Robert Nozick (1938-2002)
L'Etat minimum
(
Robert Nozick selon Vincent Leprince)
Robert Nozick, qui est notamment l'auteur de :
Anarchy, State and Utopia, Blackwell, Oxford, 1974,
Anarchie, Etat et Utopie, PUF, Paris, 1988, en essayant de réfuter la thèse de
John Rawls sur la justice sociale, a popularisé les idées des libertariens américains.
Les libertariens sont des ultra-libéraux/conservateurs qui placent l'individu et l'association des individus au-dessus de tout. Le point de départ de leur thèse est que tout individu, à sa naissance, a des droits naturels qu'il est immoral et donc injuste de violer : à savoir fondamentalement la liberté individuelle et le droit de propriété.
La liberté individuelle c'est la liberté de chacun de mener la vie qui lui plait, qui lui convient. Mais cette liberté ne peut s'exercer souverainement que dans un cadre territorial bien délimité, sinon la liberté de chacun entre en concurrence avec celles des autres et doit composer avec elles. Il faut pour rendre les libertés des uns et des autres compatibles définir des territoires opérationnels. C'est ce que fait le système des droits de propriété : le droit de propriété de chacun sur son corps et les droits de propriété sur les objets qui lui appartiennent. Ce sont des droits absolus.
En conséquence il est totalement inadmissible, affirment-ils, que l'Etat se permette d'intervenir dans leurs affaires privées, y compris pour améliorer le sort des personnes considérées comme étant défavorisées ou même pour essayer d'assurer une certaine égalité des chances entre les individus ayant des origines sociales différenciées.
La question est alors de savoir s'il peut exister un Etat légitime, puisque ce qui caractérise l'Etat c'est le monopole d'usage de la violence sur un territoire donné.
Au sein du mouvement libertarien les "anarcho-capitalistes", les
radical-capitalists comme David Friedman, le fils de Milton Friedman le fondateur du monétarisme, pensent que non, que tout Etat est nécessairement illégitime. C'est pourquoi ils sont pour une économie de marché totalement pure, c'est à dire sans aucune intervention de l'Etat. Et c'est donc pourquoi ils sont contre toute restriction en matière d'immigration, en matière de drogue et en matière de sexe, et considèrent que le service national est une forme d'esclavage au bénéfice de l'Etat ...
Robert Nozick, qui est plus modéré, pense que l'Etat est légitime lorsqu'il est un Etat minimum, qui se contente de maintenir l'ordre capitaliste de la Société, c'est à dire qui assure la protection de l'exercice des libertés naturelles (sécurité et propriété). L'Etat est légitime lorsque par sa police et sa justice, ses prisons, son armée, il intervient efficacement pour permettre le libre exercice des droits de propriété des individus dans le cadre d'une économie de marché totalement libre, dérégulée.
John Rawls,
A Theory of Justice, Oxford University Press, Oxford, 1971,
Théorie de la Justice, Le Seuil, Paris, 1987. Pour un développement comparé, Jean-Pierre Dupuy,
Le Sacrifice et l'envie. Le libéralisme aux prises avec la justice sociale, Calmann-Lévy, Paris, 1992. Egalement du même auteur "
Le Néo-libéralisme contemporain, ou l'individu plongé dans la complexité sociale" in
Introduction aux Sciences sociales, Logique des phénomènes collectifs, Edition Marketing, Ellipses, Ecole polytechnique, Paris, 1992, pp.187-197.
David Friedman,
The Machinery of Freedom. Guide to Radical Capitalism, Arlington House, La Rochelle (New York), 1973,
Vers une Société sans Etat, Belles Lettres, Paris, 1992 Selon les adversaires communautaristes des libertariens, formule connue, la liberté des libertariens c'est "
la liberté du renard libre dans le poulailler libre", c'est la liberté du capitalisme sauvage
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Robert Nozick selon Vincent Leprince
Robert Nozick, "ANARCHIE, ÉTAT ET UTOPIE", Ed. PUF, juillet 1988
Professeur de philosophie à l’Université d’Harvard, Robert Nozik a beaucoup réfléchi sur le phénomène de l’Etat. Dès avant sa parution, en 1974, les thèses développées par l’auteur dans cet ouvrage ont fait l’objet aux Etats-Unis d’un large débat parmi les philosophes, économistes et sociologues. Ses théories l’ont amené petit à petit à prôner un ultra libéralisme garant de toute moralité dans nos sociétés modernes.
