Aristote, à savoir l'égalité absolue ou l'égalité distributive.

La première considère que tous les individus doivent recevoir le même revenu quelque soit leur activité, y compris s'il n'en ont aucune, la seconde proportionne le revenu au mérite. Or on voit tout de suite apparaître deux difficultés: personne ne trouve juste la première dans la mesure où elle ne distingue pas les individus selon leur utilité pour les autres.
Quant à la seconde elle rencontre immédiatement les deux  questions de savoir comment définir le mérite et qui a le droit de définir les critères pertinents pour l'évaluer. Si l'on dit que c'est le bon sens commun, on se heurte immédiatement, soit au fait que le mérite est dépendant dans la conscience des individus des inégalités telles qu'elles apparaissent dans le cadre d'une économie de marché, soit  on tente de définir un mérite idéal et alors on ne trouve aucun consensus pour définir les valeurs  qui permettent de fonder un tel mérite, certains vont privilégier les efforts faits quelque soient le résultat, d'autres le résultat,  d'autres le talent, d'autres encore l'esprit de sacrifice etc.. Or si l'état prétend définir ce qu'il en est du mérite,  il est alors obligé d'imposer une échelle arbitraire de valeur qui ne repose sur aucun accord spontané. De plus s'il veut faire respecter cette échelle des revenus selon le mérite, il doit tout à la fois fixer le hiérarchie des salaires et interdire le libre choix des professions. Ainsi toute mesure de justice autoritaire de rétribution selon le mérite  interdit pratiquement la compétition sociale ouverte et donc toute stratégie professionnelle personnelle, au profit, et cela a été confirmé par l'expérience, des fonctionnaires  responsables de la sélection en vue d'avantager leurs proches ou leur clientèle (corruption).

On peut donc affirmer que, selon Hayek, l'absence de liberté de choix qu'impose la détermination centralisée de la répartition des activités et des revenus est toujours pire, c'est à dire plus inégalitaire que le marché compétitif et libéral de l'emploi, aussi inégalitaire soit ce dernier dans le détail, car il rigidifie les inégalités au profit de la classe qui dispose tout à la fois du pouvoir politique et économique. La société anti-libérale devient donc rapidement et nécessairement une société de caste dans laquelle la mobilité sociale, très réelle au début, tend à  disparaître dès lors que la classe dirigeante, soustraite à tout risque démocratique ou à la sanction du marché de l'emploi,  conforte et accroît sa domination incontestable. Ainsi  le système libéral (économie concurrentielle de marché) est nécessairement le plus juste possible, dans la mesure où la liberté d'entreprendre est toujours soumise à la sanction des consommateurs/usagers disposant d'un réel pouvoir de choix. Le distinction du mérite incombe en dernier ressort à ceux qui en bénéficient et sont seuls à même de  l'apprécier, à savoir l'ensemble des individus consommateurs et usagers (clients) et cet ensemble inclut tous les individus sans exception. Le marché, de plus, égalise nécessairement les conditions et les statuts, en tout cas beaucoup plus que tout système hiérarchique autoritaire centralisé. Si nombre d'inégalités, en économie de marché,  reste le fruit du hasard, on ne peut considérer ces dernières plus injustes que celles qui concernent le fait d'être beau ou laid,  malade ou bien portant, plus ou moins intelligent, talentueux ou doué etc... au regard de l'utilité sociale des activités de production et d'échange, constatée et évaluée par tous en tant qu'individus-clients autonomes dans le choix d'acheter ou non tel produit ou tel service proposé par telle ou telle personne.
جنون
رد: Le libéralisme peut-il être social?
مُساهمة الجمعة فبراير 26, 2016 12:31 pm من طرف جنون

La liberté économique, en économie de marché, est donc avant tout celle des consommateurs et non pas celle des producteurs qui n'ont que le liberté d'entreprendre afin de mieux satisfaire les désirs et besoins des clients que leurs concurrents. En cela la liberté de consommer et d'acheter est bien la source de la seule justice distributive possible: celle qui distribue les revenus en fonction de l'utilité sociale des activités, mesurables par ceux , à savoir tous, pour lesquels elles sont destinées: les individus-clients autonomes. L'économie libérale est par nature individualiste, elle exclut les relations et  les privilèges statutaires de classe ou de caste au profit de la seule relation marchande contractuelle. En cela elle met en jeu, via la concurrence (à supposer qu'elle soit libre et non-faussée), une égalité compétitive des chances en vue de développer les activités économiques au service de tous et de chacun. Dans ce contexte l'idée même de justice sociale n'a aucun sens si ce n'est celui, absurde, qui viserait à instaurer des protections sécuritaires pour telle ou telle corporation qui chercherait par ce biais à se mettre à l'abri de la concurrence et à préserver leurs revenus de l'appréciation par le marché de leur mérite social. Toute idée de justice sociale prétend donc refuser la sanction par le mérite au profit du maintien de privilèges en terme de  sécurité sociale. L'idée de justice sociale ne peut être qu'injuste du point de vue des individus, de leurs droits individuels et de leur liberté d'entreprendre.  On voit donc que la relation entre sécurité et liberté reste toujours problématique et que trop de mesures sécuritaire ou protectionnistes ne peut que compromettre à la fois la liberté et la justice distributive.

Pour Hayek la démocratie, à savoir l'expression du  suffrage universel en vue de décider du rôle et des missions de l'état, ne doit jamais être considérée comme une fin en soi, mais comme un simple moyen en vue de préserver  le maximum de liberté individuelle compatible avec la sécurité et l'ordre publics; il se peut en effet qu'une majorité décide de confier à l'état le pouvoir de planifier centralement l'économie, sous le prétexte de mettre en œuvre une plus grande justice sociale, mais d'une part il en est incapable et d'autre part une telle décision ne pourrait aboutir qu'à un état totalitaire pour toutes les raisons que nous avons développées qui se résument par le fait qu'elle confierait nécessairement à une minorité le pouvoir de décider de la vie de la grande majorité des individus transformés en serviteurs aliénés du plan imposé. 

Le rôle de l'état doit donc être fondé sur ce qui fait l'accord de tous , à savoir les règles générales de la liberté qui permettent à chacun de poursuivre ses propres fins sans nuire aux autres et qui assurent la sécurité en tant que condition de la liberté. L'état libéral est nécessairement non interventionniste dans le domaine de ce qui doit être produit et échangé, son rôle, dans la sphère de l'économie, doit se limiter à poser et faire respecter les conditions générales de la concurrence libre et non faussée. Son pouvoir est purement formel: faire respecter les lois libérales du marché et non pas factuel: décider de ce qui est économiquement bon pour les individus particuliers. Tout ce qui peut nuire aux uns et aux autres dans le jeu du marché libre ne peut être imputé qu'à leur absence d'utilité économique et sociale et au hasard; or ceux-ci sont les conditions de l'exercice socialisé des libertés individuelles. Refuser le hasard et les efforts à faire pour être utiles aux autres, c'est refuser le liberté même: une démocratie qui prétendrait protéger contre le hasard des circonstances ou contre l'absence d'utilité sociale soit ne serait pas démocratique soit ne le serait qu'en apparence, mais serait despotique en réalité. C'est dire, qu'en prolongeant l'analyse de  Hayek, il ne peut y avoir  de démocratie authentique, à savoir politiquement libérale, que dans le cadre de l'économie de marché. Ainsi le libéralisme économique et le libéralisme politique sont-ils indissociables. Dans le cadre d'une société libérale, sans corporatisme et égalitaire en droit, la question de la justice sociale ne se pose plus, dès lors que chacun est conduit à faire ce qu'il peut dans le cadre de conditions aléatoires qu'il ne peut pas plus reprocher à la société que celles qui le font malade ou bien portant, beau ou laid, plus ou moins intelligent et talentueux. Le caractère aléatoire des conditions sociales est la condition d'exercice de l'autonomie personnelle et celle-ci, dans un cadre authentiquement libéral et compétitif, est la condition d'une justice qui pour n'être pas sociale ou liée à des considérations politiques arbitraires et statutaires est authentiquement juste du seul point de vue formel qui vaille: le point de vue individuel de l'équité.



3 La critique sociale libérale du libéralisme anti-social

S'il faut rendre hommage à la rigueur de la critique que Hayek fait de toutes les tentatives d'abolir l'économie de marché au profit d'une économie planiste administrée par l'état, il reste que l'on doit néamoins regretter qu'il en soit resté à cette critique sans faire celle d'un libéralisme économique sauvage ou dérégulé et de ses dérives précisément anti-libérales dès lors qu'il repose sur l'unique socle de la propriété des moyens de production et d'échange et des inégalités; non pas naturelle mais sociales cumulatives, qu'elle risque nécessairement de générer en  l'absence de toute intervention de la puissance publique.  Si Hayek lui-même n'est pas directement responsable du fait qu'un prétendu ultra-libéralisme (qui se réclame de sa position en la simplifiant à l'excès et surtout sans voir que son propos était principalement unilatéral ) s'est détourné de tout responsabilité sociale en prétendant que le libre marché très inégalitaire pouvait suffire à assurer une justice minimale fondée sur la proportion entre les revenus et le mérite, il n'en reste pas moins que l'unilatéralisme de sa critique a pu servir de justification-prétexte  à cette dérive. 

Déjà A. Smith avait souligné le fait que le pouvoir des investisseurs et les rapports de forces entre propriétaires et non propriétaires pouvaient être tels que des inégalités inacceptables et anti-libérales, en cela qu'elle tendent au protectionnisme déguisé et au détournement de la concurrence, pouvaient s'accroître sans que cela soit dû aux démérites des vaincus de la compétition sociale. De plus ceux-ci tendent à devenir victimes à la naissance de la situation sociale défavorisée dont ils héritent et à la transmettre à leur descendance qui va rapidement voir ses chances de promotion, dans la compétition sociale pour la propriété et la richesse, se réduire comme peau de chagrin, sauf chance extraordinaire ou effort héroïque . Comment alors établir une société qui soit à la fois juste et libérale ? C'est la tentative théorique de JRawls de fonder une justice démocratique qui tente de répondre à cette question.



3-1 Les principes de la justice libérale selon J. Rawls
Pour définir les principes d'une telle société idéale ou fictive, Rawls se place d'emblée dans la situation du législateur qui doit la décider ou la construire. Celui ci doit tout ignorer des situations particulières des uns et des autres, y compris de le sienne propre et ne doit surtout pas s'inspirer des sociétés existantes ou ayant existé car elles sont toutes à des degrès divers injustes dès lors qu'elle légalisent les inégalités existantes en les justifiant par les différences de compétences, les différences naturelles, la volonté divine et/ou la tradition; cela veut dire que les législateurs doivent être placés ou se placer volontairement sous ce qu'il appelle un voile d'ignorance qui les oblige à se situer dans l'horizon de l'universalité et de la réciprocité des droits. Une telle situation est  peut être impossible à réaliser entièrement, mais tout doit être fait comme si elle pouvait l'être. Cela veut dire que la justice, dans ses principes fondamentaux , doit donc être le résultat d'un effort pour s'abstraire du contexte situationnel particulier des législateurs, des appartenances de groupes, des intérêts concrets plus ou moins en conflits et des éthiques positives de nature opposées (lesquelles sont fondées sur des visions du Bien et du Mal, des perspectives de salut et de promesse de bonheur différentes et souvent contradictoires, parfois même chez un même individu.
Dans la théorie de la justice comme équité, les institutions de la structure de base sont considérées comme justes dès lors qu'elles satisfont aux principes que des personnes morales, libres et égales et placées dans une situation équitable (précisons: dans celle du voile d'ignorance) adopteraient dans le but de réguler cette structure. Les deux principes les plus importants que, selon Rawls, dans un telle situation,les législateurs ne peuvent pas ne pas adopter, sont les suivants:
"1 Chaque personne a un droit égal à un système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, qui soit compatible avec un même système de libertés pour tous.

