[size=32]Une conception de l'homme[/size]
Patrick Juignet, Psychisme, 2011.
Nous considérons l'être humain comme un individu en interaction avec son environnement concret, mais surtout relationnel, social et culturel. Chaque être humain a une unité, une cohésion, et est pourvu d'une homéostasie. En même temps il communique activement. C'est pourquoi nous parlons d'un individu en relation. Nous allons présenter ici le modèlede l'homme qui est l'arrière plan de tous nos raisonnements en matière de psychopathologie.1/ Le fondement de cette conception
Très brièvement, avant d'entrer dans le vif du sujet, voyons les concepts sur lesquels ce modèle est bâti, ce qui permettra de comprendre comment on peut avoir un modèle unifié de l'homme, une compréhension de l'homme sans dualisme.
Le concept de mode d'organisation
La proposition faite ici est fondée sur les concepts d'organisation, d’émergence, de complexité. Dit plus précisément, cela signifie que ce qui fonde l’existence (l’être) c’est l’organisation elle-même. Il s'agit d'une ontologique pluraliste fondée sur l’organisation. Nous remplaçons l’idée de substance par celle d’organisation, ce qui a pour effet heureux d’éviter les conséquences du substantialisme.
Nous distinguons dans le monde divers modes d’organisation et d'intégration, de complexité croissante et admettons que les composants des modes d’organisation supérieurs sont formés par l’association des constituants des niveaux inférieurs. Selon les connaissances scientifiques actuelles on peut grossièrement différencier trois régions relativement homogènes : physique, chimique, biologique.
La relation entre niveaux peut être comprise grâce au concept d'émergence. Cela signifie que le mode d'organisation de degré de complexité supérieur nait de celui qui le précède immédiatement. Cela s'ignifie qu'il y a, d'une part, une hiérarchie (les modes les plus simples étant nécessaires aux plus complexes) et, d'autre part, un ajout à chaque niveau (les modes supérieurs ayant des propriétés nouvelles et différentes).
Application à l'homme
Cette conception du monde est applicable à l’homme, car l’homme est inclus dans le monde et ne constitue pas une entité à part. On peut l'appliquer à l'homme dans son ensemble et mais aussi aux appareils qui le constituent. Il est possible d'appliquer cette idée de mode d'organisation au système nerveux central, car il s'organise à son tour selon une complexité croissante.Si nous considérons l'appareil neurologique selon des niveaux d'organisation de complexité croissante, comment nommer cet ensemble regroupant de manière indissociable un appareil et un niveau d'organisation précis ? Il n'existe aucun nom disponible, aussi proposons-nous le terme de mode-appareil. Il y a par conséquent plusieurs qui nous repérerons par leurs manifestations caractéristiques. Par ordre de complexité croissante, il est possible de considérer un mode appareil neurophysiologique, puis neurosignalétique et enfin cognitivo-représentationnel Nous supposons que le mode cognitivo-représentationnel naît de l’organisation neurosignalétique, par un degré de complexification supplémentaire, permettant un saut qualitatif dans les propriétés. Ses composants se forment, au moment où les éléments codés du signal neurobiologique se mettent en relation par auto-organisation. Il se forge alors des éléments autonomes, possédant des qualités qui leur sont propres. L'ensemble de ces éléments constitue le niveau cognitivo-représentationnel. La structuration à des degrés supérieurs de complexité se poursuit à partir du premier niveau émergent, forgeant ainsi l’ensemble du mode-appareil considéré. Ainsi, par réorganisations successives, se constituent diverses strates et systèmes.
Cette conception présente l'intérêt de ne supposer aucune coupure entre le neurobiologique, le neurosignalétique et le représentationnel. A partir de ces concepts, nous pouvons construire un modèle théorique de l'homme en tant qu'il est constitué de plusieurs niveaux hiérarchisés ou, plus précisément, plusieurs mode-appareils.
2/ Un modèle simplifié de l'homme
Si l'on néglige les niveaux physiques et chimiques qui ne nous intéressent pas ici, il reste le niveau biologique. L'individu humain peut être considéré selon les degrés de complexité de son organisation biologique. Même limité à ce niveau nous avons affaire à une infinité de systèmes et d'appareils qui demanderaient une encyclopédie pour être décrits. Nous allons donc simplifier en ne prenant en compte que ce qui est indispensable. Dans le niveau biologique, nous séparerons le biosomatique (pris en bloc) et un appareil privilégié, l'appareil neurologique, le système nerveux. Au sein du système nerveux, nous individualiserons sa constitution et son fonctionnement, ensemble que nous nommerons neurofonctionnel. Au sein du neurofonctionnel il existe un aspect très particulier qui est la formation, la transmission et l'interaction des signaux nerveux, qui se produisent par médiation électrique et par médiation chimique. A partir de celui-ci forme par un degré d'organisation supplémentaire le niveau suivant que nous nommons cognitivo-représentationnel. Sur cette base très simple nous pouvons constituer un modèle simplifié de l'homme qui nous servira pour comprendre la psychopathologie humaine.Le modèle considère quatre mode-appareils d'amplitude et de nature différentes. L'appareil biosomatique qui regroupe l'ensemble des organes en les associant au mode d'organisation biologique de base. Puis nous individualisons le système nerveux central de l'homme en l'associant à trois modes d'organisation : neurophysiologique (l’activité des neurones et des cellules gliales, leurs modifications métaboliques), informationnel (le traitement des signaux dans les réseaux neuronaux) et enfin cognitivo-représentationnel (le système des composants représentationnels et des processus cognitifs dynamiques). Notre modèle considère que les relations qu'entretient l'individu avec son environnement sont différentes selon le mode-appareil mis en jeu. Les quatre regroupements en mode/appareils donneront lieu à quatre types d'interactions avec l'environnement concret et relationnel.Nous distinguons donc quatre type d'interactions "horizontales" que nous figurons sur le schéma ci-dessous :Type 1 : La connaissance de l'environnement qui passe par le mode-appareil cognitivo-représentationnel et produit des conduites pratiques et signifiantes. Type 2 : La réception des indices qui influent sur l'appareil neuroinformationnel et produisent des comportements.Type 3 : L'acquisition des stimulations qui produisent des réponses en passant par l'appareil neurophysiologique. Type 4 : L'effet des conditions qui en jouant sur le biosomatique donnent des réponses automatiques.La considération de ces quatre types d'interactions, condition-réaction, stimulus-réponse, indice-comportement, connaissance-conduite, fait bien comprendre que l'on n'a pas les mêmes formes de réponses et d'interactions selon les circonstances pour un même individu. Ces quatre types d'interactions de l'homme avec son environnement ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et se complètent mutuellement. Notons que ce schéma simplifié ne prend pas en compte les boucles interactives, ni la dynamique interne à chaque mode.3/ Des interactions entre niveaux
Il existe aussi, au sein de l'individu, des interactions figurées par les flèches verticales, qui concernent à la fois du passage d’un mode d’organisation à l’autre et des interactions entre l’appareil neurobiologique et le reste du biosomatique (que nous considérons en bloc). Les interactions se font entre entités contiguës et en cascade de proche en proche.
