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 La crise de la science historique

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04122010
مُساهمةLa crise de la science historique

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1Depuis 1991, j’ai consacré mes forces à élaborer une anthropologie historique dont le lent mûrissement théorique ne me permettait pas de publier les volumes isolément parce que la maturation progressive de ma problématique m’obligeait à une mise à jour continue de sa cohérence. Et pourtant, une entreprise de ce genre voudrait mériter son inaccomplissement parce qu’une discipline armée de pied en cap serait d’une naïveté d’autant plus irréparable qu’elle aurait négligé de consacrer ses efforts à conquérir de solides fondations.
2La spectrographie exploratoire à laquelle je me suis essayé traite successivement des sacrifices (tome I), des purifications (tome II), de la dogmatique (tome III), de la Réforme (tome IV), de la poétique de l’imaginaire (tome V) et de l’informatique des théologies (tome VI). Mais le caractère obligatoirement prospectif, donc nécessairement provisoire de mes travaux pourrait conduire à des méprises si un « Discours de la méthode » n’incitait succinctement le lecteur à se familiariser avec les principes et les fondements d’une science en cours d’élaboration. C’est dans cet esprit que j’ai rédigé la présente Initiation à l’anthropologie historique sous la forme d’une propédeutique brièvement commentée, afin que le premier tome de l’entreprise proprement dite puisse s’attacher d’emblée à l’analyse des événements sans avoir ni à formuler des propositions trop élémentaires, ni à s’encombrer de malentendus évitables.
3Notre civilisation se divise entre deux armées : l’une veut rendre les cultures acéphales et changer l’irréflexion en drapeau de la liberté, l’autre voudrait approfondir la connaissance de la nature et du fonctionnement du cerveau humain. L’anthropologie historique et philosophique se veut consciente de ce que seule une révolution copernicienne de la méthode peut conduire la science du passé à une exploration de notre encéphale. Puisse mon modeste défrichage des prétendues rédemptions par le trépas de la pensée critique préfigurer un État que la Révolution de 1789 condamnait à devenir pensant et qui, deux siècles plus tard, a laissé ses historiens muets devant tout le siècle des messianismes idéologiques. I.


4Je ne garde aucun souvenir de ma naissance en Afrique de l’Est il y a deux millions d’années ; mais depuis que la nature m’a armé d’une mémoire et que j’ai appris à la conserver, je tente de décrypter les secrets de mon encéphale et de donner un sens aux péripéties qui jalonnent son parcours. Pour cela, je me mets à l’écoute des personnages fabuleux qui ont débarqué dans mon entendement, tantôt pour le piloter avec vigueur, tantôt pour lui montrer discrètement le chemin. Mais j’essaie, également de me passer de conseillers et de déchiffrer seul l’énigme que je demeure à moi-même. Je dois cependant avouer qu’aucune autorité ne dispose d’une connaissance suffisante de mon espèce de raison pour m’apostropher de l’extérieur et m’éclairer sur ma complexion : ni mes dieux ne m’expliquent les dieux, ni mon intelligence ne m’explique mon intelligence.
5Me tirerai-je d’embarras à observer les interlocuteurs qui me divisent entre le ciel et la terre ? Mes chromosomes sont partagés sur mes capacités de remédier à mon malheur. Chacune des puissances qui campent dans mon entendement tient ses rivales pour arrogantes, mystérieuses ou aveugles. Quand je rêve d’apprendre à penser, mon cerveau s’enfonce dans des ténèbres nouvelles, comme si mes idoles se vengeaient de voir leur cécité terrassée. Depuis que j’ai vaincu mes dieux, je voudrais repousser la frontière d’un empire qui me torture à me dire : « Connais-toi ».

  • 1 . La Naissance de la tragédie, 8.

