Le cerveau pourra-t-il un jour communiquer directement avec l’extérieur ? (Ph. Matthew Purdy via Flickr CC BY 2.0)
C’est un exploit dont on s’étonne qu’il vienne seulement d’être remporté aujourd’hui, tant il a été anticipé dans les œuvres de science-fiction : un système informatique qui dit tout haut ce qu’on pense in petto. Ou plutôt, qui transforme en texte des phrases pensées – la transition du texte à la parole étant réalisée par un logiciel usuel de synthèse vocale.
Ce système issu du mariage entre les neurosciences, le traitement statistique du signal et l’intelligence artificielle a été réalisé par des chercheurs allemands de l’Institut de technologie de Karlsruhe (KIT) en collaboration avec des scientifiques américains. Il est le premier du genre et marque une étape décisive vers les interfaces informatiques de communication des pensées vers les machines.
Des électrodes implantés directement dans le cerveau
Car si depuis quelques années on a vu se multiplier les expériences où un ordinateur interprète des ordres simples pensés par un individu, voire restitue quelques éléments de sa pensée (des mots, des images), jamais encore il n’avait été possible de reconstruire dans son intégralité une longue phrase formée dans notre matière grise. Mais pour y arriver, les chercheurs du KIT ont utilisé les grands moyens : des électrodes implantées directement à la surface du cerveau de patients (par chirurgie).
La méthode utilisée par les chercheurs, l’électrocorticographie, par implantation d’électrodes (Ph. Bruce Blaus via Wikicommons CC BY 3.0).
Concrètement, les chercheurs ont sollicité sept patients épileptiques du Centre médical d’Albany (New York) qui avaient déjà subi la pose d’électrodes à la surface de leur cerveau pour le diagnostic et le traitement antiépileptique – les électrodes couvrant les lobes frontal et temporal de l’hémisphère gauche (celui de la parole). L’avantage d’enregistrer les ondes cérébrales par contact direct, l’
électrocorticographie, est d’avoir un degré de résolution bien supérieur aux mesures par capteurs externes. S’il s’agit donc clairement d’une manip complexe et intrusive, l’expérience ouvre sûrement sur une frontière nouvelle, comme le montre la
vidéo réalisée par les chercheurs.
Capture de la vidéo réalisée par les chercheurs (crédit :Herff C, Heger D, de Pesters A, Telaar D, Brunner P, Schalk G and Schultz T (2015) Front. Neurosci. 9:217)
La manip a alors consisté à faire lire à ces volontaires un texte long, issu de discours politiques, de comptines d’enfants et autres, sans le prononcer – ce qu’on appelle
subvocalisation. Ces lectures duraient entre 2 et 5 minutes et étaient répétées une à trois fois par patient, en enregistrant les ondes cérébrales.
Bientôt une télépathie high-tech ?
Un calcul statistique et des extrapolations effectuées par le module d’intelligence artificielle sur les résultats (par individu et sur l’ensemble des sept individus) a permis au logiciel d’établir une base de données liant les signaux avec les phonèmes ou les fragments de phrases, le tout pondéré par des probabilités d’occurrence. Dès lors, le système a pu transformer une longue série de signaux liés à la lecture d’un phrase nouvelle en phonèmes possibles du type
w, ih, aa, r, k, aa, m, ih, t, aa, t puis de les interpréter comme une série de mots et construire la phrase correspondante, ici
we are committed (“nous nous sommes engagés”).
Recouvrement des zones cérébrales par les électrodes chez les 7 volontaires. La dernière image représente le recouvrement total tout individu confondu (crédit :Herff C, Heger D, de Pesters A, Telaar D, Brunner P, Schalk G and Schultz T (2015) Front. Neurosci. 9:217)
Encore au stade de développement, ce type d’analyse de phrases longues par signaux cérébraux n’avait jamais été obtenu auparavant et semble particulièrement adapté aux individus souffrant d’un handicap qui leur empêche de parler… Mais il pourrait aussi devenir une nouvelle voie de communication entre les humains et la machine voire entre les humains tout court, via la machine. Une sorte de télépathie high-tech.
Román Ikonicoff
> Lire aussi: > Lire également dans les Grandes Archives de Science & Vie :
- La science sait lire dans les pensées – S&V n°1098 – 2009. C’est dans la décennie 2000 que sont apparus les premiers résultats sur la reconstruction des pensées via le captage des signaux cérébraux, en particulier des images vues par l’individu.
- C’est parti pour la télépathie high-tech ! – S&V n°1054 – 2005. Il y a 10 ans déjà les premières expériences d’interface cerveau-machine permettaient d’anticiper ce que les progrès en imagerie cérébrale et en traitement statistique des signaux permettrait de faire. L’idée de communiquer ses pensées sans les vocaliser apparaissait comme l’objectif recherché.
- Cerveau : voici la première carte de nos idées – S&V n°1146 – 2013. La connaissance sur l’écosystème cérébral ne cesse de progresser, notamment grâce au mariage entre les système d’imagerie et l’analyse statistique numérique. Au point de pouvoir tracer la carte de nos idées.