Robert Nozik est l’auteur de plusieurs ouvrages en Philosophie :
Newcomb’s Problem and Two Principles of Choice, in N. Rescher et al., éd., Essays in Honor of C. G. Hempel, Holland, F. Reidel, 1969. The Normative Theory of Individual Choice, Ph.D. dissertation, Princeton University, 1963.
Moral Complications and Moral Structures, Natural Law Forum, 13, 1968.
Coercion, in S. Morgenbesser et al., éd., Philosophy, Science and Method, New York, St Martin’s Press, 1969. Weighted Voting and One-Man One-Vote, in J.R. Pennock et R. Chapman, éd., Representation, New York, Atherton Press, 1969. On the Randian Argument, The Personalist, 52, printemps 1971.
Un certain nombre d’auteurs ont écrit sur ce thème du Libéralisme et de la légitimité de l’Etat. Les ouvrages les plus connus sont les suivant :
A Theorie of Justice, John Rawls
Sphères of Justice : A Defense of Pluralism and Equality, Michael Walzer
Liberalism and the Limits of Justice, Michael J. Sandel
Taking Rights Seriously, Ronald Dworkin
L’ouvrage de Robert Nozik se veut surtout être une remise en question des principes qui aiguillent notre réflexion vers tel ou tel chemin intellectuel. Il ne cherche pas à imposer ses convictions, mais à faire réfléchir le lecteur sur des questions de fonds sur le substrat même de la société : l’Etat.
Par une série de questions toutes les plus embarrassantes les unes que les autres, il interroge le lecteur sur ses convictions intellectuelles personnelles qui se retrouvera embrouillé et démuni des armes qu’il croyait les plus efficaces.
Il détruira les thèses les plus vivaces pour en instaurer de nouvelles
Telle une araignée il tissera sa toile dans lequel le lecteur ne pourra ressortir indemne. Déboussolé, dénaturé intellectuellement, le lecteur ne pourra rester insensible à la démarche intellectuelle à laquelle il aura été confronté.
Sa démarche est basée sur deux principes :
Une allégeance aux théories de Locke
Un démarquage des théories du philosophe anglais.
Robert Nozik est très proche, dans sa dialectique, du philosophe anglais John Locke. Le fil directeur intellectuel de son ouvrage se base dans le prolongement des thèses de l’Anglais. Toutefois, lorsqu’il ne sera pas d’accord avec le philosophe, il le signalera et soumettra sa propre théorie.
Si Nozik prône l’ultra libéralisme, il le fait de manière objective. Tout le long de son raisonnement, il s’attellera à comprendre puis à critiquer les théories de l’Etat, et les remplacera par des thèses libérales dénonçant les méfaits d’un système étatique. Il entamera une discussion sous la forme de questions réponses
IDÉES GÉNÉRALES
Les individus ont des droits, et il est des choses qu’aucune personne ni aucun groupe ne peut leur faire sans enfreindre leurs droits. Ces dans ces conditions que l’on peut se poser les questions suivantes. A-t-on absolument besoin d’un Etat ? Devrait-on l’inventer s’il n’existait pas ? Telles sont les deux questions que devraient se poser tous les membres d’une société
L’Etat, tel qu’il est conçu, représente une entité autocratique dictatoriale car il ne permet pas l’émergence de la concurrence et impose sa force et sa philosophie. Donc tout ce qui émane de l’Etat et qui est imposé ne peut être légitime et viole par conséquent les droits fondamentaux des individus. En revanche, tout résultat d’un accord sera acceptable. Mais cela arrive trop rarement.
Dans ce cas, quelle forme d’entité supérieure est moralement viable ? L’idée de l’Etat de nature est tentante, mais il existe une position intermédiaire entre ces deux formes d’Etat qui est beaucoup plus acceptable : l’Etat minimal. Lui seul peut attester à la fois d’un respect total des droits des individus et d’assurer ses devoirs de protection et d’arbitrage afin de garantir une stabilité dans la société.
HYPOTHÈSES
L’Etat redistributeur est moralement illégitime car il se permet des actions qu’il interdit aux individus. Il s’accorde des pouvoirs et des droits sans en avoir demandé préalablement l’autorisation aux membres de la société. L’Etat n’a donc, à première vue, pas lieu d’être. Toutefois, un monde sans Etat symboliserait le retour vers une société à l’Etat de nature qui partirait d’un chaos social pour déboucher inéluctablement vers un Etat redistributeur. L’Etat se doit donc d’être présent, mais en tant qu’entité caution d’une justice distributive qui garantit la protection de chacun au moindre coût. Tout autre pouvoir de l’Etat doit être proscrit. L’Etat minimal reste l’Etat le plus étendu qui puisse être justifié. Il constitue la prémice de l’Etat démocratique des sociétés modernes. Cependant, tous les arguments moraux en faveur d’un Etat originel plus étendu ou plus puissant sont inadéquats.