  2  Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions :
a) elles doivent d'abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions de juste (fair) égalité des chances
b) elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société."

Mais jamais Rawls ne se pose la question de savoir s'il est possible dans une société inégalitaire de conclure un tel pacte social et si ceux qui profitent de cette inégalité réelle et cherchent toujours à les justifier aux yeux des autres, au nom de la célèbres théorie du ruissellement, peuvent en être convaincus au point de l'accepter pacifiquement et de renoncer à leurs privilèges. Rawls du reste leur tend la perche : rien ne permet de dire qu' une plus grande égalité ne serait pas, au bout du compte, plus défavorable encore aux moins favorisés


3-2  L'économie libérale problématisée: la position sociale-libérale d'Amartya Sen

Rawls , a commis l'erreur de proposer un modèle politique idéal de nos sociétés modernes qui fait l'impasse sur l'importance de la vie économique sur la vie politique: outre qu'il ne comprend pas l'interdépendance économique et donc politique de nos sociétés en voie de mondialisation , il refuse de prendre position sur les modes de production et de régulation sociales et économiques; par exemple il refuse de trancher sur la question, centrale, de savoir si une économie doit être nationale et administrée par l'état ou libérale sur la principe de la concurrence libre et non faussée et dans quelle mesure et comment l'état ou des instances politiques internationales doivent intervenir dans le régulation des échanges économiques et des (d)équilibres sociaux et politiques qu'ils génèrentC'est au contraire sa position d'économiste libéral critique qui emmène A.Sen  à récuser le dogmatisme du libéralisme économique réducteur et à problématiser la relation entre l'économie et l'éthique démocratique (qu'il appelle la morale) et à considérer l'économie libérale comme dépendante de choix éthiques et politiques discutables. et non pas comme la mis en oeuvre  mécanique d'une prétendue main invisible nécessairement juste. La liberté est selon lui dépendante d'une vision de la justice qui oblige à remettre en question la concept central du mécanisme autorégulé du marché à savoir celui de l'"homo économicus" dont la seule motivation serait l'intérêt personnel, indépendamment de toute autre considération. Il faut selon cet auteur se représenter les motivations humaines comme toujours socialement conditionnées par des valeurs et des convictions idéologiques et il n' y a pas lieu de réduire l'économie rationnelle au seul jeu mécanique de l'intérêt égoiste individuel, réduction, du reste, elle-même idéoligiquement construite. 

Cette vision large de l'économie éthique ou politique permet à notre auteur de faire une critique du deuxième principe de justice de Rawls comme indécidable sur des bases objectives et abstraitres: il est en effet impossible de savoir quelle distribution des richesses est la meilleure pour ceux qui sont les plus défavorisés dès lors que l'on ne sait rien des effets à plus ou moins long terme d'un système concurrent ou d'une distribution alterne des richesses: la question de savoir quel écart est le plus favorable à tous et en priorité à ceux d'en bas  ne peut recevoir de réponse indiscutable a priori;  de même il est impossible de concilier le principe de Paréto cher aux économistes libéraux  dits classiques qui affirme que la meilleure économie est celle qui améliore la satisfaction des uns sans nuire à celle des autres, dès lors que cette amélioration peut toujours être vécue comme éthiquement injuste et donc nuisible à ceux qui en sont exclus. 

La notion de justice en effet ne va pas de soi, car, si elle repose sur celle d'égalité, celle-ci elle-même peut être définie sur des plans différents et parfois contradictoires; nous le savons depuis Aristote. 
1- Soit elle est évaluée sur les résultats et il s'agit d'une réduction des inégalités de revenus.
2- Soit elle vise la récompense des mérites, ce qui pose la question indécidable de l'évaluation de ce mérites en termes de compétence et d'utilité sociale, voire de courage personnel.
3- Soit encore elle vise à égaliser non les biens premiers qui ne sont que des moyens de la liberté, sans considération des libertés dites concrètes (position de Rawls) , mais des chances en terme de capabilité, c'est à dire d'accès réel à l'égalisation autant que faire ce peut des possibilités de choix et de développement personnel pour tous, quels que soient leurs handicaps sociaux, de santé ou de sexe au départ. 

Cette dernière position est, selon Sen, seule conforme à une éthique authentiquement libérale Cette éthique doit être fondée non sur la simple compassion, mais sur l'engagement de chacun vis-à-vis de tous pour réduire les inégalités dans l'accès aux libertés, c’est-à-dire à leur capabilité. La compassion est encore trop égoïste : elle ne s'intéresse au sort d'autrui qu'autant qu'il participe à notre propre bonheur, en négatif ou en positif. L'engagement par contre suppose une idéologie libérale humaniste qui voit dans la liberté un bien universel et nous engage à des actions concrète de solidarité. La question reste ouverte de savoir si ceux qui s'engagent le font contre leur utilité ou bien parce qu'ils y voient l'affirmation d'un bien qui les valorise.

En ce sens il est juste de donner plus de biens premiers (moyens) à ceux qui ont par exemple un handicap de santé pour pouvoir avoir accès à des soins coûteux spéciaux, conditions d'une plus grande possibilité de choix de vie dès lors que ces handicapés ont plus besoin que les autres de moyens qui visent à compenser leur handicap de départ et cela dans deux domaines essentiels à l'égalisation des chances et aux capacités de choix de vie que sont  la santé et l'éducation. Cette vision de la justice libérale (-la justice en vue d'accroître l'égalisation de la capabilité de chacun ) relève donc de procédures démocratiques et ne peut être décidée et mise en oeuvre que par des instances politiques, nationales ou internationales, sensibles aux mouvements sociaux. Ce qui signifie qu'il est impossible de traiter de justice politique sans choix indissociablement économiques et éthiques donc politiques concrets et que toute liberté économique doit être régulée pour mettre en forme l'égalisation des capabiltés. Ainsi Sen refuse de n'envisager les performances économiques qu'en terme de production des richesses (PIB); pour lui un système n'est libéral que dans la mesure où il sert la liberté ou capabilité individuelle  (possibilité de choix de vie et mobilité sociale) et l'égalité des chances de chacun. Ce qui évidemment remet en question le capitalisme sauvage comme mode automatique de régulation libéral économique et social. Celui-ci fonctionne spontanément à l'accroissement des inégalités de chances et de la capabilité entre les individus. le capitalisme libéral ne peut être que régulé éthiquement et politiquement selon des formes et des institutions démocratiques à inventer sur le plan mondial. En ce qui concerne l'aide au développement par exemple Sen est à l'origine de la formation d'autres critères que le seul critère du PIB dans la définition de l'évaluation des performances économiques elle-mêmes, sous la forme de ce que  certains ont appelé l'indice de développement humain (IDH) qui prend en compte la durée de vie, l'égalité des chances, le niveau d'éducation générale, l'égalité des sexes, l'écart des revenus, les données écologiques etc... 

La position de Sen nous oblige donc à nous interroger sur le lien devenu, par son analyse critique même, problématique, entre le libéralisme et le capitalisme dès lors que ce dernier est toujours susceptible, hors régulation sociale internationale, de compromettre les équilibres sociaux et écologiques pourtant nécessaires non seulement à la paix dans le monde mais à sa survie à moyen terme même.
جنون
رد: Le libéralisme peut-il être social?
مُساهمة الجمعة فبراير 26, 2016 12:31 pm من طرف جنون
3-3 Conclusion


Conclusion : Il faut donc opposer au pseudo-libéralisme capitaliste tyrannique, le libéralisme politique et social qui accorde aux forces de travail le droit de faire valoir leurs droits face au capital, ce que l'on appelle les droits sociaux...La véritable libéralisme est social ou n'est que le masque trompeur de la dictature du capital sur le travail qui se dénonçant lui-même pour ce qu'il est , un pouvoir despotique, génère la révolte qui peut devenir anti-libérale au deux sens, politique et économique, du terme. Que l'extrême droite puisse se présenter, aujourd'hui en France, comme hier en Allemagne et en Italie, voire en Espagne et au Portugal, comme sociale « parce que xénophobe » ou raciste est bien le signe de l'échec politique de ce pseudo-libéralisme anti-social et donc réellement anti-libéral qu'est le capitalisme dérégulé mondial . Toute la question est de savoir si le capitalisme, désormais irréversiblement mondialisé, pourra être régulé mondialement, non seulement sur le plan économique mais aussi écologique et surtout à quel prix de violence sociale et de catastrophes écologiques. Le nationalisme en tout cas ne serait, non seulement pas à l'échelle des problèmes économiques et écologiques dorénavant mondiaux, mais un mal pire en cela qu'il déboucherait inéluctablement sur une guerre dans laquelle la destruction même de l'espèce humaine serait, de fait, engagée...Les anges, si peu angéliques de la mort, sous des prétextes religieux et/ou nationalistes, sont déjà à pied d’œuvre...Ils ne sont que les précurseurs ou l'avant-garde de la montée en puissance de cette pulsion suicidaire « altruiste », toujours présente à l'état plus ou moins latent dans le psychisme humain, selon Freud (pulsion de mort), dès lors, qu'en l'absence de luttes sociales et des droits sociaux qui en sont l'enjeu, cette auto-destruction est tout à la fois la conséquence nécessaire ultime du capitalisme le plus sauvage et le commencement de sa propre fin.


À quoi assiste-on en effet ? Rien d'autre qu'a la domination du pouvoir politique par le pouvoir financier, dans un cadre qui, chez nous, reste formellement démocratique, ce qui ne va pas sans menacer de détruire ce dernier, voire qui conduit à la fusion de fait entre ces deux pouvoirs jusqu'à l'abolition même du toute autonomie du pouvoir politique, via le rôle que jouent dans nos gouvernements les banquiers et autres manipulateurs de la finance, la spéculation mondiale, hors tout cadre légal, les paradis fiscaux, la généralisation des délits d'initiés et autres conflits d'intérêts, etc. La corruption règne sur le monde. Mais il faut dire que cette démission du pouvoir politique est aussi un choix politique. On ne peut plus, dans ces conditions, parler de libéralisme, dont la fusion des pouvoirs ou l'hégémonie d'un pouvoir sur les autres est précisément son contraire et ce, depuis l'origine de la pensée libérale. Ce qui se développe et se renforce, non sans entraîner les crises que nous connaissons, n'est qu'une dictature sans partage du capital et de la loi du profit privé sur les sociétés qui ne peut aboutir qu'à la destruction des conditions de la paix entre les populations et de la vie humaine dans un environnement sain. Reste à savoir quand et comment une démocratie sociale, libérale et écologique mondialisée sera rendue possible. En tout cas, sur le plan mondial, un accord entre les états et la mobilisation politique des populations ne semblent pas être aujourd'hui suffisants pour mettre en cause le modèle pseudo ultra-libéral du capitalisme financier cupide et corrupteur dans lequel nous tentons de nous adapter, en l'absence de luttes suffisantes, pour mettre en cause sa logique mortifère. Mais à plus ou moins long terme, le libéralisme ne doit pas seulement concerner les quelques profiteurs détenteurs de la finance et des moyens de production et d'échanges, mais tous les individus dans toutes les sociétés du monde, dorénavant toutes économiquement intégrées. Le libéralisme politique devra transformer la recherche légitime et humainement nécessaire du profit en une capacité d'amélioration de la qualité de la vie pour tous qui, lorsque tous les besoins de base seront satisfaits, deviendra le but ultime de la vie économique et sociale. Le développement du libéralisme social, tel que l'ont imaginé J.Stuart-Mill et Armatya Sen, par lequel le libéralisme politique deviendrait capable de réguler démocratiquement le libéralisme économique, tant sur le plan de la réduction des inégalités que sur celui de l'écologie, est indispensable, si l'on veut encore sauver notre espèce d'une auto-destruction annoncée. 



