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 LIBÉRALISME

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فدوى
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13022016
مُساهمةLIBÉRALISME

LIBÉRALISME
LIBÉRALISME Ph994265
Le libéralisme est une doctrine économique : celle qui se donne le marché pour seul fondement, avec pour alliées naturelles l'initiative privée et la libre concurrence. Le libéralisme est aussi une philosophie politique : sa vision du monde lui commande d'aménager et de garantir la liberté de ceux qui vivent dans la cité. Enfin, le libéralisme est une disposition d'esprit : plus qu'une doctrine relative à l'agencement institutionnel de la société politique ou de la société économique, moins qu'une véritable éthique permettant à chacun de s'accommoder de sa condition, il constitue une interprétation simultanée de l'homme et de la société qui fait de la liberté le point d'aboutissement d'une créationcontinue, et non une espèce d'état de nature qu'il conviendrait de préserver intact.
Doctrine économique et philosophie politique, vision du monde social et politique en même temps que justification a posteriori d'un ordre existant : entendu dans son sens courant et non dans ce que la raison est en droit d'y trouver, le libéralisme est à la fois l'une et l'autre, ce qui ajoute à la difficulté d'en donner une définition dépourvue de toute ambiguïté. Difficulté réelle, car non seulement les sources du libéralisme sont multiples, mais elles n'appartiennent pas toutes, tant s'en faut, à la même époque. En outre, les mots du libéralisme se sont universalisés et chacun en fait un usage pour ainsi dire tactique. Bien plus, le libéralisme exprime pour les uns une revendication proprement politique, tandis que d'autres estiment au contraire que l'économie de marché est la condition nécessaire du libéralisme politique. Ironie de l'histoire enfin : la référence au libéralisme est d'autant moins ostentatoire que celui-ci s'incarne davantage par la force apparente des choses et des idées.

[size=22]1.   Les origines du libéralisme

Le libéralisme n'est pas la réalisation historique d'un schéma conçu préalablement par l'esprit. Il n'est pas davantage cet ensemble de principes seuls capables de justifier a posteriori un ordre social ou politique résultant de l'action désordonnée des hommes. Ni guide exclusif pour l'action, ni idéologie légitimatrice d'un ordre existant, le libéralisme exprime seulement une interprétation de l'univers social, interprétation qui s'élabore et se modifie progressivement sous la double épreuve des faits et des idées. Les faits, ce sont les événements d'une histoire que les hommes font sans le savoir, ou en le sachant. Les idées, ce sont les éléments de cet ordre juste auquel les hommes aspirent et au regard duquel ils considèrent immanquablement leur présent et leur passé.
Ainsi, le libéralisme n'étant pas unique ou uniforme, chacune de ses versions trouve son fondement originel dans un événement historique ou chez un penseur qui n'appartient qu'à elle. Là réside sans doute l'ultime singularité de ce que l'on nomme libéralisme : dans son incapacité, en tant que schéma d'intelligibilité aussi bien que comme image de la société « bonne » à se donner un élément fondateur unique, que celui-ci soit un événement historique ou la pensée d'un philosophe prophète.
Si l'on consent néanmoins, par pure convention, à donner un acte de naissance au libéralisme, celui-ci n'est autre que la Déclaration des droits de l'homme de 1789. LaRévolution française consacre en même temps qu'elle achève le siècle des Lumières. C'est sous la forme du principe de la « souveraineté nationale » que la démocratie est instaurée en France. La souveraineté n'appartient pas au roi ; elle n'est pas divisée entre les différents ordres ; elle réside dans la volonté générale de la Nation : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. » Et l'Assemblée se déclare chargée « d'interpréter et de présenter la volonté générale de la Nation ». La formulation fait de la Nation la personne juridique seule titulaire de la souveraineté. La Nation, c'est le « moi commun » de Jean-Jacques Rousseau. La loi devient ainsi la manifestation la plus éclatante de l'avènement de la démocratie, après l'absolutisme monarchique. Ainsi s'achève le siècle des Lumières, dont l'inspiration centrale avait été, selon la formule de Francis-Paul Bénoit, de « consacrer le talent et le savoir, par opposition à la seule naissance ».
1789 fonde en effet la première version libérale de la démocratie politique : la liberté politique, selon les textes, s'accorde avec l'égalité et la liberté des aptitudes juridiques. « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l'ordre public. » Avec ce corollaire : « La communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