Toutefois, atteindre un Etat qui satisfasse entièrement tous les membres d’une communauté n’est pas chose facile. Les systèmes complexes de compensation, de droit, de légitimité ou d’égalité sont là pour le montrer.
L’utopie semble donc le meilleur moyen d’atteindre cette société idéale qui entre dans un modèle établi et intelligible pour tout le monde. Seulement, cela ne reste que du domaine de l’imaginaire car le monde réel est beaucoup trop complexe pour reproduire l’ensemble structural de cette société.
Mais l’Etat minimal, qui est le meilleur des Etats, car le plus juste et le plus moral, n’est pas du domaine de l’utopie. Il est réalisable par l’intermédiaire de ce qu’on peut appeler le canevas de l’utopie.
RÉSUMÉ
PARTIE I : LA THEORIE DE L’ETAT DE NATURE
I) Pourquoi une théorie de l’état de nature
Nozik va partir de la question fondamentale de la philosophie politique concernant l’existence d’un Etat : Pourquoi a-t-on un Etat et pas une anarchie ?
Mais ce binôme Etat-Anarchie n’est pas tout à fait juste. La discussion doit plutôt tourner entre le minimax de Hobbes (l’Etat est néfaste à l’Homme) et le maximax de Godwin (nécessité de l’Etat).
L’auteur va devoir faire face aux partisans de l’anarchie qui basent leur argumentation sur l’immoralité de l’Etat. Les premières réponses que va donner Nozik est que l’Etat s’auto-légitime sur la base d’un pouvoir coercitif.
Toutefois, il ne ferme pas les débats, et estime qu’il est nécessaire de comprendre intrinsèquement l’Etat avant de le condamner. Comment faire ? En utilisant le non politique comme source ou explication du politique, puis en procédant à une démarche hypothético-déductive de son apparition. Il sera alors possible de suivre Hempel dans ses trois explications potentielles law defective, fact defective et fondamentale de l’apparition de l’Etat. A partir de là on pourra émettre deux conditions sine qua non à l’existence d’un Etat : l’Etat doit être meilleur que la situation d’anarchie la plus favorable qui soit, et doit être moralement, structurellement et historiquement acceptable.
II) L’Etat de nature
Pour Locke, l’Etat de nature est l’Etat dans lequel chacun est libre d’exercer et d’ordonner n’importe quelle action sans dépendre ni demander l’autorisation à quelqu’un. L’Homme est libre et maître de ce qui lui appartient, et personne n’a le droit de se sentir supérieur par quelle entité que ce soit. L’Etat civil est le meilleur exemple d’une forme d’Etat regroupant ces caractéristiques.
Cet Etat de nature va permettre la formation d’associations protectrices où chaque membre entretiendra avec ses collègues une solidarité et une entraide absolue. Le tout sera chapeauté par une entité extérieure acceptée de tous, qui prendre la une forme d’un Etat, à la fonction de juge. Ces associations agiraient donc sous l’égide d’une loi acceptée par tous mais qui ne donnerait aucun contrepoids à une entité qui se voudrait hors la loi. Il s’agit là du premier point faible d’un Etat de nature.
La concurrence entre ces associations va transformer petit à petit la protection en marchandise, et légitimer la quantité par rapport à la qualité. Chaque personne devra payer sa protection, et l’on pourra acheter différents degrés de sécurité. Chacun paiera pour son propre compte en fonction de ses moyens financiers. Les individus agiront de façon inintentionnelle vers la maximisation de leurs bénéfices, selon les concepts de la main invisible sou de la main cachée.
Mais une association protectrice dominante n’est-elle pas déjà une forme d’Etat ? Si l’on suit Weber et sa théorie de l’Etat comme monopole de la force, on peut répondre positivement à cette interrogation. Cependant, cela induirait que l’association protectrice n’offre pas toutes les garanties de sécurité d’un Etat car elle n’a pas le monopole de la force. Elle ne peut garantir la protection à tout le monde. En revanche, cela ne suffit pas pour Marshall Cohen qui impose que ce monopole soit accepté et respecté par tous. Car un Etat peut exister sans monopoliser l’utilisation de la force qu’il n’a pas autorisée les autres à utiliser. A l’intérieur des frontières d’un Etat il peut exister des groupes qui utilisent la force comme moyen d’autorité ou de pression (mafia, KKK, syndicalistes… ). Nozik renforce cette négation par la limite géographique du pouvoir des associations protectrices, et par le prix que doivent acquitter les individus pour acquérir une protection. L’Etat offre ses services gratuitement qu’il étend sur tout le territoire de ses membres.