6Je ne suis informé que depuis peu de mon sort de transfuge ou de rescapé de la zoologie. Aussi la bataille que je livre pour la conquête d’un regard sur l’animal pensant que je suis devenu ne fait-elle que commencer. Que sais-je des étapes que j’ai suivies et de la logique qui a commandé et qui commande encore mon évasion ? Qui m’a enseigné à quitter les champs de labour traditionnels de mon espèce, qui m’a donné la vocation de me brancher sur l’histoire de mon évolution ? Cet artisan prétend que j’aurais tenté de m’emparer avec une vigueur marathonienne de l’« homme des bois » que j’étais demeuré, mais que j’aurais ensuite fait preuve d’une « timidité et d’une mollesse coupables ». J’aurais même joué avec l’image fallacieuse d’un « tendre et frêle pasteur soufflant dans ses pipeaux » ! J’ai été accusé d’avoir « poussé trop tôt les verrous de la porte qui m’a conduit à la civilisation ». Mais comment aurais-je persévéré à « glorifier le satyre dont j’ignorais encore qu’il était né d’un singe 1 » ? Je me félicite, au contraire, d’avoir porté mon écartèlement à une tension inconnue. Sinon comment me serais-je connecté sur les métamorphoses les plus prometteuses de mon capital psychogénétique ?

7Mais si je ne suis décidément que l’otage de mes gènes, comment se fait-il que mon cerveau biphasé ait sécrété une multitude d’idoles que j’ai tenues pour réelles pendant des millénaires ? Puisque l’histoire de mes dieux s’est achevée par la victoire de mon intelligence sur les figures flatteuses et hideuses qui avaient peuplé mon esprit, seul mon cerveau sert désormais de laboratoire à ma recherche sur les origines zoologiques de mes mythes sacrés, et seule ma condition angoissée d’animal enraciné dans sa propre nature permet de nourrir ma dramaturgie. Et pourtant, il me faut briser les barreaux des diverses disciplines auxquelles s’exerce désormais mon intelligence, parce que je me suis disséminé sur des arpents artificiellement séparés. Qui les a autorisées à me disperser, puis à m’enclore chacune dans ses règles particulières alors que leurs procédures disjointes m’enferment dans des territoires artificiels ?
8Au commencement, une théorie de l’origine du tragique – aujourd’hui dépassée à mes yeux – m’a aidé à illustrer la rencontre, au plus secret de mes gènes, entre deux puissances d’abord dissociées puis devenues fructueuses pour s’être voulues complémentaires : celle du chaos orgiaque, mais fécond auquel j’étais livré, et celle de l’humanisation harmonieuse de mes forces. Un siècle et demi plus tard, ma conque osseuse attend de conquérir une connaissance généalogique de son histoire.
9Depuis la Renaissance, je m’imaginais du moins avoir reconquis les armes de l’intelligence politique traditionnelle que mon idole avait placées sous séquestre pendant un millénaire et demi, mais aujourd’hui, je dois confesser que ma cervelle est devenue si stérile et si superficielle qu’elle ne dispose en rien d’une connaissance de mes secrets qui me permettrait de comprendre mes guerres sacrées. Un paraclet boiteux m’a conduit à de gigantesques massacres. J’ai rêvé de salut sous la bannière d’un « processus historique ». Il est traumatisant pour une espèce nourrie de plusieurs millénaires d’expérimentation de ses comportements et de ceux de ses divinités de piétiner aux portes de la connaissance du fabuleux mental qui me pilotait autrefois dans les nues et de la sorte de sens rassis qui m’alimente maintenant sur la terre.
10Mes tragédiens ont quitté la scène, mes alexandrins ont trépassé, mes sonnets sont au musée, mes opéras sont devenus commémoratifs, mes épopées appartiennent à l’archéologie. C’est que mes exploits vocaux vivaient du sol qui les nourrissait. Si mon interprétation de mon passé transgénique m’est dictée par la terre sur laquelle j’ai germé, que deviendra la science de ma durée cosignée dans mes écrits ? Qu’est-ce que mon histoire dans le royaume de mes voix ?