Extraits de textes

[size=16]Adam Smith "
Richesse des nations" (1776)
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« Une augmentation de fortune est le moyen par lequel la majorité des hommes se propose d’améliorer son sort ; c’est le moyen le plus commun et qui vient le premier à la pensée ; et la voie la plus simple et la plus sûre d’augmenter sa fortune, c’est d’épargner et d’accumuler une partie de ce que l’on gagne … Le capital d’un individu ne peut s’augmenter que par le fonds que cet individu épargne sur son revenu annuel ou sur ses gains annuels ; de même le capital d’une société, lequel n’est autre que celui de tous les individus qui la composent, ne peut s’augmenter que par la même voie ».
 
« la cause immédiate de l’augmentation du capital, c’est l’économie, et non le travail. A la vérité, le travail fournit la matière des épargnes que fait l’économie ; mais, quelques gains que fasse le travail, sans l’économie qui les épargne et les amasse, le capital ne serait jamais plus grand ».
« l’industrie de la nation ne peut augmenter qu’à proportion de l’augmentation de son capital »
 
« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière, ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est pas jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage »
 
« tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il (le capitaliste) travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler »



Mais la spontanéité bonne de l’économie est problématique :
 
« On n'entend guère parler, dit-on, de Coalitions entre les maîtres, et tous les jours on parle de celles des ouvriers. Mais il faudrait ne connaître ni le monde, ni la matière dont il s'agit, pour s'imaginer que les maîtres se liguent rarement entre eux. Les maîtres sont en tout temps et partout dans une sorte de ligue tacite, mais constante et uniforme, pour ne pas élever les salaires au-dessus du taux actuel. Violer cette règle est partout une action de faux frère, et un sujet de reproche pour un maître parmi ses voisins et ses pareils. A la vérité, nous n'entendons jamais parler de cette ligue, parce qu'elle est l'état habituel, et on peut dire l'état naturel de la chose, et que personne n'y fait attention. Quelquefois les maîtres font entre eux des complots particuliers pour faire baisser au-dessous du taux habituel les salaires du travail. Ces complots sont toujours conduits dans le plus grand silence et dans le plus grand secret jusqu'au moment de l'exécution; et quand les ouvriers cèdent comme ils font quelquefois, sans résistance, quoiqu'ils sentent bien le coup et le sentent fort durement, personne n'en entend parler. Souvent cependant les ouvriers opposent à ces coalitions particulières une ligue défensive; quelquefois aussi, sans aucune provocation de cette espèce, ils se coalisent de leur propre mouvement, pour élever le prix de leur travail. Leurs prétextes ordinaires sont tantôt le haut prix des denrées, tantôt le gros profit que font les maîtres sur leur travail. Mais que leurs ligues soient offensives ou défensives, elles sont toujours accompagnées d'une grande rumeur. Dans le dessein d'amener l'affai­re à une prompte décision, ils ont toujours recours aux clameurs les plus empor­tées, et quelquefois ils se portent à la violence et aux derniers excès. Ils sont désespé­rés, et agissent avec l'extravagance et la fureur de gens au désespoir, réduits à l'alter­na­tive de mourir de faim ou d'arracher à leurs maîtres, par la terreur, la plus prompte condescendance à leurs demandes. Dans ces occasions, les maîtres ne crient pas moins haut de leur côté; ils ne cessent de réclamer de toutes leurs forces l'autorité des magistrats civils, et l'exécution la plus rigoureuse de ces lois si sévères portées contre les ligues des ouvriers, domestiques et journaliers. En conséquence, il est rare que les ouvriers tirent aucun fruit de ces tentatives violentes et tumultueuses, qui, tant par l'intervention du magistrat civil que par la constance mieux soutenue des maîtres et la nécessité où sont la plupart des ouvriers de céder pour avoir leur subsistance du moment, n'aboutissent en général à rien autre chose qu'au châtiment ou à la ruine des chefs de l'émeute.
 
Dans le fait, des profits élevés tendent, beaucoup plus que des salaires élevés, à faire monter le prix de l'ouvrage. Si, par exemple, dans la fabrique des toiles, les salaires des divers ouvriers, tels que les séranceurs du lin, les fileuses, les tisserands, etc., venaient tous à hausser de deux deniers par journée, il deviendrait nécessaire d'élever le prix d'une pièce de toile, seulement d'autant de fois deux deniers qu'il y aurait eu d'ouvriers employés à la confectionner, en multipliant le nombre des ou­vriers par le nombre des journées pendant lesquelles ils auraient été ainsi employés. Dans chacun des différents degrés de main-d’œuvre que subirait la marchandise, cette partie de son prix, qui se résout en salaires, hausserait seulement dans la proportion arithmétique de cette hausse des salaires. Mais si les profits de tous les différents maîtres qui emploient ces ouvriers venaient à monter de 5 %, cette partie du prix de la marchandise qui se résout en profits, s'élèverait dans chacun des différents degrés de la main-d'œuvre, en raison progressive de cette hausse du taux des profits ou en proportion géométrique. Le maître des séranceurs demanderait, en vendant son lin, un surcroît de 5 % sur la valeur totale de la matière et des salaires par lui avancés à ses ouvriers. Le maître des fileuses demanderait un profit additionnel de 5 %, tant sur le prix du lin sérancé dont il aurait fait l'avance, que sur le montant du salaire des fileuses. Et enfin le maître des tisserands demanderait aussi 5 %, tant sur le prix par lui avancé du fil de lin, que sur les salaires de ses tisserands.
 
.. Nos marchands et nos maîtres manufacturiers se plaignent beaucoup des mauvais effets des hauts salaires, en ce que l'élévation des salaires renchérit leurs marchan­dises, et par là en diminue le débit, tant à l'intérieur qu'à l'étranger : ils ne parlent pas des mauvais effets des hauts profits; ils gardent le silence sur les conséquences fâcheuses de leurs propres gains; ils ne se plaignent que de celles du gain des autres.
 
La consommation est l'unique but, l'unique terme de toute production, et on ne devrait jamais s'occuper de l'intérêt du producteur, qu'autant seulement qu'il le faut pour favoriser l'intérêt du consommateur. - Cette maxime est si évidente par elle-même, qu'il y aurait de l'absurdité à vouloir la démontrer. Mais, dans le système que je combats, l'intérêt du consommateur est a peu près constamment sacrifié à celui du producteur, et ce système semble envisager la production et non la consommation, comme le seul but, comme le dernier terme de toute industrie et de tout commerce.
 
.. Nos marchands et nos maîtres manufacturiers se plaignent beaucoup des mauvais effets des hauts salaires, en ce que l'élévation des salaires renchérit leurs marchan­dises, et par là en diminue le débit, tant à l'intérieur qu'à l'étranger : ils ne parlent pas des mauvais effets des hauts profits; ils gardent le silence sur les conséquences fâcheuses de leurs propres gains; ils ne se plaignent que de celles du gain des autres.
 
La consommation est l'unique but, l'unique terme de toute production, et on ne devrait jamais s'occuper de l'intérêt du producteur, qu'autant seulement qu'il le faut pour favoriser l'intérêt du consommateur. - Cette maxime est si évidente par elle-même, qu'il y aurait de l'absurdité à vouloir la démontrer. Mais, dans le système que je combats, l'intérêt du consommateur est a peu près constamment sacrifié à celui du producteur, et ce système semble envisager la production et non la consommation, comme le seul but, comme le dernier terme de toute industrie et de tout commerce




 
John Stuart Mill (Fragments)
 De la liberté (1859)
La lutte entre la Liberté et l'Autorité est le trait le plus remarquable dans les périodes de l'histoire qui nous sont familières depuis l'enfance, en particulier la Grèce, Rome, et l'Angleterre. Mais jadis c'était un combat entre des sujets, ou certaines classes de sujets, et le gouvernement . Par liberté, on entendait la protection contre la tyrannie des dirigeants politiques . Les dirigeants étaient conçus (à l'exception de certains gouvernements populaires de Grèce) comme étant dans un situation nécessairement opposée  à celle du peuple qu'ils dirigeaient. Il s'agissait du gouvernement d'un Seul, ou du gouvernement d'une tribu ou d'une caste, qui devaient leur autorité à l'héritage ou à la conquête, qui, en tout cas, ne la tenaient pas de la volonté des gouvernés, et les hommes n'osaient pas, ou ne désiraient pas, élever des contestations contre cette suprématie, quelles que fussent les précautions à prendre contre son exercice oppressif . Le pouvoir était considéré comme nécessaire, mais aussi comme haute­ment dangereux, comme une arme que les dirigeants pouvaient essayer d'utiliser contre leurs sujets autant que contre leurs ennemis extérieurs. Pour empêcher que les membres les plus faibles de la communauté ne soient victimes d'innombrables vautours, il était nécessaire qu'il y ait un animal de proie  plus fort que les autres, chargé de les tenir en respect . Mais comme le roi des vautours n'était pas moins acharné à faire sa proie du troupeau que les harpies  inférieures, il était indispensable d'être perpétuellement prêts à se protéger de son bec et de ses serres. Le but des patriotes était par conséquent de poser des limites au pouvoir, limites que le dirigeant devait subir pour exercer ce pouvoir sur la communauté , et cette restriction était ce qu'ils entendaient par liberté. Il s'agissait du gouvernement d'un Seul, ou du gouvernement d'une tribu ou d'une caste, qui devaient leur autorité à l'héritage ou à la conquête, qui, en tout cas, ne la tenaient pas de la volonté  des gouvernés, et les hommes n'osaient pas, ou ne désiraient pas, élever des contestations contre cette suprématie, quelles que fussent les précautions à prendre contre son exercice oppressif . Le pouvoir était considéré comme nécessaire, mais aussi comme haute­ment dangereux, comme une arme que les dirigeants pouvaient essayer d'utiliser contre leurs sujets autant que contre leurs ennemis extérieurs. Pour empêcher que les membres les plus faibles de la communauté ne soient victimes d'innombrables vautours, il était nécessaire qu'il y ait un animal de proie  plus fort que les autres, chargé de les tenir en respect . Mais comme le roi des vautours n'était pas moins acharné à faire sa proie du troupeau que les harpies inférieures, il était indispensable d'être perpétuellement prêts à se protéger de son bec et de ses serres. Le but des patriotes était par conséquent de poser des limites au pouvoir, limites que le dirigeant devait subir pour exercer ce pouvoir sur la communauté , et cette restriction était ce qu'ils entendaient par liberté…
 
 La volonté du peuple signifie dans la pratique la volonté du plus grand nombre, ou de la partie la plus active du peuple, ou de ceux qui réussissent à se faire passer pour la majorité . Le peuple, par conséquent, peut vouloir opprimer  une partie du peuple, et des précautions sont aussi nécessaires contre cela que contre tout autre abus de pouvoir . C'est pourquoi la restriction du pouvoir sur les individus ne perd aucunement de son importance quand les détenteurs du pouvoir doivent régulièrement rendre des comptes  à la communauté, c'est-à-dire au parti le plus fort
 