1/ Interactions de contiguïté
- Entre le neurofonctionnel et le cognitivo-représentationnel
Il y a d’une part une dépendance du second qui émerge du premier et, d’autre part, une double interaction. Dans un sens, celui des systèmes intégratifs, le neurofonctionnel forge les contenus et processus cognitivo-représentationnels et dans l’autre sens celui de l’effectuation (qu’elle soit présentative ou conative) il y a une transcription en mode neuroinformationnel (signalétique et chimique).
-Entre le neurologique et le neurofonctionnel
Le neurofonctionnel dépend du neurologique (des réseaux neuronaux, des neuromédiateurs, des systèmes précablés). Il en constitue le fonctionnement, mais en même temps s’autonomise au sens où le traitement de l’information a ses propres règles. En mode descendant, il envoie des commandes qui empruntent nécessairement le système neurologique.
- Entre le neurologique et le biosomatique en général
Le neurologique commande les systèmes moteurs et végétatifs. Ceci est trop connu pour être développé. Il est entièrement supporté par le biosomatique sans lequel il n'existerait pas qui lui envoie des signaux par voie des récepteurs et capteurs et par voie endocrinienne.
2/ Les actions en cascade :
- Descendante : du cognitivo-représentationnel au biosomatique
Cette action est certaine et évidente puisqu’il faut passer par le biosomatique pour réaliser un acte quelconque commandé par une idée.
Le neurofonctionnel et le neurologique agissent constamment sur les régulations du tonus musculaire et sur le système neurovégétatif ayant ainsi des actions viscérales.
- Ascendante : du biosomatique au cognitivo-représentationnel
Ceci est plus obscur, mais on sait que, par voie montante, les dysfonctions biologiques d’origine purement somatiques provoquent des effets neurofonctionnels et représentationnels. De plus il est probable que le biosomatique interagit avec le neurofonctionnel d'une manière qui est mal connue.
4/ Conséquences en psychopathologie
Cela nous amène à considérer un homme "continu" sans la traditionnelle coupure corps/esprit ou soma/psyché. Les quatre niveaux considérés sont en continuité et en interaction les uns avec les autres. En pratique, du point de vue de leurs manifestations cliniques il est parfois possible, mais parfois impossible, de les départager. Venons en maintenant au psychisme défini comme l'entité présente chez l'individu, qui détermine ses conduites affectives et relationnelles. C'est une entité qui a d'abord été inventée par la psychanalyse et la psychopathologie pour expliquer les conduites humaines, sans que sa nature soit précisée. Freud est toujours resté flou à ce sujet et sa postérité à bataillé pour tirer le psychisme vers l'esprit ou vers le neurobiologique. Le psychisme ainsi défini ne s'inscrit pas exactement dans l'un des mode-appareil tels qu'ils ont été vus ci-dessus. Il est a cheval sur plusieurs. Pour notre part nous supposons que le psychisme est "mixte", à la fois cognitivo-représentationnel et neuro-fonctionnel. D'autant plus qu'il y a des interactions constantes et continues, parfois non départageables, entre les deux. En pratique cela se traduit en psychopathologie par une double approche non exclusive. Une grande partie du domaine de la psychopathologie est concerné par le dysfonctionnement du mode cognitivo-représentationnel. C'est le niveau d'intervention de la psychothérapie. Le mode neurofonctionnel (qui comporte lui-même deux niveaux, neuroinformationnel et neurophysiologique) est perturbé dans les maladies multifactorielles car sa dynamique interne est perturbée. C'est le niveau d'intervention des médicaments psychotropes. Les troubles fonctionnels et psychosomatiques s'expliquent par les interactions pathogènes allant par voie descendante du cognitivo-représentationnel vers le biosomatique.Selon le type d'interaction et le mode organisationnel considéré, les méthodes et raisonnements utiles pour les étudier seront différents. Cette conception de l'homme guide notre manière de théoriser la psychopathologie. L'assise des capacités humaines à penser, représenter et ordonner le monde est constituée par le niveau cognitivo-représentationnel. Pour ceux qui veulent savoir plus précisément ce que c'est, voir l'article : L'émergence du mode cognitivo-représentationnel