III) Les contraintes morales de l’Etat
L’Etat ultraminimal est la situation intermédiaire entre les associations protectrices et l’Etat redistributeur. Pour Friedman, l’Etat minimal est l’extension de l’Etat ultraminimal par l’ajout de la redistribution. Il ne doit pas y avoir de raisons non distributives convaincantes. Toutefois, il est considéré comme réellement distributif que si les raisons qui plaident en sa faveur, et elles seules, sont distributives. Offrir une compensation pour un vol ou une spoliation n’est pas une raison distributive. Un Etat ne peut légitimer une redistribution basée sur une action immorale et illégitime en amont de cette redistribution.
Pour les partisans de l’Etat ultraminimal, la redistribution de la protection est le seul droit légitime d’un Etat, car les autres impliquent, de par leur existence même, une violation des droits de l’Homme.
Ce droit légitime de l’Etat doit lui permettre d’atteindre son but moral qui est d’arriver à la somme totale pondérée de la violation des droits, c’est à dire que la violation du droit des uns ne soit pas supérieure au bénéfice que retireraient d’autres personnes de cette violation originelle. Bénéfices et violation doivent s’équilibrer. Toutefois, violer le droit des uns pour minimiser la somme totale pondérée de la violation des droits dans la société va à l’encontre du droit des individus. Cela montre la nécessité d’ériger des contraintes secondaires qui vont au-delà du but moral initial. Une sorte de meta contrainte qui empêcheraient les dérives dues à la faible efficacité des contraintes primaires. Le droit des autres déterminent les contraintes auxquelles sont soumises nos actions. L’objectif de l’Etat devenant ainsi la maximisation des buts B sans violer ces contraintes. Il s’agit pour Nozik du "compromis optimal". En conclusion, l’Etat aura le choix entre deux optiques : soit l’interdiction de violer les contraintes morales dans la poursuite des buts, soit minimiser la violation des droits qui permet de violer les droits en vue d’une diminution de la violation totale dans la société (cette dernière hypothèse représentant la position de l’Etat ultraminimal).
Mais pourquoi ne pas considérer la non-violation des droits comme une contrainte primaire et non pas seulement secondaire, qui serait basée sur des principes moraux et des idéaux. ? C’est à dire suivre le principe kantien qui définit l’Homme comme une fin et non un moyen ? La réponse est la suivante : les contraintes ne doivent en aucun cas rythmer la vie des gens. On ne doit pas organiser sa vie en fonction de contraintes, mais les utiliser afin de ne pas dérégler la société.
En instaurant des contraintes libertaires dans un groupe, on s’installe dans un paradoxe difficile à résoudre : on peut être une menace pour quelqu’un en étant innocent car ce n’est pas de notre volonté ni de notre faute. Un individu peut se retrouver dans une situation qui l’oblige à violer les droits d’une autre personne afin de se protéger. Les droits de cette personne qui menace cet individu sont donc violés alors qu’elle ne représentait pas volontairement une menace pour son agresseur (ex. une personne jetée dans un puis où se trouve déjà une autre personne. La première représente une menace de mort pour la seconde qui est donc obligé de l’agresser si elle veut survivre). En d’autres termes, dans la prohibition de l’utilisation de la violence contre des personnes innocentes, doit-on pour se sauver violer les droits de ces personnes ? Dans ce cas, ne sommes nous pas nous aussi innocents et victimes ?
Cette question s’applique aussi bien pour les animaux et leurs droits. Si l’auteur accorde des droits aux animaux (dans la mesure où la frontière entre les Hommes et les animaux n’est pas établie), mais selon une classification établie, tout le monde ne pense pas la même chose. Kant se place du côté des bénéfices que la société pourra retirer de l’utilisation des animaux, alors que les Utilitaristes rejoignent la position de Nozik mais vont beaucoup plus loin (ce que l’auteur dénonce notamment). Ils mettent sur un pied d’égalité le bonheur et la souffrance des Hommes avec ceux des animaux. Ils assimilent les individus à des moyens et non à une fin. D’où leur "violabilité". Ce qui revient à se poser la question du sacrifice d’une personne au profit d’une autre au statut supérieur.