  Le libéralisme politique

À l'origine, le libéralisme est une philosophie politique dont 1789 apparaît comme la consécration solennelle. Au milieu du XVIIe siècle, John Locke se faisait déjà l'ardent défenseur des droits individuels, droits dont il soulignait qu'ils plongent leurs racines dans la nature de l'homme, ce qui contraint du même coup les gouvernements à les reconnaître et à les protéger.
À la même époque, Spinoza affirmait : « Quand chaque homme cherche le plus ce qui lui est utile à lui-même, alors les hommes sont les plus utiles les uns aux autres » (Éthique, IV). Le cartésianisme figure également parmi les fondements de la philosophie du libéralisme politique. Les initiateurs de la Réforme partent eux aussi de l'idée selon laquelle chacun dans le monde social doit être construit sur la base du libre examen et de la responsabilité individuelle.
Spinoza, Locke, Descartes, Milton : la liste des pères fondateurs du libéralisme politique est assurément plus longue. Bien que leur inspiration philosophique diffère, tous s'accordent sur les traits caractéristiques de la société libérale. Le premier concerne l'étendue des pouvoirs qui assurent le fonctionnement de la société. L'État n'a pas le droit de tout faire, et il ne doit jamais faire ce que d'autres que lui pourraient faire à sa place. Ainsi le libéralisme politique se définit d'abord négativement : il n'est ni un étatisme ni unanarchisme ; il refuse pareillement le dépérissement de l'État et sa déification. C'est ce que Francis-Paul Bénoit appelle la « subsidiarité de la puissance publique ».
Le deuxième trait caractéristique du libéralisme politique, c'est son acceptation de la diversité sociale, et même les encouragements qu'il lui apporte. Alors que l'objectif de tout système totalitaire est de réaliser l'unité sociale, de vaincre les particularismes des milieux sociaux, le libéralisme se donne au contraire la diversité sociale sous tous ses aspects à la fois comme point de départ et comme point d'aboutissement. Cette diversité est respectable en ce qu'elle constitue le résultat nécessaire des libertés individuelles. Elle est, en outre, éminemment souhaitable : c'est elle, et elle seule, qui donne à la société unefluidité suffisante pour que les passages d'une condition sociale à une autre soient aisés et fréquents. Ainsi, la diversité sociale est-elle pour le libéralisme politique à la fois une fin et un moyen : son acceptation se confond avec celle d'une organisation spontanée de la société.
Enfin, troisième trait caractéristique du libéralisme politique : son affinité d'inspiration avec l'idéal démocratique. De celui-ci, Montesquieu donne l'interprétation la plus largement répandue aujourd'hui : « Lorsque, dans la république, le peuple en corps a la souveraine puissance, c'est une démocratie. » La puissance entre les mains du peuple : cela implique, en même temps que la fixité et la généralité de la loi, la dévolution de la souveraineté au peuple et à lui seul. Dans le sens où les sociétés n'ont jamais cessé de l'entendre, depuis ses origines grecques, la démocratie exprime le mode de désignation des gouvernants, le fondement de la légitimité de leur pouvoir, et non l'étendue et moins encore les buts de celui-ci. À la différence du libéralisme, la démocratie n'a pas pour préoccupation ultime de protéger la liberté, ou mieux, les libertés. Il reste que l'un et l'autre, bien que leur objet soit fondamentalement différent, convergent nécessairement aujourd'hui parce qu'ils trouvent leur source d'inspiration dans une même tradition qui va de la philosophie grecque à l'esprit des Lumières en passant par la pensée judéo-chrétienne. Comme le souligne Raymond Aron dans son Essai sur les libertés : « La logique du libéralisme conduit à la démocratie par l'intermédiaire du principe de l'égalité devant la loi. Mais la démocratie exige, pour être réelle, le respect des libertés personnelles, liberté d'expression et de discussion, liberté d'association et de groupement. »

