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 De la liberté considérée comme une sensation

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مُساهمةDe la liberté considérée comme une sensation


De la liberté considérée comme une sensation
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© Charles Berberian pour PM
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De la liberté considérée comme une sensation Pmfr83-couv

n°83
25/09/2014

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Edito, Alexandre Lacroix, Technologie, Sensation
« L’homme est un animal politique »  : cette fameuse phrase d’Aristote ne signifie pas seulement que l’homme se plaît à vivre à l’intérieur de ce qu’on appelait en grec la polis, c’est-à-dire la « cité ». Elle suggère également, en un sens plus profond, que l’être humain est capable de se métamorphoser par la politique, qu’il a une capacité incroyable à intégrer des règles de conduite collectives, à incorporer des normes extérieures à lui. Cependant, cette incorporation a besoin d’une médiation et elle se fait très souvent à l’aide d’un outil technique.
Pour faire comprendre ce point, partons d’une expérience personnelle : depuis quelques années, je fais régulièrement du footing en amateur. Or, lorsque je déroulais mes premières foulées dans ce sport, j’avais un sérieux problème de modération : ne sachant régler mon allure, je m’épuisais rapidement. Sur les conseils de pratiquants plus expérimentés, je me suis procuré une petite montre équipée d’un cardiomètre et j’ai découvert que je pouvais courir plusieurs heures à condition de ne jamais dépasser la fréquence de 170 battements de cœur par minute, tandis que je consumais mes forces en quelques kilomètres si je passais au-dessus des 180 battements par minute. Avouons-le, ce cardiomètre m’a été d’une grande utilité et m’a permis de progresser, si bien que, pendant plusieurs mois, avec l’enthousiasme du nouveau converti, je n’envisageais plus de me passer de lui. Et puis, quelque temps avant mon premier marathon, j’ai décidé de remiser l’engin au placard. Je me suis dit que, finalement, je préférais « courir à la sensation », comme disent les joggeurs. Et tant pis si mes performances s’en ressentent : après tout, je sais que je ne pourrai jamais briguer la moindre médaille dans une quelconque compétition, aussi l’essentiel n’est-il pas de me faire plaisir ? Courir, comme marcher, procure un intense sentiment de liberté, à condition de ne pas avoir une approche trop normative de cette expérience.
Au-delà du jogging, cet exemple nous renseigne sur les effets de la technologie : elle nous permet d’améliorer et de dépasser nos capacités, tout en nous plaçant dans un rapport de contrôle vis-à-vis de nous-mêmes. Il y a un an, lorsque Edward Snowden a commencé à multiplier ses révélations sur les programmes d’écoute de la NSA, le public a subitement pris conscience de l’ampleur de la surveillance dont il faisait l’objet via les téléphones portables et les ordinateurs, et le fantôme de Winston Smith vivant sous l’œil implacable de Big Brother a refait surface dans les esprits. Pour autant, il ne faudrait pas que la problématique de l’espionnage – bien réel – occulte cet autre aspect redoutable des nouvelles technologies : celle de l’autovigilance illimitée, de la domi­nation et de la répression impitoyables que nous sommes susceptibles d’exercer sur nous-mêmes grâce à elles. Or, qu’il s’agisse de suivre un régime alimentaire en calculant nos apports caloriques journaliers, d’évaluer les heures de sommeil dont nous avons besoin, de contrôler notre consommation d’alcool et de caféine, de concevoir un enfant – fille ou garçon ? –, de faire un trajet en automobile ou en vélo, il existe quelque part une application ou un site capable d’optimiser cette activité. Dans les mois et les années qui viennent, ces outils d’autoévaluation vont se multiplier, permettant d’enregistrer nos variables quotidiennes et de chercher à les améliorer sans cesse. Et, bien sûr, cela renforce le sentiment de toute-puissance de l’individu contemporain. Mais la question de la liberté mérite d’être reposée à nouveaux frais : plutôt que d’incorporer toutes ces règles de conduite, ne vaut-il pas mieux vivre à la sensation ?
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