Page 1 sur 2 Cognition et représentation
Partie IV Un homme sans corps, ni esprit !
Si l'on admet l'émergence du niveau d'organisation cognitivo-représentationnel le dualisme disparaît. L'anthropologie qui en découle place l’homme dans le monde en tant qu’être vivant organisé, auquel un degré d’organisation particulier donne des capacités intellectuelles et relationnelles spécifiques. Cette conception implique une continuité entre le neurobiologique et le représentationnel, ce qui permet de comprendre l'influence de l'un sur l'autre.
JUIGNET Patrick. Un homme sans corps, ni esprit. Philosophie, science et société. [en ligne] http://www.philosciences.com
PLAN DE L'ARTICLE
- 1/ Les conceptions de l’esprit
- 2/ L'apport des sciences de l’homme
- 3/ Positionnement par rapport au structuralisme
- 4/ Conclusion
1/ Les conceptions de l’esprit
Nous nous contenterons d’un choix limité car évoquer les conceptions de l’esprit revient à rouvrir tous les chapitres de l’histoire de la philosophie.
L’idéalisme platonicien
Selon cette doctrine antique mais qui persiste de nos jours, les idées constituent un mode d’être différent du sensible. Les idées seraient éternelles et immuables. L’esprit-âme peut accéder aux idées par le raisonnement. Pour ce faire, il faut ramener la multiplicité des sensations à une unité. Il s’agit d’une réminiscence de ce que notre esprit-âme connait déjà, c’est une montée de l’âme vers le monde intelligible.
Évidemment nous sommes à mille lieues de cette métaphysique de l’âme. Cette forme d’idéalisme projette dans un ultra-monde fictif ce que nous nommons les capacités intellectuelles de l’homme. Il n’y a pas d’ultra-monde au delà du sensible, mais un seul monde continu au sein duquel se trouve l’homme.
Le dualisme des substances de Descartes
Nous ne reviendrons pas sur le raisonnement critiquable de Descartes selon lequel il est impossible de douter que l’on pense, alors que l’on peut douter du monde concret. Il est sans importance pour la suite de son raisonnement qui consiste à attribuer à cette pensée une substance dite « res cogitan », à quoi il faut ajouter la « res extensia » du monde physique.
Nous nous séparons de la méthode cartésienne sur deux points fondamentaux. Il est erroné de se fier aveuglément à l’expérience subjective et encore plus de faire une induction métaphysique sur cette base. De plus l’utilisation du concept de substance est à nos yeux critiquable (voir après). Le représentationnel n’a donc strictement rien à voir avec la substance pensante de Descartes.
Le monisme et la dualité des attributs de Spinoza
Spinoza critique Descartes au titre que l’interaction de la substance spirituelle avec la substance matérielle paraît impossible. Il suppose, pour résoudre ce problème, une substance unique qui aurait deux attributs. Il s’ensuit un parallélisme entre aspects matériels et spirituels.
Nous sommes très loin de Spinoza puisque nous récusons la métaphysique. L’ensemble de ce qui existe n’est pas Dieu ou la Nature, mais le monde. Le concernant, nous supposons a posteriori des études scientifiques actuelles qu’il est organisé. La pensée n’a donc rien à voir avec un attribut de la substance, c'est une production de l'homme.
Critique du substantialisme
Toutes les conceptions substantialistes de l’esprit sont vouées à faire valoir la primauté de la substance spirituelle ou à la juxtaposer de manière plus ou moins habile à la substance matérielle. Nous sommes aux antipodes de ce type d’ontologie. La substantialisation classique de la pensée nous paraît sans objet.
La pensée, en tant qu’elle est empiriquement saisissable et transmissible, fait partie intégrante de la réalité. Elle est factuelle et la perception empirique de la pensée ne peut en aucun cas donner lieu à un glissement vers l’affirmation d’une substance perdurante de nature spirituelle. La réalité est la réalité et il est interdit de l’ontologiser sous peine de dériver vers une métaphysique obscure. Une hypothèse ontologique ne peut qu’être faite a posteriori d’une connaissance empirique et dans le cadre d’une conception du monde plausible.
La substantialisation à partir d’une perception immédiate est une erreur épistémologique, une paresse intellectuelle, qui constitue un obstacle pour la connaissance. Elle a été critiquée à juste titre par Bachelard (dans La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, p.xx ).
La philosophie de l’esprit
Cette philosophie oppose les états mentaux et les états physiques. « L’expérience que nous avons de nous-mêmes nous pousse à faire une distinction entre nos états mentaux et nos états physiques » écrit Michael Esfeld. (La philosophie de l’esprit, p11). Cette catégorisation pose que le monde peut être conçu selon deux types, le physique et le mental, et qu’il existe un rapport causal de l’esprit sur le physique.
Les états mentaux sont subjectifs (ils font l’objet d’un accès privé privilégié), ils sont conscients, ont des qualités sensibles (vécu phénoménal), sont intentionnels (dirigés vers un but ou vers quelqu’un), sont rationnels, permettent une liberté de choix. Les états mentaux comportent : les émotions, les représentations imaginaires, les croyances, les sensations, les perceptions, les désirs et volitions. Chacun a un accès privilégié à ses états mentaux qui sont internes ou privés par opposition aux états physiques qui sont externes ou publics.
Les aspects donnés pour états mentaux viennent d’une conception ordinaire (non scientifique) de la subjectivité et leur nature est mal définie. On ne sait pas ce que sont ces états-phénomènes-évènements qui viendraient de la perception immédiate, catégorisés selon la conception courante de l’esprit. En vérité, les aspects mis sous cette catégorie états mentaux sont hétérogènes. Les critères ne sont pas satisfaisants. Une perception colorée, un concept, une douleur, le langage, ne peuvent être mis dans la même catégorie.
La douleur a un point de départ au niveau physiologique. Si c’est un humain qui souffre, la douleur s’accompagne d’une conscience et connaissance de cette douleur. La conscience est le phénomène réverbérant par lequel la douleur est présente et est rapporté à soi. La connaissance qui l’accompagne est multiple : la douleur existe, elle a un type, une durée, etc. De plus viennent se greffer des significations diverses : nocivité, maladie, blessure, nécessité, inutilité, punition, etc. Là on entre dans des significations qui demandent comme support un niveau différent et dont le surgissement et l’enchaînement ont des lois propres. Ces trois aspects (douleur, conscience, connaissance) sont différents et nullement homogènes. Les ranger ensemble dans la catégorisation « état mental » ne permet pas des raisonnements valides.
Enfin, dernier point de différenciation majeur, la philosophie de l’esprit admet le principe d’une causalité mentale : causalité des événements mentaux entre eux et des évènements mentaux sur les évènements physiques. Il parait probable que les systèmes représentationnels interagissent selon des lois qui ne sont pas causales et leurs actions sur le biologique se fait par des voies très complexes dont on n’a pas d’idée précise.
L’esprit tel que défini par la philosophie de l’esprit ne correspond pas à ce que nous nommons le mode-appareil cognitivo-représentationnel. Il inclut des genres de faits qui en sont exclus, il est pensé en termes de causalité ce qui n’est pas le cas pour le représentationnel, et enfin il est fondé sur une ontologie vague de la subjectivité sous forme d’états/évènements à laquelle nous ne souscrivons pas.
الخميس فبراير 18, 2016 10:16 am من طرف سوسية