  Le libéralisme économique

Moins qu'une doctrine au sens strict du mot, assurément plus que la justification a posteriori de certaines réalisations dans l'ordre économique, le libéralisme économique est aussi une logique d'action, fondée sur une éthique. Mais avant d'être l'objet d'une réflexion, le libéralisme économique s'est d'abord inscrit comme une réalité dans les événements de l'histoire. À l'origine, il fut une réaction contre le colbertisme. L'État assumait alors l'essentiel de la responsabilité immédiate de l'économie, tantôt en réglementant de façon minutieuse toutes les activités industrieuses, tantôt en agissant sur la conjoncture au moyen de la détermination autoritaire du prix. Dans un premier temps, le colbertisme a favorisé l'essor économique de façon considérable. Mais au fil des années les réglementations et les interventions conjoncturelles de l'État sont apparues de façon toujours plus évidente comme un obstacle au progrès économique : le libéralisme, à cet égard, est né de la volonté de lutter contre ces contraintes, désormais nuisibles.
Ce sont les physiocrates et, au premier rang parmi eux, Quesnay, qui ont ouvert la voie à la doctrine du libéralisme économique. Selon la thèse développée dans le Tableau économique de 1758, toute la richesse provient de la terre et c'est elle qui anime la vie économique en circulant entre les groupes sociaux : les agriculteurs injectent cette richesse dans le circuit économique en achetant des biens manufacturés, richesse qui leur revient ensuite par le jeu des achats de produits agricoles. Le cycle se referme ainsi sur lui-même. Cette interprétation délimite avec précision le domaine d'intervention de la société politique : celui-ci doit se borner à favoriser ce circuit économique naturel ; la liberté du commerce, du travail, de la production et de la concurrence internationale doivent être les préoccupations constantes et primordiales des gouvernements. On sait que Turgots'est voulu l'instrument de cette doctrine formulée par les physiocrates.
Avec ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), Adam Smith achève la conceptualisation de la doctrine du libéralisme économique. Conceptualisation qui, du reste, est contemporaine de la naissance de l'industrie en Angleterre. Selon lui, toute la richesse vient du travail de l'homme. Et c'est la perception de son intérêt personnel qui pousse l'homme à l'épargne et au travail. D'où cette conclusion décisive : l'intérêt privé est le moteur de l'économie. Conclusion à laquelle Adam Smith ajoute la thèse de l'harmonie fondamentale entre l'intérêt particulier et l'intérêt général. De cet ensemble de constatations, l'économiste déduit que la société politique se doit de garantir la libre concurrence des intérêts privés, s'exerçant dans le cadre du marché, seule capable d'assurer l'adéquation automatique entre l'offre et la demande.
Si l'on admet que les physiocrates et Adam Smith sont les véritables « fondateurs » de la doctrine économique libérale, la formule célèbre « laissez faire, laissez passer » revêt une signification et une portée autres que celles qui lui sont prêtées ordinairement. Le laissez-faire que réclamait Vincent de Gournay dans ses Considérations n'était rien d'autre, en définitive, que la demande de suppression des corporations, privilèges injustifiés pour les maîtres et cause d'enchérissement des produits. Quant au laissez-passer, il correspondait dans son esprit à la suppression des barrières douanières intérieures, obstacles aux échanges et à la concurrence. D'où cette affirmation de Bénoit : « À ses origines, la pensée économique libérale sur le rôle de l'État est donc ferme, mais nuancée : pas d'action économique conjoncturelle de l'État, mais une action de réglementation dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer le respect par tous du libre jeu effectif des mécanismes économiques naturels » ; ce qui montre les relations de filiation de ceux que l'on nomme aujourd'hui les néo-libéraux avec les véritables inspirateurs du libéralisme économique, et permet du même coup de frapper d'inauthenticité le libéralisme dont se réclamaient Malthus et Ricardo.
Sans nul doute, Malthus et Ricardo sont bien libéraux si l'on tient pour décisive la préférence affirmée pour la liberté économique et la condamnation simultanée de l'intervention de l'État. Mais l'un et l'autre, en vérité, chacun à sa façon, s'écartent de la voie tracée par Quesnay et Smith en prônant l'adoption de mesures susceptibles d'influer sur les comportements du présent au nom du futur qu'ils croient pouvoir discerner. Sans le savoir, ils se mettent ainsi en contradiction avec les principes dont ils se réclament. Pour Malthus, l'humanité court à la famine, car la population s'accroît beaucoup plus vite que les subsistances : tel est le diagnostic de son Essai sur le principe de population (1798). Pour Ricardo, le risque que court l'humanité est l'augmentation des prix, qui serait surtout ressentie par les ouvriers. Dans ses Principes de l'économie politique et de l'impôt (1817), il explique que le salaire des ouvriers se fixe nécessairement à un niveau permettant la survie physique. Cette théorie du « salaire naturel » ignore par conséquent la possibilité d'une politique délibérée de salaires élevés ou bien celle d'une action des salariés pour obtenir une amélioration de leur condition. Mais ce sont les événements, non les théoriciens, qui ont frappé d'inauthenticité le libéralisme de Ricardo et de Malthus. Les idées de ce dernier ont provoqué un affaiblissement des pays se réclamant du libéralisme, non seulement parce qu'ils ont limité le nombre des naissances, mais aussi en raison des obstacles qu'ils ont dressés devant l'augmentation spontanée des salaires. Quant aux idées de Ricardo relatives au « salaire naturel », elles sont devenues loi d'airain pour le socialiste allemand Lassalle avant d'être érigées en dogme dans l'interprétation ducapitalisme que Marx a vulgarisée.
Avec ses Principes d'économie politique (1848), Stuart MillLIBÉRALISME Td_photo a renoué avec la tradition des pères fondateurs du libéralisme économique. Moraliste et économiste, il a posé le problème des rapports entre la question économique et les questions sociales : l'ordre social ne trouve son ultime justification que dans la poursuite du bonheur pour tous. C'est à lui que l'on doit la distinction entre les « lois de production », de caractère physique ou naturel, et en tant que telles parfaitement universelles, et les « lois de répartition », de caractère social, et susceptibles à ce titre d'être subordonnées à des objectifs moraux ou, si l'on préfère, politiques. En mettant ainsi l'accent sur les libertés dont l'État a pour tâche de réaliser les conditions, le libéralisme humanitaire de Stuart Mill s'opposait à la fois au laissez-faire et au pseudo-libéralisme de Ricardo et de Malthus. La voie était ouverte pour une conciliation de la liberté économique avec le progrès social.
LIBÉRALISME Ph994265Photographie
[size=13]John Stuart MillL'Anglais John Stuart Mill (1806-1873) en compagnie de sa belle-fille. Philosophe et économiste, il associait la pensée libérale à une certaine attirance pour le socialisme utopique de l'époque. 