11Même sous le règne de mes dieux, les grâces du sens commun passaient pour éclairer ma mémoire. Mais bientôt la sorte de raison dont j’avais armé mes prouesses s’est révélée insuffisante pour séduire l’entendement nouveau qui agitait mes gènes. Il me fallait maintenant rendre intelligible l’aventure d’un vivant enfermé par la nature dans une cage aux fauves et dont les songes exprimaient la faculté de se dédoubler dans des réflecteurs gigantesques et sanglants. Alors, la chronique de mes équipées s’est changée en peau de chagrin : comme mémorialiste de ma folie je me réduisais à la portion congrue. Quand j’eus accouché d’une idole unique, omnipotente et majestueuse, une question toute nouvelle s’est imposée à mon encéphale, celle de savoir si ma connaissance de ma propre nature était déjà tellement avancée qu’elle me permettait d’expliquer à mes congénères les croyances que je sécrétais et qui pilotaient les millénaires ; car j’armais et désarmais mes peuples et mes nations à l’école de mon cerveau.
12En vérité, il y avait longtemps que la science de mon passé croyait avoir vaincu les obstacles par dessus lesquels elle sautait à la manière d’un cheval bien monté. Quand je faisais le mémorialiste, je m’arrêtais à chaque bosquet, quand je jouais au cavalier, je franchissais les fossés à bride abattue. Le plus véloce de mes genres littéraires affectionnait les siècles tumultueux, parce qu’ils se prêtaient au déploiement de ma cavalerie et permettaient à mes fantassins de conjurer les bâillements de l’oisiveté. Mais je me suis bientôt aperçu que les événements les plus retentissants et les mieux racontés par mes voltigeurs servaient seulement le mutisme de mon embryon de pensée et que mon ignorance engrangeait ses moissons dans le dos du temps.
13Ce régime de croisière de ma durée a pris fin quand de grands massacres entre les armées de mes dieux se sont substituées à ceux que mes ancêtres avaient exportés en terre sainte. Mes ascendants s’enflammaient pour un tombeau volubile, ce qui passait pour intelligible à leur forfanterie ; mais comment me fallait-il apprendre à conjuguer le verbe comprendre si j’ignorais l’enjeu réel qui exigeait l’extermination allègre et massive des vaincus et de leurs idoles pour le motif qu’ils défendaient le prodige dont un aliment se faisait le théâtre : celui d’un morceau de pain obstinément métamorphosé en chair et d’un vin qu’ils s’entêtaient à tenir pour du sang sur leurs autels ? Puis mes progrès techniques ont élevé mes meurtres à un gigantisme que j’ai longtemps proclamé rédempteur – c’est que je ne disposais alors en rien d’une simiologie qui aurait pu m’expliquer les ivresses de mon encéphale de tueur. Du coup, la question de la disparition pure et simple de toute science de mon passé a commencé de se poser ; car, de même que mes peintures impressionnistes avaient pris figure de divertissements champêtres au siècle où ma bombe atomique avait commencé de me semoncer, le temps s’est rendu silencieux quand les fanfares les plus bruyantes du salut ont fait débarquer un enfer de chair et de sang parmi mes aïeux.
14Quand la pauvre science de ma mémoire est devenue un champ de bataille pour la conquête d’un regard sur mon encéphale, je me suis vu contraint de consacrer mon audace la plus périlleuse à seulement décrire une folie que nous devrions tous apercevoir à seulement ouvrir les yeux. Mais les apparences résistent à l’œil de nos caméras avec une telle opiniâtreté que notre bon sens paraît un grand profanateur sitôt qu’il voudrait seulement faire un pas. Il arrive également que notre entendement se laisse intimider par des criailleries et que sa faiblesse le rende buté comme une mule. Alors notre pauvre cerveau résiste avec un aveuglement digne d’un catéchisme à toute extension de ses prérogatives, et l’on voit notre raison se faire une gloire de rétrécir le territoire qui féconderait ses sacrilèges.
