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 Les catholiques et les élections américaines

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04122010
مُساهمةLes catholiques et les élections américaines

Les catholiques et les élections américaines


28 Octobre 2010 | Henri Hude*
Les catholiques et les élections américaines VoteusRencontre avec l’aumônier catholique de l’US Navy. Pour le padre, rien n’est plus actuel, aux États-Unis aujourd’hui, que le manque d’amitié civique. Face à la montée de l’esprit partisan et au durcissement idéologique qui bloquent les institutions, mais aussi l’union de la communauté politique sur les valeurs essentielles, les catholiques ont un grand rôle à jouer. À la veille des élections de mi-mandat, comment analyser leur positionnement électoral ?Imprégnés de la plénitude de la culture américaine, ayant partagé depuis les débuts l’histoire des États-Unis, mais rattachés à une tradition plus antique et universelle, les catholiques ont en mains un ensemble plus adéquat de principes pouvant leur permettre d’élaborer des solutions nouvelles à des problèmes qui dépassent la simple culture « indigène », et majoritairement protestante, du pays.
Le respect de la vie et le positionnement politique des catholiques
Les catholiques, me dit le padre, avaient coutume de voter majoritairement démocrate et ils n’arrivent plus à se reconnaître dans ces derniers, sans parvenir non plus à s’identifier aux républicains. Mais de quoi s’agit-il ?

Si vous regardez les deux débats pour l’élection au poste de sénateur en Pennsylvanie, vous verrez ce qui arrive aujourd’hui : « Extreme conservative », dit Joe Setak de son opposant républicain, « Extreme liberal », répond Pat Toomey de Joe Sestak. S’ils se qualifient ainsi, à les entendre, c’est à cause de leurs positions sur la fiscalité, la dépense publique, ou l’assurance maladie. Mais on ne peut se défendre de l’idée que le dissentiment est plus profond.

Traditionnellement, me répète le padre, les catholiques votaient plutôt démocrate. Mais il y a eu l’arrêt de la Cour suprême légalisant l’avortement, et depuis sur bien d’autres sujets, la loi américaine s’est écartée de la morale chrétienne.

Les démocrates ont pris parti pour ce mouvement de déchristianisation de la loi et des mœurs américaines. Même les démocrates personnellement catholiques, comme le vice-président Joe Biden, ou le speaker de la chambre des Représentants, Mme Nancy Pelosi, bête noire des Républicains, n’oseraient ou ne voudraient rien dire en public contre l’avortement. Inversement, les républicains sont en général pro life.

L’Église et l’action pro life

Les catholiques et les évêques américains n’ont pas peur de dire clairement ce qu’ils pensent à ce sujet. L’action pro life est très importante dans l’Église catholique aux USA. Elle fait partie de la vie quotidienne et des structures normales des paroisses, des intentions des prières universelles et des thèmes de prédication dominicales. Les catholiques prennent une part importante à cette action et les résultats obtenus sont loin d’être négligeables.

L’Église n’hésite pas à mettre parfois le doigt sur des sujets particulièrement scabreux. L’évêque auxiliaire de Chicago, Joseph N. Perry, qui est un Afro-Américain, a ainsi mis en garde sa communauté ethnique contre le fait que l’industrie de l’avortement visait de préférence les femmes noires (« Abortion and its Impact on the Black Community »).

Ainsi, progressivement, les catholiques soucieux du respect de la vie, se sont mis à voter républicain.
Le capitalisme libertarien et la doctrine sociale de l’Église

Cependant les catholiques sont loin d’approuver inconditionnellement les options économiques et sociales desrépublicains. Ils sont loin de se rallier inconditionnellement à « la formule qui marche ». Celle-ci, en effet, heurte leurs sentiments plus communautaires.

Les protestants évangéliques ne sont pas non plus, en général, libertariens en économie, comme le note Michaël Gerson, dans un article éclairant intitulé "Le remord des croyants" ("Believer’s remorse", Washington Post, 5 octobre, A15). L’État doit prendre soin de ceux qui sont dans le besoin (« to care the needy »). En même temps, forte est la méfiance envers lui. Il est vu comme un facteur de sécularisation, source à la fois « de régulation bureaucratique et de dérégulation morale ».

Les catholiques américains, issus d’ancêtres qui n’étaient pas tous des lords Baltimore, mais plutôt en majorité des pauvres, Irlandais, Italiens ou Polonais, ont un vrai souci du pauvre et de la solidarité. Il n’est pas équitable, aux yeux de beaucoup d’entre eux, d’imposer à tous une règle de concurrence que beaucoup sont incapables de supporter sans s’effondrer.

Les catholiques sont attachés à la liberté économique et à la propriété privée, sans lesquelles il ne peut y avoir de société libre, mais ils ne se satisfont pas de l’esprit individualiste de l’économique libertarienne des républicains. Leur culture profonde inclut, comme celle des protestants, une connexion nécessaire entre la foi religieuse, la rigueur morale, la propriété privée, l’esprit de famille, et même l’esprit de self-government. Mais ils n’ont pas la même méfiance instinctive envers l’autorité, qui conduit les protestants américains au durcissement de l’indépendance individuelle et de la propriété privée. Ils ne vont pas non plus jusqu’au refus de l’autorité de l’État et de l’impôt, dès que l’État veut s’occuper d’autre chose que de sécurité publique et de l’application de lois essentiellement permissives.

Les protestants américains trouvent naturel d’être permissifs dans le domaine de l’économie (non sans respecter bien entendu les indispensables régulations) et non permissifs dans le domaine de la famille. Les catholiques, eux, n’ont pas dans leur culture cette structure mentale si particulière, qui permet si facilement de faire émerger le libéralisme économico-politique le plus radical à partir d’une soumission inconditionnelle à l’autorité de la Bible. Ils voient qu’il s’agit là d’une forme culturelle inséparable d’une histoire très particulière, très paradoxale, et non reproductible à volonté en tout temps et en tout lieu.