L’anarchie individualiste met en relief d’autres contraintes morales de l’Etat basées sur la violation des droits des individus. Si un Etat peut violer légitimement un droit, alors pourquoi une association protectrice privée ne le pourrait-elle pas ? De quels droits un Etat s’accorde-t-il certains droits qu’il refuse à tous les autres ?
IV) Interdiction, compensation et risque
Locke a beaucoup réfléchi sur ce thème. Il interdit l’utilisation de la force pour contraindre une personne à entrer dans une société civile, car les droits de chacun sont délimités par une ligne (un hyper plan) elle-même déterminée par les droits naturels des individus qui limite les actions des autres. En vertu de quoi, le franchissement de cette ligne donnera lieu à une compensation totale. La situation de la "Victime V" après le franchissement doit être supérieure à celle de la "Victime V" avant franchissement. Si X vole le téléviseur de Y, il devra, en contrepartie, lui offrir un téléviseur d’une valeur supérieure ou une compensation pécuniaire plus importante que le prix dudit téléviseur. Si la compensation est équivalente ou inférieure, l’agressé sera donc lésé dans l’opération qui aura profité uniquement à l’agresseur.
Cette condition est donc obligatoire à l’existence d’une compensation totale. En conséquence de quoi il n’y aura un déséquilibre qui profitera à l’une des deux personnes.
Pourquoi donc prohiber si on peut obtenir une compensation totale ? Ceci pour quatre raisons. Premièrement toute violation de droit n’est pas compensable (la mort, le viol…). Deuxièmement, selon Locke, certaines choses ne peuvent être réalisées même avec le consentement de la personne (demander à quelqu’un qu’il nous assassine). Troisièmement, une compensation est rarement totale. En effet, il faudrait qu’elle ne change pas l’équilibre qu’il y avait entre les deux partis avant l’échange (c’est à dire qu’une personne soit ou puisse dans le futur être avantagée par rapport à son vis-à-vis), et qu’elle soit supérieure à la "compensation du marché", c’est à dire au prix relevant d’une négociation. Sinon, dans tous ces cas, il y aurait une injustice. Quatrièmement, si tout était permis en échange d’une compensation, ce serait le chaos total dominé par la peur. La peur est un sentiment qui est rarement pris en compte dans le montant des compensations (ainsi que ses consœurs l’humiliation, le déshonneur…). Or, c’est la peur qui interdit que tout soit achetable, car elle est difficilement quantifiable et prévisible.
Enfin, on peut se demander si, avant d’autoriser de dédommager la transgression d’une action prohibée, il faut se poser la question de savoir si le montant de la compensation est réglable par les individus. En d’autres termes, devrait-on interdire à ces personnes de violer ces actions ? Et s’ils le font violent-ils vraiment les victimes ? La question est de savoir si, pour les personnes à risques, il faut interdire certaines actions qui pourraient causer de graves conséquences pour les autres même si elles ne peuvent jamais arriver (la conduite pour un mal voyant ou un handicapé physique…).
Cette société à deux vitesses est décrite comme une société non libre par l’auteur dès le moment où l’interdiction de ces actions créerait un désavantage pour ces personnes ("après est inférieur à avant"). Dans ce cas, il faudrait interdire les activités à risques.
Pour enrayer le processus de violation des droits même avec compensation, la communauté peut mettre en place des théories punitives permettant d’infliger des pénalités supérieures à celles prévues normalement. Ce châtiment disproportionné qui, pour les utilitaristes doit être proportionnel au malheur causé à la victime, permettrait de dissuader fortement les futurs coupables.
Toutefois, la réflexion doit être plus profonde car il est nécessaire de prendre un compte un facteur important dans le schéma de la compensation : le risque. Une personne susceptible d’être attaquée doit-elle être indemnisée pour le risque qu’elle prend même si rien ne lui arrive ? Ou doit-on penser comme Charles Fried que le risque fait partie de la vie et donc que chacun doit pouvoir imposer aux autres des risques normaux sans pour autant distribuer des compensations ?
On peut résumer cet ensemble d’idées en écrivant que les trois critères qui décident si une société doit accepter le franchissement de frontière, donc la violation des droits, moyennant compensation sont : la considération de la peur et du risque, la division des bénéfices de l’échange, et les coûts de transactions.
V) L’Etat
L’existence d’un groupe limite le pouvoir individuel de ses membres. La raison invoquée est que si chacun avait le pouvoir de justice, cela créerait une situation dangereuse au sein de la société. Dans ce cas, les pouvoirs légitimes d’une association protectrice correspondent à la somme des droits individuels détenus par les individus distincts agissant seuls dans un Etat de nature.
