Peinture du XIXe siècle représentant les victimes de la Peste noire au XIVe siècle (Louis, Duveau :
La peste d’Elliant – domaine public)
Des chercheurs ont pisté l’évolution d’une bactérie relativement inoffensive qui est devenue voici entre 10 000 ans et 6000 ans le microbe de la peste bubonique, responsable de la mort de 30 % à 50 % de la population européenne entre 1347 et 1352. Ils ont compris comment deux simples mutations ont permis à cette bactérie légèrement pathogène de devenir la grande tueuse pandémique.
Cette
découverte éclaire les origines d’un des plus grands fléaux de notre histoire et permet de mieux cerner les mécanismes conduisant à des pandémies.
La Peste noire a tué 25 millions d’Européens
Le terme “Peste noire” résonne encore à nos oreilles sept siècles après la terrible Plaie qui a ravagé l’Europe : au total quelque 25 millions de morts, soit entre 30% et 50% de la population – ce qui aujourd’hui représenterait plus de 260 millions de morts. Elle n’est pas la première pandémie à avoir frappé le continent, mais elle est la mieux documentée.
Répartition de la pandémie de Peste noire au XIVe siècle (Ph. Flying PC via Wikicommons CC BY-SA 3.0)
Le responsable de ce massacre est la bactérie
Yersinia pestis, qui sévit encore dans quelques pays. Or des chercheurs du Northwestern University Feinberg School of Medicine à Chicago ont démontré qu’elle est née de deux mutations d’une autre bactérie, également toujours présente parmi nous, nommée
Yersinia pseudotuberculosis ou
bacille de Malassez et Vignal (connu depuis 1883).
Acte I : améliorer son taux de diffusion
Cette dernière, bien que pathogène – elle peut déclencher des adénites mésentériques ou un syndrome d’appendicite – est relativement peu offensive : elle ne se diffuse entre humains que par les excréments et son taux de morbidité est très faible (septicémies dans de rares cas). Pourtant il a suffi de deux mutations simples, advenues dans les 10 000 dernières années, pour faire exploser littéralement ses taux de diffusion et de morbidité.
Les bubons, l’une des manifestations de la Peste noire (Crédit : CDC)
En effet, en acquérant d’abord la capacité de coloniser les poumons (peste pneumonique) elle s’est assurée un mode de diffusion idéal entre humains : les gouttelettes de secrétions éjectées par expectoration (éternuements, crachats, postillons). Cette mutation a correspondu à l’apparition d’un nouveau gène dans le patrimoine de la bactérie : un gène produisant une enzyme nommée PLA.
Acte II : devenir plus agressifs
Plus tard, peut-être vers le 6e siècle av. J.-C., la deuxième mutation est intervenue au niveau de ce gène et la rendu la bactérie extraordinairement agressive (taux de morbidité). Dès lors, la synergie entre ses moyens de diffusion et son agressivité ont conduit à l’explosion pandémique de la “peste noire”.
Illustration de la peste noire : enterrement des victimes.
Les chroniques de Gilles Li Muisis (1272-1352), abbé de Saint-Martin de Tournai (Bibliothèque royale de Belgique, domaine public)
Pour retracer cette histoire, les chercheurs ont comparé les génomes des bactéries
Y. pseudotuberculosis et
Y. pestis actuelles et remonté à leurs formes ancestrales par les méthodes de la génétique chronologique et la génétique des populations. Puis, pour confirmer leur hypothèse, ils ont testé différentes formes de ces bactéries (modifiées génétiquement) sur des souris de laboratoire anesthésiées. Les résultats ont confirmé leur modèle
Combattre ces tueurs de masse
Cette étude, outre qu’elle clarifie la chronologie des mutations de
Yersinia, montre aux scientifiques à quel point la “distance” génétique peut-être courte entre des microbes inoffensifs et leur variante pandémiques. Elle donne donc de nouvelles clés biologiques pour comprendre l’émergence d’agents pandémiques actuels, et les combattre avant même qu’ils ne deviennent des tueurs de masse.
Román Ikonicoff
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