 La société exerce une tyrannie sociale plus redoutable que de nombreuses sortes d'oppression politique, tyrannie qui, même si elle ne se maintient pas habituellement par des sanctions pénales extrêmes , laisse peu de moyens de s'échapper, pénétrant très profondément dans les détails de la vie, et asservissant  l'âme elle-même.  Par conséquent, se protéger contre la tyrannie des magistrats n'est pas suffisant. Il est nécessaire de se protéger aussi contre la tyrannie de l'opinion et du sentiment dominants, contre la tendance de la société à imposer, par d'autres moyens que les peines civiles, ses propres idées et ses propres pratiques comme règles de conduite à ceux qui diffèrent d'elle, contre la tendance à entraver le développement, et, si c'est possible, à empêcher la formation d'une individualité qui ne soit pas en harmonie avec ses points de vue ,  [et contre la tendance] à contraindre tous les caractères à se façonner sur son propre modèle. Il y a une limite à l'ingérence légitime de l'opinion collective dans l'indépendance individuelle , et trouver cette limite, et la maintenir contre l'empiétement , est aussi indispensable à la bonne marche des affaires humaines qu'à la protection contre le despotisme politique.
Le seul but en vue duquel le pouvoir peut être légitimement exercé  sur un membre de la communauté, contre sa volonté, est d'empêcher qu'il ne nuise aux autres
Ce principe est que la seule fin pour laquelle les hommes sont autorisés, individuelle­ment ou collectivement, à intervenir dans la liberté d'action d'un quelconque concitoyen  est de se protéger , que le seul but en vue duquel le pouvoir peut être légitimement exercé  sur un membre de la communauté, contre sa volonté, est d'empêcher qu'il ne nuise aux autres. Son propre bien, qu'il soit physique ou moral, n'est pas une justification suffisante . Il ne peut pas légitimement être forcé de faire quelque chose ou de s'en abstenir parce que ce serait  mieux pour lui d'agir ainsi, parce que cet acte le rendrait plus heureux, ou parce que dans l'opinion des autres, agir ainsi serait sage, ou même juste . Ce sont de bonnes raisons pour lui faire des remontrances, ou pour le raisonner, ou pour le persuader, ou pour le prier [de faire quelque chose], mais pas pour le contraindre ou lui infliger quelque tort, au cas où il agirait autrement. Pour justifier cela, il faut estimer que la conduite dont on veut qu'il se détourne  produit du tort à autrui. La seule part de la conduite de quelqu'un qui soit du ressort de la société, est celle qui concerne autrui. Pour ce qui est de la part qui ne concerne que lui-même, son indépendance est, de droit, absolue . Sur lui-même, sur son propre corps et son propre esprit, l'individu est souverain .
 
Il convient de noter que je renonce à tout avantage, qui pourrait être tiré de mon argumentation, de l'idée d'un droit abstrait comme d'une chose indépendante de l'utilité . Je considère l'utilité comme le recours ultime pour toutes les questions d'éthique, mais l'utilité doit être [entendue] au sens le plus large, [l'utilité] fondée sur les intérêts permanents de l'homme en tant qu'être susceptible de progrès . Je prétends que ces intérêts autorisent la soumission de la spontanéité individuelle  au contrôle extérieur, [mais] seulement pour les actions de chacun en tant qu'elles concernent l'intérêt d'autrui
 
Une personne peut causer un tort à autrui, non seulement par ses actions, mais aussi par son inaction, et dans les deux cas, c'est avec justice qu'il doit rendre compte  d'elles pour le dommage subi. Le second cas, il est vrai, requiert un exercice beaucoup plus circonspect que le premier. Faire que tout un chacun soit responsable du tort qu'il fait aux autres, c'est la règle; le rendre respon­sable des torts qu'il n'empêche pas, c'est, comparativement parlant, l'exception
 
La liberté d'opinion et de sentiment sur tous les sujets, pratiques, spéculatifs, scientifiques, moraux, ou théologiques doit être absolue . La liberté d'expression et de publication des opinions peut sembler être l'objet d'un principe différent, puis­qu'elle appartient à cette part de la conduite d'un individu qui concerne autrui, mais, étant quasiment aussi importante que la liberté de pensée elle-même, et reposant en grande partie sur les mêmes justifications , elle en est pratiquement inséparable. En second lieu, le principe requiert la liberté des goûts et des aspirations, la liberté d'organiser le plan de notre vie conformément à notre propre caractère, d'agir à notre guise tout en étant responsables des conséquences qui peuvent s'ensuivre, sans entrave venant de nos semblables, aussi longtemps que ce que nous faisons ne leur nuit pas, quand bien même ils penseraient que notre conduite est insensée, perverse, ou mauvaise . En troisième lieu, de cette liberté propre à chaque individu s'ensuit, dans les mêmes limites, la liberté d'association entre individus , liberté de s'unir dans un but quelconque, pourvu qu'elle n'entraîne pas des nuisances pour les autres, que les personnes associées soient supposées être majeures, et que cela se fasse sans contrainte et sans tromperie.
 
La seule liberté qui mérite ce nom, est celle de rechercher notre bien comme nous l'entendons, aussi long­temps que nous ne tentons pas de déposséder les autres du leur, ou d'entraver leurs efforts pour l'atteindre 
جنون
رد: Le libéralisme peut-il être social?
مُساهمة الجمعة فبراير 26, 2016 12:31 pm من طرف جنون
Principes d’économie politique (1848)
 
Les chapitres précédents comportent la théorie générale du progrès économique de la société, dans le sens dans lequel ces limites sont généralement comprises ; le progrès du capital, de la population, et des arts productifs. Mais en contemplant un mouvement progressif, en sa nature limitée, l’esprit n’est pas satisfait de tracer simplement les lois du mouvement ; il ne peut pas ne pas poser la question supplémentaire : dans quel but ? Vers quel point final la société tend-elle par son progrès industriel ? Quand le progrès cessera-t-il ? en quelle condition laissera-t-il l’humanité ? Cette question de l’accroissement non illimité des richesses a toujours été vue par les économistes politiques, plus ou moins distinctement à savoir celui de l’état stationnaire derrière la mensonge du progrès infini et que tout le progrès dans la richesse ne serait qu’un ajournement de celui-ci, mais que chaque étape s’en approcherait. Derrière le mensonge du progrès indéfini se discerne un état stationnaire dont le progrès ne serait qu’un ajournement mais que chaque étape de celui-ci s’en approcherait. Nous avons été maintenant menés à identifier que ce but final est à tout moment près d’être entièrement en vue ; que nous sommes toujours sur son bord, et que si nous n’avons pu l’atteindre malgré une si longue histoire, c’est  parce que le but lui-même vole devant nous. Les pays les plus riches et les plus prospères atteindraient très bientôt l’état stationnaire, si aucune amélioration supplémentaire n’était apportée dans les arts productifs, et s’il y avait une suspension de l’exportation  du capital des pays riches dans les régions non cultivées ou mal-cultivées de la terre. Cette impossibilité d’éviter finalement l’état stationnaire - cette nécessité irrésistible vers une mer apparemment stagnante- que le jet de l’industrie humaine devrait finalement écarter lui-même au dehors, doit avoir été, aux yeux des économistes politiques des deux dernières générations, une perspective tellement déplaisante et décourageante  pour la tonalité et la tendance de leurs spéculations, qu’ils  vont complètement identifier tout ce qui est économiquement souhaitable avec l’état progressif, et avec cela seul. Avec M. Mac’Culloch, par exemple, la prospérité ne signifie pas une production importante et une bonne distribution de la richesse, mais une augmentation rapide de celle-ci ; son test de la prospérité réside dans des bénéfices élevés ; mais  comme la tendance de cette augmentation des bénéfices, qu’il appelle prospérité, va vers la décroissance , le progrès économique, selon lui, doit tendre à l’extinction de la prospérité. Adam Smith suppose toujours que l’état de la masse du peuple, bien qu’il ne pourrait être franchement dégradé , serait limité et maintenu en un état stationnaire de  richesse, et ne pourrait être seulement satisfaisant que dans un état progressif permanent. La doctrine que seule une lutte incessante de tous les instants  peut reporter notre sort malheureux, cependant éloigné, signifie  que sans cela  le progrès de la société doit finir dans la misère, qui loin d’être, comme beaucoup  de personnes le croient toujours, une invention mauvaise de M. Malthus, a été affirmées expressément ou tacitement  par ses prédécesseurs plus distingués, et cette finalité ne peut être combattue avec succès qu’avec les principes du progrès d’A.Smith. Avant que l’attention ait été dirigée vers le principe de la population comme force active en déterminant la rémunération du travail, l’augmentation de l’humanité a été pratiquement traitée comme quantité constante ; on a supposée, quelque soient les événements, que l’état normal de la population humaine doit constamment augmenter donc les affaires aussi, ce qui entraîne qu’une augmentation constante des moyens était essentielle au confort physique de la masse de l’humanité. La publication  de M. Malthus est le moment dont on peut dater les meilleures vues à ce sujet; et malgré les erreurs reconnues de sa première édition, peu d’auteurs ont fait  plus que lui-même, dans les éditions suivantes, pour favoriser des anticipations plus justes et plus pleines d’espoir.
Même dans un état de progrès du capital, dans les mère patries, une contrainte consciencieuse ou de prudence sur la population est indispensable, pour empêcher l’augmentation du nombres d’habitants de surpasser l’augmentation du capital, sinon le sort des classes inférieures serait détérioré. Mais là où il n’y a pas, parmi  les personnes, ou dans une certaine proportion d’entre elles suffisamment grande, une résistance résolue à cette détermination contraignante dans le but de préserver un niveau établi de confort - l’état des classe les plus faibles descend, même dans un état progressif, au plus bas point qu’elles consentiront à supporter. La même détermination dans l’équilibre  entre accroissement de la population et accroissement des richesses devrait exister pour maintenir leur état dans l’état stationnaire..mais là où il y a une perspective indéfinie d’emploi pour des nombres de gens accrus, la contrainte de prudence est susceptible d’apparaître moins nécessaire. S’il était évident qu’une nouvelle main ne pourrait pas obtenir d’emploi ,on pourrait dans une certaine mesure compter sur un moyen  déjà utilisé, à savoir les influences combinées de la prudence et l’opinion publique pour limiter le nombre de personnes de la génération ultérieure afin de remplacer la présente.
2.  Je ne peux donc pas considérer l’état stationnaire de capital et de richesse avec l’aversion permanente généralement manifestée envers eux par les économistes politiques de la vieille école. Je suis incliné à croire que ce serait, dans l’ensemble, une amélioration très considérable de notre état actuel. J’admets que je ne suis pas charmé par l’idéal de la vie donné par ceux qui pensent que l’état normal d’êtres humains est celui de la lutte pour obtenir toujours plus; que piétiner, écraser, écarter, et marcher d’un coup de coude sur les talons des autres , autant d’attitude qui forment le type actuel de vie sociale, soient le sort le plus souhaitable de l’humanité, ou quelque chose comme cela, mais je considère qu’ils sont les symptômes désagréables d’une des phases du progrès industriel. Ce peut être une étape nécessaire dans le progrès de la civilisation, et ces nations européennes qui ont jusqu’ici été si chanceuses d’en être préservées, peuvent pourtant avoir à la subir. C’est un incident de croissance, pas une marque du déclin, parce que il n’est pas nécessairement destructif des aspirations plus élevées et des vertus héroïques ; ainsi l’Amérique, dans sa grande guerre civile et par de nombreux différents exemples splendides, s’est avérée au monde, en tant que peuple, et comme en Angleterre, il faut espérer, qu’elle s’avérerait également dans cette étape passionnante. Mais ce n’est pas un genre de perfection sociale que les philanthropes à venir sentiront et seront très désireux d’aider à la réalisation. La plupart des ajustages de précision, en effet, viseront  à ce que la richesse soit puissante, afin qu’elle soit possible en tant qu’objet universel de l’ambition et que le chemin de son accomplissement devienne ouvert à tous, sans faveur ou partialité. Mais le meilleur état pour la nature humaine est celui dans lequel, alors que personne n’est pauvre, l’unique désir d’être plus riches des uns  n’a aucune raison de craindre d’être poussé en arrière par les efforts des autres à se pousser en  avant. Que les énergies de l’humanité devraient être utilisées dans la lutte pour la richesse, comme elles l’étaient autrefois, jusqu’à ce que les esprits éclairés réussissent à instruire les autres à de meilleures choses, dans la lutte pour la guerre ; cela est assurément plus souhaitable que si elles devaient  se rouiller et stagner. Quand les esprits sont bruts ils exigent les stimulus bruts et les laissent s’exprimer. En attendant, ceux qui n’acceptent pas l’étape présente de l’amélioration humaine en tant que son type final, peuvent être excusés pour être relativement indifférents au genre de progrès économique qui seul suscite les félicitations des politiciens ordinaires , à savoir la seule augmentation de la production et de l’accumulation. Si pour la sûreté de l’indépendance nationale il est essentiel qu’un pays ne devrait pas tomber largement au dessous de ses voisins dans ce domaine, en elles-mêmes elles sont de peu d’importance si l’augmentation de la population ou toute autre chose empêche la masse du peuple de récolter une partie quelconque des avantages de l’accroissement de la production et de l’accumulation. Je ne sais pas pourquoi devrait être un sujet de louange ce dont se félicitent les personnes qui sont déjà plus riches et qui ferait que, quelque soient leurs  besoins, leur permettraient de doubler leurs moyens de consommer les choses qui donnent peu ou pas de plaisir, exceptés en tant qu’expression de leur richesse ; ou que tel nombre d’individus de la classe  bourgeoise devraient passer chaque année dans une classe plus riche, ou de la classe des riches qu’ils occupent dans celle qu’ils n’occupent pas encore…Ce qui vaut pour un pays arriéré ne vaut pas pour un pays avancé. Ce qui est économiquement nécessaire en ce cas est une meilleure distribution, dont le moyen nécessaire est une contrainte plus stricte sur la population. La mise à niveau plus ou moins juste des positions sociales, ne peut pas s’accomplir par les seuls moyens de l’accroissement de la production et de l’accumulation ; ils peuvent abaisser les hauteurs de la société, mais ils ne peuvent pas, d’eux-mêmes, de manière permanente faire progresser le sort du plus grand nombre qui se trouvent plus bas. D’autre part, nous pouvons supposer que cette meilleure distribution de propriété peut être atteinte par l’effet commun de la prudence, de la frugalité des individus et par un système de  législation favorisant l’égalité des fortunes, dans la mesure où est juste la revendication permanente de chaque individu de participer aux fruit,  grand ou petit, de sa propre industrie. Nous pouvons supposer, par exemple (selon la suggestion jetée dans un chapitre précédent) que les cadeaux transmis par héritage  aient  la quantité suffisante pour constituer une indépendance modérée. Sous cette influence double, la société exhiberait ces principaux dispositifs : un corps bien-payé et riche des travailleurs ; aucunes énormes fortunes, excepté ce qui ont été gagnés et accumulés pendant une vie simple ; mais un corps beaucoup plus grand des personnes qu’exemptent actuellement, non seulement des travaux durs et brutaux, mais avec des loisirs suffisants, physiques et mentaux, des moyens pour cultiver librement les grâces de la vie, et que les classes moins favorisées se permettent de suivre  l’exemple des plus favorisés pour leur croissance. Cet état de la société, tellement préférable au présent, est non seulement parfaitement compatible avec l’état stationnaire, mais, il semblerait, plus naturellement lui être  lié  que tout autre.     
 
