Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête 15 Octobre 2010 |
Jean Flouriot 
Non, le ciel ne va pas nous tomber sur la tête. Pour nous en assurer, quinze géographes français de renommée internationale, véritables scientifiques et non idéologues, se sont donné rendez-vous au colloque organisé par la Société de Géographie le 16 septembre dernier sur l’avenir de la planète et, plus encore, de ses habitants.
Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête est le titre du livre regroupant leurs communications, publié aux éditions JC Lattès, sous la direction de Jean-Robert Pitte, membre de l’Institut, président de la Société de Géographie ancien président de la Sorbonne, et de Sylvie Brunel, professeur à la même université.Ces communications sont regroupées sous trois titres dynamiques, bien loin du catastrophisme le plus souvent utilisé pour aborder les questions environnementales :
- Pas de nature sans humanité
- Non, nous ne sommes pas trop nombreux
- Oui, des solutions existent
Dès l’introduction, l’homme est replacé au centre des préoccupations de nos géographes : « Il est un écueil qui menace tous ceux qui considéreraient le développement durable de façon trop restrictive : finir par ne plus se préoccuper que de la Planète (avec un grand P), de la Nature (avec un grand N) et oublier les hommes qui les habitent, façonnent les paysages et aménagent l’espace… On ne peut pas sanctifier la planète comme si elle existait indépendamment de ceux qui l’habitent et la transforment. » La nature est au service de l’homme qui doit en assurer une gestion raisonnable.
Pas de nature sans humanité
Le discours courant est celui du catastrophisme : le réchauffement climatique, risque majeur, nous promet cataclysmes météorologiques, réduction de la biodiversité, déplacements massifs de population, etc. C’est un discours de peur. Au XVIIIe siècle, Malthus est le premier à entrevoir un avenir menacé. Depuis, bien d’autres lui ont emboîté le pas avec plus ou moins de succès. Dans les années soixante-dix du siècle précédent, le Club de Rome envisage un avenir extrêmement noir pour la planète et ses ressources. Le monde est en crise et la crise est globale.
Mais peut-on vraiment parler de crise globale ? Par exemple, la forêt recule en certains endroits mais elle conquiert ailleurs de nouveaux espaces ; le réchauffement climatique ne signifie pas partout désertification. Les discours catastrophistes peuvent d’ailleurs changer de point de vue : dans les années soixante-dix, c’était le refroidissement de la planète qu’il fallait craindre.
En fait, la menace que brandissent les discours catastrophistes est un outil de pouvoir. Certains groupes de pression, certaines ONG, certains partis politiques en usent pour réduire notre liberté. En fait « le jeu complexe entre sociétés, aménagement, gestion, science et techniques… demeure essentiel. Son objectif premier doit être d’aider les hommes à vivre et/ou à mieux vivre ce qui, naturellement, ne peut se faire au détriment de la planète et de ses ressources. »
Plusieurs thèmes précis sont abordés : réchauffement climatique, montée des océans, raréfaction de la ressource en eau, biodiversité, forêts. Sur chacun de ces thèmes, un spécialiste fait ressortir clairement la connaissance que l’on a des situations, leur diversité, et surtout les marges considérables d’appréciation et d’erreur dès que l’on projette sur l’avenir des modèles dont les termes couvrent bien imparfaitement les réalités connues.
Non, nous ne sommes pas trop nombreux
Au cours du dernier siècle, la population du monde est passée de 1,6 milliard d’hommes à 6,8 milliards et les projections pour 2050 envisagent une population de 9 milliards d’habitants pour la planète. Quel fut le moteur de cette croissance : le recteur Gérard François-Dumont l’affirme, preuves à l’appui : « ce sont les progrès fantastiques réalisés par l’humanité dans la lutte contre la mortalité. » Et le problème de l’avenir de notre humanité, ce n’est pas la surpopulation mais son vieillissement.
La presque totalité de l’humanité est entrée dans le phénomène de la « transition démographique » qui fait passer la population de niveaux de natalité et de mortalité très élevés à des niveaux de natalité et de mortalité réduits comme ceux que connaissent maintenant nos pays. L’amélioration des conditions de vie qui a permis le développement de la population se poursuit et bénéficie aux générations à venir. L’homme est capable de susciter les progrès techniques qui permettent à des millions de personnes de vivre mieux comme en attestent les taux de mortalité et la longévité accrue.
Mais pourra-t-on nourrir tous ces hommes ? Depuis cinquante ans, la production agricole a augmenté plus vite que la population et les disponibilités par habitant sont un quart plus forte que dans les années soixante. Le problème de la faim est avant tout un problème de répartition. Et on est loin d’avoir utilisé toutes les possibilités que nous offre la Terre. La surface cultivée peut encore quadrupler, nous dit Sylvie Brunel. L’Amérique du Sud et l’Afrique n’utilisent encore que le cinquième de leurs terres cultivables. Sur ces continents la marge d’intensification est aussi très importante.
Parler d’intensification c’est aussitôt soulever la question des pollutions du milieu par l’agriculture industrielle. Celle-ci n’est déjà plus de mise et « l’agriculture raisonnée » sait faire leur place aux techniques de conservation et de protection du milieu sans réduire les rendements. Le problème essentiel de l’agriculture n’est pas un problème technique mais un problème financier : les produits agricoles sont devenus sujets de spéculation et la volatilité des cours explique les « crises » agricoles aussi bien en Europe qu’en Afrique ou en Asie. Pour maîtriser ce problème, les politiques commerciales et financières sont déterminantes.
Oui, des solutions existent
La croissance économique mondiale est forte et des centaines de millions d’hommes sont sortis de la pauvreté au cours du dernier demi-siècle. Depuis toujours, la croissance est spatialement polarisée et se fait par diffusion. Ce sont les structures anthropologiques bien plus que les conditions naturelles qui induisent la croissance. Celle-ci est liée au progrès technique, lui-même dépendant de ces structures sociales et politiques.
La croissance est dévoreuse d’énergie. Aujourd’hui celle-ci dépend essentiellement de sources fossiles. Elles sont, par définition limitées et l’épuisement de certaines d’entre elles semble assuré (bien que la date en soit régulièrement repoussée). Quelles sont les alternatives ? L’énergie nucléaire est certainement l’alternative la plus sérieuse à condition de faire un effort tout particulier de recherche sur le traitement des déchets. Cet effort est-il actuellement consenti ? Les énergies renouvelables sont des énergies de flux difficilement maîtrisables, sujettes à variations et bien peu concentrées. Comme les énergies d’origine fossile elles sont productrices de pollutions.
Mais tout cela dépend de la qualité des hommes. Jean-Robert Pitte montre que le « choc des civilisations » n’est pas une fatalité. Mais la paix ne peut naître que de l’éducation, de l’encadrement social, de la compétence et de l’honnêteté des élites. « La civilisation naît toujours de l’amour du savoir et de l’éducation qui s’épanouissent grâce à un encadrement social mêlant la fermeté et l’appel à la responsabilité de chacun. » En conclusion, il dresse un panorama des grandes « sagesses » qui soutiennent la civilisation. Pourquoi désespérer de notre époque ? « Demain sera ce que l’humanité voudra qu’elle soit. »
Le ciel ne va pas nous tomber sur la têteSylvie Brunel et Jean-Robert Pitte (dir.)J Lattès, 2010, 350 p., 19 €
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Jean Flouriot Géographe, consultant.
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