15C’est en vain, je l’avoue, que j’ai alerté mes congénères. Nos États, leur disais-je, perdront lentement, mais inexorablement, leur prestige s’ils délaissent leur vocation de moteurs de notre intelligence à venir. Mais ils ne voulaient rien entendre des grandeurs d’une politique de la lucidité à l’échelle du monde. Alors, je me suis dit que seule une connaissance profanatrice de la nature et du fonctionnement de notre cerveau feront, de mon espèce, l’avant-garde de l’univers. Nous devions abandonner l’Histoire à courte vue. À quoi bon désamorcer des obscurantismes si ces bombes à retardement sont des accélérateurs et si elles sont placées d’avance par la nature sur les chemins précis de notre évolution, où elles sont condamnées à exploser comme des coups de semonce ?
16Mais la question du statut de l’encéphale dichotomique dont la nature m’a doté ne cessait de peupler mes nuits, et je me suis dit que le déclin de notre parole est devenu un cauchemar, parce qu’il m’a paru lié à la dégénérescence de notre entendement. La tragédie n’a-t-elle pas disparu quand elle a cessé de répondre aux questions que soulevait mon Histoire sous le règne des idoles, des rois ou de la fatalité ? La comédie n’a-t-elle pas fait naufrage quand elle a perdu à Athènes, à Rome ou à Paris le support d’une bourgeoisie fière de ses prérogatives et séparée du peuple par sa tenue, sa culture, son langage, ses revenus ? De même, mon histoire s’était voulue un genre littéraire, puis une discipline semi-savante aussi longtemps que le sens commun avait suffi à légitimer son statut d’agence de renseignements. À partir de l’instant où mes récits ont présenté à des aveugles un tissu de mystères impénétrables, la question du rang et de la dignité de notre science historique n’est-elle pas devenue une énigme anthropologique ?
17Comment raconter un passé que l’évolution de mon encéphale a rendu inintelligible ? Comment seulement observer l’aporétique d’origine psycho biologique à laquelle mon espèce mal évadée de la zoologie se trouve livrée ? Un tel mémorial ne fera-t-il pas piètre figure devant des artistes de la mémoire qui, de Tite-Live et Tacite à Michelet et à Fustel de Coulanges avaient donné ses lettres de noblesse et sa superbe à une narration qui s’apparentait à l’art de la fresque ? En vérité, me disais-je, Clio est une tard venue parmi nous. Elle cueille seulement quelques millénaires d’un anthropoïde chu dans l’imaginaire depuis la préhistoire. Elle ne peut ignorer ses origines et celles des semi anthropoïdes qui la pilotent. À ce titre, son art me renvoyait à notre peinture moderne, où la question du traitement du sujet évoqué sur la toile a soulevé les plus grandes difficultés, parce que notre art classique ne disposait en rien des moyens de figurer l’univers d’acier de notre technique. Représenter sur un fond de planches en matière plastique une paire de chaussures terminées en pieds nus nous renvoie à un art dont l’angoisse s’exprime par la maladresse dans l’exécution et qui ferait rougir un peintre impressionniste ou l’apprenti d’un maître du xviie siècle.
18Il y a deux siècles déjà que ma science historique est devenue bancale en raison de ses tentatives désespérées d’exorciser le rétrécissement de son territoire. Elle se lamentait sur son sort, et pourtant, elle le désirait secrètement parce qu’elle était effrayée par le spectacle des gigantesques cratères qui s’ouvraient sur toute l’étendue de son empire. Alors, elle m’a paru s’exercer à élargir ses prérogatives, mais en vain et dans l’anarchie, parce que les terres adjacentes qu’elle voulait occuper se montraient rebelles à ses méthodes. De la vie quotidienne des peuples à l’art, à la littérature et aux sciences rien n’a paru résister à sa voracité – mais plus elle étendait ses tentacules loin de la mère patrie, plus sa boulimie la rendait incertaine et flottante. J’étais désespéré qu’elle payât si cher sa désertion : car elle s’était voulue absente de la connaissance de l’imaginaire de mon espèce et, du coup, elle se frappait d’une seconde forme de cécité, celle de se rendre frénétiquement érudite, ce qui multipliait seulement ses nomenclatures vétilleuses. Mais si je devais demeurer un animal livré à des prodiges et qui se donne mystérieusement à tuer pour changer du vin en sang, que vaut une science muette devant une si gigantesque énigme de notre folie ?