Crédits: Hulton Getty[/size][/size]
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Cependant, ce sont les succès mêmes du libéralisme économique, dans la seconde moitié du XIXe siècle et pendant les trente premières années du XXe, qui ont détourné certains libéraux de la « question sociale ». Après Léon WalrasKeynes a cédé, entre 1910 et 1930, à la tentation de la technique économique, de l'économie « pure », renonçant du même coup à la réflexion sur la finalité de la société. Qu'il s'agisse du plein emploi, de la redistribution des revenus ou du développement de la consommation des classes les moins aisées, Keynes choisit toujours la voie de la technique de l'économie, de préférence à celle de la finalité sociale de l'économie.
C'est précisément contre les pièges de l'économie pure que se sont élevés tout d'abord Walter Lippmann aux États-Unis et Jacques Rueff en France, bientôt suivis par des penseurs venus d'horizons aussi différents qu'Alfred Sauvy, François Perroux, Jean Fourastié et Maurice Allais, tous s'accordant à la fois sur les vertus de la concurrence et sur la nécessité, afin de la préserver, d'encadrer la liberté économique par des institutions juridiques et politiques. Or, cette idée de l'encadrement institutionnel du libéralisme économique, ou de la prise de conscience de la nécessité de l'intervention du législateur, est le thème central de l'œuvre de Sismondi qui, à une conception simplement analytique et descriptive de l'économie, a substitué une conception finaliste. L'économiste, selon lui, « s'adresse au cœur aussi bien qu'à la raison ». Et il ajoute : « L'économie politique doit nous enseigner la théorie du bien-être de tous. » Ce qu'il complète par cette affirmation : « L'accroissement des richesses n'est pas le but de l'économie politique, mais le moyen dont elle dispose pour procurer le bonheur de tous. » D'où cette affirmation qui éclaire toute sa réflexion : « L'économie politique est, en grande partie, une science morale. »
Loin d'apparaître comme un reniement du libéralisme classique d'Adam Smith, la pensée de Sismondi se situe dans le prolongement de celle des physiocrates : son ambition est de mettre en accord les techniques de l'économie libérale avec les finalités de la société politique. Ses Nouveaux Principes d'économie politique (1819) sont d'abord un plaidoyer ardent en faveur de la liberté de l'entreprise et de la propriété privée des moyens de production. Ils portent surtout la marque d'une conviction : « La société libérale ne peut durer que si toutes les classes sont dans l'aisance. » Encore que l'égalité des conditions économiques ne soit pas l'objectif souhaitable de la société juste et bonne selon Sismondi : « Il n'importe pas que chacun ait une part égale aux fruits de la terre », car le travail « ne peut trouver de stimulant que dans ces inégalités mêmes ». Ainsi, le but de la société libérale, « ce n'est donc point l'égalité des conditions, mais le bonheur dans toutes les conditions ». D'où la nécessité, pour atteindre ce but, d'une certaine intervention du législateur et du gouvernement. Fidèle à Quesnay et à Smith, Sismondi s'oppose par conséquent au laissez-faire et au laissez-passer de l'école classique anglaise.

