Etats-Unis : de la crise financière à la crise de leadership ? Par Eric
LAHILLE *, le 12 septembre 2009 * Professeur d’économie internationale et
industrielle à l’ESIEE Management (Université Paris-Est). Il est
chercheur associé au Centre d’études des modes d’industrialisation
(CEMI) à l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Le capitalisme financier américain a
fini brutalement par toucher ses limites. Initialement partie de la
chute de l’immobilier, la crise s’est propagée à l’ensemble du système
financier états-unien puis à l’économie réelle. La récession, déjà
sévère en 2008, va se prolonger. Le plan de relance de l’administration
Obama, combiné à une politique monétaire tout azimut, vise à compenser
la chute des dépenses privées et à enrayer la spirale dépressive. Mais
il n’est pas sûr que cela suffise.
Sur un plan structurel, cette crise a le mérite de
dévoiler les dérives d’un système considéré par les économistes
standard, à la fois comme le meilleur reflet de l’économie de marché et
un modèle universel, supérieur aux autres. La réalité est autre. Le
succès de ce modèle de capitalisme reposait sur des fondations et des
institutions économiques qui se révèlent aberrantes, y compris pour ses
partisans les plus acharnés. Ainsi, la crise impose, par son ampleur, de
repenser des modalités d’organisation économique plus cohérentes.
Au-delà de la remise en cause de la philosophie économique dominante,
elle interroge aussi l’avenir de l’ordre économique mondial dominé par
les États-Unis et sa puissante industrie financière.
Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le site
diploweb est heureux de vous présenter un article publié par la Chambre
de commerce et d’industrie de Paris dans la revue Accomex.
Analyse et réflexion sur les marchés extérieurs, n°85,
janvier/février 2009 : Etats-Unis Do they really can ? Spécificités et rôle de
l’industrie financière états-unienne
LA SPHERE financière a
toujours fait l’objet d’attentions continues de la part des autorités
fédérales [
1]. De fait, entre 1980 et 1999, quels que soient les
gouvernements, le secteur de la "banque-finance" a été libéralisé [
2].
L’industrie de la finance représente aujourd’hui 20 % du PIB des
États-Unis, soit autant que le reste des activités de services.
Ce processus a été synchronisé avec la dérégulation et
l’ouverture internationale des marchés de capitaux. Ce secteur a donc
représenté un enjeu majeur du redressement des États-Unis dans la
compétition mondiale. Il est devenu éminemment stratégique.
Les interventions de l’état fédéral ont créé un
véritable "avantage concurrentiel" à l’origine de la suprématie
états-unienne dans cette "industrie globale" pas comme les autres.
Située en amont de tout le système productif, elle irrigue l’ensemble de
l’économie. Maîtriser les sources de financement de l’économie est un
privilège non négligeable à l’ère de l’ouverture internationale des
marchés de capitaux. Aussi doit-on admettre la perspicacité et la
cohérence des choix stratégiques états-uniens en la matière.
Malgré les velléités affichées pour mieux contrôler la
finance internationale après les attentats de 2001, on ne peut pas dire
que de réels progrès aient été réalisés… De même, lors de la crise
financière de l’Internet du début du 21ème siècle, et des scandales
financiers
Enron,
Wordlcom,
etc., l’administration n’a pas souhaité contrevenir aux intérêts de son
industrie financière. En dépit des crises, des scandales et des dérives,
toute intervention a été proscrite. En 2002, les réponses de
l’administration Bush ont consisté à moraliser les pratiques, en tablant
sur l’autorégulation des marchés financiers. En privilégiant la liberté
des acteurs, elle a évité de prendre les mesures réglementaires qui
s’imposaient et, de ce fait, encouragé tous les excès. C’est un peu la
face cachée du système. La quête de
leadership international
passe par la protection d’un secteur bancaire et financier puissant et
dérégulé.
N’oublions pas que si l’industrie financière
états-unienne est essentielle pour l’économie interne, elle opère aussi
en dollar. Elle exerce ainsi une action sur le système économique et
financier international, car le dollar est, à la fois, monnaie de
transaction et de réserve internationales. C’est une arme dans la
compétition mondiale.
Ainsi, l’intérêt national des États-Unis est évident :
1) en développant une industrie financière dominante à l’échelle
mondiale, 2) elle assure la croissance de l’économie nationale, 3) en
même temps que son financement international, de sorte que 4) elle
conforte son leadership industriel et technologique, 5) s’affirme comme
le pôle de l’économie mondiale et 6) renforce le rôle international du
dollar. Sur cette base, 7) l’État a les moyens de sa politique
d’hyper-puissance.