 Il y a place sans aucun doute dans le monde, et même dans les mères patries, pour une augmentation importante de la population, laquelle suppose les arts de la vie pour continuer à s’améliorer, et l’accroissement du capital. Mais même si elle est inoffensive, je ne vois que très peu de raison  pour la désirer. La densité de la population nécessaire pour permettre à l’humanité d’obtenir, en plus grand degré, tous les avantages de la  coopération et des rapports sociaux, a, dans tous les pays les plus populeux, été atteinte. Une population peut être trop dense, bien que tous soient amplement fournis en nourriture et en choses que les individus aiment consommer. Il n’est pas bon que l’homme soit gardé nécessairement à tout moment en présence des autres êtres de son espèce. Un monde dans lequel la solitude est bannie, est un idéal très pauvre.
La solitude, dans le sens d’être souvent isolé des autres, est essentielle à la profondeur de la méditation ou du caractère ; et l’isolement  en présence de la beauté et de la splendeur  est normalement  le berceau des pensées et des aspirations qui sont non seulement bonnes pour l’individu, mais sans lesquelles la société pourrait être défectueuse vis-à-vis des autres sociétés. N’y a il pas beaucoup de satisfaction à contempler le monde sans autre mouvement que l’activité spontanée de la nature ; chaque détérioration de la  terre est introduite par la culture, qui est capable de produire la nourriture pour les êtres humains ; chaque prairie fleurie ou pâturage normalement  labouré fait disparaître tous les quadrupèdes ou oiseaux qui ne sont pas domestiqués pour l’usage de l’homme en tant qu’il sont  ses rivaux pour la nourriture, chaque bordure de haies où l’arbre superflu est déraciné, supprime l’endroit où un arbuste ou une fleur sauvage pourraient se développer sans risquer d’être anéantis, dès lors qu’elle est considérée  comme une  mauvaise herbe au nom de l’amélioration de l’agriculture. Si la terre doit perdre cette grande partie de son agrément qu’elle doit aux choses que l’augmentation illimitée de la richesse et de la population  extirpe d’elle, dans le seul but de lui permettre de soutenir une plus grande, mais ni meilleure ni plus heureuse population, j’espère sincèrement, pour la postérité, qu’elle les populations  seront se satisfaire de rester stationnaires, longtemps avant que la nécessité les contraigne le faire.
Il est à peine nécessaire de remarquer qu’un état stationnaire de capital et de population n’implique aucun état stationnaire d’amélioration humaine. Il y aurait autant de place que jamais pour toutes sortes de culture de l’esprit, et de progrès moral et social et autant de moyens d’améliorer l’art de la vie, et beaucoup plus de probabilité d’y parvenir, quand des esprits aurons cessé d’être dirigés par l’art d’obtenir toujours plus. Même les arts industriels pourraient être sincèrement et avec succès cultivés, avec cette différence unique, qu’au lieu de n’atteindre aucun autre objectif que l’augmentation de la richesse, les améliorations industrielles produirait leur effet légitime qui est d’abréger le travail. Jusqu’ici il est impossible de déterminer d’une manière certaine si toutes les inventions mécaniques jusqu’alors accomplies  ont facilité le travail de l’être  humain. Elles ont permis à une plus grande population de vivre la même vie de  servitude et d’emprisonnement, et à un nombre peu nombreux de fabricants et d’autres privilégiés de faire fortune. Elles ont augmenté le confort des bourgeoisies. Mais elles sont  démunis à effectuer ces grands changements pourtant commencés du destin humain, qui est dans sa nature et dans l’avenir d’accomplir. C’est seulement au moment où  en plus de lois de justes de distribution, l’augmentation de l’humanité sera sous le contrôle délibéré de la prévoyance judicieuse, que  les conquêtes faites à partir des puissances de la nature par l’intellect et l’énergie des découvreurs scientifiques deviendront la propriété commune de l’espèce humaine ainsi que les moyens d’améliorer et d’élever le sort universel.
"L’utilitarisme" (1861)
 Bonheur (happiness) et satisfaction (content)
Croire qu’en manifestant une telle préférence (pour le sens de la dignité), on sacrifie quelque chose de son bonheur, croire que l'être supérieur - dans des circonstances qui seraient équivalentes à tous égards pour l'un et pour l'autre n'est pas plus heureux que l'être inférieur, c'est confondre les deux idées très différentes de bonheur et de satisfaction [content]. Incontestablement, l'être dont les facultés de jouissance sont d'ordre inférieur, a les plus grandes chances de les voir pleinement satisfaites; tandis qu'un être d'aspirations élevées sentira toujours que le bonheur qu'il peut viser, quel qu'il soit, le monde étant fait comme il l'est, est un bonheur imparfait.  Mais il peut apprendre à supporter ce qu'il y a d'imperfections dans ce bonheur, pour peu que celles-ci soient supportables; et elles ne le rendront pas jaloux d'un être qui, à la vérité, ignore ces imperfections, mais ne les ignore que parce qu'il ne soupçonne aucunement le bien auquel ces imperfections sont attachées.  Il vaut mieux être un homme insatisfait [dissatisfied] qu'un porc satisfait; il vaut mieux être Socrate insatisfait qu'un imbécile satisfait.  Et si l'imbécile ou le porc sont d'un avis différent, c'est qu'ils ne connaissent qu'un côté de la question : le leur.  L'autre partie, pour faire la comparaison, connaît les deux côtés.
 
On peut objecter que bien des gens qui sont capables de goûter les plaisirs supérieurs (intellectuels esthétiques et éthiques) leur préfèrent à l'occasion, sous l'influence de la tentation, les plaisirs inférieurs.(du corps ou des plaisirs de la domination narcissiques)  Mais ce choix n'est nullement incompatible avec l'affirmation catégorique de la supériorité intrinsèque des plaisirs supérieurs.  Souvent les hommes, par faiblesse de caractère, font élection du bien le plus proche, quoiqu'ils sachent qu'il est le moins précieux; et cela, aussi bien lorsqu'il faut choisir entre deux plaisirs du corps qu'entre un plaisir du corps et un plaisir de l'esprit.  Ils recherchent les plaisirs faciles des sens au détriment de leur santé, quoiqu'ils se rendent parfaitement compte que la santé est un bien plus grand.  On peut dire encore qu'il ne manque pas de gens qui sont, en débutant dans la vie, animés d'un enthousiasme juvénile pour tout ce qui est noble, et qui tombent, lorsqu'ils prennent de l'âge, dans l'indifférence et l'égoïsme.  Mais je ne crois pas que ceux qui subissent cette transformation très commune choisissent volontairement les plaisirs d'espèce inférieure plutôt que les plaisirs supérieurs.  Je crois qu'avant de s'adonner exclusivement aux uns, ils étaient déjà devenus incapables de goûter les autres.  L'aptitude à éprouver les sentiments nobles est, chez la plupart des hommes, une plante très fragile qui meurt facilement, non seulement sous l'action de forces ennemies, mais aussi par simple manque d'aliments; et, chez la plupart des jeunes gens, elle périt rapidement si les occupations que leur situation leur a imposées et la société dans laquelle elle les a jetés, ne favorisent pas le maintien en activité de cette faculté supérieure.  Les hommes perdent leurs aspirations supérieures comme ils perdent leurs goûts intellectuels, parce qu'ils n'ont pas le temps ou l'occasion de les satisfaire; et ils s'adonnent aux plaisirs inférieurs, non parce qu'ils les préfèrent délibérément, mais parce que ces plaisirs sont les seuls qui leur soient accessibles, ou les seuls dont ils soient capables de jouir un peu plus longtemps.  On peut se demander si un homme encore capable de goûter également les deux espèces de plaisirs a jamais préféré sciemment et de sang-froid les plaisirs inférieurs; encore que bien des gens, à tout âge, se soient épuisés dans un vain effort pour combiner les uns et les autres.
 
 
Lorsqu’il s’agit de savoir lequel, de deux plaisirs, a le plus de prix [the best worthl, ou lequel, des deux modes d’existence, donne le plus de satisfaction à la sensibilité [the most grateful to the feelings], abstraction faite de ses attributs moraux et de ses conséquences, il faut bien tenir pour définitif le jugement des hommes qui sont qualifiés par la connaissance qu’ils ont de l’un et de l’autre, ou, s’ils sont en désaccord, celui de la majorité d’entre eux.  Et il y a d’autant moins lieu d’hésiter à accepter ce jugement sur la qualité des plaisirs qu’il n’existe pas d’autre tribunal à consulter, même sur la question de quantité.  Quels moyens a-t-on de déterminer quelle est, de deux douleurs, la plus aiguë, ou, de deux sensations de plaisir, la plus intense, sinon le suffrage général de ceux à qui les deux sensations sont familières ? Ni les douleurs ni les plaisirs ne sont homogènes entre eux, et la douleur et le plaisir sont toujours hétérogènes.  Qu’est-ce qui peut décider si un plaisir particulier vaut d’être recherché au prix d’une douleur particulière, sinon la sensibilité et le jugement de ceux qui en ont fait l’expérience?  Donc si ces hommes-là, forts de ce sentiment et de ce jugement, déclarent que les plaisirs liés à l’exercice des facultés supérieures sont préférables spécifiquement, la question d’intensité mise à part, aux plaisirs dont la nature animale, isolée des facultés supérieures, est capable, leur déclaration, en cette matière, doit être également prise en considération.