2.   La démocratie libérale

Fruit d'une évolution historique bien plus que schéma de société conçu par l'esprit, la démocratie libérale, en son sens premier, est la conjonction du libéralisme politique et du libéralisme économique.

  Le double principe de la démocratie libérale

Son « principe », pour s'exprimer comme Montesquieu, ou bien, si l'on préfère, son principe d'intelligibilité, est double. Il réside dans la dissociation de la politique et de l'économie et dans l'indissociabilité simultanée du libéralisme politique et du libéralisme économique. Celle-ci commande implicitement toute l'œuvre doctrinale de Sismondi ; celle-là fut explicitement proclamée, en France, dès les premières années de la Révolution en 1789.
Dissociation, d'abord, de la politique et de l'économie. En son sens exact, l'économie englobe la totalité des activités relatives à la production, à la distribution et à la consommation des richesses. Ainsi entendue, l'économie constitue bien « le fond des choses » : pas de vie humaine sans la satisfaction, dans de bonnes ou de mauvaises conditions, des besoins de tous en biens et en services ; pas de vie sociale possible s'il n'y a pas production et consommation des biens et des services tenus pour indispensables. La politique, en son sens étymologique, c'est l'organisation de la Cité, ce sont les choix fondamentaux qui déterminent les modalités de l'organisation de la société. De façon plus précise, la politique, c'est la détermination de la forme de l'État, l'organisation des différents pouvoirs publics et la mise en œuvre de leurs compétences respectives. En son sens le plus usuel, celui qui correspond à l'expression « faire de la politique », le mot désigne tout ce qui concerne l'accès aux fonctions dont la compétence est délimitée par les différents pouvoirs publics. Au sens large ou au sens étroit du terme, la politique désigne toujours l'effort des hommes en vue d'assurer la maîtrise de leur destin, leur volonté de ne pas subir sans réagir la force des choses et de déterminer eux-mêmes les traits de la société où ils vivent. Comment, du même coup, l'un des objets essentiels de la politique ne serait-il pas l'action sur l'économie ? En d'autres termes, ceux de Bénoit, « si l'économie constitue le fond des choses, l'objet de la politique est d'acquérir la maîtrise des choses ».
Formule qui éclaire doublement le principe libéral de la dissociation de la politique et de l'économie. Elle affirme, en premier lieu, la prééminence de la politique sur l'économie. Alors que la thèse marxiste du matérialisme historique affirme la primauté de l'économie, l'organisation politique n'étant guère qu'une superstructure en dernière analyse commandée par elle, le libéralisme déduit la prééminence de la politique des enseignements de l'histoire : « C'est la politique qui tend toujours à gouverner l'économie. » Elle indique, en second lieu, que le libéralisme économique commande à l'État de « refuser de considérer l'économie comme entrant globalement dans le cercle des attributions propres de la puissance publique, État ou collectivités décentralisées, pour la laisser, en règle générale, aux particuliers ». Il reste que la dissociation est simplement institutionnelle : la décision de confier l'activité économique à l'initiative et à l'action privées implique, bien loin de l'exclure, « la maîtrise de l'économie par l'État libéral ». Moraliste et économiste, Sismondi l'enseigne : le bien-être de toutes les classes sociales, le bonheur pour tous doit constituer l'horizon de toute politique. En ce sens au moins, l'économie ne doit jamais cesser d'être subordonnée à la recherche de la liberté de la personne humaine.
Second principe constitutif du libéralisme, après celui de la dissociation « institutionnelle » de la politique et de l'économie : l'indissociabilité du libéralisme politique et du libéralisme économique. L'un et l'autre constituent les deux aspects de la société libérale. L'un et l'autre convergent vers un type particulier de société que Bénoit baptise démocratie libérale. La logique et l'histoire s'accordent-elles pour démontrer ou pour illustrer l'unité profonde du libéralisme ? À coup sûr, la question est cruciale, celle de savoir si les libéraux ont raison de plaider qu'il n'est pas de libéralisme qui ne soit à la fois politique et économique. Sont-ils fondés à dénoncer comme étant contre-nature l'alliance à laquelle aspirent certains socialistes entre un libéralisme intellectuel ou politique et un certain dirigisme économique, plus ou moins proche de la planification autoritaire ?
L'histoire enseigne, disent les libéraux, que le libéralisme résulte de la conjonction de deux mouvements, le libéralisme économique et le libéralisme politique, mouvements dont les origines sont distinctes mais qui procèdent, l'un comme l'autre, de la même aspiration des hommes à plus de liberté dans les sociétés au sein desquelles ils vivent. Et la logique exclut la possibilité de dissocier les deux dimensions du libéralisme. Il n'existe pas de libéralisme économique véritable sans libéralisme politique : « La liberté de produire et de consommer, souligne Bénoit, ne peut exister sans la liberté de choisir, faculté qui n'est précisément reconnue aux individus – producteurs et consommateurs – que dans le cadre du libéralisme politique. »