Mais un problème se pose lorsqu’une personne décide de ne pas faire partie d’un groupe afin de distribuer lui-même la justice. Il formerait un groupe monocéphale, donc habilité à donner la justice.
Nozik est contre le principe d’équité de Hart et Rawls qui donnent à un petit nombre de personnes des créances de droits de la part d’autres individus qui ont bénéficié des actions de ces personnes. Pour l’auteur, aucun droit nouveau n’apparaît au niveau du groupe. Des individus associés ne peuvent pas créer de nouveaux droits qui ne soient pas la somme des droits préexistants. En effet, un droit ne peut mettre en vigueur l’obligation qu’ont les autres de limiter de façon spécifique leur comportement. On ne peut imposer la collaboration des autres même dans des situations spécifiques. Une personne ne peut être obliger de participer à un service ou un travail dont elle a bénéficié sans qu’on lui demande son avis. Car si elle avait connu les termes du contrat à l’avance elle aurait pu les rejeter. Le principe d’équité est donc inacceptable.
De la même façon, le système de droits semble inapproprié à la réalité. Notre société qui privilégie l’innocence à la culpabilité laisse donc un champ libre à la criminalité qui voit diminuer sa probabilité d’être condamné. Un système où plus les garanties de procédures sont importantes, moins un innocent peut être condamné injustement et plus sont les chances qu’un coupable reste libre est un système qui décourage peu le crime. Le système le plus efficace est donc celui qui minimise la valeur attendue du mal injustifié que je subis, soit parce que je suis injustement puni, soit parce que je suis victime d’un délit.
Quelle est la marge de manœuvre d’une association protectrice ? Elle doit pouvoir juger toutes procédures de justice qui sera appliquée à ses clients, mais en respectant certaines limites, c’est à dire de ne pas être aveuglement solidaire avec ses clients. Cette association se sent un monopole de facto. Elle pense toutes ses procédures fiables et justes et celle des autres injustes et non fiables. Elle se sent seule maître de définir si l’action des autres est juste. Ce qui fait de cette entité un Etat de facto.
Lorsqu’une agence protectrice interdit à l’extérieur de faire valoir librement ses droits sur ses clients, elle doit offrir une compensation. Dans ce cas, il serait plus avantageux pour les individus de se voir offrir la protection en compensation plutôt qu’en la payant en adhérant à l’association.
Revenons à la question de savoir si l’association protectrice est un Etat ou non. Pour satisfaire à cette situation, l’association protectrice doit regrouper un territoire et une population cliente de l’association, le monopole de la force, et la préservation des droits des individus. A partir de ce moment, on pourra dire que de l’Etat de nature naîtra un Etat sans violer le moindre droit des individus. L’association dominante est donc la prémice d’un Etat. L’Etat minimal naît de façon légitime d’un Etat de nature par la force de la main invisible.
En conclusion de ce chapitre, un territoire ayant une agence protectrice dominante contient un Etat. Toutefois, çà va à l’encontre de la théorie de Locke. Car pour que naisse un Etat, il faut un consensus social adopté par tous, et non pas seulement par quelques uns. Un Etat doit être homogène dans son acceptation. Pour Locke, la naissance d’un Etat doit être préméditée par un pacte social. Ce sera un des points sur lesquels Nozik se détache du philosophe anglais.
VI) Nouvelles considérations sur l’argumentation en faveur de l’Etat
Le monopole de facto crée un déséquilibre de pouvoir. Donc, on peut se poser la question de savoir si une association protectrice doit être unique et être autorisée à tout faire pour rester la plus puissante. Attaquer l’autre doit être autorisé mais à certaines conditions. Le faire pour l’empêcher d’être plus puissant que soit est immorale, alors que l’attaquer parce qu’il vous menace est tout à fait légitime. On pourra ainsi parler de légitime défense uniquement lorsqu’il y aura une menace réelle d’attaque.
Si un individu et l’association protectrice on les mêmes droits à la base, comment cette agence peut-elle prétendre avoir des habilitations supérieures à ses membres. C’est pour cette raison qu’il est important de distinguer une habilitation générale et accordée à tous, d’une habilitation unique.
La théorie de l’Etat de nature considère le châtiment comme une fonction que n’importe qui peut accomplir, car tout le monde a les mêmes droits (Locke). C’est un droit que réfute Nozik. L’auteur prône la création d’un droit conjoint pour contrer le droit individuel. Ce droit sera symbolisé par l’agence dominante qui possède la délégation de ses clients.