Malgré d’amples fluctuations, le dollar est ainsi resté
au cœur du fonctionnement des marchés mondiaux. Il s’impose d’autant
plus aisément qu’il est le vecteur du développement de la finance
états-unienne et de la finance mondiale. Dans une telle optique, la
recherche du contrôle et de la réglementation n’a pas de sens. Pire,
elle télescope plus de trente ans d’un mouvement continu de
financiarisation de l’économie et de libéralisation internationale.
Les enjeux du développement de cette industrie dépassent
donc la technique financière proprement dite. La suprématie dans
l’industrie financière représente une arme très efficace dans la quête
globale de puissance. Ce n’est pas un hasard si cette crise advient au
terme du second mandat de W. Bush. Le bilan est désastreux au plan
militaire, diplomatique et économique. Et cette stratégie a contribué
aux dérives financières. Finalement, c’est la construction idéologique
néoconservatrice sous-jacente à cette politique générale qui est en
échec.
Finance : du miracle au mirageUne des causes de cette crise tient aux mécanismes
financiers proprement dits. L’avènement de la mondialisation amène les
grandes institutions financières à innover et à développer la
titrisation [
3].
Cette technique, qui consiste à émettre des titres (de toute nature,
notamment des crédits) s’avère utile pour le développement de
l’industrie financière et le financement de l’économie états-unienne. On
a, cependant, assisté à une véritable fuite en avant dans la
titrisation ces dernières années, notamment pour les produits structurés
et les dérivés de crédit [
4].
Pour une institution financière, la titrisation de
crédits n’a que des avantages ! Elle procure de l’activité d’ingénierie
financière. Elle permet de se défausser des risques liés à ces titres,
moyennant une prime versée à un assureur de risque, qui peut lui-même
les renégocier. Elle améliore fondamentalement la liquidité des
engagements bancaires et financiers. Elle allège le bilan et permet de
contourner les réglementations concernant les ratios de solvabilité,
notamment les engagements par rapport aux fonds propres [
5]. Enfin, elle améliore la rentabilité des
capitaux propres. Ce qui est l’objectif de base du capitalisme
financier.
Pour les autorités publiques, la titrisation permet de
repousser les contraintes de l’économie réelle, d’assurer le financement
national et international et de générer de l’activité dans un secteur
fondamental.
Les autorités de contrôle comme la SEC et les agences de
notation (toutes états-uniennes) n’ont pas été regardantes sur
certaines innovations. Car les problèmes de conflit d’intérêt entre les
agences de notation et leurs clients sont de notoriété publique [
6].
Par ailleurs, la libéralisation du secteur a été une
constante. L’état fédéral a progressivement démantelé l’ensemble du
dispositif issu de la crise de 1929, afin d’encourager les innovations
et la libre concurrence dans le secteur financier. La suppression, en
1999, du
Glass Steagall Act datant de 1933 [
7]7,
qui cloisonnait les métiers bancaires, afin d’éviter les risques de
contagion a fait sauter le dernier verrou. Avec l’internationalisation,
toutes les banques se sont précipitées dans les activités de finance de
marché et d’investissement, qui sont plus lucratives que les activités
bancaires classiques. Outre la volonté de liquider les leçons du passé,
on a recréé les conditions de l’émulation bancaire et d’une nouvelle
grande dépression.
L’ampleur de la crise et sa propagation sont inscrites
dans la nouvelle structure financière mondialisée. La création de
produits structurés et des dérivés de crédit en est à l’origine [
8]. La
technique consiste à regrouper dans un même titre plusieurs tranches de
niveaux de risque différents. Les tranches les plus risquées (
equity) semblent protégées par les tranches les moins
risquées (
senior), adossées à des emprunteurs
solvables. Ce raisonnement, étayé statistiquement, conduit à des gains
inespérés. Les tranches de risques élevés sont couvertes par les
tranches
senior. Les agences de notation les
considèrent comme tel. Avant que n’éclate la crise, l’immense majorité
de ces fameux titres à faibles risques et rendements élevés
bénéficiaient de la meilleure note possible : le triple A [
9].
Dans ce monde paradisiaque, les investisseurs affluent,
profitant des effets de levier et d’un crédit quasi illimité. Ceux qui
sont chargés de créer ces produits financiers les achètent pour leur
propre compte. On assiste alors à la multiplication des produits et à
l’accélération de leur vitesse de circulation sur le marché mondial.
L’appât du gain, la libéralisation et la compétition financière font le
reste. La spéculation prend une dimension inédite ; le caractère liquide
de ces produits renforce l’impression de sécurité [
10].