  L'éthique du libéralisme

La dissociation de la politique et de l'économie, l'indissociabilité du libéralisme politique et du libéralisme économique : ensemble, les deux principes attestent l'unité profonde du libéralisme. Cette unité réside dans une philosophie ou, mieux, dans ce que Jean Baechler n'hésite pas à appeler une « idéologie ». À ce titre, le libéralisme apporte une réponse à chacune des quatre questions qualifiées de fondamentales : le Mal, le pouvoir, les conflits, l'extérieur. Le Mal est sans aucun doute possible le problème fondamental de l'existence humaine, et il déborde le champ couvert par l'« idéologie ». Selon Baechler, le libéralisme donne à cette question une réponse sans ambiguïté : « En chaque homme, il y a un tyran sanguinaire et un ange de bonté [...], chaque homme, pris individuellement ou en groupe, est un mélange indissociable de Bien et de Mal [...] ; quoi que l'on fasse, chacun a son versant lumineux et son ombre. » Cette réponse de Baechler revient à faire du libéralisme une version laïcisée du dualisme et à le distinguer par là des autres idéologies qui, toutes, cèdent au monisme. Une telle réponse comporte logiquement plusieurs implications : la primauté de l'ombre sur la lumière chez l'homme à l'état de nature ; l'impossibilité d'une cité idéale et la nécessité corrélative d'accepter une société imparfaite ; l'impossibilité d'accroître le Bien sans accroître simultanément le Mal.
Comme système de pensée ou comme disposition d'esprit, le libéralisme se donne également une certaine conception du pouvoir dans la société. Selon lui, le pouvoir est à la fois un bien et un mal : « Un bien, explique Baechler, en ce que seul le pouvoir permet de contenir la méchanceté naturelle. » Et d'ajouter : « Mais les détenteurs du pouvoir sont aussi des hommes et peuvent en user méchamment. » De là procède pour le libéralisme la règle impérieuse d'un pouvoir limité et divisé. Si l'on en croit en effet Baechler : « Le libéralisme parfait ou pur serait réalisé dans une société dont chaque membre serait un centre autonome de décision, qui consentirait des délégations provisoires et partielles du pouvoir et ne s'inclinerait devant la majorité qu'en se réservant le droit ultime à la révolte [...]. La réalité est plus ou moins éloignée de l'idéal, selon le nombre et la puissance des frottements. » Faute de pouvoir remplir les conditions pour qu'un tel idéal soit possible, l'absence d'empiétement sur l'autonomie d'autrui, l'égalité du pouvoir de décision de chacun, la société libérale s'accommode de solutions institutionnelles imparfaites : la multiplicité des partis, la liberté d'association, la division des pouvoirs, le contrôle de l'administration, les procédures d'appel...
Une troisième singularité du libéralisme réside dans la manière dont il pose le problème des conflits et dont il envisage leur résolution. À cet égard, la difficulté résulte du fait que le libéralisme reconnaît les divergences entre les opinions, les intérêts ou les profits, qu'il considère même que ces divergences constituent une richesse et une chance de salut pour les sociétés. La question, du même coup, se pose de savoir comment concilier la stabilité de l'ordre collectif et la protection de la diversité sociale. Dans l'univers de rareté qui est celui où se prennent les décisions économiques, le marché est la seule procédure pacifique permettant d'arbitrer les conflits. Le marché est la seule procédure sociale qui permette à des consommateurs et à des producteurs de s'entendre sur un prix et sur un volume de transaction. C'est la loi de l'offre et de la demande : vendeurs et acheteurs se font réciproquement des concessions, qui permettent de s'arrêter à un prix qui ne satisfait personne mais que tous acceptent. Au débat entre des intérêts divergents il n'y a pas d'autre issue, hormis la procédure du marché, que la loi du plus fort, c'est-à-dire le plus souvent celle du pouvoir politique. Encore faut-il, pour que la marché soit « bon » et juste, assujettir les opérateurs à des règles impératives.