PARTIE II : AU DELÀ DE LETAT MINIMAL ?
VII) Justice distributive
Selon le principe de la justice distributive, une distribution est juste si tout le monde est habilité à la possession des objets qu’il possède selon le système de distribution. Une distribution sera juste si elle est née d’une autre distribution juste grâce à des moyens légitimes. Cette règle s’applique à toutes les actions des individus d’une société mais pose le problème des biens acquis injustement il y a longtemps et dont les ancêtres réclament aujourd’hui le retours.
A ce problème, deux théories antagonistes vont s’opposer : la "théorie de l’habilitation" qui examinera le processus d’appropriation d’une objet, et la "théorie des principes courants de la répartition du temps" qui ne prendra en compte que les faits établis.
Mais comment doit s’effectuer la distribution ? Trois modèles peuvent être établis : une distribution selon le mérite moral, une distribution selon l’utilité envers la société, et une distribution selon le mérite moral et l’utilité. Hayek complétera cet ensemble de modèle par le modèle de la valeur : la distribution réside dans la valeur des actions et services de chacun perçue par les autres. A l’opposé, Nozik pense que la distribution ne peut ni ne doit être organisée en modèle. Car tout modèle est instable (il peut être remis en cause sempiternellement par les actions volontaires des individus) ou bien se satisfait du système de l’habilitation. De plus, les individus veulent que leur société soit ou paraisse juste. L’apparence de justice réside plus dans les principes qui sont à l’origine et qui la sous-tendent, plutôt que dans un modèle qui en résulte. La distribution doit être le résultat "de chacun comme ils choisissent à chacun comme ils sont choisis". C’est à dire que ce qu’on aura sera subordonné à ce que les autres voudront bien nous donner. L’Etat, par l’intermédiaire de l’imposition, offre l’image négative d’un modèle de distribution basée sur l’esclavage et la violation des droits fondamentaux et des libertés individuelles. Ce modèle de distribution applique un impôt sur la liberté et le bonheur, et force les gens à s’expatrier. Cela crée une situation d’inégalité où chacun a le droit de s’expatrier afin d’échapper à l’imposition alors que le droit de rester dans son pays et de refuser cette imposition est interdit.
La théorie de l’acquisition chez Locke va structurer la théorie de l’habilitation. Elle cherche à cerner un principe de justice s’appliquant à l’acquisition. Cette théorie lockéenne se base sur la valeur du travail personnel fourni dans la réalisation ou l’évolution d’un objet : si quelqu’un mêle son travail à quelque chose, il en devient propriétaire dès lors que cela n’empire pas la situation des autres. Nozik va s’opposer à cette théorie sur la base de l’inégalité des individus devant l’appropriation. De plus, il limite la théorie lockéenne à la connaissance de l’importance économique générale de l’appropriation originelle afin de voir quel degré de dérive existe entre les théories divergentes de l’appropriation et de la situation de base.
L’auteur va se placer en faux contre une autre théorie de la justice, celle de Rawls. Selon Rawls, une société fabrique un principe de justice sociale dont l’objectif est de distribuer équitablement les parts entre les individus (une sorte de coopération). Les inégalités seront justifiées si elles servent à élever la position du groupe le plus élevé de la société, dans la mesure où, sans ces inégalités, le groupe le plus déshérité ne trouverait pas une position encore pire. Nozik va dénoncer la confusion et le manque de clarté qu’introduit cette théorie sur le droit de chacun à demander sa part. Chaque individu devrait mériter ce qu’il obtient sans aide et ne devrait pas se sentir menacé dessus.
Rawls prône le principe de différence qui introduit une légitimation des inégalités si celles-ci produisent, en compensation, des avantages pour chacun, et en particulier pour les membres les plus désavantagés de la société. Dans sa théorie, Rawls insiste sur la coopération sociale de tous comme nécessaire à la justice. A l’opposé, Nozik pense que la contrainte à une coopération sociale privilégierait encore plus ceux qui tirent déjà les plus grands bénéfices de cette coopération générale. La position de Rawls est incapable de produire une habilitation ou une conception historique de la justice distributive car il pense des principes de justice où l'Etat est vu comme une fin et où on cherche à pallier le manque de principe d’habilitation historique par des dérivés, des faux. De plus, la théorie de Rawls ne s’applique qu’à une macro structure fondamentale de la société. Elle exclut les micro structures, alors qu’il faut, au contraire, s’intéresser aux micro situations dont on possède une solide connaissance. Elles forment l’élément de base de toute analyse d’une situation. Donc, la théorie de Rawls est, soit incapable de donner des principes de justice pour les processus, soit ces principes engendrés par le processus constituent une base insuffisante.
