Page 1 sur 2
La méthode clinique en psychopathologie
Par méthode, on entend les conditions générales de la science, mais aussi et plus particulièrement les procédés qui règlent l’expérience de façon à la rendre rigoureuse et adaptée à l’objet. C’est en ce sens que nous parlerons de méthode clinique en psychopathologie. Il s’agit des procédures empiriques propres à la psychopathologie. La méthode permet l’acquisition des faits pertinents et des procédés d’exposition qui les rendent partageables et contrôlables par la communauté des praticiens.
[size]
JUIGNET Patrick. La méthode clinique en psychopathologie. 2015. Philosophie, science et société, 2015. [en ligne] http://www.philosciences.com 1. La mise en œuvre
L’expérience clinique
[/size]
La clinique met en œuvre une expérience particulière, réglée par une méthode, qui aboutit à des descriptions de faits transmissibles. Elle permet d’appréhender des faits de diverses natures que l’on regroupe sous des rubriques permettant de les associer de manière homogène et cohérente (par exemple faits mentaux, conduites, traits de caractère, manifestations somatiques, etc.). L’expérience clinique s’organise grâce à l’acquisition de catégories (concepts spécifiques qui organisent la clinique), ceux-là mêmes que nous exposons dans cet ouvrage, ce qui permet d’accéder aux aspects de la réalité propres à la psychopathologie clinique. La description clinique est le reflet de l’expérience mise en œuvre et dépend donc de la qualité de celle-ci. Ces descriptions doivent conserver un fort degré d’empiricité mais aussi éviter l’atomisation en éléments disparates, car, en matière humaine, la parcellisation détruit la pertinence du fait. La méthode clinique se greffe sur l’expérience première et immédiate, celle de tous les jours. Mais elle s’en sépare nettement par à une distanciation et une transformation en une expérience spécifique. La transformation de l’expérience première demande, outre une connaissance théorique des catégories à utiliser, deux aspects spécifiques : la relativisation et la réflexivité.
[size]
Relativisation et réflexivité
[/size]
La relativisation rapporte le fait à l’expérience qui le produit et s’oppose à l’idée selon laquelle le fait serait indépendant de l’observateur (objectivité concrète). Elle interroge l’expérience et montre que le fait est relatif à cette expérience. Elle débouche sur la réflexivité qui, en questionnant l’expérience de manière plus spécifique par rapport au domaine considéré, permet de se distancier des conceptions spontanées qui faussent la perception. Le praticien par sa personnalité, qui est de même nature que ce qui est à connaître, interfère avec la connaissance. Son expérience est spontanément déformée, si bien qu’une partie de la réalité lui échappe. Dans ce dessein, la psychanalyse a (pour la première fois dans l’histoire des sciences de l’homme) apporté un processus de rectification (la reconnaissance de son propre fonctionnement psychique et des effets contre transférentiels). À sa suite, on doit intégrer cette idée de rectification systématique à la psychopathologie. Il n’est pas envisageable de faire de la clinique en psychopathologie sans tenir compte de son propre fonctionnement psychique. La réflexivité doit sans cesse être réactivée car elle a tendance à s’oublier. La réflexivité distingue l’approche psychanalytique de l’approche psychologique classique qui se veut objectivante sans tenir compte de l’interactivité entre le praticien et son objet et des déformations produites par cette interaction.
[size]
L’apprentissage clinique
[/size]
La transformation progressive de l’expérience première s’effectue grâce à un apprentissage. C’est un apprentissage au sens traditionnel d’une acquisition personnelle qui se fait lors d’une confrontation vécue qui instruit et transforme. Mais ce n’est pas que cela. C’est aussi la capacité de mettre en œuvre une expérience d’orientation scientifique, car elle doit être guidée par des concepts et doit respecter une méthode. Nous insisterons sur la réflexivité car c’est elle qui fait la spécificité de la méthode et qui est le plus souvent ignorée et mise de côté. L’apprentissage de la réflexivité nécessite un travail sur soi. Le clinicien étant son propre instrument de mesure, il doit progressivement l’améliorer et le rendre efficace, en apprenant à percevoir ce qui est habituellement inconscient et en corrigeant les déformations que sa propre personnalité impose spontanément aux faits. Pour avoir accès à cette réalité dont s’occupe la psychopathologie, il faut obligatoirement que certains effets défensifs soient balayés chez celui qui veut accéder à la connaissance. Contrairement aux autres sciences qui peuvent se bâtir sur le refoulement, la psychopathologie ne peut pas procéder ainsi. Il est impossible d’avoir accès à toute une partie de la clinique (en particulier la clinique avancée) sans une réflexivité qui mette en jeu ses propres déterminations psychiques. Mais celles-ci sont inconscientes ce qui n’est pas une mince difficulté. Pour surmonter cet obstacle, il faut appliquer à soi-même la pratique.
[size]
2. Les modalités techniques
La description
[/size]
La première approche porte sur ce qui est directement observable et elle permet de décrire des faits comme des comportements ou des symptômes. C’est une approche plutôt objective et qui découle d’une observation visuelle et d’une écoute. Elle est en partie indirecte car certains faits sont rapportés par le patient ou par son entourage ou sur la pensée, les représentations mentalisées du patient, qui sont décrites par celui-ci.
[size]
L’intelligence
[/size]
Plus qu’une écoute (patiente, attentive), il faut aussi avoir l’intelligence de ce qui est dit ou est montré. Il faut comprendre le sens (en être capable, ne pas y être sourd), puis utiliser des concepts (théoriser en se référant aux concepts psychopathologiques). On utilise l’attention flottante qui permet une écoute large, suscite des rapprochements inédits. Le mode relationnel intersubjectif, et ses fluctuations, peut ainsi être saisi et décrit. C’est une approche intersubjective, qui combine les aspects mentaux et les conduites, qui incluent le praticien dans l’observation et demande un certain degré d’interprétation.
[size]
L’interprétation
[/size]
L’interprétation permet d’aller au-delà de ce qui est explicitement transmis. Elle permet de saisir un sens caché dans de ce qui est énoncé ou donne un sens en reliant des aspects éparpillés. Cet aspect herméneutique (d’interprétation du sens) ne prétend pas à la vérité, mais seulement à une validité partielle, qui tient à sa vraisemblance et aux effets produits chez le patient. Il peut s’agir de l’assentiment du sujet devant l’évidence éclairante de l’interprétation ou bien d’un effet thérapeutique : une interprétation juste permet, si elle tombe au bon moment, une mobilisation de la dynamique psychique.
[size]
La caractérisation
[/size]
Aucun des faits mis en évidence par la clinique psychopathologique ne peut être mesuré. Cela ne les empêche pas d’exister et qu’il soit possible de se mettre d’accord sur leur existence ou non. Ils peuvent être caractérisés de diverses manières. La caractérisation des faits cliniques s’effectue par leur présence ou leur absence, leur potentialité (s’ils se manifestent ou pas) par leur intensité (force, fréquence), leur mode (archaïque/élaboré), leur extension (limité ou envahissant tous les domaines). Le caractère probant de la clinique ne vient ni du cas par cas (trop menacé de contamination personnelle), ni d’une accumulation statistique (inutilisable), mais d’un intermédiaire entre les deux : un nombre de cas suffisant corroboré par un nombre suffisant de praticiens, ce qui demande plusieurs générations de chercheurs et de nombreuses publications permettant la transmission et la confrontation.
[size]
Observer, écouter, comprendre, interpréter, sont les modalités techniques de la clinique psychopathologique qui prend son caractère probant de l’expérience cumulée des praticiens.
[/size]