Catholiques et protestants
Certains protestants verraient volontiers l’évangélisation de type « évangéliste », comme le préalable au capitalisme libertaire et à la diffusion mondiale de la démocratie à la républicaine. Les catholiques n’y croient pas, ou pas autant. Ils seront aussi plus sceptiques, sur la possibilité de ressusciter l’Amérique par un simple retour à « la formule qui marche ». Ils sont plus interventionnistes, ils élargissent plus volontiers la sphère de l’État et du bien commun. Ils reconnaissent le bien-fondé partiel de « la formule qui marche », mais ils sont secrètement en attente de ce qu’on pourrait appeler un capitalisme plus communautaire.

Ainsi ont-ils le sentiment que, s’ils votent pour les démocrates, ils commettent une grave injustice envers les enfants à naître, mais qu’en votant républicains, ils ne seront pas justes envers les pauvres – en outre, la moitié des catholiques sont des Latinos, rarement riches – et perpétueront une formule en partie injuste, qui marche de moins en moins bien, et qui sent fortement l’individualisme protestant, et son moralisme.

Les catholiques et le Tea Party

Le padre m’a dit que certains de ses amis catholiques avaient posé deux principes : 1/ « sortir » les sortants pour renouveler le personnel ; 2/ éviter les candidats Tea Party.
Le Tea Party, c’est le capitalisme libertarien de « la formule qui marche », passionnément antisocialiste, attaché à la tradition de la démocratie américaine et à la Constitution, le plus souvent pro life, appuyé sur la force des valeurs familiales et se référant volontiers à la religion chrétienne, avec tonalité fortement protestante. Et tout cela fait un bloc de tradition, qui n’a rien de nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que le bloc s’impose à nouveau, en balayant une classe politique qui, dans l’ensemble, avait estimé pouvoir faire comme si le bloc n’existait pas.

Le président Obama, malgré une campagne électorale étourdissante, n’a pas réussi à renverser la tendance. Sa loi sur l’assurance maladie et l’augmentation énorme de la dette et de la dépense publique ont polarisé non pas l’opposition parlementaire, mais l’opposition de la société, qui ne veut tout simplement pas d’une social-démocratie à l’européenne. En outre, Washington est à peu près aussi aimé, aux États-Unis, que l’est Bruxelles en France ou en Angleterre. Il faut imaginer un doublement de la « Sécu » et son transfert à Bruxelles pour avoir une idée des hurlements de fureur aux États-Unis. Les articles du Figaro que j’ai lus sur le sujet récemment ne m’ont pas paru éclairants.

En fait, les Américains voudraient sortir de la crise, renouer avec leur tradition tout en la rénovant, retrouver un consensus et une amitié, un régime de compromis qui fonctionne. Mais veulent-ils payer le prix pour y parvenir ? Quand c’est le fond moral et religieux qui est atteint, suffit-il pour ramener le pays à sa tradition de renvoyer dans leurs foyers quelques milliers de politiciens ?

La réticence de ces catholiques au Tea Party n'est pas une simple réaction d'intellectuels libéraux, qui se bouchent le nez chaque fois que le peuple a une place en démocratie. Elle est plus profonde et plus sérieuse. Le padre voit là des personnes respectables, attachées à la tradition américaine, c’est certain, mais il sent aussi que cette tradition se dessèche un peu dans l’éloge et l’invocation qu’on en fait.

On n’a pas l’impression que la sérénité du bon sens, l’optimisme renversant, le réalisme robuste habite ce retour à la tradition. On a plutôt l’impression que la dénonciation d’une dérive vers la banalité socialisante européenne se fait avec une aigreur assez européenne. On a l’impression que l’éloge du « bon sens » comme opposé à l’idéologie, est devenu souvent, paradoxalement, un thème idéologique.

Une tradition vivante est comme la présence d’une continuité de vie, une libération qui perdure, un renouveau qui se perpétue. La réaffirmation volontariste d’une tradition moins sûre d’elle, dans un contexte culturel rationaliste, prend aisément la forme paradoxale d’une idéologie anti-idéologique.

Le Tea-Party est culturellement et politiquement complexe. Il serait parfaitement simpliste de l’enfermer sous un seul concept, ou sous un seul slogan. Ses éléments principaux me semblent être :

  • un centrisme d’intention,
  • un esprit « conservateur », entendu comme traditionalisme de la liberté américaine classique,
  • un renouveau de la démocratie effective, avec une prise du pouvoir par des bases locales fortes et un renouvellement important du personnel politique,
  • un rejet de la social-démocratie périmée ou paralysante,
  • certains accents désespérés.
La « formule qui marche » ne tient pas compte, en effet, de facteurs internationaux et nationaux importants, nouveaux et durables, qui forcent probablement à imaginer une mise à jour radicale.Elle ne tient pas compte d’une concurrence extérieure insoutenable dans bien des domaines, d’une Chine en pleine affirmation de sa puissance, d’une immigration plus fragile et moins rentable, d’une pauvreté nouvelle, non soluble par le seul travail, d’une dégradation des bases morales et religieuses de la grande République, du vieillissement et de l’infécondité relative des groupes qui incarnaient le plus ces traditions américaines protestantes. Si tout cela n’est pas traité et pris en compte, la « formule qui marche », en sa version protestante classique, ne donnera sans doute que des résultats décevants.

De là, encore une fois, l’importance du rôle des catholiques en cette période si décisive de l’histoire des États-Unis.
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