Mais Rawls, au grand damne de Nozik, va plus loin afin d’étayer sa théorie. Il considère que tout ce qui a été immérité est immoral. Il est contre la liberté naturelle qui a influencer les distributions présentes par des répartitions antérieures des talents et des dons naturels. La répartition des talents naturels doit constituer un atout pour un collectivité et non une différence. Il s’agira donc de combattre ces injustices par la coopération sociale.
VIII) Egalité, Envie, Exploitation
Pour B. Williams, dans certaines situation (médecine par exemple), les raisons primaires ne suffisent pas à entraîner une distribution. Il faut des raisons secondaires (l’argent). Toutefois, Nozik ne veut pas laisser de côté le but particulier de la personne qui distribue.
Cette égalité dans la distribution est souvent tributaire de l’égalité des chances. Il y a deux solutions pour y arriver : dégrader la situation des plus favorisés par la chance, ou améliorer la situation des moins favorisés. Le problème est que la seconde solution entraîne inéluctablement la dégradation immorale et injuste de la première. C’est ainsi que l’auteur voit en la philanthropie une troisième solution qui tenterait de convaincre les plus favorisés d’aider les plus démunis.
Nozik pense que personne n’a droit à quelque chose dont la réalisation requiert certaines utilisations de choses et certaines activités sur lesquelles d’autres individus ont des droits et des titres. Les droits et titres des autres personnes sur des choses particulières et la façon dont ils choisissent d’exercer ces droits et ces titres fixent le milieu extérieur de tout individu donné et les moyens dont il disposera. Si son but requiert l’utilisation de moyens sur lesquels d’autres ont des droits, il devra obtenir leur coopération.
L’égalité dans le travail est aussi une cause qu’il s’agit d’étudier avec attention car beaucoup de mauvaises interprétations circulent autour de ce sujet. On parle souvent de la différence de salaire ente le monde capitaliste et le monde ouvrier. Mais on oublie souvent la notion d’estime de la nature même du travail. Les ouvriers préfèrent accepter des bas salaires et un travail segmenté et spécifique qui leur plaît car il leur donne plus d’estime en eux que d’accepter les conditions de travail du monde capitaliste. Le Socialisme exclut le travail constructif et privilégie la segmentation des tâches car il augmente l’estime personnelle des travailleurs. Parallèlement, contrairement à ce que pensent la population, le système syndicaliste est un système qui implique de grandes inégalités de revenus parmi les travailleurs dans chaque usine car c’est une politique qui offre un plus grande latitude dans les choix des ouvriers que le système capitaliste.
Nozik va faire un détour dans son raisonnement par une lecture critique de Marx. Il va baser principalement sa réflexion Nozik sur la théorie de l’exploitation et celle de la valeur du travail. Pour Marx, l’exploitation viendrait du fait que la majorité des travailleurs n’ont pas accès aux moyens de production. Ainsi, les travailleurs doivent vendre leur force de travail aux capitalistes. Pour remédier à ce problème, il suffirait de créer un secteur de moyens de production possédés et contrôlés publiquement et accessibles à tous. Toutefois, comme le fait remarquer l’auteur, cette théorie est fausse aujourd’hui. Les caisses syndicales sont devenues si puissantes financièrement qu’elles pourraient acheter des usines et les donner aux mains des travailleurs. Or, elles ne le font pas, principalement par peur du risque et des pertes envisageables.
L’auteur revient à la notion de "Droit" en s’arrêtant sur le principe de légitimité de réaction. Les gens ont un droit légitime à s’exprimer sur les décisions qui affectent fortement leur existence. Donc il ne faut pas un Etat trop étendu qui entraverait cette légitimité. Toutefois, cette légitimité est limitée par l’interaction avec le droit des autres. Ce pourrait être le rôle de l’Etat que de réguler ce droit à la réaction. L’Etat peut donc perdre sa neutralité lorsqu’il permet de limiter les inégalité politiques par le biais de la limitation des inégalités économiques. Car les deux sont souvent liées entre elles et agissent selon le processus de boule de neige. Il faudrait, cependant, faire attention à l’augmentation de sa corrompabilité par les individus voulant s’emparer du pouvoi
الإثنين فبراير 22, 2016 9:47 am من طرف جنون