En tant que procédure d'arbitrage, le marché ne concerne pas seulement les échanges réputés « marchands ». Partout où existent une offre et une demande, le libéralisme met toute sa confiance dans le marché, conçu comme un affrontement entre des intérêts divergents, pour parvenir à un arbitrage en suivant une voie pacifique. Ainsi existe-t-il, selon cette ligne de pensée, une offre et une demande de nuptialité, de natalité, de criminalité. Et les libéraux rappellent que l'homme politique lui-même se présente sur un marché : l'échange des suffrages contre un programme. Rappel d'autant plus salutaire à leurs yeux que l'homme politique pense bien souvent pouvoir tout promettre sans jamais rien donner.
Il reste que sur l'issue de l'affrontement entre l'offre et la demande, les libéraux n'ont pas toujours professé le même optimisme, et ils demeurent aujourd'hui encore très divisés. Pour le libéralisme des Lumières, la concurrence ne peut pas ne pas favoriser le triomphe de la raison, pour peu qu'aucune entrave ne vienne en fausser le jeu. Comme le dit encore Baechler : « ... l'équilibre ne peut être stable qu'au point où s'impose la bonne solution, devant laquelle les passions, les intérêts et les opinions s'inclineront, car le bon sens – c'est-à-dire la capacité de s'ouvrir à la vérité – est la chose du monde la mieux partagée ». En d'autres termes, la « main invisible » ou la « ruse de l'histoire », sous les apparences de mouvements browniens irrationnels, finit néanmoins par faire coïncider le réel et l'idéal. Conviction assurément contradictoire avec celle de l'imperfection irréversible des hommes : on ne peut simultanément affirmer que le Mal est indéracinable et que la Raison finira par triompher pour instaurer un ordre juste et bon.
À ce libéralisme optimiste ou angélique on peut en opposer un autre, établi sur un fond de scepticisme ou de relativisme. Dans cette seconde version du libéralisme, aucune solution ne peut être décrétée rationnelle et la coïncidence entre le réel et l'idéal n'est pas l'issue nécessaire de la confrontation des idées ou des intérêts sur le marché. Le Vrai ou le Bien ne pouvant être le privilège de personne, il faut postuler l'équivalence entre les profits et le caractère arbitraire de chacun. Une fois admis ce postulat, la confrontation sur le marché aboutit, non pas à la « bonne » solution, mais à la moins mauvaise possible, celle au moins dont la seule vertu incontestable sera d'inspirer le respect, faute de pouvoir être admise comme préférable aux autres.
Enfin, le libéralisme est singulier en ce qu'il pose autrement le problème des relations internationales et celui de la guerre. Ce sont les principes mêmes dont il se réclame qui lui commandent le respect de l'indépendance, la tolérance vis-à-vis de systèmes sociaux tenus pour « équivalents », la préférence pour les valeurs de paix ou de compromis et la condamnation simultanée des valeurs héroïco-militaires. Sur le plan international, l'idéal libéral est donc un système multipolaire et concurrentiel, calqué sur le modèle intérieur. Baechler voit dans l'adhésion à de tels principes l'ultime explication de la faiblesse des sociétés libérales, dès lors qu'elles sont confrontées avec des régimes non pluralistes. Bien que tacite, le postulat libéral selon lequel « les autres sont comme nous » anesthésie et ne peut pas ne pas anesthésier « la réaction normale de méfiance et d'opposition devant l'étranger ».
Le Bien inextricablement associé au Mal, un pouvoir limité et divisé, la confiance dans le marché comme procédure de résolution des conflits, le présupposé ethnologique de l'équivalence des cultures érigé en principe d'action dans les relations avec les autres États : le libéralisme est à la fois une façon d'interpréter la société présente et un projet pour l'avenir. Il ne se confond pas avec le conservatisme parce qu'il est avant tout une volonté de liberté, de changement et de responsabilité. Il s'oppose en tous points à l'individualisme égoïste, au repliement sur soi qui caractérise les sociétés idéocratiques, asservies qu'elles sont à une vérité qu'elles prennent ou qu'elles feignent de prendre, pour « la » vérité.