L’expansion de l’offre et de la demande conduit à une dissémination à
l’intérieur de titres dérivés, notamment les CDO [
11]14, qui
eux-mêmes sont appelés à être dérivés… Ces montages, effectués dans les
paradis fiscaux, rendent impossible toute traçabilité. Lorsque la crise
éclate les risques sont éparpillés, ce qui aggrave le phénomène et
conduit à une crise de confiance. Les assureurs de risques (AIG) et les
institutions spécialisées dans l’achat des crédits hypothécaires (
Freddie Mac,
Fannie Mae) encaissent
le choc car les taux de défauts sur ces titres dépassent la normale.
En effet, la crise immobilière est plus forte que
prévue. Bientôt, l’économie réelle rattrape la sphère financière. Le
hiatus devient manifeste. La faillite de
Bear Stearns,
à l’été 2007, annonce le début du processus qui va conduire au blocage
du marché interbancaire, à la crise de liquidité et de confiance. On
atteint l’apothéose le 15 septembre avec la faillite de
Lehman
Brothers, sacrifié par les autorités publiques sur l’autel de la
concurrence.
L’assèchement du crédit se répercute à l’ensemble de
l’économie, tandis que consommation et investissement privés
s’effondrent. De septembre 2008 à février 2009, près de 2 millions
d’emplois sont détruits. Le PIB chute de 6,8 % au dernier trimestre
2008. L’ensemble des activités est touché. L’industrie automobile est
placée sous perfusion, etc. Malgré le plan Paulson et les interventions
de la Fed, le bilan est catastrophique. Le taux de chômage, à plus de
7 % en début d’année, pourrait atteindre le seuil des 10 % fin 2009.
Enfin, la croissance reculerait d’au moins 2 % en moyenne cette année [
12].
La stratégie économique d’Obama en perspective
Les États-Unis connaissent la pire récession depuis la
guerre. La première évidence est que la stratégie économique de B. Obama
tourne le dos aux recettes libérales, aujourd’hui discréditées. S’il
est encore prématuré d’en évaluer les résultats, on voit déjà se
dessiner une tendance.
La politique macro-économique recourt à la relance
keynésienne. Un effort budgétaire de 787 milliards de dollars, étalé sur
deux ans, va substituer la dépense publique d’investissement et de
consommation aux dépenses privées qui chutent. Au premier trimestre
2009, le recul du PIB pourrait avoir atteint 5 %. Le levier budgétaire
vient en appoint de la politique monétaire, qui n’a plus de marge de
manœuvre en termes de taux, depuis janvier dernier, puisqu’ils varient
dans une fourchette de 0 à 0,25 %. Le plan de relance porte, pour un
tiers, sur des mesures d’allègement d’impôts (états, entreprises et
ménages). Le reste concerne des dépenses publiques dans les
infrastructures et les énergies propres et des aides aux plus
défavorisés. En dépit d’un montant nominal élevé et du creusement record
du déficit budgétaire [
13]16, la
récession se poursuivra en 2009.
L’impact budgétaire devrait être moins vigoureux
qu’escompté. Le plan initialement présenté au Congrès, d’un montant de
825 milliards de dollars, a été revu à la baisse, et certaines
dispositions ont été abandonnées. Les pressions exercées par les
partisans de la modération budgétaire, les concessions faites aux
républicains sur les baisses d’impôts et le saupoudrage électoral vont
diminuer l’effet global. Comme l’effort n’est pas ciblé sur les bas
revenus, l’effet sur la consommation sera dilué. D’autre part, l’effet
multiplicateur de l’investissement ne jouera que sur une partie de la
dépense. Enfin, le surcroît de dépenses publiques ne couvre qu’une
partie de la baisse des dépenses privées [
14]. La
relance budgétaire permettra donc d’atténuer la récession, pas de
l’éviter.
Cependant, la Fed, dont le rôle est déjà central,
pourrait prendre une part décisive dans un scénario optimiste de sortie
de crise pour 2010. En effet, la politique monétaire est de plus en plus
audacieuse. Du fait d’interventions tout azimut, le bilan comptable de
la Fed a été multiplié par trois l’an dernier, atteignant 3 000
milliards de dollars. Et il va croître de manière substantielle en 2009.
La Fed injecte directement des liquidités dans le système bancaire et
financier. Elle se substitue aux banques en finançant directement, à
court terme, les entreprises en difficulté ou victimes du
credit crunch.
