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Capital et capitalisme concurrentiel néolibéral
Entre l'utilisation de capitaux à des fins économiques, ce dont on ne peut se passer, et l'idéologie capitaliste concurrentielle néolibérale il y a une différence non négligeable. Pourtant ces aspects sont souvent englobés dans appellation de capitalisme qui ne différencie pas l'économie utilisant des capitaux de la forme historique qu'elle prend .
JUIGNET Patrick. Capital et capitalisme concurrentiel néolibéral. Philosophie, science et société. 2015. [en ligne] http://www.philosciences.com
1/ Qu'est-ce que le capital et est-il nécessaire ?
Nous prendrons dans cet article la définition du capital proposée par Thomas Piketty (p. 82) "l'ensemble des actifs non humains qui peuvent être possédé ou échangés sur le marché". Thomas Piketty estime qu'actuellement dans les pays développés le capital public et très faible et que le patrimoine privé représente la quasi totalité du capital disponible. Ce patrimoine privé serait en moyenne de 180 000 € par habitant et cette moyenne représente six années de revenu. Ce stock se divise pour moitié en capital destiné au logement et capital productif. Le rendement du capital est en moyenne de 5% par an. Nous verrons pourquoi il est intéressant, au sein de cette masse patrimoniale, de repérer la masse mobilisable qui dépasse l'usage individuel et rentre dans un usage productif à grande échelle et par là a des effets sur la société (même si en pratique cette distinction est souvent difficile à établir).
L'accumulation de richesse (sous diverses formes) pour produire d'autres richesses (et au passage des revenus), existe depuis l'antiquité et elle ne peut être évitée. On ne peut supprimer l'usage de capitaux, sauf à retourner vers une société pastorale-artisanale préindustrielle. Dans une société contemporaine, rien ne peut se faire sans capitaux et, qui plus est, sans des capitaux importants. La moindre usine, ou entreprise de service, ou construction d'immeubles, demande un investissement important. Il n'est pas approprié de dire "adieu au capital" comme le voudraient certains, à moins de retourner à une société préindustrielle, ce qui est impossible (sauf peut-être de manière locale). Une Nation qui voudrait revenir à une société artisanale perdrait sa puissance et serait vite envahie ou colonisée par ses voisins (Exemple récent de ce type, le Tibet). Il ne faut pas perdre de vue que de nombreux États restent prêts à la guerre pour dominer les autres et qu'on ne peut négliger cette rivalité entre États. Depuis le XIXe siècle, la production de biens et de services dépend presque entièrement des capitaux. L'idée d'une disparition de l'utilisation de capitaux est une idée absurde. Dans une économie industrialisée, il faut des richesses accumulées pour entreprendre une activité d'une certaine ampleur.
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2/ Pourquoi critiquer le capitalisme ?
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Ce qu'on nomme communément "capitalisme" dépasse la simple réalité économique, c'est une manière particulière de gérer les capitaux qui a des effets sociaux et culturels particuliers. Dans le capitalisme, en tant que système de société, ce n'est pas le capital qui est critiquable, mais la manière de l'utiliser. Le problème vient de ce que le capital géré est au vu de son propre intérêt (générer des profits, l'accumuler le plus possible), ce qui correspond à l'intérêt à court terme de ceux qui le possèdent. Cette gestion ne correspond pas à l'intérêt général. Ce système a un avantage, celui d'inciter à un dynamisme entrepreneurial et à la production. Le second avantage est qu'il ne maintient pas artificiellement et de manière ruineuse pour la collectivité des entreprises déficitaires. Malheureusement, ce système a plusieurs inconvénients.
1/ Le principal inconvénient, c'est que le capital est contrôlé par une minorité et qu'il n'est pas utilisé pour être utile socialement et économiquement, mais pour générer des bénéfices au profit de ceux qui le possèdent. 2/ Le second problème, c'est le pouvoir politique qu'ont les possesseurs du capital sur la majorité de la population, sans que celle-ci soit consentante, ce qui constitue une sérieuse entorse à la démocratie. 3/ Troisième problème, le revenu du capital engendre une exploitation. Le capital demande du travail pour être valorisé et moins les travailleurs sont payés plus l'argent gagné servira à rémunérer le capital. 4/ Ce système aboutit à imposer une répartition très inégalitaire des patrimoines et des revenus, ce qui engendre des tensions sociales, ralentit le fonctionnement économique et provoque des crises. 5/Enfin, dernier problème et non le moindre, ce système détruit la dignité et la sociabilité par la marchandisation de toute chose.
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Il y a des inconvénients graves au fait que le capital ne soit pas contrôlé démocratiquement et par conséquent que l'économie ne soit pas intelligemment régulée. On peut alors se demander pourquoi ce système économico-idéologico-politique persiste et prospère ? Il existe de nombreuses raisons pour cela.
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D'abord, il apparaît d'évidence que ceux qui possèdent le capital, ne souhaitent pas que ça change. Comme ils détiennent les levier du pouvoir par le biais d'une classe politique qui les représente, il n'y a pas de raison d'évolution. Sur ce point, il n'y a rien à ajouter. Comme tout système socio-économique institué, il s'auto-entretien et ne se corrige pas de lui-même. Mais la question plus intéressante est pourquoi l'idée d'un changement ne vient-elle pas à tous ceux qui ne profitent pas du système ?
On peut avancer plusieurs raisons :
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- De nombreuses personnes possèdent un petit bout de capital : argent placé, ou entreprise individuelle de type commerce, artisanat, petite usine. Du coup, les personnes concernées adoptent l'idéologie capitalisme et elle évitent d'en voir les inconvénients, croyant qu'ils en sont des acteurs privilégiés. En fait n'y a aucun rapport entre eux et les véritables oligarques.
- Les possédants véhiculent, par le biais des médias et par l'intermédiaire d'une classe d'intellectuel complices, une idéologie favorable au capitalisme qui façonne l'opinion. Dans la mesure où une bonne partie de la population n'a pas grande connaissance des enjeux économiques, elle suit le courant.
- Le productivisme lié au capitalisme permet la consommation, ce qui est le souhait de la grande majorité de la population. La société du spectacle et de la consommation dans laquelle nous vivons en Europe plaît aux masses. (Il semblerait que ce soit en cours de changement et car le capitalisme peut très bien prospérer sans la consommation de masse).
- L'égoïsme, l'avidité, la possession, sont des passions humaines très répandues qui trouvent leur compte (ou au moins un espoir) dans ce système, qui présente l'enrichissement individuel démesuré comme possible.
- Les projets alternes se sont soldés par des catastrophes économique et politiques. Il n'y a plus de grande idéologie alternative porteuse d'espoir. La gauche comme la droite adhèrent au capitalisme, se départageant par des nuances quand au degré d'exploitation de la population (les premiers étant réformistes et les second ultralibéraux).
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Il y a de nombreuses raisons pour que le système capitaliste concurrentiel, privé et spéculatif, persiste et s'étende. Il serait pourtant souhaitable de réformer la gestion aveugle, égoïste et cynique du capital, dans le seul but de faire des profits privés ou d'augmenter la puissance des États ce qui est contraire à la cohésion sociale et à la pérennité écologique.