L'idéal utilitariste, c'est le bonheur général et non le bonheur personnel.
 J'ai insisté sur ce point; parce que, sans cela, on ne pourrait se faire une idée parfaitement juste de l'utilité ou du bonheur, considéré comme la règle directrice de la conduite humaine. Mais ce n'est aucunement une condition indispensable dont devrait dépendre l'adhésion à l’idéal utilitariste car cet idéal n’est pas leplus grand bonheur de l’agent lui-même mais la plus grand grande somme -de bonheur totalisé [altogether] ; si l'on peut mettre en doute qu'un noble caractère soit toujours plus heureux que les autres en raison de sa noblesse, on ne peut douter qu'il rende les autres plus heureux, et que la société en général en retire un immense bénéfice.  L'utilitarisme ne pourrait donc atteindre son but qu'en cultivant universellement la noblesse de caractère, alors même que chaque individu recueillerait seulement le bénéfice de la noblesse des autres, et que sa noblesse personnelle, à ne considérer que son propre bonheur, ne devrait lui procurer aucun bénéfice.  Mais la seule énonciation d'une telle absurdité rend superflue toute réfutation.
Selon le principe du plus grand bonheur, tel qu'il vient d'être exposé, la fin dernière par rapport à laquelle et pour laquelle toutes les autres choses sont désirables (que nous considérions notre propre bien ou celui des autres) est une existence aussi exempte que possible de douleurs, aussi riche que possible en jouissances, envisagées du double point de vue de la quantité et de la qualité; et la pierre de touche de la qualité, la règle qui permet de l'apprécier en l'opposant à la quantité [for measuring it, against quantity], c'est la préférence affirmée [felt] par les hommes qui, en raison des occasions fournies par leur expérience, en raison aussi de l'habitude qu'ils ont de la prise de conscience [self consciousness] et de l'introspection [self observation] sont le mieux pourvus de moyens de comparaison.  Telle est, selon l'opinion' utilitariste, la fin de l'activité humaine, et par conséquent aussi, le critérium de la moralité.
جنون
رد: Le libéralisme peut-il être social?
مُساهمة الجمعة فبراير 26, 2016 12:32 pm من طرف جنون


 

Friedrich Hayek « En route vers le servitude » 1943-46

Le libéralisme n’est pas un dogme, mais un principe pragmatique.

II n'y a rien dans les principes du libéralisme qui permette d'en faire un dogme immuable; il n'y a pas de règles stables, fixées une fois pour toutes. Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la. conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées, et recourir le moins possible à la coer­cition. Mais ce principe peut comporter une infinie variété d'applica­tions. Il y a, en particulier, une immense différence entre créer délibérément un système où la concurrence jouera li- rôle le plus bien­faisant possible, et accepter passivement les institutions telles qu'elles sont. Rien n'a sans doute tant nui à la cause libérale que l'insistance butée de certains libéraux sur certains principes massifs, comme avant tout la règle du laissez-faire. Mais c'était en un sens nécessaire et inévitable. D'innombrables intérêts pouvaient montrer que certaines mesures particulières procureraient des bénéfices immédiats et évi­dents à certains, cependant que le mal qu'elles causeraient restait plus indirect et moins perceptible. Là contre, seule une règle rigide et prompte pouvait être efficace. Comme un préjugé favorable s'était établi en faveur de la. liberté industrielle, la tentation de la présenter comme une règle dépourvue d'exceptions était parfois irrésistible.

Une fois cette attitude pris» par maints vulgarisateurs de la doc­trine libérale, il était inévitable que leur position s'écroulât tout entière dès qu'elle était percée en un point. Cette position fut encore affaiblie par la lenteur inévitable d'une politique qui se proposait l'amélioration progressive du cadre des institutions d'une société libre. Ce progrès dépendait du développement de notre compréhension des forces sociales et des conditions les plus favorables à leur fonctionne­ment efficace. Puisque ia tâche consistait à aider ces forces, et à les compléter chaque fois qu'il était nécessaire, il fallait avant tout lescomprendre. L'attitude d'un libéral à l'égard de la société est comme celle d'un jardinier qui cultive une plante, et qui, pour créer les condi­tions les plus favorables à sa croissance, doit connaître le mieux pos­sible sa structure et ses fonctions.

Aucun homme sensé n'aurait dû douter que les règles grossières par lesquelles s'exprimaient les principes de la politique économique du XIX" siècle ne représentaient qu'un commencement, que nous avions encore beaucoup à apprendre, et qu'il y avait encore d'im­menses possibilités de progrès dans la direction que nous avions suivie. Mais ce progrès exigeait une maîtrise intellectuelle croissante des forces dont nous avions à nous servir. Pour un grand nombre de tâches essentielles, telles que la manipulation du système monétaire, ou le contrôle et la prévention des monopoles, pour un nombre plus grandencore de tâches à peine moins importantes dans d'autres domaines, les gouvernements possédaient d'énormes pouvoirs, en bien comme en mal. Il y avait toute raison d'espérer qu'en comprenant mieux les problèmes nous deviendrions quelque jour capables d'utiliser ces pou­voirs efficacement.

Mais cependant que le progrès vers ce qu'on appelle communément l'action « positive u restait nécessairement lent, et cependant qu'en matière d'améliorations immédiates le libéralisme devait en grande partie s'en remettre à l'accroissement progressif de la richesse provo­qué par la liberté, il devait sans cesse combattre des propositions qui menaçaient sa marche en avant. Il en vint à être considéré comme un dogme o négatif o parce qu'il ne pouvait offrir aux individus guère plus qu'une part du progrès commun, progrès qu'on trouvait de plus en plus naturel et en lequel on ne reconnaissait plus le résultat de la politique de liberté. On peut même dire que le succès même du libé­ralisme devint la. cause de son déclin. Le succès déjà atteint rendit l'homme de moins en moins désireux de tolérer les maux encore exis­tants, qui apparurent à la fois insupportables et inutiles.

Le libéralisme n’est pas un dogme, mais un principe pragmatique.

II n'y a rien dans les principes du libéralisme qui permette d'en faire un dogme immuable; il n'y a pas de règles stables, fixées une fois pour toutes. Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la. conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées, et recourir le moins possible à la coer­cition. Mais ce principe peut comporter une infinie variété d'applica­tions. Il y a, en particulier, une immense différence entre créer délibérément un système où la concurrence jouera li- rôle le plus bien­faisant possible, et accepter passivement les institutions telles qu'elles sont. Rien n'a sans doute tant nui à la cause libérale que l'insistance butée de certains libéraux sur certains principes massifs, comme avant tout la règle du laissez-faire. Mais c'était en un sens nécessaire et inévitable. D'innombrables intérêts pouvaient montrer que certaines mesures particulières procureraient des bénéfices immédiats et évi­dents à certains, cependant que le mal qu'elles causeraient restait plus indirect et moins perceptible. Là contre, seule une règle rigide et prompte pouvait être efficace. Comme un préjugé favorable s'était établi en faveur de la. liberté industrielle, la tentation de la présenter comme une règle dépourvue d'exceptions était parfois irrésistible.

Une fois cette attitude pris» par maints vulgarisateurs de la doc­trine libérale, il était inévitable que leur position s'écroulât tout entière dès qu'elle était percée en un point. Cette position fut encore affaiblie par la lenteur inévitable d'une politique qui se proposait l'amélioration progressive du cadre des institutions d'une société libre. Ce progrès dépendait du développement de notre compréhension des forces sociales et des conditions les plus favorables à leur fonctionne­ment efficace. Puisque ia tâche consistait à aider ces forces, et à les compléter chaque fois qu'il était nécessaire, il fallait avant tout lescomprendre. L'attitude d'un libéral à l'égard de la société est comme celle d'un jardinier qui cultive une plante, et qui, pour créer les condi­tions les plus favorables à sa croissance, doit connaître le mieux pos­sible sa structure et ses fonctions.

Aucun homme sensé n'aurait dû douter que les règles grossières par lesquelles s'exprimaient les principes de la politique économique du XIX" siècle ne représentaient qu'un commencement, que nous avions encore beaucoup à apprendre, et qu'il y avait encore d'im­menses possibilités de progrès dans la direction que nous avions suivie. Mais ce progrès exigeait une maîtrise intellectuelle croissante des forces dont nous avions à nous servir. Pour un grand nombre de tâches essentielles, telles que la manipulation du système monétaire, ou le contrôle et la prévention des monopoles, pour un nombre plus grandencore de tâches à peine moins importantes dans d'autres domaines, les gouvernements possédaient d'énormes pouvoirs, en bien comme en mal. Il y avait toute raison d'espérer qu'en comprenant mieux les problèmes nous deviendrions quelque jour capables d'utiliser ces pou­voirs efficacement.

Mais cependant que le progrès vers ce qu'on appelle communément l'action « positive u restait nécessairement lent, et cependant qu'en matière d'améliorations immédiates le libéralisme devait en grande partie s'en remettre à l'accroissement progressif de la richesse provo­qué par la liberté, il devait sans cesse combattre des propositions qui menaçaient sa marche en avant. Il en vint à être considéré comme un dogme o négatif o parce qu'il ne pouvait offrir aux individus guère plus qu'une part du progrès commun, progrès qu'on trouvait de plus en plus naturel et en lequel on ne reconnaissait plus le résultat de la politique de liberté. On peut même dire que le succès même du libé­ralisme devint la. cause de son déclin. Le succès déjà atteint rendit l'homme de moins en moins désireux de tolérer les maux encore exis­tants, qui apparurent à la fois insupportables et inutiles.


Des mauvaises raisons de l’anti-libéralisme ou « planisme généralisé » ( Fascisme et socialisme)

La lenteur des progrès de la politique libérale, la juste irritation contre ceux qui se servaient de la phraséologie libérale pour défendre des privilèges anti-sociaux, et l'ambition illimitée que légitimaient en apparence les améliorations matérielles déjà atteintes, tout cela fit que vers la fin du siècle la croyance dans les principes essentiels du libéralisme fut de plus en plus abandonnée. Les résultats atteints apparurent comme une possession sûre et impérissable, acquise une fois pour toutes. Le peuple fixa son regard sur les exigences nouvelles, dont la. rapide satisfaction paraissait entravée par l'adhésion aux vieux principes. On admit de plus en plus qu'un nouveau progrès ne pou­vait être atteint dans le cadre qui avait permis les premiers progrès, et qu'il fallait une refonte totale de la société. Il ne s'agissait plus d'augmenter ou d'améliorer l'outillage existant, mais de le mettre tout entier au rebut et de le remplacer. Et comme les espoirs de la nouvelle génération se concentraient sur quelque chose d'entièrement nouveau, on s'intéressa de moins en moins au fonctionnement de la société existante, et on le comprit de moins en moins. Et moins nous comprenions le fonctionnement du système de la liberté, moins nous nous rendions compte de ce qui dépendait de son existence.