Fin mars, le programme de soutien à la consommation
(TALF) a été activé, pour un montant prévu de 1 000 milliards de
dollars, afin de relancer la mécanique du crédit et de la titrisation.
Cette politique osée est d’autant plus nécessaire que la déflation
menace. Elle ne pourra, cependant, être prolongée éternellement sans
créer de nouvelles difficultés.
La nature de la politique monétaire change. La
Fed, déjà omniprésente dans tous les compartiments de
l’économie, vient de s’engager à acheter des bons du Trésor, pour 300
milliards de dollars. Ce que l’on appelle pudiquement des interventions
non conventionnelles, revient à monétiser une partie du déficit
budgétaire comme au bon vieux temps keynésien. Cette stratégie d’achat
de bons du Trésor permet de financer une partie du déficit et de faire
baisser les taux à long terme [
15].
Elle limite la hausse prévisible de la dette publique, qui, faut-il le
rappeler, n’a pas atteint les niveaux européens. Si les marges de
manœuvre se rétrécissent, le
policy mix a le mérite
de la cohérence. Les craintes d’inflation qu’elle suscite auprès des
économistes standards paraissent infondées dans un tel contexte
déflationniste.
Ces interventions de la Banque centrale sont complétées
par des mesures qui concernent le marché immobilier. En effet, les
défauts de paiement gagnent maintenant les
mid-primes [
16]19. Dans
le cadre de son plan de soutien à l’immobilier, la
Fed intervient par une politique de rachat de créances immobilières, de
manière à faire baisser les taux d’emprunt à long terme. Son plafond
d’intervention, fixé à 600 milliards de dollars, vient d’ailleurs d’être
ré-haussé à 750 milliards. En outre, l’état fédéral encourage les
banques à rééchelonner la dette des particuliers et propose des mesures
d’aides aux ménages.
Le système bancaire reste paralysé. La situation des
banques est telle, qu’elles renoncent à prêter. Leurs comptes sont
plombés par les titres toxiques. Les faillites des banques régionales se
poursuivent. On en dénombre 20 depuis le début de l’année. La demande
de crédit est en panne, car les agents cherchent à se désendetter. Après
un cafouillage, la seconde version du plan Geithner, présentée le 23
mars, a été bien accueillie par les marchés. Mais il est encore trop tôt
pour savoir s’il constitue une solution crédible pour assainir les
banques. On estime que ces titres représenteraient 3 à 4 000 milliards
de dollars. Or, le plan de rachat des actifs toxiques des banques n’est
"que" de 500 milliards, extensibles jusqu’à 1 000 milliards de dollars.
Cette solution a le mérite de la nouveauté, puisqu’elle
tourne le dos à la solution classique de la structure publique de
défaisance. Le programme d’investissement public-privé alimenté par
l’état à hauteur de 100 milliards est-il à la hauteur des enjeux ? C’est
un coup de poker qui peut fonctionner, à condition que les acteurs
privés croient dans les chances de succès de la stratégie d’Obama et que
les gains escomptés soient suffisants. L’ironie de l’affaire est de se
servir d’un mécanisme d’incitation qui fait appel aux pulsions
spéculatives d’hier… Enfin, la question est de savoir à quels prix ces
titres seront rachetés ?
Conclusion
On ne peut exclure un scénario dans lequel la récession,
atténuée en 2009, serait suivie d’une reprise modeste en 2010. Quant à
en connaître la robustesse, il est impossible de le prédire. En outre,
un phénomène de "second tour" pourrait entraîner une rechute rapide.
Quelle sera la nature des réformes structurelles pour réguler
l’industrie financière états-unienne et mondiale ? Comment les autres
puissances vont-elles traverser cette récession et leurs stratégies
seront-elles coopératives ? Les politiques mises en œuvre vont-elles
déboucher sur une crise du dollar ?
La réunion du G20 de début avril donne de premières
indications sur les orientations générales. Le bilan est à la fois
inespéré et limité : le FMI renforce ses moyens de lutte contre la crise
dans les pays émergents et change sa philosophie d’intervention, sans
modifications des rapports de force internes ; la volonté de contrôler
la finance globale et les paradis fiscaux est affichée, mais les
réformes de la gouvernance et de la finance internationales restent
ambivalentes ; le contrôle
a minima des
hedge funds et des agences de notation ne change pas la
nature du système, tout comme les listes de paradis fiscaux semblent
insuffisantes pour modifier la compétition fiscale et les mécanismes
opaques de transferts de capitaux. Au total, seuls les excès les plus
manifestes sont amendés, sans nouvelles perspectives. Au niveau
international comme au niveau national, la logique qui s’impose consiste
à "replâtrer" les structures qui sont à l’origine de la crise, sans
remise en cause systémique. Enfin, le contrôle des centres
off shore illustre la stratégie états-unienne pour
restaurer sa maîtrise sur la finance globale. En dernier ressort, on
peut parier que des considérations géostratégiques s’avéreront
déterminantes pour l’avenir. Dans la grande transformation qui s’opère,
c’est en effet la question du rôle et de la place des États-Unis dans le
nouvel ordre mondial qui est posée. Et personne ne sait encore jusqu’où
la nouvelle administration peut aller pour tenter de maintenir son
leadership mondial, ni ce que ses partenaires sont
prêts à accepter.
