[size=32]Vue d'ensemble de la psychopathologie relationnelle[/size]
Patrick Juignet, Psychisme, 2011.
La cohérence entre la clinique, la structure psychique et les données de l'anamnèse permettent de faire un diagnostic d'orientation en se situant par rapport à l'un trois grand pôle (névrotique, intermédiaire, psychotique) qui organise l’immense territoire de la psychopathologie. Sur ce principe, l'article donne une vue d'ensemble schématique, mais complète, du domaine de la psychopathologie d'origine affective et relationnelle. La pathologie d'étiologie multifactorielle est exposée dans l'article correspondant. Cet article est un approfondissement du précédent (Les trois pôles) qu'il faut avoir lu pour profiter de celui-ci.
PLAN DE l'ARTICLE
1. LES ASPECTS CLINIQUES
La clinique permet, en constituant un ensemble de faits homogènes, de dresser un tableau caractéristique qui donne une indication sur le pôle concerné.
Un aspect de cohérence et de liaison
Dans un certain nombre de cas, le contact immédiat est bon et après quelques entretiens, on a le sentiment d'une relation cohérente. L'attitude du sujet est en rapport avec le contexte relationnel dans lequel il se trouve et ce qu'il dit est lié à ce qu'il pense ou ressent. La communication n'est pas problématique. La conversation est facile et compréhensible, les propos ont un sens, le langage ne présente pas de bizarreries. La communication gestuelle (gestes, attitudes, mimiques) est adaptée. Il y a une cohérence dans ce qui est rapporté de l'histoire et de la vie quotidienne. La temporalisation des événements est correcte et l'enchaînement compréhensible, même s’il existe quelques lacunes. La mentalisation donne au sujet un aperçu intuitif de son fonctionnement psychique qui est parfois réduit.
La réalité, au sens ordinaire du terme (le concret, le social), est correctement perçue. Le sujet s’adapte assez bien aux contraintes concrètes et sociales et il distingue sans difficulté ce qui vient de son imagination et ce qu’il faut attribuer la réalité. La loi constitutive (au sens des grands principes régissant les rapports humains) est comprise et intégrée. La loi normative (les lois du code civil ou pénal, les règlements) est, le plus souvent, respectée. L'autre existe en tant que personne autonome et respectable. Ce n'est ni un moyen dont on se sert ni un personnage supérieur et effrayant. L'anamnèse montre une histoire qui n'est pas chaotique et une enfance qui s'est déroulée dans une famille structurée.
Le vécu douloureux, lorsqu’il existe, est rapporté aux conditions d'existence. Il y a souvent un contraste entre l’appréciation du sujet, pour qui il apparaît intense, et celle du clinicien, qui ne le juge pas inquiétant. L'anxiété est assez fréquente. Les crises aiguës d'angoisse apparaissent lors des décompensations et se présentent souvent comme une exacerbation du fond anxieux. La dépression prend la forme d'une sensation de tristesse pénible et douloureuse, avec une culpabilité ou un sentiment d'infériorité, mais sans effondrement ni dévalorisation extrême. L'inhibition est très fréquente. Elle s'accompagne d'une fuite des contacts, d'une disparition de la sexualité. Lorsque ces symptômes apparaissent, ils sont de gravité modérée, le patient a conscience de leur caractère pathologique et il demande de l'aide. Ils diminuent l'efficience mais ne compromettent pas l'adaptation sociale et concrète.
Les éventuels symptômes peuvent être de divers types. La phobie, pour être caractéristique, doit être unique, concerner un objet particulier ou une situation précise. L'angoisse occasionnée est évitée par évitement de l'objet ou par un système de réassurance. L'obsession consiste dans la mentalisation involontaire de quelque chose qui persiste et s'impose mais ne comporte pas de bizarrerie. Elle est impossible à chasser, mais elle provoque peu d'anxiété. Pour lutter contre les obsessions, ou parfois de manière indépendante, le névrosé met en place des activités rituelles. Les somatisations sont des troubles somatiques fonctionnels. Elles sont souvent de type neuromusculaire, mais peuvent être aussi sensorielles ou viscérales. Certains critères permettent de les caractériser : le début est brusque, la personne présente une plainte de circonstance mais tolère bien le trouble, ils ont un sens, même s'il est flou et incertain.