(Les progrès rapides, mais partiels , accomplis dans une société planifiée), donne au planisme des partisans enthousiastes qui se sentent capables d'imposer aux dirigeants d'une telle société leur sens de la valeur de l'objectif visé. Et certains d'entre eux pourraient voir leurs espoirs exaucés, car une société planifiée est certainement plus capable que la société actuelle-de favoriser certains desseins déterminés. Il serait absurde de nier que les sociétés planifiées ou semi-planifiées que nous connaissons offrent des exemples de bien­faits entièrement dus au planisme. Un exemple souvent cité est celui des magnifiques autostrades d'Allemagne et d'Italie, encore qu'elles représentent un genre de planisme qui ne serait guère possible dansune société libérale. Mais il est également absurde de considérer de tels exemples comme prouvant la supériorité générale du planisme. Il serait plus exact de dire que des réalisations techniques d'une excellence hors de proportion avec la situation générale prouvent que les ressources du pays intéressé sont mal utilisées. Quand on a roulé sur les fameuses autostrades allemandes, et qu'on y a croisé moins de voitures que sur nombre de routes secondaires en Angleterre, on se rend compte que, du point de vue de l'économie du temps de paix, l'existence de ces autostrades n'est guère justifiée. Est-ce l'un des cas où les planistes ont choisi les a canons » au Heu du « beurre »? C'est une autre question. Mais de notre point de vue, il n'y a pas là matière à enthousiasme.

II n'y a rien dans les principes du libéralisme qui permette d'en faire un dogme immuable; il n'y a pas de règles stables, fixées une fois pour toutes. Il y a un principe fondamental : à savoir que dans la. conduite de nos affaires nous devons faire le plus grand usage possible des forces sociales spontanées, et recourir le moins possible à la coer­cition. Mais ce principe peut comporter une infinie variété d'applica­tions. Il y a, en particulier, une immense différence entre créer délibérément un système où la concurrence jouera li- rôle le plus bien­faisant possible, et accepter passivement les institutions telles qu'elles sont. Rien n'a sans doute tant nui à la cause libérale que l'insistance butée de certains libéraux sur certains principes massifs, comme avant tout la règle du laissez-faire. Mais c'était en un sens nécessaire et inévitable. D'innombrables intérêts pouvaient montrer que certaines mesures particulières procureraient des bénéfices immédiats et évi­dents à certains, cependant que le mal qu'elles causeraient restait plus indirect et moins perceptible. Là contre, seule une règle rigide et prompte pouvait être efficace. Comme un préjugé favorable s'était établi en faveur de la. liberté industrielle, la tentation de la présenter comme une règle dépourvue d'exceptions était parfois irrésistible.

Une fois cette attitude pris» par maints vulgarisateurs de la doc­trine libérale, il était inévitable que leur position s'écroulât tout entière dès qu'elle était percée en un point. Cette position fut encore affaiblie par la lenteur inévitable d'une politique qui se proposait l'amélioration progressive du cadre des institutions d'une société libre. Ce progrès dépendait du développement de notre compréhension des forces sociales et des conditions les plus favorables à leur fonctionne­ment efficace. Puisque ia tâche consistait à aider ces forces, et à les compléter chaque fois qu'il était nécessaire, il fallait avant tout les comprendre. L'attitude d'un libéral à l'égard de la société est comme celle d'un jardinier qui cultive une plante, et qui, pour créer les condi­tions les plus favorables à sa croissance, doit connaître le mieux pos­sible sa structure et ses fonctions.

Aucun homme sensé n'aurait dû douter que les règles grossières par lesquelles s'exprimaient les principes de la politique économique du XIX" siècle ne représentaient qu'un commencement, que nous avions encore beaucoup à apprendre, et qu'il y avait encore d'im­menses possibilités de progrès dans la direction que nous avions suivie. Mais ce progrès exigeait une maîtrise intellectuelle croissante des forces dont nous avions à nous servir. Pour un grand nombre de tâches essentielles, telles que la manipulation du système monétaire, ou le contrôle et la prévention des monopoles, pour un nombre plus grand encore de tâches à peine moins importantes dans d'autres domaines, les gouvernements possédaient d'énormes pouvoirs, en bien comme en mal. Il y avait toute raison d'espérer qu'en comprenant mieux les problèmes nous deviendrions quelque jour capables d'utiliser ces pou­voirs efficacement.

Mais cependant que le progrès vers ce qu'on appelle communément l'action « positive u restait nécessairement lent, et cependant qu'en matière d'améliorations immédiates le libéralisme devait en grande partie s'en remettre à l'accroissement progressif de la richesse provo­qué par la liberté, il devait sans cesse combattre des propositions qui menaçaient sa marche en avant. Il en vint à être considéré comme un dogme o négatif o parce qu'il ne pouvait offrir aux individus guère plus qu'une part du progrès commun, progrès qu'on trouvait de plus en plus naturel et en lequel on ne reconnaissait plus le résultat de la politique de liberté. On peut même dire que le succès même du libé­ralisme devint la. cause de son déclin. Le succès déjà atteint renditl'homme de moins en moins désireux de tolérer les maux encore exis­tants, qui apparurent à la fois insupportables et inutiles.

Le spécialiste a l'illusion que dans une société planifiée il arriverait à attirer davantage l'attention sur les objectifs dont il se soucie le plus. C'est là un phénomène plus général que pourrait le faire croire le mot : spécialiste. Dans nos prédilections et nos intérêts nous sommes tous en quelque manière des spécialistes. Et nous pensons tous que notre échelle personnelle de valeurs n'est pas simplement personnelle, mais que dans une libre discussion entre gens raisonnables nous arriverions à faire reconnaître la justesse de nos propres vues. L'amateur de pay­sages champêtres qui veut avant tout préserver leur apparence et effacer les insultes faites à leur beauté par l'industrie, tout autant que l'hygiéniste enthousiaste qui veut démolir les chaumières pitto­resques et insalubres, ou l'automobiliste qui veut voir partout de bonnes routes bien droites, le fanatique du rendement qui désire le maximum de spécialisation et de mécanisation, et l'idéaliste qui, au nom des droits de la personne humaine, veut conserver le plus possible d'artisans indépendants, tous savent que leur but ne peut être totale-nient atteint que par le planisme, et c'est pourquoi Us veulent le pla­nisme. Mais l'adoption du planisme qu'ils revendiquent à grands cris ne peut que faire surgir le conflit masqué qui oppose leurs buts.

Le mouvement pour le planisme doit sa force actuelle en grande partie au fait que, bien que le planisme ne soit encore en gros qu'une ambition, il unit presque tous les idéalistes unilatéraux, tous les hommes et toutes les femmes qui ont voué leur vie à une tâche unique. Les espoirs qu'ils mettent dans le planisme ne sont pas le résultat d'une vue compréhensive de l'ensemble de la société, mais plutôt celui d'une vue très limitée, et souvent d'une grande exagération des fins qu'ils proposent. Je ne veux pas là sous-estimer la grande valeur prag­matique de ce genre d'hommes dans une société comme la nôtre; ils méritent toute notre admiration. Mais les hommes les plus désireux de planifier la société seraient les plus dangereux si on les laissait faire, et les plus intolérants à l'égard du planisme d'autrui. Du saint idéa­liste unilatéral au fanatique il n'y a souvent qu'un pas. C'est le ressen­timent du spécialiste déçu qui donne au planisme son élan le plus vigoureux. Mais le monde le plus insupportable et le plus irrationnel serait celui où on laisserait les spécialiste s les plus éminents dans chaque domaine libres de procéder à la réalisation de leur idéal. Lan coordi­nation » ne saurait pas davantage devenir une nouvelle spécialité, comme paraissent l'imaginer certains planistes. L'économiste est le dernier à prétendre posséder les connaissances dont le coordinateur aurait besoin. Ce qu'il préconise, c'est une méthode qui permette la coordination sans l'aide d'un dictateur omniscient. Mais elle signifie précisément le maintien de certains de ces obstacles impersonnels et souvent inintelligibles aux efforts individuels contre lesquels tous les spécialistes se rebellent

Le mouvement pour le planisme doit sa force actuelle en grande partie au fait que, bien que le planisme ne soit encore en gros qu'une ambition, il unit presque tous les idéalistes unilatéraux, tous les hommes et toutes les femmes qui ont voué leur vie à une tâche unique. Les espoirs qu'ils mettent dans le planisme ne sont pas le résultat d'une vue compréhensive de l'ensemble de la société, mais plutôt celui d'une vue très limitée, et souvent d'une grande exagération des fins qu'ils proposent. Je ne veux pas là sous-estimer la grande valeur prag­matique de ce genre d'hommes dans une société comme la nôtre; ils méritent toute notre admiration. Mais les hommes les plus désireux de planifier la société seraient les plus dangereux si on les laissait faire, et les plus intolérants à l'égard du planisme d'autrui. Du saint idéa­liste unilatéral au fanatique il n'y a souvent qu'un pas. C'est le ressen­timent du spécialiste déçu qui donne au planisme son élan le plus vigoureux. Mais le monde le plus insupportable et le plus irrationnel serait celui où on laisserait les spécialistes les plus éminents dans chaque domaine libres de procéder à la réalisation de leur idéal. La« coordi­nation » ne saurait pas davantage devenir une nouvelle spécialité, comme paraissent l'imaginer certains planistes. L'économiste est le dernier à prétendre posséder les connaissances dont le coordinateur aurait besoin. Ce qu'il préconise, c'est une méthode qui permette la coordination sans l'aide d'un dictateur omniscient. Mais elle signifie précisément le maintien de certains de ces obstacles impersonnels et souvent inintelligibles aux efforts individuels contre lesquels tous Ies spécialistes se rebellent.

[size=48]"L'homme d'Etat qui tenterait d'ordon­ner aux particuliers la manière d'employer leurs capitaux non seulement se charge­rait d'un soin très superflu, mais encoreassumerait une autorité qui ne pourrait être confiée avec sûreté à aucun conseil ni sénat,et qui no serait nulle part si dan­gereuse qu'entre les rnains d'un homme assez fou et assez présomptueux "pour se croire capable de l'exercer."[/size]

جنون
رد: Le libéralisme peut-il être social?
مُساهمة الجمعة فبراير 26, 2016 12:32 pm من طرف جنون


Amartya Sen, extraits de :"Ethique et économie"(1987)

La seconde difficulté qu'offre la théorie du bien-être tient à l'inter­prétation particulière du bien-être que donne l'utilité. Juger le bien-être d'une personne exclusivement à l'aune du bonheur ou de la satisfaction des désirs comporte certaines limitations évidentes. Ces limites sont particulièrement néfastes dans le contexte des comparaisons inter­personnelles de bien-être, car le degré de bonheur reflète ce qu'on peut espérer et, par comparaison, l'opinion qu'on a de l'état social pré­sent. Une personne qui a enduré le malheur pendant toute sa vie, qui a eu très peu d'opportunités et assez peu d'espoir, sera peut-être plus disposée à accepter des privations que d'autres personnes habituées à des conditions plus heureuses et aisées. Prendre le bonheur comme unité de mesure, c'est donc risquer de déformer la gravité des priva­tions, d'une manière spécifique et assortie de préjugés. Le mendiant désespéré, l'ouvrier agricole aux conditions de vie précaires, la femme soumise à son mari, le chômeur endurci et l'homme de peine à bout de forces peuvent tous trouver du plaisir dans de petits bonheurs, et arriver à endurer d'intenses souffrances pour assurer leur survie, mais ce serait une grave erreur morale d'attacher une valeur très faible à la perte de leur bien-être en raison de cette stratégie de survie. Le même problème se pose dans l'autre interprétation de l'utilité, celle de la satisfaction des désirs, car ceux qui sont prives de tout n'ont pas le courage de désirer beaucoup et, sur l'échelle de la satisfaction des désirs, leurs privations sont rabaissées et perdent toute valeur....
Ce problème particulier que pose l'influence des circonstances contingentes sur la mesure de l'utilité ne fait que traduire un problème plus fondamental, à savoir que le bonheur ou la satisfaction des désirs constitue un critère trop superficiel pour évaluer le bien-être d'une personne. Le bien-être est en fin de compte une question d'évaluation, et si le bonheur et la satisfaction des désirs comptent certes beaucoup dans le bien-être d'une personne, ils ne peuvent pas — ni séparément ni même ensemble — refléter correctement la valeur du bien-être
Etre heureux » n'est même pas une activité susceptible d'évaluation, et « désirer » est au mieux la conséquence d'une évaluation. Il faut donc admettre plus directement la nécessité de l'évaluation dans l'esti­mation du bien-être
Par conséquent, puisque la thèse de l'utilité en tant que seule source de valeur repose sur l'assimilation de l'utilité et du bien-être, on peut la critiquer pour deux raisons :
1) parce que le bien-être n'est pas la seule valeur ;
2 )parce que l'utilité ne représente pas correctement le bien-être.
Dans la mesure où nous nous intéressons à ce qu'accomplissent les individus, il se pourrait bien que, dans le jugement moral, l'accom­plissement en matière d'utilité soit un critère partiel, inapproprié et trompeur'



Une personne cohérente dans ses choix peut posséder le degré d'égoïsme que l'on veut bien lui attribuer. Bien entendu, il est vrai que dans le cas spécial du choix de pure consom­mation entre des biens privés, le théoricien des préférences révélées tente de mettre en relation la « préférence » ou 1' « utilité » de la per­sonne et son propre ensemble de biens matériels. Toutefois, cette restriction ne provient pas du fait que la personne ne se soucie que de ses propres intérêts, mais du fait que son propre ensemble de biens de consommation, ou celui de sa famille, est le seul ensemble sur lequel elle exerce un contrôle direct dans ses actes de choix. La question de l'égoïsme reste donc entièrement ouverte.
Je pense que cette question exige en outre une formulation plus claire que celle qu'on en propose généralement, et c'est le point que je vais maintenant aborder.