  Le retour du libéralisme

Il n'est guère excessif d'avancer que la polémique partisane, depuis plus de deux siècles, est dominée pour l'essentiel par la question du libéralisme. Libérale en paroles et par son action, la Révolution de 1789 a été détournée très vite de ses objectifs par un mouvement connu sous le nom de jacobinisme. Au nom de l'égalité et de leur impatience à créer une société selon leur cœur, les Jacobins ont institué un pouvoir central et autoritaire. La terreur ne fut bientôt plus que l'autre nom de l'État, et l'autoritarisme devint celui de l'égalité. L'opposition jacobine a assurément retardé de plusieurs décennies la mise en œuvre de la démocratie libérale proclamée par 1789.
L'autre opposition virulente au libéralisme est venue de l'Église catholique. La méconnaissance du libéralisme est profonde parmi les membres du clergé, si l'on en juge par les déclarations fréquentes qui sont faites à son endroit. Souvent, ils identifient laissez-faire et libéralisme, définissant ainsi ce dernier comme le faisaient ses adversaires, plus que ses partisans. Ce n'est sans doute pas un hasard si le libéralisme a rencontré moins d'obstacles dans les pays majoritairement protestants. On sait pourtant le caractère novateur et parfaitement « libéral » de la plupart des encycliques promulguées par Rome depuis le début des années 1960. La proclamation par Rome, dont les démêlés avec la liberté d'expression furent nombreux, d'un droit de tous à une information objective revêt à cet égard une valeur symbolique de première importance.
Le libéralisme subit également les attaques de ceux qui se réclament de lui : ce sont les adversaires de l'intérieur, les plus dangereux car ils avancent masqués. Parmi eux, Malthus ou Ricardo, ces faux libéraux coupables de prêcher pour autre chose qu'un simple encadrement institutionnel du marché et de la concurrence. Plus récemment, ces économistes qui cèdent à la tentation de la technique économique ou de l'économie pure, indifférents qu'ils sont aux finalités ultimes de la société libérale et à la philosophie qui l'inspire nécessairement.
Adversaires déclarés du libéralisme, sous toutes ses formes, ceux qui tiennent l'État pour l'instrument exclusif de la liberté réelle et concrète de l'individu. Fasciné par l'État prussien,Hegel voyait dans l'État l'incarnation de l'Esprit à l'œuvre dans l'Histoire. Le libéralisme, quant à lui, n'accepte pas plus la déification de l'État que l'illusion de son dépérissement.
Mais c'est évidemment le socialisme qui constitue le principal défi au libéralisme. Entendu dans son sens le plus général, le socialisme tient pour nécessaire, au nom de la primauté de l'intérêt général sur les intérêts particuliers, la substitution de l'action de la collectivité à la libre initiative des individus qui la composent. Proudhon, le premier, lance l'anathème : « La propriété, c'est le vol. » Alors que les libéraux font du droit de propriété le fondement même de la liberté, le socialisme de Proudhon considère qu'elle est la cause ultime de l'inégalité, de l'injustice et de l'asservissement. Par-delà son interprétation de la société capitaliste, Marx fera de l'appropriation collective des moyens de production le passage obligé vers la société sans classe, celle où peut seulement prendre fin l'exploitation de l'homme par l'homme.
Le plus grand défi que le marxisme ait lancé contre le libéralisme réside dans la distinction, désormais classique, entre les libertés « formelles » et les libertés « réelles ». À quoi bon bénéficier de la liberté formelle, inscrite dans le droit positif, si l'on ne dispose pas des moyens de l'exercer ? Quelle est la liberté des loisirs de celui dont le temps est tout entier absorbé par le travail quotidien ? Que signifie pour un homme d'être libre de se cultiver s'il manque matériellement du minimum vital ? Semblables questions, les démocraties qui se réclament du libéralisme ne se les seraient sans doute pas posées de la même façon, en l'absence du défi marxiste. Au moins se seraient-elles montrées moins attentives aux conditions qui influent, et qui ne peuvent pas ne pas influer sur l'exercice des libertés consacrées et garanties par les dispositions juridiques.
À cette distinction, qui les oblige à la confrontation du droit avec les faits, les libéraux doivent seulement rappeler que les libertés baptisées formelles sont la condition d'existence des libertés réelles. Ou bien, selon la formule de Raymond Aron dans sonEssai sur les libertés : « Contre une certaine complaisance des privilégiés, enclins à s'accommoder de la misère du plus grand nombre pourvu que leurs libertés formelles fussent respectées, la protestation marxiste n'a rien perdu de sa fraîcheur. Mais le jour où, sous prétexte de liberté réelle, l'autorité de l'État s'étend à l'ensemble de la société et tend à ne plus reconnaître de sphère privée, ce sont les libertés formelles que revendiquent les intellectuels et les masses elles-mêmes. »
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