19Aussi la question du statut cérébral d’un tissu de faits non décryptés me paraissait-elle plus dramatique que celui du statut de ma peinture, de ma musique ou de mon théâtre, parce que la question était désormais de savoir si la substance même de mon Histoire se prête encore au genre narratif. Il se peut, me disais-je, que la musique reconquière une technique et une inspiration qui lui donneraient une résonance nouvelle dans un monde que notre évolution a ouvert par-delà les frontières que mes aïeux avaient tracées parce que, non seulement elle dispose d’un univers des sons dont la richesse pourrait solliciter le génie des successeurs de nos ancêtres, mais elle estime que son royaume est devenu plus vaste et plus prometteur que le précédent. Mais le sort d’une science qui voyait fondre son objet et qui se découvrait écartelée entre une minusculité pointilleuse et une superficialité prétentieuse me semblait fort différent de celui des tourments du classicisme et du romantisme dans les arts.
20Comment ce drame ne poserait-il pas à toute ma culture le problème le plus crucial si l’intelligibilité réelle du passé de mon encéphale exige une interprétation de mes origines zoologiques ? Sans se voir d’ores et déjà réduite à devenir l’apanage exclusif des psychanalystes, des paléontologues et des psychogénéticiens de l’avenir, mon histoire se trouve dès aujourd’hui condamnée à demander des secours de première urgence à mon cerveau de demain. Du coup, que reste-t-il à enseigner à une muse vieillie sous le harnais et asservie à une méconnaissance de la notion même « d’événement historique » ? Le drame que vivait désormais cette discipline autrefois prolixe, puis habillée avec élégance, résultait de ce que le royaume d’une compréhensibilité du passé digne de ce nom se confondait de plus en plus à celui d’une profondeur du savoir accessible seulement à une réflexion critique d’avant garde. Mais tout au long du xxe siècle, mes eschatologies idéologiques étaient devenues les tristes Hercule d’un bavardage pseudo philosophique ; et mes historiens étaient tombés en foule dans le piège d’une catéchèse, tandis que mon école des Annales vulgarisait seulement la notion exsangue de « mentalité ». Tous échouaient à conquérir une anthropologie de pointe, qui seule aurait pu rendre compte d’une espèce onirique de naissance.
21Qu’est-ce donc que l’Histoire si ce personnage n’est autre que mon encéphale et si, depuis vingt-cinq siècles, cet acteur a trouvé des conteurs attentifs seulement à signer un pacte d’alliance avec l’intelligence de leur temps ? Les inquisiteurs qui brûlèrent mon Giordano Bruno, ou le « petit père des peuples » qui fit assassiner en mon nom vingt mille officiers polonais d’une balle dans la nuque, ou les fours crématoires de Hitler qui réduisirent six millions de mes congénères en fumée, ou mes goulags, ou ma saint Barthélemy sont seulement racontés par des greffiers aveugles. À quels jardinets d’une mémoire ridiculement bucolique les notaires de mes cellules grises ont-il donc accès ? Que reste-t-il de sérieux à raconter aux artisans du récit historique ad usum delphini si le rétrécissement inexorable du champ de la narration et sa réduction à l’insignifiant professionnel signent l’arrêt de mort de leur discipline ? Comment Clio survivrait-elle à laisser dans l’indéchiffrable la mémoire des anthropoïdes tombés dans l’imaginaire ?
