« L’abandon est l’une des causes les plus courantes du mal-être et du mal de vivre. » Tel est le constat dressé par Daniel Dufour, médecin et animateur de stages de développement personnel. À l’origine de cette souffrance, qu’il appelle « l’abandonnite », « il y a toujours une situation mal vécue au cours de la vie fœtale, de la prime enfance ou de l’enfance, qui n’est pas forcément un abandon effectif. » Ici, c’est un père absent ; là, une mère débordée, un couple de parents fusionnels, ou encore l’arrivée d’un petit dernier, un séjour en pension, le décès d’un grand-père auquel nous étions particulièrement attachés. Un traumatisme souvent minimisé
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La Blessure d’abandon de Daniel Dufour
Un ouvrage clair qui aide à comprendre les mécanismes de l’« abandonnite » et propose de s’en libérer (Éditions de l’homme, 2008).
Ces événements, sans conséquences majeures pour certains, vont être traumatisants pour d’autres. Pourquoi ne sommes-nous pas égaux devant la peine ? « Chacun de nous a fait l’expérience de la séparation, explique la psychanalyste Catherine Audibert. Nous nous sommes aperçus, souvent très tôt, que papa et maman n’étaient pas toujours là, à notre disposition, prêts à répondre à tous nos désirs. Mais nous n’avons pas vécu cette nouvelle solitude de la même façon. Soit ceux qui nous entouraient ont perçu, pris en compte et atténué nos peurs enfantines?; soit, pour des raisons éducatives, morales, faute de temps ou d’une juste compréhension, ils n’ont pas accordé de valeur à nos angoisses. Et les ont renforcées. Ils n’ont pas pour autant fauté. Ils ne nous ont simplement pas appris à nous séparer avec confiance et sérénité. Sans doute parce qu’eux-mêmes le vivaient mal de leur côté. »
Une crainte : être rejeté de nouveau
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Cet épisode traumatisant, nous nous empressons de l’oublier, en le minimisant ou en le normalisant. Quoi de plus « normal », en effet, qu’un nouveau petit frère ? Et de plus formidable que des parents qui s’adorent ? La tristesse et la colère éprouvées sont du même coup jetées aux oubliettes. « À partir du moment où il n’y a pas de logique à éprouver ces émotions, il ne reste plus qu’à nier notre droit à les ressentir », constate Daniel Dufour. Sauf que, même étouffée, l’émotion reste bien présente. « En surface, le raisonnement, notre éducation nous amènent à penser que tout cela n’est que du passé et doit être oublié. Mais à l’intérieur, ça “bout”. »
Notre logique implacable conclut que, puisque nous avons pu être abandonnés, nous ne sommes pas dignes d’être aimés. Cette croyance va dès lors sous-tendre toutes nos relations sociales et affectives. « Nous allons ainsi osciller entre hypersociabilité et hyperagressivité, selon que nous ressentions le besoin viscéral d’être aimé ou que nous désirions provoquer le rejet de l’autre, convaincus que nous aurons inévitablement à le subir un jour. » Un cercle vicieux, qui nous mène à des conduites paradoxales. Comme John (1), 45 ans, qui multiplie les efforts pour être estimé de toute son entreprise, mais sacrifie sa vie privée. Comme Giselle, 20 ans, qui s’oppose sans cesse à ses parents mais ne rêve que d’être aimée par eux. Ou comme Gilles, 12 ans, petit garçon réservé qui met tout en œuvre pour ne pas déranger, heurter, contrarier sa famille et s’oublie, lui. Au cœur de la douleur des uns et des autres, une peur : celle d’être rejeté. Et abandonné de nouveau.