Lorsqu'on examine les comportements qui divergent de « l'isole­ment indifférent, abstraitement pris pour hypothèse en économie & (pour citer Edgeworth), il convient de distinguer deux concepts : 1 / la compassion et 2 / l'engagement. Vous faites preuve de compas­sion lorsque le souci d'autrui influe directement sur votre propre bien-être. Si l'existence de la torture vous rend malade, c'est un cas de com­passion ; si vous ne vous estimez pas personnellement atteint, mais si vous pensez que c'est un acte condamnable et si vous êtes prêt à faire quelque chose pour l'empêcher, c'est un cas d'engagement. Je ne pré­tends pas que les mots choisis aient eux-mêmes une grande valeur, mais il me semble que la distinction est importante. On peut dire qu'un comportement fondé sur la compassion est, en un sens impor­tant, égoïste, puisqu'on est soi-même heureux du plaisir d'autrui et peiné par la douleur d'autrui, et que la poursuite de sa propre utilité peut ainsi être favorisée par une action obéissant à la compassion. C est l'action fondée sur l'engagement plutôt que sur la compassion qui serait dénuée d'égoïsme dans ce sens. (Notons toutefois que l'existence de la compassion n'implique pas qu'une action utile pour autrui doive être fondée sur la compassion, au sens où l'action n'aurait pas lieu si Von ne tirait pas de réconfort du bien-être d'autrui.

La compassion est, à certains égards, un concept plus facile à ana­lyser que l'engagement. Lorsque le sens du bien-être que possède une personne dépend psychologiquement du bien-être d'une autre per­sonne, c'est un cas de compassion ; toutes autres choses étant données, lorsque la personne prend conscience de l'amélioration du bien-être d'autrui, son bien-être en est directement amélioré. (Bien entendu, lorsque cette influence est négative, la relation devrait s'appeler « anti­pathie », mais on peut économiser le vocabulaire ce conserver le terme « compassion », en notant simplement que la relation peut être positive ou négative.) Tandis que la compassion met en relation des choses similaires — le bien-être de différentes personnes — l'engagement établit un rapport entre le choix et les degrés de bien-être escomptés. Une façon de définir l'engagement consiste à dire qu'une personne choisit une action qui, pense-t-clle, lui apportera un degré de bien-être personnel inférieur à celui que lui procurerait une autre action qu'elle pourrait aussi mener. Remarquons que la comparaison s'établit entre des degrés de bien-être escomptés, et cette définition de l'engagement exclut donc des actes contraires à l'intérêt personnel qui résulteraient simplement du fait que la personne n'a pas su en prévoir les consé­quences.
La question est plus difficile lorsqu'il se trouve que le choix de la personne coïncide avec la maximisation du bien-être personnel qu'elle escompte, mais que cette maximisation n'est pas la raison de son choix. Si l'on veut s'autoriser cette possibilité, on peut élargir la définition de l'engagement pour inclure les cas où le choix effectué par la personne, tout en maximisant son bien-être personnel escompté, testerait iden­tique dans un cas hypothétique (au moins) où l'acte choisi ne maximi­serait pas son bien-être personnel. L'engagement, dans ce sens plus large, peut être difficile à constater, non seulement dans les choix que font les autres, mais aussi dans son propre choix, car il n'est pas tou­jours facile de savoir ce qu'on aurait fait dans des circonstances diffé­rentes. Ce sens plus large peut être particulièrement pertinent lorsque, s'agissant d'une action dictée par un souci du devoir qui, s'il était violé, causerait du remords, l'action est choisie, en réalité, par sens du devoir plutôt que pour éviter simplement la mauvaise conscience cau­sée par le remords qu'on aurait si l'on agissait autrement.



Bernard de Mandeville, la fable des abeilles (1714)
 
 
 Chaque ordre était ainsi rempli de vices. Tel était l'état florissant de ce peuple, mais la nation même jouïssait d'une heureuse prospérité, flattée dans la paix, on me craignait dans la guerre. Estimée chez les étrangers, elle tenait la balance des autres ruches. tous ses membres à l'envi prodguaient pour sa conservation leurs vie et leurs biens. Les vices des particuliers contribuaient à la félicité publique.  Dès que la vertu, instruite par les ruses politiques, eut appris mille heureux tours de finesse, et qu’elle se fut liée d’amitié avec le vice , les plus scélérats faisaient quelque chose pour le bien commun.
Les fourberies de l’Etat conservaient le tout, quoique chaque citoyen s’en plaignît. L’harmonie dans un concert résulte d’une combinaison de sons qui sont directement opposés.  Ainsi les membres de la société, en suivant des routes absolument contraires, s’aidaient comme par dépit. La tempérance et la sobriété des uns facilitait l’ivrognerie et la gloutonnerie des autres.  L’avarice, cette funeste racine de tous les maux, ce vice dénaturé et diabolique, était esclave  du noble défaut de la prodigalité. Le luxe fastueux occupait des millions de pauvres.  La vanité, cette passion si détestée, donnait de l’occupation à un plus grand nombre encore.  L’envie même et l’amour-propre, ministres de l’industrie, faisaient fleurir les arts et le commerce. Les extravagances dans le manger et dans la diversité de mets, la somptuosité dans les équipages et dans les ameublements, malgré leur ridicule, faisaient la meilleure partie du négoce.
Toujours inconstant, ce peuple changeait de lois comme de modes. Les règlements qui avaient été sagement établis étaient annulés et on leur en substituait bientôt de tout opposés. Cependant en altérant ainsi leurs anciennes lois et en les corrigeant, ils prévenaient des fautes qu’aucune prudence n’aurait pu prévoir.
C’est ainsi que le vice produisant la ruse, et que la ruse se joignant à l’industrie, on vit peu à peu la ruche abonder de toutes les commodités de la vie.  Les plaisirs réels, les douceurs de la vie, l’aise et le repos étaient devenus des biens si communs que  les pauvres mêmes vivaient plus agréablement alors que les riches ne le faisaient auparavant. On ne pouvait rien ajouter au bonheur de cette société…

 
..A mesure que la vanité et le luxe diminuaient, on voyait les anciens habitants quitter leur demeure. Ce n’était plus ni les marchands, ni les compagnies qui faisaient tomber les manufactures, c’était la simplicité et la modération de toutes les abeilles. Tous les métiers et tous les arts étaient négligés. Le contentement, cette peste de l’industrie, leur fait admirer leur grossière abondance. Ils ne recherchent plus la nouveauté, ils n’ambitionnent plus rien.
C’est ainsi que la ruche étant presque déserte, ils ne pouvaient se défendre contre les attaques de leurs ennemis cent fois plus nombreux. Ils se défendirent cependant avec toute la valeur possible, jusqu’à ce que quelques-uns d’entre eux eussent trouvé une retraite bien fortifiée. C’est là qu’ils résolurent de s’établir ou de périr dans l’entreprise. Il n’y eut aucun traître parmi eux. Tous combattirent vaillamment pour la cause commune. Leur courage et leur intégrité furent enfin couronnés de la victoire.
Ce triomphe leur coûta néanmoins beaucoup. Plusieurs milliers de ces valeureuses abeilles périrent. Le reste de l’essaim, qui s’était endurci à la fatigue et aux travaux, crut que l’aise et le repos qui mettait si fort à l’épreuve leur tempérance, était un vice. Voulant donc se garantir tout d’un coup de toute rechute, toutes ces abeilles  s’envolèrent dans le sombre creux d’un arbre où il ne leur reste de leur ancienne félicité que le 
Contentement et l’Honnêteté.


Quittez donc vos plaintes, mortels insensés !  En vain vous cherchez à associer la grandeur d’une Nation avec la probité. Il n’y a que des fous qui puissent se flatter de jouir des agréments et des convenances de la terre, d’être renommés dans la guerre, de vivre bien à son aise et d’être en même temps vertueux. Abandonnez ces vaines chimères. Il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsistent, si nous voulons en retirer les doux fruits. La faim est sans doute une incommodité affreuse. Mais comment sans elle pourrait se faire la digestion d’où dépend notre nutrition et notre accroissement. Ne devons-nous pas le vin, cette excellent liqueur, à une plante dont le bois est maigre, laid et tortueux ? Tandis que ses rejetons négligés sont laissés sur la plante, ils s’étouffent les uns les autres et deviennent des sarments inutiles. Mais si ces branches sont étayées et taillées, bientôt devenus fécondes, elles nous font part du plus excellent des fruits.
C’est ainsi que l’on trouve le vice avantageux, lorsque la justice l’émonde, en ôte l’excès, et le lie. Que dis-je ! Le vice est aussi nécessaire dans un Etat florissant que la faim est nécessaire pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu seule rende jamais une Nation célèbre et glorieuse. Pour y faire revivre l’heureux Siècle d’Or, il faut absolument outre l’honnêteté reprendre le gland qui servait de nourriture à nos premiers pères...

.." Il est commun aujourd'hui d'avoir des horloges qui jouent différents airs avec beaucoup d'exactitude. L'application et la peine qu'il a fallu avant d'avoir mené cette découverte au point de perfection où elle est actuellement ne peuvent qu'exciter notre étonnement. Combien de fois n'a-t-on pas été obligé de faire et de défaire l'ouvrage ? Combien d'essais inutiles ! Il y a dans le gouvernement d'une ville florissante qui a subsisté pendant plusieurs siècles quelque chose d'analogue à cela. Toutes les parties de ses constitutions, même les plus frivoles et les plus petites, ont demandé beaucoup de temps, de peine et de réflexions ; et si vous étudiez l'histoire d'une telle ville depuis ses commencements, vous trouverez que le nombre des changements, des corrections, des additions, des révolutions qui ont été faites, et dans les lois et dans les ordonnances par lesquelles on la gouverne, est prodigieux. Mais dès qu'une fois ces établissements ont été portés à une certaine perfection, et telle que l'art et la sagesse humaine peuvent leur procurer, alors la machine joue presque d'elle-même ; et il ne faut pas plus d'habileté pour la faire marcher qu'il n'en faut pour faire carillonner une horloge "
 

Le libéralisme peut-il être social?

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