II.



22Shakespeare prétendait que mon Histoire n’avait jamais été racontée que par un idiot de village tout rempli d’une bruyante fureur. Si mes meurtres et mes délires n’avaient ravagé tout le xxe siècle, l’aube du dernier millénaire de mon créateur subirait-elle la réjouissante pression politique et philosophique qui nous contraint, lui et moi, à retourner à notre origine et à bouleverser une science de notre mémoire commune, dont les méthodes, livrées aux tranquillisants de notre culture, sont devenues si affligeantes qu’elles sacrifient toute intelligibilité du récit ? Qui est l’idiot, et quels sont les secrets de l’idiotie de l’animal le plus intelligent et le plus furibond du monde ? Pourquoi, en 1914, Freud a-t-il été si surpris de la frénésie de ses réactions patriotiques, pourquoi s’est-il laissé emporter, lui aussi, par l’irrésistible enthousiasme des Allemands pour la guerre, pourquoi son ardeur ne s’était-elle pas révélée moins délirante que celle des Français dont le Voyage au bout de la nuit d’un Céline stupéfait allait fournir un récit mémorable ?
23Peut-être mon anthropologie historique se trouvera-t-elle dans une position beaucoup plus confortable que celle des Copernic, des Darwin ou des Freud, s’il est permis de comparer les balbutiements de cette discipline née dans mon encéphale vers la fin du xviiie siècle seulement avec l’audace des géants de la ciguë qui ont jalonné mon parcours depuis le paléolithique. Au xvie siècle, mon De Revolutionibus n’a pas frappé de plein fouet l’imaginaire religieux de mes chromosomes, tandis que si la première épopée scientifique et industrielle que connaisse le monde devait frapper mon cerveau d’un obscurantisme d’un type nouveau, celui d’une orthodoxie culturelle qui s’appuierait sur le dogme de fer de la mise à égalité de toutes les cultures et de tous les dieux, il serait inutile de croiser le fer avec une dogmatique livrée d’avance à la scolastique. Du reste, nos sacrifices de l’autel, devenus idéologiques pour un temps, nourrissent déjà un nouveau Minotaure, l’économie.
24C’est pourquoi mon embryon d’encéphale espère qu’une civilisation des Christophe Colomb de l’inconscient du sacré et des sources génétiques des mythologies religieuses ou idéologiques de mes ancêtres reléguera la science historique narrative sur une île déserte. De brèves nomenclatures suffiront demain à faire tourner le vieux rouet du récit. Des greffiers assermentés conserveront la trace de « ce qui est arrivé ». Mais comme une science historique expulsée du vrai savoir par son repli sur une chronologie certifiée n’aura plus de matériau à expliciter, elle deviendra une autorité de scribes à consulter sur des détails. Une mémoire qu’emmagasineraient des esprits curieux serait garantie par des éphémérides dont la lecture se trouverait facilitée par la réhabilitation des techniques mnémotechniques des Anciens. Mais si la relégation des aveugles dans un parc national des archives permettait de tracer une frontière nouvelle entre les minusculités soigneusement enregistrées de l’idiot de Shakespeare et l’ampleur d’une quête socratique de la vérité, la scolastique occidentale serait-elle terrassée par un retour soudain de l’élan intellectuel et de la vitalité créatrice des grandes époques ?
25On me dit que le signal de l’émigration de toute la science historique pensante vers une planète privilégiée qu’habiterait une étroite phalange d’esprits expulsés de leur zoo par leurs congénères a été lancé en 1859 par Darwin et fécondé par Nietzsche et Freud. Mais il me semble que le grand Anglais sus nommé n’a pas eu de successeurs attentifs à retrouver Swift sous Darwin et que le génial Viennois n’avait pas l’intelligence de la politique qu’exige la pesée de l’encéphale de l’Histoire à l’école de Machiavel. Je me demande si une psychologie capable d’observer le fonctionnement de ma conque d’anthropoïde est possible, ou bien si une science vivante de mon espèce de raison ne saurait s’offrir le luxe de creuser un fossé infranchissable entre mes mémorialistes et mes penseurs. Quel souffle aurais-je si j’étais en proie à une gigantesque scission entre le mutisme du récit et la fuite de mon savoir intelligent vers un monde à venir ?