Le sujet a un travail et subvient correctement à ses besoins. L'activité est normale, parfois limitée en cas d'inhibition. La mentalisation et les interdits sont suffisamment puissants pour éviter les passages à l'acte néfastes. Sur le plan sexuel, il y a souvent une inhibition et une insatisfaction dans les relations qui restent classiques. Les relations avec les autres (amitié et camaraderie) sont variables selon les formes cliniques ; faciles chez les uns et difficiles chez les autres. Elles sont souvent durables et stables. Selon les cas, les relations amoureuses peuvent être durables et satisfaisantes ou bien instables du fait de l'insatisfaction vis-à-vis des partenaires. La solitude provoque un sentiment pénible, mais elle est supportable.
Un tel ensemble clinique, manifestant une cohérence entre les différents aspects de la vie relationnelle doit nous orienter vers le pôle névrotique.
Des ratages, des vacillations, des déviations
Le contact immédiat est facile, puis des tonalités affectives très variables apparaissent inopinément, au fil des rencontres, comme l'agressivité ou bien l'adhésivité. Dans certains cas, il y a une étrange neutralité un peu froide. La communication est facile et le langage dans la norme. Les gestes, attitudes, mimiques qui l’accompagnent sont congruentes et adaptés. L'histoire et la vie quotidienne semblent chaotiques du fait des événements mais aussi en partie du fait du récit. Certains aspects de la vie du sujet, certaines périodes de son existence, semblent ignorés et impossibles à évoquer : on est frappé par des "blancs" dans des domaines plus ou moins étendus.
La réalité, au sens ordinaire du terme (le concret, le social) est correctement perçue, mais vacille parfois, si bien que la distinction entre imagination et réalité s'estompe dans certaines circonstances. La loi constitutive (au sens des grands principes régissant les rapports humains) est comprise mais mal intégrée, la loi normative (les lois civiles et pénales, les règlements) n'est pas forcément respectée et peut même être franchement transgressée. L'autre est vu de manière très variable selon les circonstances. Il peut apparaître très bon ou très mauvais, respectable ou simplement utile, grand et fort ou petit et faible, avec des oscillations parfois importantes. L'anamnèse montre une histoire irrégulière avec des carences affectives importantes dans l'enfance (même si elles sont masquées).
La souffrance peut être vive par moments. La dépression revêt un caractère bien particulier. Elle est dominée par un sentiment de solitude, d'abandon, de vide, de creux. Elle est souvent aussi forte que difficile à exprimer et peut resurgir constamment. Elle peut donner lieu à de graves tentatives de suicide. L'angoisse est fréquente mais pas caractéristique. Elle prend une forme diffuse ou peut se manifester par des crises et prendre une allure de panique. L'inhibition est rare. Parfois la décompensation se manifeste sous forme d'une maladie somatique. Il y a parfois une demande d’aide mais souvent aucune selon la forme clinique. Les moments de vacillements sub-délirants sont très caractéristiques. On trouve des épisodes de confusion entre imagination et réalité, des épisodes de rationalisme et des passages à l'acte dans un climat onirique. Ces vacillements sont déclenchés par les circonstances (poussée pulsionnelle) ou les toxiques.
La mentalisation étant faible et les interdits peu puissants, rien ne vient entraver l'action. Il y a une absence d'inhibition et une tendance à l’agir qui se fait d’autant plus sentir que les circonstances s’y prêtent. Sur le plan sexuel, l'incertitude de la sexuation (du genre) s'accompagne d'importantes variations selon le sous-groupe considéré : du désintérêt au développement de perversions sexuelles majeures. Les conduites addictives sont très fréquentes. Elles concernent principalement la nourriture, l'alcool, les médicaments, le tabac, l'héroïne. Elles peuvent prendre l'allure d'assujettissements (addictions) mais pas toujours. Les tentatives de suicide sont assez fréquentes du fait de la tendance à l'agir.
Les relations avec les autres sont très variables. Facilité, immédiateté dominent, avec tantôt une tendance à l'idéalisation et tantôt à la dévalorisation, à la manipulation et à l'utilisation. Les liens sont labiles et se rompent facilement. Les relations amoureuses sont différentes selon la forme clinique. Elles oscillent entre la recherche d'une relation fusionnelle idéale et une relation de domination et de manipulation perverse. La solitude provoque un sentiment de manque à être pénible, provoquant une difficulté, voire une impossibilité, à vivre seul.
Un tel tableau fait de ratages et de vacillations dans la vie sociale, avec toutefois une facilité relationnelle, mais d’importantes incertitudes sexuelles et narcissiques, doit nous orienter vers le pôle intermédiaire.
الجمعة فبراير 19, 2016 9:03 am من طرف سوسية