جنون فريق العمـــــل *****
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الموقع : منسقة و رئيسة القسم الفرتسي بالمدونات تاريخ التسجيل : 10/04/2010 وســــــــــام النشــــــــــــــاط : 4
| | Tu ne spoileras point ! | |
Les conditions drastiques imposées aux critiques de cinéma pour assister à l'avant-première de Star Wars 7 illustrent l'importance grandissante de la fiction dans nos sociétés.Gérald Bronner La fiction occupant une place croissante, la protection des œuvres et des profits associés va jusqu'à l'excès.
© af8images/shutterstock.com La sortie du dernier épisode de Star Wars a suscité une telle masse de commentaires qu'il est vain d'espérer dire quoi que ce soit d'original sur le sujet. Pourtant, un détail a attiré mon attention et me paraît être passé relativement inaperçu. Sa trivialité nous a sans doute empêchés de le voir pour ce qu'il est : un symptôme fondamental de l'époque et peut-être de notre destin collectif. Un jour avant la sortie du blockbuster, le quotidienLe Monde a fait savoir qu'il n'en publierait pas de critique. Pourquoi ? Parce que la firme Disney, qui détient à présent les droits d'exploitation du space opera imaginé par George Lucas, a posé des conditions d'accès à l'avant-première qui ont paru inacceptables au journal. De toutes ces conditions, la plus gênante et la plus révélatrice était celle-ci : « Je reconnais que toute révélation de ma part concernant ce film à des personnes n'ayant pas assisté à la projection constituerait un préjudice donnant lieu à réparation. » Cette clause est en effet intimidante pour toute personne souhaitant écrire une critique du film. Au-delà, elle constitue le fait de « spoiler » (issu de l'ancien français espoillier, ce terme signifie révéler les éléments d'une histoire et aboutir ainsi à gâcher le plaisir de celui qui ne la connaissait pas) en une activité passible d'une action devant les tribunaux ! C'est là une curiosité sociologique qui montre combien la narration fictionnelle a pris de l'importance dans nos vies. Que l'on y songe un instant : combien de temps passons-nous à savourer des histoires que nous savons fausses – films, romans, pièces de théâtre, séries télévisées, jeux vidéo, etc. ? En quelques siècles, le temps moyen que les humains consacrent à la fiction a progressé de façon vertigineuse, pour deux raisons. La première est l'énorme augmentation de la productivité du travail et de l'espérance de vie. Il en résulte globalement un temps de cerveau disponible de plus en plus important lui aussi. La deuxième raison est que nous avons une appétence naturelle pour la fiction, qui constitue une nourriture presque vitale pour notre cerveau. C'est du moins ainsi qu'on peut lire les contributions des neurosciences sur la question. Par exemple, l'Américain Jonathan Gottschall, à la croisée de la littérature et de la théorie de l'évolution, nous dépeint comme des « animaux narratifs » et considère la fiction comme un élément aussi important pour l'homme que l'eau pour le poisson. Le neuroscientifique Michael Gazzaniga, de l'université de Californie à Santa Barbara, ne dit pas autre chose dans son dernier ouvrageTales from Both Sides of the Brain, en décrivant comment notre cerveau s'abandonne compulsivement à une narration perpétuelle de son environnement. Cette passion naturelle pour la fiction ne nous permet pas seulement de lire le monde, mais aussi de comprendre autrui. Pour l'animal éminemment social que nous sommes, c'est fondamental. Comme l'explique Lisa Zunshine, de l'université du Kentucky, qui elle aussi s'intéresse à la littérature en cogniticienne, notre appétence pour le récit est un fruit de l'évolution car il nous « entraîne » à comprendre les intentions d'autrui. Il ne faudra donc pas s'étonner si la condamnation de la privation de ce plaisir narratif inspire un onzième commandement. Avec Star Wars, c'est la première fois qu'au-delà des insultes, le spoileur se voit menacé juridiquement. La libération du temps de cerveau disponible n'en étant peut-être qu'à ses débuts, qui sait si nous n'allons pas entrer dans un paradis cauchemardesque où les hommes, affranchis en partie de la contrainte du travail, préféreront, à l'exploration du monde réel par la science, celui de mondes virtuels par le divertissement ? Qui peut dire alors si le crime de spoilage ne finira pas par valoir de la prison ferme ? | |
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