26Pour tenter d’éviter l’asphyxie de mon espèce dans la dichotomie de sa masse cérébrale, il faut que ma science historique conquière les armes d’une méthode d’analyse proprement généalogique et qui suivrait à la trace l’évolution de l’animal que je suis devenu. Le monde onirique dont je suis l’otage est incontrôlable. Mais je pourrais rendre intelligible que ma sortie du sacré ait conduit Clio au triomphe d’une raison politique banalisée par le capital génétique de ma platitude. Il était bien naturel d’éliminer de la connaissance proprement scientifique de mon espèce la portion que je jugeais superficielle de mon encéphale, celle qui avait sécrété une grande abondance de dieux. J’ai donc chassé dans le désert mon bouc émissaire, à savoir la dimension mythologique de mon histoire, parce qu’il n’y avait plus de place, me disais-je, pour mes billevesées dans le compte rendu enfin rationnel de la succession des événements que j’étais péniblement parvenu à établir, et j’ai passé par profits et pertes les tranches honteuses de l’Histoire de mes peuples et de mes nations – celles que je proclamais nulles et non avenues pour ressortir seulement au fantastique et à la folie. Mais comme je ne pouvais passer froidement sous silence « ce qui était arrivé » sous le sceptre du monstre, j’ai raconté mes grands massacres sacrés avec des mines horrifiées, stupéfaites, incrédules ou confites en dévotion, comme si j’appartenais à une espèce dont la nature avait doté la raison de piété et d’innocence, ce qui m’interdisait toute approche soupçonneuse de mon étrange hémiplégie cérébrale. Or ce voilement de face s’est révélé suicidaire quand un siècle entier, le xxe, a échappé, comme je l’ai dit, à toute la science doctoralement reçue dans mes écoles.
27Puisque mon encéphale avait trop longtemps demandé à des divinités complaisantes ou rétives d’expliquer le monde à ma place, mon histoire ne pouvait ambitionner plus longtemps de devenir intelligente et demeurer obstinément motus et bouche cousue devant le spectacle de mes plus sanglantes tueries : ou bien ma mémoire faisait naufrage corps et bien, ou bien elle étudiait les dieux gesticulants que je m’étais fournis et je découvrais les causes pour lesquelles ces personnages cérébraux avaient reçu la mission de faire suer du sang au temps. Longtemps il m’avait suffi de recueillir dans mes écrits ce que mes idoles avaient proclamé haut et fort dans les leurs ; il me fallait maintenant prêter une oreille attentive à ce que les grands blasphémateurs leur avaient fait dire à leur insu.
28Cette façon indirecte d’écouter ce que je proférais est un grand paradoxe. J’avais cru que ma raison dégrisée par Voltaire assainirait le champ du savoir nécessaire en le rétrécissant utilement. Mais si je devais tenter de comprendre non seulement une espèce d’anthropoïdes dotés d’imaginaires terrifiants, mais encore les divinités qu’ils s’étaient donnés et qu’ils faisaient parler et agir inconsciemment dans leur histoire à seule fin de mettre leurs propres crimes sur les épaules d’autrui, l’empire de ma raison s’étendait dangereusement. Pis encore : puisque mon idole s’était déclarée omnisciente à haute et intelligible voix, il me fallait décoder les recettes de sa corpulence afin de découvrir ce que mon entendement désirait inconsciemment acquérir par le biais d’une ruse de si forte taille, et je ne pouvais faire de ma feinte ignorance le bouc émissaire que ma science historique tuait en silence, car je voyais fort bien comment le faux savoir de « Dieu » avait été construit.
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