Copyright Lahille 2009/AccomexRetour sur le contexte de la crise
des subprimesLES CAUSES immédiates et
formelles de la crise sont connues. En 2006, la remontée des taux
directeurs de la banque centrale américaine provoque l’éclatement de la
bulle immobilière qui portait la croissance américaine. Grâce aux prêts
hypothécaires rechargeables, la consommation des ménages s’est vivement
développée durant cette période. Ce système permet d’accroître
proportionnellement son endettement (via le crédit immobilier et à la
consommation) à la valeur de ses biens immobiliers.
Il faut bien comprendre que ce mécanisme s’est substitué
aux augmentations salariales. Du point de vue de la politique des
revenus, en effet, l’administration Bush s’est illustrée par une
approche délibérément inégalitaire, dans la tradition des "
supply siders" les plus radicaux, par une politique
fiscale favorable aux hauts revenus et aux entreprises. Aucune politique
salariale active n’a été envisagée, dans la plus pure tradition
libérale états-unienne. Dans une optique ricardienne, l’ouverture aux
échanges (avec la Chine en particulier) était conçue pour faire baisser
les prix des produits de consommation courante importés et garantir le
pouvoir d’achat.
Cette option de politique économique a conduit à une
impasse économique et sociale qui a fait retour lors de la campagne
électorale. L’adhésion de la classe moyenne américaine au projet
démocrate a coïncidé avec une inquiétude de déclassement social accrue
par la crise.
Alors que les salaires médian et moyen américains ont
stagné ou même reculé depuis 2000, le surcroît de consommation des
ménages n’a pu se faire que grâce aux largesses d’une économie
d’endettement particulièrement inventive [
17] :
la hausse des plus hauts revenus n’a pas suffi…
La consommation, moteur de la croissance américaine, a
été encouragée au prix d’une forte progression des crédits accordés aux
particuliers, dans un contexte marqué par la doctrine de
l’ownership
society chère aux républicains. Cette envolée du crédit, stimulée
par la politique de taux réels négatifs de la Fed, a été rendue possible
grâce aux innovations financières, et aux célèbres
subprimes.
Ces crédits hypothécaires à risque contractés par les ménages les plus
modestes, n’ont cessé de croître [
18],
alimentant une intense spéculation [
19]11.
à partir de la reprise de 2002, c’est la progression continue de
l’endettement des ménages qui a permis la croissance de l’économie
américaine. Ainsi, le taux d’épargne, déjà structurellement faible, est
devenu nul ces dernières années.
Les taux de ces prêts, variables, et donc attractifs en
début de période, ont été ajustés à la hausse avec la remontée des taux
directeurs de la Fed à partir de 2004. Or, pour les plus pauvres et les
plus précaires, ces hausses n’étaient pas soutenables. Pour finir, en
2006, la baisse du prix de l’immobilier a gelé toute possibilité
d’endettement supplémentaire. Le piège s’est ainsi refermé sur les
ménages les plus modestes et a fait dérailler le train de la finance
lancé à toute vapeur.
Le cercle "vertueux", en cas de hausse, s’est transformé
en cercle vicieux avec le retournement immobilier. La baisse de la
valeur des biens a grippé le système, en bloquant la mécanique du crédit
et en pesant sur la consommation des ménages pauvres, pour ensuite se
répandre vers les classes moyennes, etc. Les défauts de crédit se sont
alors multipliés avec des conséquences inouïes sur le secteur bancaire
et financier. Il est, en effet, surprenant que de telles causes
produisent de tels effets. Si l’administration Bush, le monde financier
et les partisans de la dérégulation n’ont rien vu venir, c’est qu’ils
ont surestimé les vertus supposées de l’autorégulation des marchés. La
doctrine économique sous-jacente est donc en cause. Cependant, dans le
cas états-unien, celle-ci n’est pas indépendante de considérations de
nature géopolitique.